Pour les habitants de la région frontalière entre l'Algérie et le Maroc, la frontière n'a jamais été réellement fermée.
Il est 22 heures lorsque nous arrivons à Maghnia, considérée comme "la plateforme des trafiquants". Dans cette ville située aux confins ouest de l'Algérie, à 600 kilomètres de la capitale et accessible en venant de Oujda au Maroc, les cafés regorgent de clients.
Maghnia est la capitale du "trabendo" (la contrebande). De la drogue à la volaille, de l'alcool aux victuailles du Ramadan, tout transite par cette ville.
Sur la place du marché, de jeunes hommes proposent ouvertement toutes sortes de marchandises importées du Maroc. "Si vous en souhaitez une grande quantité, nous pouvons livrer à domicile ; je vous ferai un prix raisonnable", nous explique un jeune, à peine âgé de quinze ans.
"Mon téléphone n'arrête pas de sonner", explique Bachir Friki, un autre "trabendiste" local, qui a le don de renifler la bonne affaire. "Tout ce qui se vend, que ce soit ici ou là-bas, je le prends. Pour le moment, je stocke des dattes, dont les Marocains raffolent durant le Ramadan", ajoute-t-il.
Vêtements, nourriture, médicaments, produits de maquillage, et même bétail, tout se vend, mais le produit le plus recherché reste l'essence.
Les voitures sont équipées d'un second réservoir qui leur permet de faire une navette pratique entre les stations service et les dépôts situés à la frontière. L'essence est ensuite envoyée au Maroc dans des jerricans, portés à dos de mulets, en moto, en voiture ou en vélo.
"Trois moteurs de voitures, 5 boîtes de vitesses, 2 070 litres de Diesel, 3 600 litres supplémentaires dans des jerricans, c'est une partie du travail d'une seule nuit", nous explique un négociant au marché noir.
Nous rencontrons des voitures rendues méconnaissables par les modifications apportées aux réservoirs d'essence. C'est le territoire des "hallabas", des contrebandiers spécialisés dans le trafic d'essence.
"L'essence est dix fois moins chère ici qu'au Maroc, vous pouvez donc imaginer les bénéfices potentiels qu'il y a à faire", nous explique Rachid, qui n'a jamais fait un autre type de travail.
Les trafiquants de drogue sont en revanche moins loquaces. Les récents succès enregistrés dans la lutte contre ce trafic et le renforcement des mesures de sécurité les inquiètent.
"Nous avons accentué nos efforts pour lutter contre ces trafics", nous confirme un policier sous couvert de l'anonymat.
"Chaque jour, nous saisissons des centaines de kilos, parfois même des tonnes de cannabis", explique-t-il. "La saison de la récolte approche dans le Rif marocain, et les producteurs veulent écouler leurs stocks maintenant."
Ces dernières années, Maghnia est aussi devenue un point de passage des immigrants clandestins qui souhaitent gagner l'Europe en passant par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
A part les harragas, de nombreux jeunes Marocains y viennent également pour y trouver un emploi saisonnier ou permanent, à l'instar d'Abdelhafid, qui nous explique : "Maghnia est le point de départ."
A la frontière, des jeunes sont installés dans des voitures et écoutent de la musique. "Ce sont les hommes de guet des heddhayas", indique Hamid, un adolescent. "Généralement, ils possèdent des cartes SIM des deux pays."
Les gardes-frontière sont également sur le qui-vive. Ils attendent "la mouquatila" ou le véhicule "de guerre", des voitures sans plaque d'immatriculation ni phares utilisée par les contrebandiers.
"Elles arrivent à grande vitesse et ne s'arrêtent jamais aux barrages routiers. Leurs conducteurs sont de vrais cascadeurs ; ils se fichent que les policiers leur tirent dessus." se plaint un chauffeur de taxi.
Depuis le poste militaire d'Akid Lotfi en Algérie, les gardes observent les lumières d'Oujda scintiller dans la nuit du ciel marocain.
Les gardes-frontière stationnés près de Maghnia mènent un double combat. Cela fait longtemps qu'ils se trouvent aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme, tout en assurant la protection de l'immense frontière qui sépare l'Algérie de ses voisins.
Côté marocain, des soldats gardent également la frontière depuis 1994.
Les habitants des deux pays attendent impatiemment la réouverture officielle de la frontière. Des rumeurs circulent fréquemment, et les habitants retiennent leur souffle.
"Dès que des responsables s'arrêtent dans la ville, dès que les gens voient que des travaux de voirie ou de revêtement sont en cours, ils disent : 'ça y est, cette fois, c'est la bonne'," explique Said, professeur à temps complet et tarabiste à ses heures.
"Ici, la frontière est un moyen de subsistance. Nous avons de la famille de l'autre côté de la frontière, et durant toutes ces années, rien n'a jamais pu nous empêcher de garder le contact", ajoute-t-il.
D'autres envisagent la question sous un angle plus économique.
Oualid Moussaoui, employé de banque à Maghnia, explique que toute discussion sur la réouverture de la frontière terrestre "devrait être précédée par des accords entre les deux gouvernements concernant leurs échanges commerciaux."
"La réouverture de la frontière permettra à Maghnia de revivre", explique Samir Hadjiat, un commerçant, à Magharebia. "Je pourrai faire des aller-retour journaliers à Oujda, sans problème ni entrave, pour y faire du commerce avec mes frères marocains. Tous les habitants de Maghnia en profiteront."
Plus en aval, le wadi se rétrécit progressivement, et les routes côté algérien et marocain menant à la côte deviennent encore plus proches. Les conducteurs des deux côtés se garent pour échanger des saluts. A gauche, la plage marocaine de Saidia, à droite, celle, algérienne, de Marsat Ben M'hidi.
Ici, seul un petit cours d'eau marque la frontière entre les routes algérienne et marocaine avant d'arriver sur la plage. Les gens peuvent le traverser à pied ou en voiture. En été, les jeunes passent leur soirées dans un autre pays.
Ornées des drapeaux algérien et marocain, les deux plages sont remplies d'estivants en cette période de très forte chaleur. Les estivants des deux pays se saluent et partagent le même regret : que la frontière reste fermée, empêchant tout contact naturel. Hamid attend l'été avec impatience.
"L'été, je peux trouver des petits boulots rentables. Je suis gardien de parking, je fais office d'intermédiaire pour les locations d'appartements, et je fais même les courses pour les familles qui ne peuvent sortir", nous explique Hamid.
Hamid et ses amis passent souvent leurs soirées à Saidia. "Ils organisent des rencontres, surtout en été et pendant le Ramadan, et nous y allons pour passer de bons moments", nous explique-t-il.
"Nous avons des amis marocains qui viennent aussi ici pour les soirées de musique raï. Pour eux, il est également facile de traverser la frontière", ajoute-t-il.
Sur la plage de Muscarda, nous rencontrons des familles venues d'Alger. Elles sont littéralement tombées amoureuses de ce coin de paradis.
"Quel dommage que la frontière soit fermée. Et pourtant, la route arrive jusqu'ici !", regrette Samira Chelih, une enseignante. "J'aimerais emmener mes enfants au Maroc et leur présenter ce pays voisin."
Badis Sadi, employé dans une banque publique, est convaincu que "tôt ou tard, la frontière sera réouverte".
"Je suis prêt à parier qu'au moins cinq millions d'Algériens iront au Maroc pour leurs vacances", affirme-t-il, l'air confiant.
"Il faut juste que nos deux gouvernements s'asseoient autour d'une table et discutent de ce qui les gêne", ajoute-t-il.
Source: Magharebia
Il est 22 heures lorsque nous arrivons à Maghnia, considérée comme "la plateforme des trafiquants". Dans cette ville située aux confins ouest de l'Algérie, à 600 kilomètres de la capitale et accessible en venant de Oujda au Maroc, les cafés regorgent de clients.
Maghnia est la capitale du "trabendo" (la contrebande). De la drogue à la volaille, de l'alcool aux victuailles du Ramadan, tout transite par cette ville.
Sur la place du marché, de jeunes hommes proposent ouvertement toutes sortes de marchandises importées du Maroc. "Si vous en souhaitez une grande quantité, nous pouvons livrer à domicile ; je vous ferai un prix raisonnable", nous explique un jeune, à peine âgé de quinze ans.
"Mon téléphone n'arrête pas de sonner", explique Bachir Friki, un autre "trabendiste" local, qui a le don de renifler la bonne affaire. "Tout ce qui se vend, que ce soit ici ou là-bas, je le prends. Pour le moment, je stocke des dattes, dont les Marocains raffolent durant le Ramadan", ajoute-t-il.
Vêtements, nourriture, médicaments, produits de maquillage, et même bétail, tout se vend, mais le produit le plus recherché reste l'essence.
Les voitures sont équipées d'un second réservoir qui leur permet de faire une navette pratique entre les stations service et les dépôts situés à la frontière. L'essence est ensuite envoyée au Maroc dans des jerricans, portés à dos de mulets, en moto, en voiture ou en vélo.
"Trois moteurs de voitures, 5 boîtes de vitesses, 2 070 litres de Diesel, 3 600 litres supplémentaires dans des jerricans, c'est une partie du travail d'une seule nuit", nous explique un négociant au marché noir.
Nous rencontrons des voitures rendues méconnaissables par les modifications apportées aux réservoirs d'essence. C'est le territoire des "hallabas", des contrebandiers spécialisés dans le trafic d'essence.
"L'essence est dix fois moins chère ici qu'au Maroc, vous pouvez donc imaginer les bénéfices potentiels qu'il y a à faire", nous explique Rachid, qui n'a jamais fait un autre type de travail.
Les trafiquants de drogue sont en revanche moins loquaces. Les récents succès enregistrés dans la lutte contre ce trafic et le renforcement des mesures de sécurité les inquiètent.
"Nous avons accentué nos efforts pour lutter contre ces trafics", nous confirme un policier sous couvert de l'anonymat.
"Chaque jour, nous saisissons des centaines de kilos, parfois même des tonnes de cannabis", explique-t-il. "La saison de la récolte approche dans le Rif marocain, et les producteurs veulent écouler leurs stocks maintenant."
Ces dernières années, Maghnia est aussi devenue un point de passage des immigrants clandestins qui souhaitent gagner l'Europe en passant par les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
A part les harragas, de nombreux jeunes Marocains y viennent également pour y trouver un emploi saisonnier ou permanent, à l'instar d'Abdelhafid, qui nous explique : "Maghnia est le point de départ."
A la frontière, des jeunes sont installés dans des voitures et écoutent de la musique. "Ce sont les hommes de guet des heddhayas", indique Hamid, un adolescent. "Généralement, ils possèdent des cartes SIM des deux pays."
Les gardes-frontière sont également sur le qui-vive. Ils attendent "la mouquatila" ou le véhicule "de guerre", des voitures sans plaque d'immatriculation ni phares utilisée par les contrebandiers.
"Elles arrivent à grande vitesse et ne s'arrêtent jamais aux barrages routiers. Leurs conducteurs sont de vrais cascadeurs ; ils se fichent que les policiers leur tirent dessus." se plaint un chauffeur de taxi.
Depuis le poste militaire d'Akid Lotfi en Algérie, les gardes observent les lumières d'Oujda scintiller dans la nuit du ciel marocain.
Les gardes-frontière stationnés près de Maghnia mènent un double combat. Cela fait longtemps qu'ils se trouvent aux avant-postes de la lutte contre le terrorisme, tout en assurant la protection de l'immense frontière qui sépare l'Algérie de ses voisins.
Côté marocain, des soldats gardent également la frontière depuis 1994.
Les habitants des deux pays attendent impatiemment la réouverture officielle de la frontière. Des rumeurs circulent fréquemment, et les habitants retiennent leur souffle.
"Dès que des responsables s'arrêtent dans la ville, dès que les gens voient que des travaux de voirie ou de revêtement sont en cours, ils disent : 'ça y est, cette fois, c'est la bonne'," explique Said, professeur à temps complet et tarabiste à ses heures.
"Ici, la frontière est un moyen de subsistance. Nous avons de la famille de l'autre côté de la frontière, et durant toutes ces années, rien n'a jamais pu nous empêcher de garder le contact", ajoute-t-il.
D'autres envisagent la question sous un angle plus économique.
Oualid Moussaoui, employé de banque à Maghnia, explique que toute discussion sur la réouverture de la frontière terrestre "devrait être précédée par des accords entre les deux gouvernements concernant leurs échanges commerciaux."
"La réouverture de la frontière permettra à Maghnia de revivre", explique Samir Hadjiat, un commerçant, à Magharebia. "Je pourrai faire des aller-retour journaliers à Oujda, sans problème ni entrave, pour y faire du commerce avec mes frères marocains. Tous les habitants de Maghnia en profiteront."
Plus en aval, le wadi se rétrécit progressivement, et les routes côté algérien et marocain menant à la côte deviennent encore plus proches. Les conducteurs des deux côtés se garent pour échanger des saluts. A gauche, la plage marocaine de Saidia, à droite, celle, algérienne, de Marsat Ben M'hidi.
Ici, seul un petit cours d'eau marque la frontière entre les routes algérienne et marocaine avant d'arriver sur la plage. Les gens peuvent le traverser à pied ou en voiture. En été, les jeunes passent leur soirées dans un autre pays.
Ornées des drapeaux algérien et marocain, les deux plages sont remplies d'estivants en cette période de très forte chaleur. Les estivants des deux pays se saluent et partagent le même regret : que la frontière reste fermée, empêchant tout contact naturel. Hamid attend l'été avec impatience.
"L'été, je peux trouver des petits boulots rentables. Je suis gardien de parking, je fais office d'intermédiaire pour les locations d'appartements, et je fais même les courses pour les familles qui ne peuvent sortir", nous explique Hamid.
Hamid et ses amis passent souvent leurs soirées à Saidia. "Ils organisent des rencontres, surtout en été et pendant le Ramadan, et nous y allons pour passer de bons moments", nous explique-t-il.
"Nous avons des amis marocains qui viennent aussi ici pour les soirées de musique raï. Pour eux, il est également facile de traverser la frontière", ajoute-t-il.
Sur la plage de Muscarda, nous rencontrons des familles venues d'Alger. Elles sont littéralement tombées amoureuses de ce coin de paradis.
"Quel dommage que la frontière soit fermée. Et pourtant, la route arrive jusqu'ici !", regrette Samira Chelih, une enseignante. "J'aimerais emmener mes enfants au Maroc et leur présenter ce pays voisin."
Badis Sadi, employé dans une banque publique, est convaincu que "tôt ou tard, la frontière sera réouverte".
"Je suis prêt à parier qu'au moins cinq millions d'Algériens iront au Maroc pour leurs vacances", affirme-t-il, l'air confiant.
"Il faut juste que nos deux gouvernements s'asseoient autour d'une table et discutent de ce qui les gêne", ajoute-t-il.
Source: Magharebia
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