TSA - dimanche, 09 février 2014 09:24
Entretien avec Mohamed Samraoui, ancien colonel du DRS
« Ce que déclare M. Saâdani ne sont pas des accusations, mais bel et bien une réalité »
Hadjer Guenanfa
Mohamed Samraoui est un ancien colonel et dissident du DRS. Il a été responsable du service de recherche et d’analyse à la Direction du contre-espionnage (DCE) et attaché militaire à l’ambassade d’Algérie en Allemagne où il vit en exil depuis 1996.
Que pensez-vous des critiques d’Amar Saâdani contre le DRS et le général Toufik ?
Les déclarations de M. Saâdani ne sont pas, à vrai dire, une surprise. Il ne fait que reprendre à son compte (ou à celui de son clan) ce que l´opposition véritable a toujours revendiqué et exigé depuis de nombreuses années déjà. Il suffit pour cela de se référer aux prises de position du MAOL ou de RACHAD (voire du FFS avant son ralliement au pouvoir ou le Front national du changement du Dr. Sidhoum) quant aux questions relatives à l´instauration d'une seconde République, la dissolution du DRS, ou plutôt sa restructuration et son contrôle. Et ce, à l´effet d'éviter les dérives telles qu´a connues le pays lors des années de sang. Et là, j’ouvre une parenthèse : soutenir la dissolution du DRS ne signifie pas une attaque contre l´Institution. Tous les pays ont besoin d'un service de renseignement fort, compétent et apte pour défendre les intérêts suprêmes du pays. Par dissolution, il est surtout question de restructurer ce service et de l'adapter aux nouvelles exigences liées au contexte dans lequel s'engage l´État. C'est à dire, se débarrasser des réflexes archaïques, comme s'immiscer dans les affaires politiques, se considérer comme le tuteur des Algériens pour imposer ses choix et se soumettre aux différents contrôles : législatif, exécutif et judiciaire.
En un mot, se plier aux nouvelles règles démocratiques. Et pourquoi ne pas installer un civil à la tête du DRS ? À mon avis, il faut avoir le courage de regarder la vérité en face. Accepter la démocratie, c´est élaguer les réflexes hérités du parti unique.
Ce qui dérange dans les déclarations de M. Saâdani à l´encontre du DRS, ce n'est pas le fond, mais la forme et le timing choisis qui coïncident avec le vœu de certains cercles qui poussent le président Bouteflika à briguer un quatrième mandat. Et cela, tout en sachant qu'il est dans l´incapacité d'assumer une telle charge, qui nécessite une personnalité en pleine possession de tous ses moyens pour faire face aux échéances à venir pour ainsi sortir le pays du marasme dans lequel il est plongé depuis 1992.
Le deuxième problème, à mes yeux, c'est que M. Saâdani n'a sans doute pas mesuré les conséquences de ses déclarations, qui font voler en éclats les relations historiques entre le FLN et les « services », même du temps de feu Mehri et de sa farouche opposition aux conceptions du « tout sécuritaire ». Ce dernier avait l'élégance de ne pas égratigner les chefs du DRS (Toufik et Smain Lamari), avec qui il était pourtant en conflit.
Cet incident, « Saâdani-Toufik », rappelle, une nouvelle fois, qu'il est temps de restituer le FLN au peuple algérien et de ne plus permettre aux arrivistes de souiller ce prestigieux patrimoine commun à tous les Algériens. Le dernier enseignement de cette affaire, dont aucun des deux protagonistes ne sortira « vainqueur », est le silence de l´institution militaire et de son chef suprême, qui n'est autre que le président de la République. Cela donne du crédit aux rumeurs qui font état d'un prochain limogeage du chef du DRS.
Le patron du FLN a dénoncé la présence de la sécurité intérieure au sein des Institutions et ses interférences au sein des partis politiques, de la justice et de la presse. Est-il vrai ?
La présence de la sécurité militaire dans les institutions de l'État obéit à un décret de 1982 non publiable dans le Journal officiel. Nous étions, à l'époque, dans le contexte du parti unique. La SM subissait sa première « mue » avec l´arrivée du colonel Lakhel Ayat, le premier chef des services non-issu des rangs de la SM, qui avait pris comme dénomination DGPS (Délégation générale à la prévention et à la sécurité). L'idée, au départ, était noble. Il s'agissait de moraliser les services, les rapprocher des citoyens pour les sensibiliser à la prévention, à la lutte contre les détournements et la corruption. Malheureusement, très vite, cette mission noble a été dévoyée. Certains assistants de sécurité ont profité de cette position comme un tremplin à leur promotion sociale. D'autres ont été perçus comme des « mouchards » de la SM, tout comme certains officiers et sous-officiers qui ont profité de cette « ouverture » pour s´enrichir et accaparer logements et lots de terrain en toute impunité.
Ce que déclare M. Saâdani ne sont pas des accusations, mais bel et bien une réalité. Le drame, c´est que depuis 1999, avec l´embellie des prix du brut, les caisses sont pleines et les appétits très aiguisés. On l'a vu avec l´apparition de petits barons et de divers cartels où l'unique crédo était devenu « l´enrichissement à n'importe quel prix ». Ainsi, un glissement s'est opéré où le pouvoir de l´argent a plus ou moins surclassé l´autorité politique ou même morale au sein de la société, avec comme corollaire une marginalisation d'une bonne partie des Algériens confrontés à une galère perpétuelle où les seules échappatoires sont devenues la harga, le suicide ou la violence.
Quel est le rôle de ces agents dans les institutions et comment le DRS interfère-t-il dans le fonctionnement des partis politiques ou des associations ?
Au départ, l'assistant de sécurité n'a qu'un rôle de conseiller et sert de courroie de transmission entre l´institution dans laquelle il est placé et le DRS. Il réalise des enquêtes sur les antécédents judiciaires ou moraux des cadres appelés à exercer de hautes fonctions, il évalue leur compétence et leur intégrité. Il veille à la protection des documents et de tout ce qui touche aux intérêts de l'institution auprès de laquelle il est placé. Dans la pratique, malheureusement, les relations sont régies différemment en fonction des intérêts des uns et des autres. Une sorte de copinage s'instaure et l'officier en place se contente d'étendre sa toile et de pérenniser ce qu'il est convenu d'appeler « l'État-DRS».
L'interférence est facile à deviner. Elle est apparente à partir du moment où le « candidat choisi » répond aux critères imposés par l'officier du DRS. Cela est valable pour certains partis politiques, notamment lors des élections ou de distributions de prébendes. Tout comme pour certains médias indépendants, à qui des titres ou des articles sensibles sont suggérés.
Les agissements indélicats, quand ils ne sont pas sanctionnés et le laxisme ambiant, plus l´impunité, ont été le ferment qui a conduit le pays (…) dans lequel il est plongé actuellement. Un État incapable d"instaurer l"ordre, un pouvoir bicéphale, un pays en conflit avec ses voisins et des scandales à répétition. Le pays est devenu la risée du globe. Les missions et attributions de la sécurité intérieure doivent être revues et adaptées au seul contexte du contre-espionnage ou de la grande criminalité transnationale en coopération avec les divers services de sécurité. Une nouvelle doctrine doit être élaborée pour répondre aux nouveaux besoins du pays et des enjeux géostratégiques de l'heure. S'occuper des partis politiques, choisir des candidats à l'APN, créer des tensions au sein des partis d'opposition en vue de les affaiblir ou dicter un article à un journal pour soutenir untel contre untel est une aberration en 2014.
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Entretien avec Mohamed Samraoui, ancien colonel du DRS
« Ce que déclare M. Saâdani ne sont pas des accusations, mais bel et bien une réalité »
Hadjer Guenanfa
Mohamed Samraoui est un ancien colonel et dissident du DRS. Il a été responsable du service de recherche et d’analyse à la Direction du contre-espionnage (DCE) et attaché militaire à l’ambassade d’Algérie en Allemagne où il vit en exil depuis 1996.
Que pensez-vous des critiques d’Amar Saâdani contre le DRS et le général Toufik ?
Les déclarations de M. Saâdani ne sont pas, à vrai dire, une surprise. Il ne fait que reprendre à son compte (ou à celui de son clan) ce que l´opposition véritable a toujours revendiqué et exigé depuis de nombreuses années déjà. Il suffit pour cela de se référer aux prises de position du MAOL ou de RACHAD (voire du FFS avant son ralliement au pouvoir ou le Front national du changement du Dr. Sidhoum) quant aux questions relatives à l´instauration d'une seconde République, la dissolution du DRS, ou plutôt sa restructuration et son contrôle. Et ce, à l´effet d'éviter les dérives telles qu´a connues le pays lors des années de sang. Et là, j’ouvre une parenthèse : soutenir la dissolution du DRS ne signifie pas une attaque contre l´Institution. Tous les pays ont besoin d'un service de renseignement fort, compétent et apte pour défendre les intérêts suprêmes du pays. Par dissolution, il est surtout question de restructurer ce service et de l'adapter aux nouvelles exigences liées au contexte dans lequel s'engage l´État. C'est à dire, se débarrasser des réflexes archaïques, comme s'immiscer dans les affaires politiques, se considérer comme le tuteur des Algériens pour imposer ses choix et se soumettre aux différents contrôles : législatif, exécutif et judiciaire.
En un mot, se plier aux nouvelles règles démocratiques. Et pourquoi ne pas installer un civil à la tête du DRS ? À mon avis, il faut avoir le courage de regarder la vérité en face. Accepter la démocratie, c´est élaguer les réflexes hérités du parti unique.
Ce qui dérange dans les déclarations de M. Saâdani à l´encontre du DRS, ce n'est pas le fond, mais la forme et le timing choisis qui coïncident avec le vœu de certains cercles qui poussent le président Bouteflika à briguer un quatrième mandat. Et cela, tout en sachant qu'il est dans l´incapacité d'assumer une telle charge, qui nécessite une personnalité en pleine possession de tous ses moyens pour faire face aux échéances à venir pour ainsi sortir le pays du marasme dans lequel il est plongé depuis 1992.
Le deuxième problème, à mes yeux, c'est que M. Saâdani n'a sans doute pas mesuré les conséquences de ses déclarations, qui font voler en éclats les relations historiques entre le FLN et les « services », même du temps de feu Mehri et de sa farouche opposition aux conceptions du « tout sécuritaire ». Ce dernier avait l'élégance de ne pas égratigner les chefs du DRS (Toufik et Smain Lamari), avec qui il était pourtant en conflit.
Cet incident, « Saâdani-Toufik », rappelle, une nouvelle fois, qu'il est temps de restituer le FLN au peuple algérien et de ne plus permettre aux arrivistes de souiller ce prestigieux patrimoine commun à tous les Algériens. Le dernier enseignement de cette affaire, dont aucun des deux protagonistes ne sortira « vainqueur », est le silence de l´institution militaire et de son chef suprême, qui n'est autre que le président de la République. Cela donne du crédit aux rumeurs qui font état d'un prochain limogeage du chef du DRS.
Le patron du FLN a dénoncé la présence de la sécurité intérieure au sein des Institutions et ses interférences au sein des partis politiques, de la justice et de la presse. Est-il vrai ?
La présence de la sécurité militaire dans les institutions de l'État obéit à un décret de 1982 non publiable dans le Journal officiel. Nous étions, à l'époque, dans le contexte du parti unique. La SM subissait sa première « mue » avec l´arrivée du colonel Lakhel Ayat, le premier chef des services non-issu des rangs de la SM, qui avait pris comme dénomination DGPS (Délégation générale à la prévention et à la sécurité). L'idée, au départ, était noble. Il s'agissait de moraliser les services, les rapprocher des citoyens pour les sensibiliser à la prévention, à la lutte contre les détournements et la corruption. Malheureusement, très vite, cette mission noble a été dévoyée. Certains assistants de sécurité ont profité de cette position comme un tremplin à leur promotion sociale. D'autres ont été perçus comme des « mouchards » de la SM, tout comme certains officiers et sous-officiers qui ont profité de cette « ouverture » pour s´enrichir et accaparer logements et lots de terrain en toute impunité.
Ce que déclare M. Saâdani ne sont pas des accusations, mais bel et bien une réalité. Le drame, c´est que depuis 1999, avec l´embellie des prix du brut, les caisses sont pleines et les appétits très aiguisés. On l'a vu avec l´apparition de petits barons et de divers cartels où l'unique crédo était devenu « l´enrichissement à n'importe quel prix ». Ainsi, un glissement s'est opéré où le pouvoir de l´argent a plus ou moins surclassé l´autorité politique ou même morale au sein de la société, avec comme corollaire une marginalisation d'une bonne partie des Algériens confrontés à une galère perpétuelle où les seules échappatoires sont devenues la harga, le suicide ou la violence.
Quel est le rôle de ces agents dans les institutions et comment le DRS interfère-t-il dans le fonctionnement des partis politiques ou des associations ?
Au départ, l'assistant de sécurité n'a qu'un rôle de conseiller et sert de courroie de transmission entre l´institution dans laquelle il est placé et le DRS. Il réalise des enquêtes sur les antécédents judiciaires ou moraux des cadres appelés à exercer de hautes fonctions, il évalue leur compétence et leur intégrité. Il veille à la protection des documents et de tout ce qui touche aux intérêts de l'institution auprès de laquelle il est placé. Dans la pratique, malheureusement, les relations sont régies différemment en fonction des intérêts des uns et des autres. Une sorte de copinage s'instaure et l'officier en place se contente d'étendre sa toile et de pérenniser ce qu'il est convenu d'appeler « l'État-DRS».
L'interférence est facile à deviner. Elle est apparente à partir du moment où le « candidat choisi » répond aux critères imposés par l'officier du DRS. Cela est valable pour certains partis politiques, notamment lors des élections ou de distributions de prébendes. Tout comme pour certains médias indépendants, à qui des titres ou des articles sensibles sont suggérés.
Les agissements indélicats, quand ils ne sont pas sanctionnés et le laxisme ambiant, plus l´impunité, ont été le ferment qui a conduit le pays (…) dans lequel il est plongé actuellement. Un État incapable d"instaurer l"ordre, un pouvoir bicéphale, un pays en conflit avec ses voisins et des scandales à répétition. Le pays est devenu la risée du globe. Les missions et attributions de la sécurité intérieure doivent être revues et adaptées au seul contexte du contre-espionnage ou de la grande criminalité transnationale en coopération avec les divers services de sécurité. Une nouvelle doctrine doit être élaborée pour répondre aux nouveaux besoins du pays et des enjeux géostratégiques de l'heure. S'occuper des partis politiques, choisir des candidats à l'APN, créer des tensions au sein des partis d'opposition en vue de les affaiblir ou dicter un article à un journal pour soutenir untel contre untel est une aberration en 2014.
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