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Entretien : MOHAMED CHAFIK MESBAH AU SOIR D’ALGÉRIE Le processus américain de décision diplomatique (1re parti

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  • #16
    Nous n’avons pas eu à évoquer jusqu’ici le mode de fonctionnement de l’appareil diplomatique algérien. Comment se comporte-t-il à l’épreuve de ses rapports aux Etats-Unis d’Amérique ?

    Par delà sa démarche vis-à-vis du partenaire essentiel que sont les Etats-Unis d’Amérique, la diplomatie algérienne est en crise. C’est une évidence. Une crise à plusieurs dimensions. Premièrement, une dimension doctrinale. La diplomatie algérienne n’a jamais procédé à l’actualisation de son corpus conceptuel pour l’adapter aux réalités du monde moderne marquées par la mondialisation des rapports internationaux et l’émergence d’un pôle de puissance principal dominé par les Etats-Unis d’Amérique. Ce nouveau contexte condamne-t-il l’Algérie à se couper des repères qui constituent le socle de son ancrage traditionnel, l’Afrique et le Proche-Orient ? Erreur fatale, même si un pôle de puissance hégémonique s’est imposé, que d’ignorer son environnement vital immédiat au profit d’une aspiration illusoire, vouloir, directement, trouver place auprès des grandes puissances. Il importe, en effet, que la diplomatie algérienne subisse son aggiornamento. Il s’agit, selon l’heureuse formule d’un éminent diplomate algérien, «de dégager une vision et une stratégie, de définir des objectifs et de s’assurer, subséquemment, des moyens nécessaires ainsi que des modes opératoires utiles». Faut-il souligner que l’aggiornamento souhaité doit faire l’objet de la plus large concertation possible ? Que la doctrine diplomatique qui doit en résulter devrait reposer sur le consensus national le plus étendu ? Cela relève de l’évidence ! Deuxièmement, la crise de la diplomatie algérienne comporte une dimension pratique relative au mode opératoire en usage. C’est un mode opératoire anachronique et désuet. Il y a eu la tentative de feu Mohamed Seddik Benyahia lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères qui souhaitait définir un profil de formation et un profil de carrière à l’usage du corps diplomatique. Il voulait parvenir à former des cadres diplomatiques dynamiques et performants. Confronté, d’emblée, à la trop forte empreinte régionaliste dans la ressource humaine léguée par son prédécesseur, il fut trahi par le destin à travers sa mort soudaine. Le docteur Ahmed Taleb Ibrahimi qui lui succéda a favorisé, incontestablement, le rajeunissement du corps diplomatique algérien. C’est à son initiative que les jeunes énarques ont accédé, pour la première fois, à de vrais postes de responsabilité diplomatique. Dans l’ensemble, cependant, le ministère des Affaires étrangères n’a pas connu cette véritable refonte organique qui continue de lui faire défaut. Son mode de fonctionnement est, totalement, inadapté au regard des nouveaux défis diplomatiques qui interpellent le pays. Qu’il s’agisse de formation, de gestion de la ressource humaine ou de dynamisation opérationnelle des structures diplomatiques, le dysfonctionnement est général. Le dispositif diplomatique opérationnel dans les pays d’accréditation constitue, le plus souvent, une excroissance administrative avec des cadres démunis de marge de manœuvre. Même s’ils venaient à disposer de potentiel intellectuel et d’expérience professionnelle vérifiés, ces cadres sont condamnés à l’inaction. Prenons, pour exemple, l’ambassade d’Algérie aux Etats- Unis d’Amérique précisément. Son bilan ne saurait être ramené aux mondanités dans les salons feutrés de Washington, c’est entendu. Il devrait se rapporter aux contacts répétés et dynamiques avec les think tanks et les groupes de pression qui influent sur le processus de prise de décision diplomatique dans le pays d’accréditation. Mais, il faut justice rendre. Ce n’est pas l’ambassadeur en poste qui est, personnellement, responsable du profil bas de la représentation diplomatique algérienne à Washington. Juste à titre d’exemple, indiquons qu’il vient de se voir affecter des collaborateurs arabophones qui mettront deux ans pour apprendre les rudiments de l’anglais. Il ne dispose, par ailleurs, d’aucune réelle latitude pour prendre langue avec des interlocuteurs américains hors le département d’Etat. Il doit référer, systématiquement, au ministère des Affaires étrangères à Alger pour toute initiative. Le ministère des Affaires étrangères, lui-même, se limite à répercuter les sollicitations aux services de la présidence de la République. Il en résulte une léthargie qui rend inefficiente l’activité diplomatique algérienne.
    Comment devraient procéder les pouvoirs publics en Algérie pour mener à bonne fin l’aggiornamento de la diplomatie que vous appelez de vos vœux ?
    Question pertinente. En fait, là où il semble que l’Algérie a remporté quelque succès, c’est plus le résultat de la ruse que la finalité d’une vraie démarche conceptuelle. Une telle démarche implique la synergie de l’effort intellectuel de toutes les composantes de l’élite algérienne, à l’université, dans l’armée et les services de renseignement, au sein de l’appareil diplomatique et de son environnement gouvernemental et administratif, mais aussi dans la constellation de centres de réflexion qui devraient tenir le haut du pavé, comme cela est le cas des pays qui ont vocation à être de vraies puissances régionales, je pense à la Turquie ou à la Malaisie. J’ai toujours été étonné que le président Abdelaziz Bouteflika ,apparemment soucieux d’apposer son nom au panthéon de l’Histoire, persiste à entretenir des sentiments de mépris vis-à-vis de tous les Algériens capables de réfléchir et imprégnés de la nécessité du débat contradictoire. Le président Abdelaziz Bouteflika qui admirerait Napoléon Bonaparte gagnerait, à cet endroit, à s’en inspirer : «Il n’y a que deux puissances au monde : le sabre et l’esprit. A la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit.» Actuellement, les grandes décisions diplomatiques se prennent à l’aune des humeurs du chef de l’Etat pas sur la base d’un état des lieux circonstancié accompagné de variantes de décision suivies de leurs répercussions probables pour le pays. Vous avez bien raison d’insister sur l’aggiornamento de la diplomatie algérienne. Il paraît impossible de l’envisager alors que la gouvernance publique, dans sa globalité, est déficiente. Revenons, justement, au processus de prise de décision diplomatique en Algérie pour vous convaincre que la thérapeutique, facile à prescrire, est difficile à administrer. Par delà les anomalies avérées en matière de recrutement, de formation et de gestion de la ressource humaine en termes de cadres diplomatiques, par delà les carences dans les procédures d’évaluation conceptuelles ou opératoires des situations diplomatiques, c’est le modus operandi de l’appareil diplomatique qui est en cause. Naviguant à vue, cet appareil diplomatique, à l’image d’un navire perdu, vogue sans capitaine à bord. Tous les leviers diplomatiques sont rassemblés entre les mains du président de la République lequel ne délègue rien en matière diplomatique. Le ministre des Affaires étrangères est un simple fondé de pouvoir. Le ministère des Affaires étrangères, lui-même, ne peut guère assumer son rôle d’arbitrage diplomatique car il a été dépossédé de tout pouvoir de véritable concertation avec les ministères ou institutions concernées par la gestion des relations internationales, notamment les ministères de souveraineté et les services de renseignement. Ce sont, évidemment, moins les hommes qui animent l’appareil diplomatique qui sont en cause que le propre mode de fonctionnement de l’appareil. Il existe une pléiade de diplomates algériens dont le potentiel intellectuel, l’expertise professionnelle et la conviction patriotique forcent l’admiration. Hélas, leurs mains sont liées tout comme celles de leur ministre. Il manque, sans doute, à ces diplomates la dose de courage qui anime les hommes d’exception. Ils sont rares, dans l’histoire universelle, les diplomates d’exception qui se sont distingués par leur courage. Il nous faudra, assurément, méditer la leçon de cynisme léguée par Talleyrand, l’inénarrable diplomate de Napoléon : «La parole a été donnée à l’homme pour déguiser sa pensée.»
    M. B.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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