Nazim Zouiouèche. Ancien DG de Sonatrach (1995-1997)
«La politique de Khelil a augmenté la vulnérabilité de Sonatrach»

El Watan le 29.05.13 | 10h00
- En tant que cadre et ancien DG, que vous inspirent ces «mauvaises nouvelles» sur le déclin pétrolier dans lequel est engagé désormais l’Algérie ?
Il me semble que c’est un faux débat qui masque des problèmes réels. C’est un peu comme en France : il a suffi qu’on sorte cette loi de «mariage pour tous» pour que le débat public se cristallise autour faisant oublier la politique d’austérité… Le problème aujourd’hui, c’est que nous avançons sans vraiment avoir une ligne de conduite. Quand on annonce que l’Algérie va construire, elle-même, sur ses fonds propres, 6 raffineries de cinq millions de tonnes chacune livrables en quatre ans, en 2017, il y a forcément quelque chose qui ne va pas. Ma foi, on veut bien , si on peut le faire. Mais il y a une différence entre ce qu’on a les capacités de faire ou de ne pas faire. On a annoncé aussi qu’on allait investir 100 milliards de dollars sur 5 ans dans les énergies renouvelables. Vous vous rendez compte : 100 milliards de dollars…
- Les vraies/fausses annonces ne datent tout de même pas du dernier gouvernement…
Non. En ce moment, on se dérègle complètement. Par le passé, on avait, certes, annoncé des choses comme ça… le projet Galsi qui devait démarrer en 2009. J’espère qu’il le sera en 2013. J’ai l’impression que la situation peut devenir… catastrophique. Parce que, au point de vue mondial, vous avez un certain nombre de phénomènes qui risquent de nous toucher : vous avez par exemple le «shale gas», ce que les journalistes français appellent le gaz de schiste - une idiotie, en somme -, qui a permis aux Américains de faire chuter le prix du gaz chez eux. Ce qui a pour conséquence qu’actuellement les Américains ont un prix du gaz qui tourne autour de 3 dollars, 3,2 dollars/MBtu, beaucoup moins que le prix sur le marché mondial qui est de 8 et 12 dollars selon qu’on soit en Asie ou en Europe. En réalité, ces pays qui produisent le gaz de schiste le produisent à plus cher que ça. Nous savons que le prix de revient est entre 5 et 6 dollars. Pour les Américains, puissance mondiale, développer le gaz de schiste leur permet de localiser chez eux un certain nombre d’industries et surtout de ne plus être importateur. Le problème, c’est qu’ils sont en train de rééditer la même chose sur le pétrole. Non pas sur le shale oil, le pétrole de schiste mais sur les tight gas, pétrole comprimé extrait par fracturation comme dans le Dakota à partir des roches très peu poreuses et très peu perméables. On parle donc des Etats-Unis autosuffisants en pétrole en 2020. D’abord, ça va poser un problème géostratégique parce que la politique américaine a toujours pris en compte le fait qu’ils aient toujours besoin d’importer cette énergie, etc., au même temps, du point de vue du prix du pétrole ça va poser un problème. Comme les USA sont grands importateurs, et si la Chine continue à tirer un peu la langue et si la crise persiste dans la zone euro, nous risquons une chute des prix du pétrole. Or, si les prix du pétrole chutent, ça risque de devenir catastrophique pour Algérie. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas construit une économie pérenne : on est restés très tributaire de l’importation avec une facture de plus 50 milliards de dollars.
- N’y a-t-il pas un peu d’exagération dans ce discours, car cela fait plus d’un demi-siècle qu’on produit ce type de prévisions alarmistes ?
Quand l’Algérie avait le pétrole à 20 dollars, sa politique prenait en compte ce prix. On gérait ce qu’on avait. Mais là, on s’est habitués à un pétrole à 107 dollars et on vit à ce niveau-là. Demain, on serait amenés à faire des révisions déchirantes. Toutes ces aides, cet argent qu’on distribue à droite et à gauche, on risque d’avoir des lendemains difficiles. Vous imaginez : l’Algérie importe pour 6 milliards d’euros de voitures par an ! Sur ces six milliards sur lesquels, il n’y a pas un dinars de production algérienne !
- L’ancien ministre Abdelatif Benachenhou avait annoncé 20% de chute de production de pétrole ?
On parle d’une chute se situant entre 5 et 20%. On ne peut pas présumer du taux exact car cela dépend des données sur lesquelles on se base.
Mais ce qui est certain, c’est que nous avons une chute de production sur nos gisements gaz et pétrole. On n’exporte plus autant qu’avant.
On est plus à 65 milliards mais à peu près à 55 milliards de dollars actuellement. Et là il faut dire les choses telles qu’elles sont : on a pas su gérer correctement nos gisements. Il n’y a pas eu les efforts nécessaires : parce qu’aussi bien un gisement de pétrole qu’un gisement de gaz nécessitent des efforts d’entretien et de récupération constant.
- En 1971, au lendemain de la nationalisation des hydrocarbures, vous étiez directeur de la production à Sonatrach …
Non. Non, c’est venu plus tard. A cette époque, j’étais responsable de la production à Hassi Messaoud, c’était 80% de la production. Hassi Messaoud mais il y avait tous les champs autour, ce qu’on appelait les trois districts…
- Qu’on a vécu cette époque, cette belle époque…
Ah,oui ! c’était la belle époque. Vous ne l’avez pas vécue. Malheureusement pour vous.
Parce qu’à l’époque il y avait cette espèce… de volonté chez les Algériens… On était pas nombreux… 5 ou 6 ingénieurs et techniciens… mais tout le monde était tellement engagé, volontaire. Vous savez, à la nationalisation, les étrangers disaient qu’on allait pas pouvoir produire, qu’on allait se casser la gueule, mais...
Tenez-vous bien, en 1973, on avait battu le record de production de Hassi Messaoud, un record resté à ce jour imbattable : 27 millions de tonnes. On avait développé le procédé de la généralisation de la récupération secondaire.
On ne s’est pas contentés de produire, mais on avait avancé sur plusieurs domaines. A l’époque, il y avait un esprit de challenge, du volontarisme que je n’ai plus revu depuis. Alors que les écarts de salaires entre le Nord et le Sud se situaient à peine entre 20 et 30%. Il y avait pas de raison d’aller travailler dans le Sud à cette époque.
- Je termine ma question, comment avez-vous vécu tous ces scandales de Sonatrach ?
C’est dommage. Dommage pour l’Algérie. Maintenant, il faut laisser faire la justice et je suis sûr qu’elle le fera. Comme il le faut. Correctement et sans précipitation. Ce qu’il faut maintenant, c’est tourner la page , avancer.
- Quand vous entendez le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, dire : «On n’est pas tous pourris», cela vous inspire quoi comme commentaire ?
Certainement pas pourris. Aujourd’hui, dans le secteur de l’énergie, des hydrocarbures, les managers sont tellement freinés qu’ils prennent de moins en moins de décisions. C’est une situation très dommageable parce que c’est un secteur où il faudrait absolument continuer à avancer. Pour ce faire, les managers doivent être mis en confiance parce que toute hésitation aujourd’hui dans la prise de décision sera chèrement payée demain.
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«La politique de Khelil a augmenté la vulnérabilité de Sonatrach»


El Watan le 29.05.13 | 10h00

- En tant que cadre et ancien DG, que vous inspirent ces «mauvaises nouvelles» sur le déclin pétrolier dans lequel est engagé désormais l’Algérie ?
Il me semble que c’est un faux débat qui masque des problèmes réels. C’est un peu comme en France : il a suffi qu’on sorte cette loi de «mariage pour tous» pour que le débat public se cristallise autour faisant oublier la politique d’austérité… Le problème aujourd’hui, c’est que nous avançons sans vraiment avoir une ligne de conduite. Quand on annonce que l’Algérie va construire, elle-même, sur ses fonds propres, 6 raffineries de cinq millions de tonnes chacune livrables en quatre ans, en 2017, il y a forcément quelque chose qui ne va pas. Ma foi, on veut bien , si on peut le faire. Mais il y a une différence entre ce qu’on a les capacités de faire ou de ne pas faire. On a annoncé aussi qu’on allait investir 100 milliards de dollars sur 5 ans dans les énergies renouvelables. Vous vous rendez compte : 100 milliards de dollars…
- Les vraies/fausses annonces ne datent tout de même pas du dernier gouvernement…
Non. En ce moment, on se dérègle complètement. Par le passé, on avait, certes, annoncé des choses comme ça… le projet Galsi qui devait démarrer en 2009. J’espère qu’il le sera en 2013. J’ai l’impression que la situation peut devenir… catastrophique. Parce que, au point de vue mondial, vous avez un certain nombre de phénomènes qui risquent de nous toucher : vous avez par exemple le «shale gas», ce que les journalistes français appellent le gaz de schiste - une idiotie, en somme -, qui a permis aux Américains de faire chuter le prix du gaz chez eux. Ce qui a pour conséquence qu’actuellement les Américains ont un prix du gaz qui tourne autour de 3 dollars, 3,2 dollars/MBtu, beaucoup moins que le prix sur le marché mondial qui est de 8 et 12 dollars selon qu’on soit en Asie ou en Europe. En réalité, ces pays qui produisent le gaz de schiste le produisent à plus cher que ça. Nous savons que le prix de revient est entre 5 et 6 dollars. Pour les Américains, puissance mondiale, développer le gaz de schiste leur permet de localiser chez eux un certain nombre d’industries et surtout de ne plus être importateur. Le problème, c’est qu’ils sont en train de rééditer la même chose sur le pétrole. Non pas sur le shale oil, le pétrole de schiste mais sur les tight gas, pétrole comprimé extrait par fracturation comme dans le Dakota à partir des roches très peu poreuses et très peu perméables. On parle donc des Etats-Unis autosuffisants en pétrole en 2020. D’abord, ça va poser un problème géostratégique parce que la politique américaine a toujours pris en compte le fait qu’ils aient toujours besoin d’importer cette énergie, etc., au même temps, du point de vue du prix du pétrole ça va poser un problème. Comme les USA sont grands importateurs, et si la Chine continue à tirer un peu la langue et si la crise persiste dans la zone euro, nous risquons une chute des prix du pétrole. Or, si les prix du pétrole chutent, ça risque de devenir catastrophique pour Algérie. Pourquoi ? Parce qu’on n’a pas construit une économie pérenne : on est restés très tributaire de l’importation avec une facture de plus 50 milliards de dollars.
- N’y a-t-il pas un peu d’exagération dans ce discours, car cela fait plus d’un demi-siècle qu’on produit ce type de prévisions alarmistes ?
Quand l’Algérie avait le pétrole à 20 dollars, sa politique prenait en compte ce prix. On gérait ce qu’on avait. Mais là, on s’est habitués à un pétrole à 107 dollars et on vit à ce niveau-là. Demain, on serait amenés à faire des révisions déchirantes. Toutes ces aides, cet argent qu’on distribue à droite et à gauche, on risque d’avoir des lendemains difficiles. Vous imaginez : l’Algérie importe pour 6 milliards d’euros de voitures par an ! Sur ces six milliards sur lesquels, il n’y a pas un dinars de production algérienne !
- L’ancien ministre Abdelatif Benachenhou avait annoncé 20% de chute de production de pétrole ?
On parle d’une chute se situant entre 5 et 20%. On ne peut pas présumer du taux exact car cela dépend des données sur lesquelles on se base.
Mais ce qui est certain, c’est que nous avons une chute de production sur nos gisements gaz et pétrole. On n’exporte plus autant qu’avant.
On est plus à 65 milliards mais à peu près à 55 milliards de dollars actuellement. Et là il faut dire les choses telles qu’elles sont : on a pas su gérer correctement nos gisements. Il n’y a pas eu les efforts nécessaires : parce qu’aussi bien un gisement de pétrole qu’un gisement de gaz nécessitent des efforts d’entretien et de récupération constant.
- En 1971, au lendemain de la nationalisation des hydrocarbures, vous étiez directeur de la production à Sonatrach …
Non. Non, c’est venu plus tard. A cette époque, j’étais responsable de la production à Hassi Messaoud, c’était 80% de la production. Hassi Messaoud mais il y avait tous les champs autour, ce qu’on appelait les trois districts…
- Qu’on a vécu cette époque, cette belle époque…
Ah,oui ! c’était la belle époque. Vous ne l’avez pas vécue. Malheureusement pour vous.
Parce qu’à l’époque il y avait cette espèce… de volonté chez les Algériens… On était pas nombreux… 5 ou 6 ingénieurs et techniciens… mais tout le monde était tellement engagé, volontaire. Vous savez, à la nationalisation, les étrangers disaient qu’on allait pas pouvoir produire, qu’on allait se casser la gueule, mais...
Tenez-vous bien, en 1973, on avait battu le record de production de Hassi Messaoud, un record resté à ce jour imbattable : 27 millions de tonnes. On avait développé le procédé de la généralisation de la récupération secondaire.
On ne s’est pas contentés de produire, mais on avait avancé sur plusieurs domaines. A l’époque, il y avait un esprit de challenge, du volontarisme que je n’ai plus revu depuis. Alors que les écarts de salaires entre le Nord et le Sud se situaient à peine entre 20 et 30%. Il y avait pas de raison d’aller travailler dans le Sud à cette époque.
- Je termine ma question, comment avez-vous vécu tous ces scandales de Sonatrach ?
C’est dommage. Dommage pour l’Algérie. Maintenant, il faut laisser faire la justice et je suis sûr qu’elle le fera. Comme il le faut. Correctement et sans précipitation. Ce qu’il faut maintenant, c’est tourner la page , avancer.
- Quand vous entendez le ministre de l’Energie, Youcef Yousfi, dire : «On n’est pas tous pourris», cela vous inspire quoi comme commentaire ?
Certainement pas pourris. Aujourd’hui, dans le secteur de l’énergie, des hydrocarbures, les managers sont tellement freinés qu’ils prennent de moins en moins de décisions. C’est une situation très dommageable parce que c’est un secteur où il faudrait absolument continuer à avancer. Pour ce faire, les managers doivent être mis en confiance parce que toute hésitation aujourd’hui dans la prise de décision sera chèrement payée demain.
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