L’Algérie, son système, sa crise politique et son identité selon Chadli Bendjedid
Posté par Rédaction du Quotidien d'Algérie, 7 octobre 2010
Par Masatoshi Kisaichi et Watanabe Shoko, The Journal of Sophia Asian Studies n° 27 (2009)
Interview de l’ancien président algérien Chadli Bendjedid et la signification historique de son témoignage.
Masatoshi Kisaichi : Professeur à l’Institut des Etudes Asiatiques. Université Sophia.
Watanabe Shoko : Etudiante PhD. Graduate School of Arts and Sciences. Université de Tokyo.
Interview réalisée le 4 mai 2008 en langue arabe au domicile de Mr Chadli Bendjedid. Durée : 2 heures (10h -12h 15)
Traduction réalisée de la langue arabe par l’équipe de LQA. Nous tenons à remercier Mohamed Jabara pour sa très précieuse collaboration.
Nos remerciements également à notre compatriote universitaire Nasser El Djazaïr, pour nous avoir scanné et envoyé l’interview en langue arabe. La traduction a concerné uniquement la période allant de la désignation de Mr Chadli Bendjedid en 1979 par l’armée à sa démission forcée en 92, suite au coup d’Etat du 11 janvier.
Kisaichi : Le président Chadli est arrivé au pouvoir la même année du déclenchement de la révolution iranienne en 1979. A cette époque, la révolution islamique iranienne a provoqué en tant que religion et culture, une forte impression dans les rangs du peuple Algérien. Quel est le rôle joué par la révolution iranienne dans le renforcement de l’Islam en Algérie ?
Chadli : En réalité, l’Algérie était au début de la Révolution en harmonie avec ses traditions, ses principes et son authenticité. C’est-à-dire son appartenance civilisationnelle à la Nation arabe et islamique avec tout ce qu’elle représente comme civilisation, histoire, en plus de son appartenance spirituelle. Et la révolution a débuté sur la base de ces principes dont l’appartenance religieuse à l’Islam. La révolution iranienne n’a joué aucun rôle dans l’évolution de la situation en Algérie. Bien au contraire, nous avons aidé les iraniens à résoudre leurs problèmes avec les américains et le Chah. Comme nous le savons, les iraniens appartiennent au chiisme et nous en Algérie et au Maghreb arabe, nous appartenons au rite Malékite. Et là, il y a une grande différence entre le chiisme et le rite malékite.
Kisaichi : Qu’en est-il de l’augmentation des mosquées dans les années 70 et la promulgation d’une loi en 1972 interdisant la vente des boissons alcoolisées aux musulmans ? Etes-vous d’accord avec moi pour dire que la société algérienne est passée d’une société laïque à une société plus religieuse ?
Chadli : Oui, cela est exact. Mais ce changement a été progressif. Au lendemain de l’indépendance nous avons opté pour une orientation socialiste du temps du président Ben Bella. Mais nous avons refusé cette orientation car elle était plus proche du communisme et ce dernier n’a aucune relation avec les valeurs et traditions algériennes. Il ne s’agit que d’une chose importée qui n’a aucun rapport avec l’Algérie et la vie des Algériens. La présence communiste en Algérie et son rôle influent au sein du pouvoir qui a essayé d’imposer l’orientation socialiste proche du communisme a suscité une confusion et a ouvert les portes à l’extrémisme religieux. Ceci a aboutit à l’éviction de Ben Bella du pouvoir car son régime avait imposé au peuple algérien un modèle de développement et une orientation politique, économique et social très proches des systèmes communistes. L’échec de son système dans la réalisation de la politique de développement a permis au courant religieux d’activer pour contrer le courant communiste. C’est pour cette raison que le courant religieux est apparu et que son activité politique a augmenté dans les années 70, par la construction de mosquées. A l’époque il y avait un seul parti, le front de libération nationale, et en son sein, il y avait de nombreuses sensibilités politiques telles que les communistes, les islamistes et autres. Le FLN constituait le parapluie sous lequel se trouvait un grand mélange d’orientations diverses. Et cette mixture continua à se développer jusqu’aux années 80.
Watanabe : N’y avait-il pas déjà un conflit entre le courant socialiste et le courant islamiste durant la guerre de libération ?
Chadli : Non, ces courants n’existaient pas durant la guerre de libération nationale car la condition imposée pour rejoindre le FLN était de laisser de côté son appartenance partisane. Et seuls ceux qui avaient accepté cette condition ont pu adhérer au programme du FLN et à la déclaration du 1er novembre. Le FLN n’a jamais accepté l’adhésion dans ses rangs de ceux qui refusaient de se défaire de leur appartenance partisane. Et c’est grâce à cela que nous avons pu vaincre tous ces courants contradictoires. Ainsi la réflexion était une durant la guerre de libération. Mais, après l’indépendance, certains ont commencé au sein du FLN à reprendre leurs appartenances idéologiques. C’est le cas des islamistes, des communistes, des socialistes, des laïcs, des progressistes et autres.
Watanabe : Cela signifie-t-il que tous les courants politiques et intellectuels étaient rassemblés au sein du FLN autour d’un dénominateur commun qu’était la libération de l’Algérie ?
Chadli : Oui, c’est exact !
Kisaichi : En octobre 80, un violent séisme a frappé la ville d’El Asnam et les associations religieuses ont joué un rôle important dans l’aide apportée aux sinistrés. Quel est votre évaluation du rôle de ces associations à cette époque ?
Chadli : Ces associations islamiques ont commencé à œuvrer au sein de la population, après leur travail de solidarité auprès des sinistrés. Mais c’est l’Etat qui a pris en charge la reconstruction des maisons détruites et le rôle de ces associations était très limité comparativement à ce qu’a fait l’Etat.
Kisaichi : Mais beaucoup d’observateurs ont affirmé que le rôle joué par ces associations islamiques dans le soutien des citoyens était de beaucoup supérieur à celui joué par le gouvernement.
Chadli : Cela n’est pas vrai. C’est le gouvernement qui a pris en charge les sinistrés mais les portes de la solidarité étaient ouvertes à tout le monde y compris les associations islamiques et dont le rôle, encore une fois était limité car leurs moyens étaient inférieurs à ceux de l’Etat et le gouvernement a octroyé une aide très importante aux sinistrés après le séisme.
Kisaichi : Est-ce le président Chadli qui a initié le changement en Algérie en passant de la politique socialiste vers la politique capitaliste ?
Chadli : Oui c’est moi qui ai changé le système du socialiste vers le capitalisme car j’avais constaté que le système socialiste avait échoué. Il n’y a pas un autre comme moi qui a vécu la révolution depuis ses débuts jusqu’aux années 90. J’étais responsable au commandement militaire jusqu’à l’indépendance et j’ai assuré des responsabilités sans interruption au sein du pouvoir politique et militaire jusqu’en 1992. Cela signifie que j’ai vécu toutes les étapes de la révolution jusqu’à l’indépendance tout comme j’étais un haut responsable militaire. C’est nous qui avons ramené Ben Bella au pouvoir. Personnellement, je n’ai pas eu l’occasion de faire les écoles militaires durant la colonisation française ni après. J’étais un militant et au cours de mon activisme, je me suis entrainé à la vie révolutionnaire et j’ai assumé des responsabilités en tant que militaire ni plus ni moins. C’est ainsi que j’ai vécu les étapes de la Révolution de ses débuts jusqu’à l’indépendance. Puis durant la période de Ben Bella et de Boumediene après, où j’étais membre du conseil de la Révolution qui représentait le pouvoir essentiel autour du président de la République. De par ces longues expériences que j’ai vécues du régime communiste de Ben Bella au régime socialiste de Boumediene, régimes qui ont tous deux totalement échoué, je me suis fait une idée complète et claire de la situation en Algérie.
Kisaichi : Quel est le principal problème du système socialiste en Algérie ?
Chadli : Nous n’avons pas pu réaliser ce que nous souhaitions à l’ombre du système socialiste. Ce système en tant que philosophie et principes était admirable mais a prouvé son échec en Algérie. Notre compréhension et notre foi en le socialisme relevait d’un seul principe qu’était la justice sociale. Et nous croyons à ce jour en cette justice sociale. La philosophie est une chose, l’application en est une autre. Et nous avons échoué dans l’application. Et le seul choix était d’ouvrir la porte au peuple algérien pour choisir ses représentants. Tel est le choix d’avenir car le monde est devenu petit, nous sommes une partie de ce monde et notre développement est tributaire de ce monde. Notre immobilisme et notre entêtement à nous accrocher à une philosophie particulière sont condamnés à l’échec. Et le meilleur exemple à ce que je dis est l’échec de l’union soviétique et son retour aux réalités. J’ai changé le système par conviction personnelle car j’ai vécu toutes les étapes économiques, politiques et sociales du régime algérien en tant que responsable et sur cette base, j’ai pris totalement mes responsabilités. Quand je me suis aperçu que le régime socialiste à l’époque ne pouvait plus assurer les changements voulus, j’ai décidé de le changer.
Posté par Rédaction du Quotidien d'Algérie, 7 octobre 2010
Par Masatoshi Kisaichi et Watanabe Shoko, The Journal of Sophia Asian Studies n° 27 (2009)
Interview de l’ancien président algérien Chadli Bendjedid et la signification historique de son témoignage.
Masatoshi Kisaichi : Professeur à l’Institut des Etudes Asiatiques. Université Sophia.
Watanabe Shoko : Etudiante PhD. Graduate School of Arts and Sciences. Université de Tokyo.
Interview réalisée le 4 mai 2008 en langue arabe au domicile de Mr Chadli Bendjedid. Durée : 2 heures (10h -12h 15)
Traduction réalisée de la langue arabe par l’équipe de LQA. Nous tenons à remercier Mohamed Jabara pour sa très précieuse collaboration.
Nos remerciements également à notre compatriote universitaire Nasser El Djazaïr, pour nous avoir scanné et envoyé l’interview en langue arabe. La traduction a concerné uniquement la période allant de la désignation de Mr Chadli Bendjedid en 1979 par l’armée à sa démission forcée en 92, suite au coup d’Etat du 11 janvier.
Kisaichi : Le président Chadli est arrivé au pouvoir la même année du déclenchement de la révolution iranienne en 1979. A cette époque, la révolution islamique iranienne a provoqué en tant que religion et culture, une forte impression dans les rangs du peuple Algérien. Quel est le rôle joué par la révolution iranienne dans le renforcement de l’Islam en Algérie ?
Chadli : En réalité, l’Algérie était au début de la Révolution en harmonie avec ses traditions, ses principes et son authenticité. C’est-à-dire son appartenance civilisationnelle à la Nation arabe et islamique avec tout ce qu’elle représente comme civilisation, histoire, en plus de son appartenance spirituelle. Et la révolution a débuté sur la base de ces principes dont l’appartenance religieuse à l’Islam. La révolution iranienne n’a joué aucun rôle dans l’évolution de la situation en Algérie. Bien au contraire, nous avons aidé les iraniens à résoudre leurs problèmes avec les américains et le Chah. Comme nous le savons, les iraniens appartiennent au chiisme et nous en Algérie et au Maghreb arabe, nous appartenons au rite Malékite. Et là, il y a une grande différence entre le chiisme et le rite malékite.
Kisaichi : Qu’en est-il de l’augmentation des mosquées dans les années 70 et la promulgation d’une loi en 1972 interdisant la vente des boissons alcoolisées aux musulmans ? Etes-vous d’accord avec moi pour dire que la société algérienne est passée d’une société laïque à une société plus religieuse ?
Chadli : Oui, cela est exact. Mais ce changement a été progressif. Au lendemain de l’indépendance nous avons opté pour une orientation socialiste du temps du président Ben Bella. Mais nous avons refusé cette orientation car elle était plus proche du communisme et ce dernier n’a aucune relation avec les valeurs et traditions algériennes. Il ne s’agit que d’une chose importée qui n’a aucun rapport avec l’Algérie et la vie des Algériens. La présence communiste en Algérie et son rôle influent au sein du pouvoir qui a essayé d’imposer l’orientation socialiste proche du communisme a suscité une confusion et a ouvert les portes à l’extrémisme religieux. Ceci a aboutit à l’éviction de Ben Bella du pouvoir car son régime avait imposé au peuple algérien un modèle de développement et une orientation politique, économique et social très proches des systèmes communistes. L’échec de son système dans la réalisation de la politique de développement a permis au courant religieux d’activer pour contrer le courant communiste. C’est pour cette raison que le courant religieux est apparu et que son activité politique a augmenté dans les années 70, par la construction de mosquées. A l’époque il y avait un seul parti, le front de libération nationale, et en son sein, il y avait de nombreuses sensibilités politiques telles que les communistes, les islamistes et autres. Le FLN constituait le parapluie sous lequel se trouvait un grand mélange d’orientations diverses. Et cette mixture continua à se développer jusqu’aux années 80.
Watanabe : N’y avait-il pas déjà un conflit entre le courant socialiste et le courant islamiste durant la guerre de libération ?
Chadli : Non, ces courants n’existaient pas durant la guerre de libération nationale car la condition imposée pour rejoindre le FLN était de laisser de côté son appartenance partisane. Et seuls ceux qui avaient accepté cette condition ont pu adhérer au programme du FLN et à la déclaration du 1er novembre. Le FLN n’a jamais accepté l’adhésion dans ses rangs de ceux qui refusaient de se défaire de leur appartenance partisane. Et c’est grâce à cela que nous avons pu vaincre tous ces courants contradictoires. Ainsi la réflexion était une durant la guerre de libération. Mais, après l’indépendance, certains ont commencé au sein du FLN à reprendre leurs appartenances idéologiques. C’est le cas des islamistes, des communistes, des socialistes, des laïcs, des progressistes et autres.
Watanabe : Cela signifie-t-il que tous les courants politiques et intellectuels étaient rassemblés au sein du FLN autour d’un dénominateur commun qu’était la libération de l’Algérie ?
Chadli : Oui, c’est exact !
Kisaichi : En octobre 80, un violent séisme a frappé la ville d’El Asnam et les associations religieuses ont joué un rôle important dans l’aide apportée aux sinistrés. Quel est votre évaluation du rôle de ces associations à cette époque ?
Chadli : Ces associations islamiques ont commencé à œuvrer au sein de la population, après leur travail de solidarité auprès des sinistrés. Mais c’est l’Etat qui a pris en charge la reconstruction des maisons détruites et le rôle de ces associations était très limité comparativement à ce qu’a fait l’Etat.
Kisaichi : Mais beaucoup d’observateurs ont affirmé que le rôle joué par ces associations islamiques dans le soutien des citoyens était de beaucoup supérieur à celui joué par le gouvernement.
Chadli : Cela n’est pas vrai. C’est le gouvernement qui a pris en charge les sinistrés mais les portes de la solidarité étaient ouvertes à tout le monde y compris les associations islamiques et dont le rôle, encore une fois était limité car leurs moyens étaient inférieurs à ceux de l’Etat et le gouvernement a octroyé une aide très importante aux sinistrés après le séisme.
Kisaichi : Est-ce le président Chadli qui a initié le changement en Algérie en passant de la politique socialiste vers la politique capitaliste ?
Chadli : Oui c’est moi qui ai changé le système du socialiste vers le capitalisme car j’avais constaté que le système socialiste avait échoué. Il n’y a pas un autre comme moi qui a vécu la révolution depuis ses débuts jusqu’aux années 90. J’étais responsable au commandement militaire jusqu’à l’indépendance et j’ai assuré des responsabilités sans interruption au sein du pouvoir politique et militaire jusqu’en 1992. Cela signifie que j’ai vécu toutes les étapes de la révolution jusqu’à l’indépendance tout comme j’étais un haut responsable militaire. C’est nous qui avons ramené Ben Bella au pouvoir. Personnellement, je n’ai pas eu l’occasion de faire les écoles militaires durant la colonisation française ni après. J’étais un militant et au cours de mon activisme, je me suis entrainé à la vie révolutionnaire et j’ai assumé des responsabilités en tant que militaire ni plus ni moins. C’est ainsi que j’ai vécu les étapes de la Révolution de ses débuts jusqu’à l’indépendance. Puis durant la période de Ben Bella et de Boumediene après, où j’étais membre du conseil de la Révolution qui représentait le pouvoir essentiel autour du président de la République. De par ces longues expériences que j’ai vécues du régime communiste de Ben Bella au régime socialiste de Boumediene, régimes qui ont tous deux totalement échoué, je me suis fait une idée complète et claire de la situation en Algérie.
Kisaichi : Quel est le principal problème du système socialiste en Algérie ?
Chadli : Nous n’avons pas pu réaliser ce que nous souhaitions à l’ombre du système socialiste. Ce système en tant que philosophie et principes était admirable mais a prouvé son échec en Algérie. Notre compréhension et notre foi en le socialisme relevait d’un seul principe qu’était la justice sociale. Et nous croyons à ce jour en cette justice sociale. La philosophie est une chose, l’application en est une autre. Et nous avons échoué dans l’application. Et le seul choix était d’ouvrir la porte au peuple algérien pour choisir ses représentants. Tel est le choix d’avenir car le monde est devenu petit, nous sommes une partie de ce monde et notre développement est tributaire de ce monde. Notre immobilisme et notre entêtement à nous accrocher à une philosophie particulière sont condamnés à l’échec. Et le meilleur exemple à ce que je dis est l’échec de l’union soviétique et son retour aux réalités. J’ai changé le système par conviction personnelle car j’ai vécu toutes les étapes économiques, politiques et sociales du régime algérien en tant que responsable et sur cette base, j’ai pris totalement mes responsabilités. Quand je me suis aperçu que le régime socialiste à l’époque ne pouvait plus assurer les changements voulus, j’ai décidé de le changer.
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