Dossier. Les zaouïas et les législatives
Ces politiciens qui cherchent la baraka des cheikhs


le 29.04.12 | 10h00

zoom
Les zaouïas et les politiciens, un sujet qui refait surface à la veille des élections législatives du 10 mai 2012. Des confréries ont affiché, par le passé, ouvertement leur soutien au candidat-président Abdelaziz Bouteflika en 2004 et en 2009. Les zaouïas rattachées à la tariqa Rahmania n’accordent aucun appui aux candidats.
Si des politiciens cherchent la baraka des cheikhs, leur vision n’est pas circonscrite. En les sollicitant, ils veulent berner l’opinion publique. Les candidats, passés maîtres dans l’art de la tromperie, essayent de se donner une image de sainteté. Soulignons que la collaboration de quelques cheikhs ajoute de l’eau au moulin. Ils participent ainsi au subterfuge, en contrepartie de quelques modiques dinars. Toutefois, une poignée de cheikhs résistent aux tentatives de récupération politicienne. Les zaouïas, dans le passé et le présent, jouent pour une partie d’entre elles un rôle majeur dans la société, comme la mise à terme de conflits familiaux et «claniques».
D’autres n’existent que pour cautionner les dérives d’une autorité. L’histoire retiendra que des confréries ont lutté contre le colonisateur, alors que leurs semblables, pour des raisons de leaderships, ont applaudi l’invasion.
Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre de l’une des quatre plus importantes confréries en Algérie, en l’occurrence le commandement général de la Tariqa Rahmania. A elle seule, cette tariqa brasse des centaines de milliers d’adeptes. Son commandement est entre les mains du cheikh Mohamed El Mamoun El Kacimi El Hassani, 68 ans, également à la tête de la zaouïa El Kacimia d’El Hamel depuis 1994. El Hamel, distante de 8 km de Bou Saâda (250 km au sud est d’Alger), se situe au pied du massif oriental de l’Atlas saharien.
Une influence considérable dans le sud-est algérien
Agréable petite commune de 12 000 habitants, elle abrite depuis 1863 la zaouïa El Kacimia. Elle a été fondée par Mohamed Ben Abi El Kacim. Comparée aux zaouïas affiliées à la Tariqa Rahmania (250 environ), celle d’El Hamel n’a pas encore fêté son bicentenaire. Les Kacimi sont devenus d’office les pôles de la Tariqa Rahmania lors du transfert du «pouvoir spirituel» opéré par cheikh Ameziane Ahdeddad. Ce dernier en a décidé ainsi suite à son incarcération à Constantine, à la prison de Koudiet, au lendemain de l’insurrection des Biban menée de pair avec cheikh El Mokrani, raconte l’un des moqadem de la zaouïa. Depuis cette date, les adeptes de la tariqa, Kabyles pour la plupart, se regroupent chaque année à El Hamel pour rencontrer leurs frères.
Les Rahmanis s’appellent entre eux les «ikhwan». De cet héritage, l’influence de la zaouïa d’El Hamel reste considérable, au-delà même du champ religieux. Son poids est tellement conséquent que son cheikh est actuellement membre du Conseil supérieur islamique.
D’emblée, Mohamed El Mamoun nous relate la situation des zaouïas en général, et celle qu’il préside en particulier. «A partir des années 1970, nos institutions ont été réprimées, interdites d’exercer et réduites presque à néant. Il y avait une volonté de couper le cordon ombilical, millénaire, qui lie les zaouïas à la société algérienne.» La Tariqa Rahmania Khalwatia, fondée en 1774 par Sidi Mohamed Ben Abderrahmane, dit Sidi M’hamed, n’est pas seulement ancrée en Algérie.
Des zaouïas qui lui sont affiliées existent également en Tunisie et en Afrique, notamment au Soudan. Sidi M’hamed avait enseigné au Darfour, avant de revenir 30 ans plus tard, en 1750, en Algérie où il créa plusieurs centres d’enseignement. La rencontre avec cheikh El Mamoun El Kacimi s’est déroulée sans protocole. Le visage serein, habillé d’un burnous et d’une djellaba éclatants de blancheur. Les discussions pour évoquer avec le cheikh la vision politique des zaouïas se sont déroulées sans tabou. Et pour cause, le cheikh avait des choses à dire.
Zaouïa pro-régime et zaouïa neutre
Dans son modeste salon (les soufis ne donnent pas de valeur au luxe), cheikh El Mamoun dit que les pratiques de quelques zaouïas lors des campagnes électorales divergent. Comme dans un passé, où quelques-unes d’entre elles n’ont pas fait honneur aux confréries, et comme d’autres ont constitué un stock d’hommes, ainsi que des refuges, pour les moudjahidine montés au maquis. «La Rahmania, pour sa part, la zaouïa d’El Hamel entre autres, n’accorde aucun soutien aux politiciens, que ce soit à la veille d’échéances électorales ou pour d’autres événements.
Nous considérons tous les Algériens comme des musulmans égaux devant Dieu. Politiquement, nous ne cautionnons personne», tranche cheikh El Kacimi. «Si nous avons une vision politique, elle ne concerne que l’islam», soutient-il. Le chef de la Tariqa Rahmania précise que «le seul champ d’action est lié à la société, car nous nous intéressons, d’un point de vue global, au sort de la communauté». Au fil des entrevues, cheikh El Mamoun El Kacimi tient à se démarquer des zaouïas qui ont clairement affiché leur position partisane, encourt une fois, sans les citer et sans évoquer des noms. «Nous ne sommes membres d’aucune organisation ni d’aucune association», affirme notre interlocuteur. Puis, il souligne que «seule la Rabita Rahmnia des zaouïas éducatives représente la confrérie». Celle-ci a été créée en 1989 pour contribuer à stopper la déferlante wahhabite qui prenait de l’ampleur.
«Notre ‘rabitat’ a été mise sur pied sur des bases solides, pour servir Dieu. Elle ne sera jamais sous la tutelle de quiconque.» «L’islam prôné par les cheikhs qui nous ont précédés est conforme à la société algérienne», explique-t-il. Cette précision est de taille. Mahmoud Chaâlal, président de l’UNZA, parle au nom des zaouïas membres de l’organisation qu’il préside. El Mamoun, lui, défend la ligne de la «rabita rahmania». Par ailleurs, sans citer le moindre nom, mais toujours facile pour savoir à qui il fait illusion, cheikh El Mamoun déplore «la vindicte injuste et injustifiée qui s’est abattue sur les tariqa soufie, et sur le soufisme d’une manière générale, au lendemain de l’indépendance».
Décision politique ou pas ? El Mamoun El Kacimi expose les conséquences : «En voulant tuer les zaouïas, ils (les autorités post-indépendance) ont laissé le terrain vierge à des courants religieux étrangers à nos coutumes et à notre raisonnement», argue-t-il. Il ajoute que «les zaouïas ont été des remparts. Elles ont formé de grands savants algériens et véhiculé l’islam dans son originalité, dans son équilibre, sa modération et sa tolérance. Cela grâce à une éducation complète et à la bonne compréhension des textes sacrés».
(à suivre )
Ces politiciens qui cherchent la baraka des cheikhs


le 29.04.12 | 10h00

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Les zaouïas et les politiciens, un sujet qui refait surface à la veille des élections législatives du 10 mai 2012. Des confréries ont affiché, par le passé, ouvertement leur soutien au candidat-président Abdelaziz Bouteflika en 2004 et en 2009. Les zaouïas rattachées à la tariqa Rahmania n’accordent aucun appui aux candidats.
Si des politiciens cherchent la baraka des cheikhs, leur vision n’est pas circonscrite. En les sollicitant, ils veulent berner l’opinion publique. Les candidats, passés maîtres dans l’art de la tromperie, essayent de se donner une image de sainteté. Soulignons que la collaboration de quelques cheikhs ajoute de l’eau au moulin. Ils participent ainsi au subterfuge, en contrepartie de quelques modiques dinars. Toutefois, une poignée de cheikhs résistent aux tentatives de récupération politicienne. Les zaouïas, dans le passé et le présent, jouent pour une partie d’entre elles un rôle majeur dans la société, comme la mise à terme de conflits familiaux et «claniques».
D’autres n’existent que pour cautionner les dérives d’une autorité. L’histoire retiendra que des confréries ont lutté contre le colonisateur, alors que leurs semblables, pour des raisons de leaderships, ont applaudi l’invasion.
Pour en savoir plus, nous sommes allés à la rencontre de l’une des quatre plus importantes confréries en Algérie, en l’occurrence le commandement général de la Tariqa Rahmania. A elle seule, cette tariqa brasse des centaines de milliers d’adeptes. Son commandement est entre les mains du cheikh Mohamed El Mamoun El Kacimi El Hassani, 68 ans, également à la tête de la zaouïa El Kacimia d’El Hamel depuis 1994. El Hamel, distante de 8 km de Bou Saâda (250 km au sud est d’Alger), se situe au pied du massif oriental de l’Atlas saharien.
Une influence considérable dans le sud-est algérien
Agréable petite commune de 12 000 habitants, elle abrite depuis 1863 la zaouïa El Kacimia. Elle a été fondée par Mohamed Ben Abi El Kacim. Comparée aux zaouïas affiliées à la Tariqa Rahmania (250 environ), celle d’El Hamel n’a pas encore fêté son bicentenaire. Les Kacimi sont devenus d’office les pôles de la Tariqa Rahmania lors du transfert du «pouvoir spirituel» opéré par cheikh Ameziane Ahdeddad. Ce dernier en a décidé ainsi suite à son incarcération à Constantine, à la prison de Koudiet, au lendemain de l’insurrection des Biban menée de pair avec cheikh El Mokrani, raconte l’un des moqadem de la zaouïa. Depuis cette date, les adeptes de la tariqa, Kabyles pour la plupart, se regroupent chaque année à El Hamel pour rencontrer leurs frères.
Les Rahmanis s’appellent entre eux les «ikhwan». De cet héritage, l’influence de la zaouïa d’El Hamel reste considérable, au-delà même du champ religieux. Son poids est tellement conséquent que son cheikh est actuellement membre du Conseil supérieur islamique.
D’emblée, Mohamed El Mamoun nous relate la situation des zaouïas en général, et celle qu’il préside en particulier. «A partir des années 1970, nos institutions ont été réprimées, interdites d’exercer et réduites presque à néant. Il y avait une volonté de couper le cordon ombilical, millénaire, qui lie les zaouïas à la société algérienne.» La Tariqa Rahmania Khalwatia, fondée en 1774 par Sidi Mohamed Ben Abderrahmane, dit Sidi M’hamed, n’est pas seulement ancrée en Algérie.
Des zaouïas qui lui sont affiliées existent également en Tunisie et en Afrique, notamment au Soudan. Sidi M’hamed avait enseigné au Darfour, avant de revenir 30 ans plus tard, en 1750, en Algérie où il créa plusieurs centres d’enseignement. La rencontre avec cheikh El Mamoun El Kacimi s’est déroulée sans protocole. Le visage serein, habillé d’un burnous et d’une djellaba éclatants de blancheur. Les discussions pour évoquer avec le cheikh la vision politique des zaouïas se sont déroulées sans tabou. Et pour cause, le cheikh avait des choses à dire.
Zaouïa pro-régime et zaouïa neutre
Dans son modeste salon (les soufis ne donnent pas de valeur au luxe), cheikh El Mamoun dit que les pratiques de quelques zaouïas lors des campagnes électorales divergent. Comme dans un passé, où quelques-unes d’entre elles n’ont pas fait honneur aux confréries, et comme d’autres ont constitué un stock d’hommes, ainsi que des refuges, pour les moudjahidine montés au maquis. «La Rahmania, pour sa part, la zaouïa d’El Hamel entre autres, n’accorde aucun soutien aux politiciens, que ce soit à la veille d’échéances électorales ou pour d’autres événements.
Nous considérons tous les Algériens comme des musulmans égaux devant Dieu. Politiquement, nous ne cautionnons personne», tranche cheikh El Kacimi. «Si nous avons une vision politique, elle ne concerne que l’islam», soutient-il. Le chef de la Tariqa Rahmania précise que «le seul champ d’action est lié à la société, car nous nous intéressons, d’un point de vue global, au sort de la communauté». Au fil des entrevues, cheikh El Mamoun El Kacimi tient à se démarquer des zaouïas qui ont clairement affiché leur position partisane, encourt une fois, sans les citer et sans évoquer des noms. «Nous ne sommes membres d’aucune organisation ni d’aucune association», affirme notre interlocuteur. Puis, il souligne que «seule la Rabita Rahmnia des zaouïas éducatives représente la confrérie». Celle-ci a été créée en 1989 pour contribuer à stopper la déferlante wahhabite qui prenait de l’ampleur.
«Notre ‘rabitat’ a été mise sur pied sur des bases solides, pour servir Dieu. Elle ne sera jamais sous la tutelle de quiconque.» «L’islam prôné par les cheikhs qui nous ont précédés est conforme à la société algérienne», explique-t-il. Cette précision est de taille. Mahmoud Chaâlal, président de l’UNZA, parle au nom des zaouïas membres de l’organisation qu’il préside. El Mamoun, lui, défend la ligne de la «rabita rahmania». Par ailleurs, sans citer le moindre nom, mais toujours facile pour savoir à qui il fait illusion, cheikh El Mamoun déplore «la vindicte injuste et injustifiée qui s’est abattue sur les tariqa soufie, et sur le soufisme d’une manière générale, au lendemain de l’indépendance».
Décision politique ou pas ? El Mamoun El Kacimi expose les conséquences : «En voulant tuer les zaouïas, ils (les autorités post-indépendance) ont laissé le terrain vierge à des courants religieux étrangers à nos coutumes et à notre raisonnement», argue-t-il. Il ajoute que «les zaouïas ont été des remparts. Elles ont formé de grands savants algériens et véhiculé l’islam dans son originalité, dans son équilibre, sa modération et sa tolérance. Cela grâce à une éducation complète et à la bonne compréhension des textes sacrés».
(à suivre )
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