«Il est très facile d’être homme mais bien plus difficile d’être un homme» (Proverbe chinois)
On a souvent dit que lorsque le peuple algérien avait eu à se mêler vraiment de politique après l’indépendance, c’était à chaque fois pour écrire une page d’histoire en transformant une tourmente en épopée et un parcours en destin.
Ce ne fut pas toujours le cas, mais pour une fois, cette affirmation, un peu cocardière, se vérifia quand il rencontra sur sa route et dans des circonstances plus que dramatiques un homme qui avait pour nom Liamine Zeroual, un combattant de la libération de la première heure, peu porté sur les feux de la rampe et qui n’imagina jamais se retrouver un jour au centre de la crise interne la plus meurtrière que la nation, sur le point de se disloquer, ait eu à vivre dans sa longue et tumultueuse existence, et pis, d’avoir à diriger un Etat qui prenait eau de toutes parts, dans une tempête qui terrifiait les timoniers les plus aguerris.
Il fallait avoir, comme Mohamed Boudiaf, l’Algérie chevillée au cœur, un cran et un sens des responsabilités peu communs et aussi quelque part un volontarisme à toute épreuve pour se lancer dans une aventure dont personne ne savait sur quoi elle allait déboucher, tant l’incertitude que les vents contraires faisaient planer sur le pays étaient, en plus des tueries, la chose la mieux partagée par les Algériens.
Qui aurait en effet accepté de parier un seul kopeck sur cet ancien officier supérieur de l’ANP, réservé et même revêche, les sourcils, constamment en bataille, la voix martiale, connu des seuls initiés des arcanes du pouvoir réel, pour sortir l’Algérie du bourbier dans lequel l’enfoncèrent les forces liguées de la revanche et du passéisme qui avaient juré la perte de la République ? Pour dire vrai, peu de gens, si l’on considère la carrière sans relief particulier qui fut la sienne — exception faite de la démission, avec éclat, de son poste d’ambassadeur en Roumanie, sous le mandat de Chadli Bendjedid — ainsi que le déchaînement de la violence intégriste qui divisa profondément aussi bien la société que les formations partisanes accouchées aux forceps par la Constitution de 1989.
Autant dire une mission impossible comme en convinrent les plus pessimistes, renforcés dans leur conviction, par les premiers pas hésitants du président de l’Etat, ministre de la Défense, réduit à recourir aux expédients les plus dérisoires, comme convoquer à la conférence du dialogue national des responsables de fédérations sportives et autres minorités socioculturelles non représentatives, l’expression la plus éloquente de son isolement, mais également de l’opportunisme et de l’hypocrisie de politiciens grisâtres en quête d’une reconnaissance internationale.
1- Les élections présidentielles du 25 novembre 1995
Qui eut cru, en cet automne maussade et cruellement sanglant, que la vapeur allait se renverser aussi brusquement et que le cours des événements allait prendre, par une de ces accélérations dont seule l’histoire détient le secret, une direction imprévue qui surprit les observateurs les plus blasés ? L’organisation courageuse, des premières élections présidentielles pluralistes que les chancelleries, accréditées à Alger, vouaient à un échec annoncé, en provoqua l’amorce. C’est à ce moment-là que la société algérienne, prise de vertige mais encore consciente, partit puiser dans le fond de ses réserves morales les plus insoupçonnées la force d’un élan salvateur qui ne survient – suscité par un formidable instinct de conservation — qu’au bord de la très mince frontière qui sépare la vie de la mort.
Et le déclic, générateur de la lame rédemptrice, vint de là où personne ne l’attendait, de ces Algériens résidant en France et ailleurs à l’étranger, qui déferlèrent, par vagues ininterrompues, sur les bureaux de vote pris d’assaut, des jours durant, donnant à voir et à entendre que l’Algérie, même à terre, était capable de se relever. Un positionnement patriotique confirmé, quelques jours plus tard, sur tout le territoire national par les hommes et, en particulier, par les femmes qui bravèrent la peur et les consignes de boycott, assorties de menaces de massacres colportées de ville en ville, de village en village et de quartier en quartier.
Si la formule selon laquelle l’élection d’un président de la République résulte en général de la rencontre d’un homme avec son peuple, autrement dit, du croisement d’un parcours individuel avec un destin collectif, devait se rapporter parfaitement à quelqu’un, elle s’appliquerait, sans aucune espèce de doute, à Liamine Zeroual.
Jamais l’élection d’un président, parmi toutes celles organisées en Algérie, depuis l’indépendance, n’eut en effet à souffrir du moindre soupçon de fraude ou d’une quelconque contestation, un précédent qui laissa espérer que ce fut là une conquête irréversible de la démocratie et d’une culture politique avancée à laquelle accédaient enfin aussi bien la classe politique que les citoyens qui avaient fini, à la longue, par en désespérer.
2- Le programme de redressement national
S’étant entouré d’experts et d’universitaires rompus aux questions les plus épineuses de la problématique politique et économique nationale et internationale, Liamine Zeroual s’attacha en priorité à mettre en œuvre le programme promis pendant sa campagne. Fort de son élection triomphale célébrée, dans l’espoir de la résurrection, par tout un pays, revenu à la vie, il privilégia avec sa perception d’une grande acuité des urgences, des enjeux et des rapports de force du moment, deux tâches vitales qui représentaient, à ses yeux, le passage obligé vers une normalisation durable : la lutte sans merci contre le terrorisme et son corollaire, la démocratisation de la vie politique du pays, les conditions sine qua non du sauvetage d’une nation affamée de paix et de justice.La fermeté avec laquelle il engagea le combat contre les forces obscurantistes qu’il n’avait eu de cesse de qualifier de groupes de traîtres et de mercenaires n’eut d’égale que les dispositions révolutionnaires qu’il introduisit dans la nouvelle Constitution proposée aux Algériens et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles renforcèrent la confiance du peuple auprès duquel il nomma un médiateur, en la personne d’un ancien membre des 22, Abdesselem Habbachi, renseignant sur le rapport à la politique, inédit et même intriguant pour certains, qu’un militaire, par essence, enclin à la dictature, cultivait, avec autant de détachement et de distance, vis-à-vis d’un pouvoir qu’il considérait beaucoup plus comme un moyen pour servir que comme une fin en soi.
La limitation de l’exercice de la magistrature suprême à deux mandats et l’instauration du bicaméralisme, présenté comme une balise de sécurité contre les extrémismes, posèrent le principe à partir duquel devait se construire, selon son vœu, le nouveau système de gouvernance ou l’alternance apparaissait — du moins en théorie — comme la pierre angulaire et la plus importante des garanties de la démocratie. Pour lui comme pour ses collaborateurs, le fonctionnement juste et équilibré de la société et de l’Etat ne pouvait, dans cette logique, être complet et réel que si la presse était libre, elle dont le rôle stratégique dans la lutte contre le terrorisme était devenu indiscutable.
C’est tout le sens qu’il fit revêtir au contenu audacieux de la directive présidentielle n°17 à laquelle il dévolut la mission de procéder à la refondation du système national de la communication, en préconisant la promotion d’un véritable service public et l’indépendance des organismes étatiques vis-à-vis du pouvoir exécutif qui passaient, selon le texte, par l’ouverture du champ médiatique au pluralisme politique et culturel.
Il se plia, lui même, à cette règle, en donnant des conférences de presse très animées au cours desquelles des journalistes algériens osaient franchir, avec une certaine impertinence, les limites, y compris, celles de la correction la plus élémentaire, sans que cela l’offusquât outre mesure. Dans le même souci de transparence, il refusa de soustraire à l’investigation de la presse les objets qui sont de son ressort légal, jusqu’à ce qui avait trait à la communication sur sa propre santé en tant que premier magistrat de l’Etat, l’opportunité d’y donner une suite concrète s’étant présentée, lors de son hospitalisation en Suisse, pour soigner une pathologie vasculaire.
On a souvent dit que lorsque le peuple algérien avait eu à se mêler vraiment de politique après l’indépendance, c’était à chaque fois pour écrire une page d’histoire en transformant une tourmente en épopée et un parcours en destin.
Ce ne fut pas toujours le cas, mais pour une fois, cette affirmation, un peu cocardière, se vérifia quand il rencontra sur sa route et dans des circonstances plus que dramatiques un homme qui avait pour nom Liamine Zeroual, un combattant de la libération de la première heure, peu porté sur les feux de la rampe et qui n’imagina jamais se retrouver un jour au centre de la crise interne la plus meurtrière que la nation, sur le point de se disloquer, ait eu à vivre dans sa longue et tumultueuse existence, et pis, d’avoir à diriger un Etat qui prenait eau de toutes parts, dans une tempête qui terrifiait les timoniers les plus aguerris.
Il fallait avoir, comme Mohamed Boudiaf, l’Algérie chevillée au cœur, un cran et un sens des responsabilités peu communs et aussi quelque part un volontarisme à toute épreuve pour se lancer dans une aventure dont personne ne savait sur quoi elle allait déboucher, tant l’incertitude que les vents contraires faisaient planer sur le pays étaient, en plus des tueries, la chose la mieux partagée par les Algériens.
Qui aurait en effet accepté de parier un seul kopeck sur cet ancien officier supérieur de l’ANP, réservé et même revêche, les sourcils, constamment en bataille, la voix martiale, connu des seuls initiés des arcanes du pouvoir réel, pour sortir l’Algérie du bourbier dans lequel l’enfoncèrent les forces liguées de la revanche et du passéisme qui avaient juré la perte de la République ? Pour dire vrai, peu de gens, si l’on considère la carrière sans relief particulier qui fut la sienne — exception faite de la démission, avec éclat, de son poste d’ambassadeur en Roumanie, sous le mandat de Chadli Bendjedid — ainsi que le déchaînement de la violence intégriste qui divisa profondément aussi bien la société que les formations partisanes accouchées aux forceps par la Constitution de 1989.
Autant dire une mission impossible comme en convinrent les plus pessimistes, renforcés dans leur conviction, par les premiers pas hésitants du président de l’Etat, ministre de la Défense, réduit à recourir aux expédients les plus dérisoires, comme convoquer à la conférence du dialogue national des responsables de fédérations sportives et autres minorités socioculturelles non représentatives, l’expression la plus éloquente de son isolement, mais également de l’opportunisme et de l’hypocrisie de politiciens grisâtres en quête d’une reconnaissance internationale.
1- Les élections présidentielles du 25 novembre 1995
Qui eut cru, en cet automne maussade et cruellement sanglant, que la vapeur allait se renverser aussi brusquement et que le cours des événements allait prendre, par une de ces accélérations dont seule l’histoire détient le secret, une direction imprévue qui surprit les observateurs les plus blasés ? L’organisation courageuse, des premières élections présidentielles pluralistes que les chancelleries, accréditées à Alger, vouaient à un échec annoncé, en provoqua l’amorce. C’est à ce moment-là que la société algérienne, prise de vertige mais encore consciente, partit puiser dans le fond de ses réserves morales les plus insoupçonnées la force d’un élan salvateur qui ne survient – suscité par un formidable instinct de conservation — qu’au bord de la très mince frontière qui sépare la vie de la mort.
Et le déclic, générateur de la lame rédemptrice, vint de là où personne ne l’attendait, de ces Algériens résidant en France et ailleurs à l’étranger, qui déferlèrent, par vagues ininterrompues, sur les bureaux de vote pris d’assaut, des jours durant, donnant à voir et à entendre que l’Algérie, même à terre, était capable de se relever. Un positionnement patriotique confirmé, quelques jours plus tard, sur tout le territoire national par les hommes et, en particulier, par les femmes qui bravèrent la peur et les consignes de boycott, assorties de menaces de massacres colportées de ville en ville, de village en village et de quartier en quartier.
Si la formule selon laquelle l’élection d’un président de la République résulte en général de la rencontre d’un homme avec son peuple, autrement dit, du croisement d’un parcours individuel avec un destin collectif, devait se rapporter parfaitement à quelqu’un, elle s’appliquerait, sans aucune espèce de doute, à Liamine Zeroual.
Jamais l’élection d’un président, parmi toutes celles organisées en Algérie, depuis l’indépendance, n’eut en effet à souffrir du moindre soupçon de fraude ou d’une quelconque contestation, un précédent qui laissa espérer que ce fut là une conquête irréversible de la démocratie et d’une culture politique avancée à laquelle accédaient enfin aussi bien la classe politique que les citoyens qui avaient fini, à la longue, par en désespérer.
2- Le programme de redressement national
S’étant entouré d’experts et d’universitaires rompus aux questions les plus épineuses de la problématique politique et économique nationale et internationale, Liamine Zeroual s’attacha en priorité à mettre en œuvre le programme promis pendant sa campagne. Fort de son élection triomphale célébrée, dans l’espoir de la résurrection, par tout un pays, revenu à la vie, il privilégia avec sa perception d’une grande acuité des urgences, des enjeux et des rapports de force du moment, deux tâches vitales qui représentaient, à ses yeux, le passage obligé vers une normalisation durable : la lutte sans merci contre le terrorisme et son corollaire, la démocratisation de la vie politique du pays, les conditions sine qua non du sauvetage d’une nation affamée de paix et de justice.La fermeté avec laquelle il engagea le combat contre les forces obscurantistes qu’il n’avait eu de cesse de qualifier de groupes de traîtres et de mercenaires n’eut d’égale que les dispositions révolutionnaires qu’il introduisit dans la nouvelle Constitution proposée aux Algériens et dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles renforcèrent la confiance du peuple auprès duquel il nomma un médiateur, en la personne d’un ancien membre des 22, Abdesselem Habbachi, renseignant sur le rapport à la politique, inédit et même intriguant pour certains, qu’un militaire, par essence, enclin à la dictature, cultivait, avec autant de détachement et de distance, vis-à-vis d’un pouvoir qu’il considérait beaucoup plus comme un moyen pour servir que comme une fin en soi.
La limitation de l’exercice de la magistrature suprême à deux mandats et l’instauration du bicaméralisme, présenté comme une balise de sécurité contre les extrémismes, posèrent le principe à partir duquel devait se construire, selon son vœu, le nouveau système de gouvernance ou l’alternance apparaissait — du moins en théorie — comme la pierre angulaire et la plus importante des garanties de la démocratie. Pour lui comme pour ses collaborateurs, le fonctionnement juste et équilibré de la société et de l’Etat ne pouvait, dans cette logique, être complet et réel que si la presse était libre, elle dont le rôle stratégique dans la lutte contre le terrorisme était devenu indiscutable.
C’est tout le sens qu’il fit revêtir au contenu audacieux de la directive présidentielle n°17 à laquelle il dévolut la mission de procéder à la refondation du système national de la communication, en préconisant la promotion d’un véritable service public et l’indépendance des organismes étatiques vis-à-vis du pouvoir exécutif qui passaient, selon le texte, par l’ouverture du champ médiatique au pluralisme politique et culturel.
Il se plia, lui même, à cette règle, en donnant des conférences de presse très animées au cours desquelles des journalistes algériens osaient franchir, avec une certaine impertinence, les limites, y compris, celles de la correction la plus élémentaire, sans que cela l’offusquât outre mesure. Dans le même souci de transparence, il refusa de soustraire à l’investigation de la presse les objets qui sont de son ressort légal, jusqu’à ce qui avait trait à la communication sur sa propre santé en tant que premier magistrat de l’Etat, l’opportunité d’y donner une suite concrète s’étant présentée, lors de son hospitalisation en Suisse, pour soigner une pathologie vasculaire.
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