Une fois l’Etat national restauré, par le peuple, dans la plénitude de sa souveraineté, à l’issue du référendum sur l’autodétermination du 1er juillet 1962, les vainqueurs de l’épreuve de force qui opposa l’état-major général de l’ALN au GPRA installèrent, à Alger, un régime qui échappa, par son caractère hybride, à toutes les grilles d’analyse classiques de la science politique.
Mélange inextricable d’autocratie, de para-démocratie et de populisme, ce régime, qui a perduré jusqu’à nos jours, a tissé un écheveau de sédimentations si enchevêtré que même les politologues les plus chevronnés peinent, en effet, à l’étalonner à l’aune des normes connues en la matière. La doctrine officielle formulée, à son propos, par plusieurs textes de fond adoptés, depuis lors, laisse entendre que l’ordre mis en place, le 10 septembre 1963, repose sur les principes de l’unité et de la continuité, valables aussi bien pour le passé — la libération de l’Algérie a fait émerger un Etat éclipsé par la parenthèse coloniale de 132 ans — que pour l’avenir. Ce postulat récuse toute idée de rupture dans l’enchaînement des différents pouvoirs qui se sont succédé ou se succéderont, sous ce régime, et ce, quelques en soient les raisons. Selon la logique qui sous-tend ce postulat, l’ordre institutionnel a été établi par une Constitution sourcée à la Proclamation du 1er Novembre 1954, inaltérable dans son essence, même si elle fut ou sera appelée à changer en fonction des vicissitudes des évolutions politiques.
Est, par conséquent, exclu, de jure et de facto, l’avènement de toute nouvelle République et, sous-entendu, de toute transition, synonyme de substitution d’une forme d’organisation des institutions à une autre, différente, voire diamétralement opposée, assimilable à une révolution pure et simple.
En théorie seulement, car, dans la pratique, les termes de la doctrine énonçant l’unité et la pérennité de l’Etat ne résistèrent pas longtemps aux convulsions de la vie politique, puisque «le redressement révolutionnaire» du 19 juin 1965 y contrevint, de façon violente, tout en s’empressant de proclamer sa fidélité à un ordre qui devra «survivre aux événements et aux hommes».
Moins de trente ans plus tard, la crise de 1991 qui faillit emporter la République, elle-même, a obligé les institutions en place – Président et Assemblée nationale – à se démettre et à céder la place à deux organes extra-constitutionnels, le Haut Comité d’Etat puis la Présidence de l’Etat qui durent fonctionner dans les conditions dictées par l’état d’urgence, restreignant l’application de certaines dispositions de la Loi fondamentale, une entorse supplémentaire aux principes proclamés jusque-là. Ces transitions – parce qu’il s’agit bel et bien de cela — que le régime s’est aménagées pour sa propre survie, sous la pression de menaces intérieures et extérieures, n’ont jamais été présentées ni perçues comme telles.
Arc-bouté à l’unité et à la continuité de l’ordre, hier pour des motifs apparemment idéologiques, aujourd’hui pour des mobiles rentiers, le régime a, invariablement, rejeté, dans le fond et dans la forme, les propositions que l’opposition, dispersée, lui avança et lui avance toujours. De vieux partis politiques et de plus récents, le FFS, le MDA, le PAGS, le RCD, le PT et le dernier en date, le MSP, passé de l’autre côté de la barrière, ont fait de la transition la colonne vertébrale de leurs programmes. En compagnie de personnalités, en rupture de ban avec le pouvoir, ces formations n’ont cessé de lancer, tout au long de ces cinquante dernières années, à partir de Londres, Sant’Egidio ou Alger, des initiatives vouées, sans exception, à l’échec, diabolisées, à tort ou à raison, par les gouvernements du moment qui opposèrent une fin de non-recevoir «globalement et dans le détail», à l’invitation à se réunir autour d’une table pour discuter, d’une réforme, en profondeur, du système en vigueur. L’échec de ces initiatives incombe, selon les uns, aux différentes directions politiques autistes qui se sont relayées à la tête de l’Etat et, selon les autres, à l’inconstance de ces partis et de ces personnalités impliqués dans des alliances qualifiées par leurs adversaires, de conjoncturelles, sans ancrage populaire, à contre-courant de l’histoire et minées par les guerres de leadership.
Néanmoins et malgré ces avatars, l’idée a survécu et est revenue en force, supportée par un spectre d’opposants et d’anciens responsables civils et militaires qui voient dans la phase incertaine que traverse, actuellement, l’Algérie, une opportunité propice pour vérifier son actualité et, surtout, s’entendre sur le sens à lui donner.
Les schémas proposés sont variés, fonction de la ligne défendue par chacun mais convergent tous sur son inéluctabilité pour affirmer qu’en plus des anciens termes du plaidoyer, l’arrivée massive des jeunes générations aux portes des responsabilités politiques a inscrit la transition dans l’agenda de l’Algérie comme une urgence vitale.
Qualifiée de démocratique et, depuis peu, de générationnelle, la transition est communément définie par ses défenseurs comme le passage d’un Etat autoritaire à un Etat de droit qui devra résulter d’un dialogue national visant la rédaction d’une nouvelle Constitution habilitant la citoyenneté.
A la veille de la Présidentielle d’avril prochain, la revendication prend la forme dans la stratégie électorale des partis islamistes et laïcs, d’un argument justificatif du boycott pour lequel ils ont opté, quoi que, s’agissant des islamistes, les observateurs estiment que le choix du boycott tire, en fait, sa véritable substance du recul des «révolutions» arabes et de la crainte de se voir, cette fois-ci, encore plus fortement laminés que lors des législatives de 2012.
Au-delà des spéculations auxquelles ces propositions donnent lieu, il y a une question qui revient de façon récurrente à chaque fois que l’idée est posée sur la table : existe-t-il au sein du pouvoir des forces qui peuvent exprimer une volonté réelle de prendre en considération cette perspective et de travailler à sa réalisation, sachant que sans la volonté politique du pouvoir ou d’une partie influente de celui-ci et sans la réunion d’un minimum de préalables rien ne sera possible.
Les conditions de sa «négociation» et de son applicabilité sont-elles, effectivement, arrivées à maturité, au vu de la situation qui prévaut aujourd’hui, aussi bien au sommet des institutions qu’au sein de la société ?
Ou bien ne sont-ce là que des vues de l’esprit de politiciens et d’intellectuels, en décalage ou trop en avance sur les réalités du régime et de la nation ? Les véritables ressorts du débat se situent à ce niveau.
L’ Algérie de 2014 n’est plus celle des dernières décennies.
Elle est parvenue à sortir de l’engrenage dans lequel elle fut poussée par l’aventurisme des marchands de religion et récupère, petit à petit, des traumatismes de ces années de cauchemar. Les valeurs et les comportements de la société ne sont plus les mêmes. Entre clair et obscur, percées et retards, ils sont d’une autre texture. Les notions de politique et de politiciens, hier, bannies du vocabulaire de la pensée unique, ont, aujourd’hui – entachées, il est vrai, de trabendisme – remplacé ceux de militantisme et de militants désintéressés.
Dans un contexte de relative libération de la parole, les Algériens apparaissent moins corsetés. Ils accèdent, massivement, à l’usage des NTIC et à un paysage audiovisuel plus ouvert, quoique médiocre, et n’ont plus peur, comme durant les années de plomb, de dire leur avis sur la chose politique.
C’est là une avancée remarquable. Mais cela est-il pour autant suffisant pour faire bouger les atavismes ? De nombreuses pesanteurs arrimées aux vieux usages et à la résignation continuent de freiner la marche vers le changement.
En effet, les Algériens, dans certains de leurs segments, donnent d’eux une image fragile, technologiquement et politiquement, peu armés pour affronter les nouveaux déterminismes de la mondialisation économique, de l’environnement sécuritaire et du déferlement médiatique international.
Les fractions traditionnelles de la société, dominées par les féodalités religieuses, n’en finissent pas de tirer vers le bas en s’agrippant aux mirages de l’ancien modèle de gouvernance dominé par l’ombre tutélaire de l’homme providentiel, le wali des affaires de la communauté.
Mélange inextricable d’autocratie, de para-démocratie et de populisme, ce régime, qui a perduré jusqu’à nos jours, a tissé un écheveau de sédimentations si enchevêtré que même les politologues les plus chevronnés peinent, en effet, à l’étalonner à l’aune des normes connues en la matière. La doctrine officielle formulée, à son propos, par plusieurs textes de fond adoptés, depuis lors, laisse entendre que l’ordre mis en place, le 10 septembre 1963, repose sur les principes de l’unité et de la continuité, valables aussi bien pour le passé — la libération de l’Algérie a fait émerger un Etat éclipsé par la parenthèse coloniale de 132 ans — que pour l’avenir. Ce postulat récuse toute idée de rupture dans l’enchaînement des différents pouvoirs qui se sont succédé ou se succéderont, sous ce régime, et ce, quelques en soient les raisons. Selon la logique qui sous-tend ce postulat, l’ordre institutionnel a été établi par une Constitution sourcée à la Proclamation du 1er Novembre 1954, inaltérable dans son essence, même si elle fut ou sera appelée à changer en fonction des vicissitudes des évolutions politiques.
Est, par conséquent, exclu, de jure et de facto, l’avènement de toute nouvelle République et, sous-entendu, de toute transition, synonyme de substitution d’une forme d’organisation des institutions à une autre, différente, voire diamétralement opposée, assimilable à une révolution pure et simple.
En théorie seulement, car, dans la pratique, les termes de la doctrine énonçant l’unité et la pérennité de l’Etat ne résistèrent pas longtemps aux convulsions de la vie politique, puisque «le redressement révolutionnaire» du 19 juin 1965 y contrevint, de façon violente, tout en s’empressant de proclamer sa fidélité à un ordre qui devra «survivre aux événements et aux hommes».
Moins de trente ans plus tard, la crise de 1991 qui faillit emporter la République, elle-même, a obligé les institutions en place – Président et Assemblée nationale – à se démettre et à céder la place à deux organes extra-constitutionnels, le Haut Comité d’Etat puis la Présidence de l’Etat qui durent fonctionner dans les conditions dictées par l’état d’urgence, restreignant l’application de certaines dispositions de la Loi fondamentale, une entorse supplémentaire aux principes proclamés jusque-là. Ces transitions – parce qu’il s’agit bel et bien de cela — que le régime s’est aménagées pour sa propre survie, sous la pression de menaces intérieures et extérieures, n’ont jamais été présentées ni perçues comme telles.
Arc-bouté à l’unité et à la continuité de l’ordre, hier pour des motifs apparemment idéologiques, aujourd’hui pour des mobiles rentiers, le régime a, invariablement, rejeté, dans le fond et dans la forme, les propositions que l’opposition, dispersée, lui avança et lui avance toujours. De vieux partis politiques et de plus récents, le FFS, le MDA, le PAGS, le RCD, le PT et le dernier en date, le MSP, passé de l’autre côté de la barrière, ont fait de la transition la colonne vertébrale de leurs programmes. En compagnie de personnalités, en rupture de ban avec le pouvoir, ces formations n’ont cessé de lancer, tout au long de ces cinquante dernières années, à partir de Londres, Sant’Egidio ou Alger, des initiatives vouées, sans exception, à l’échec, diabolisées, à tort ou à raison, par les gouvernements du moment qui opposèrent une fin de non-recevoir «globalement et dans le détail», à l’invitation à se réunir autour d’une table pour discuter, d’une réforme, en profondeur, du système en vigueur. L’échec de ces initiatives incombe, selon les uns, aux différentes directions politiques autistes qui se sont relayées à la tête de l’Etat et, selon les autres, à l’inconstance de ces partis et de ces personnalités impliqués dans des alliances qualifiées par leurs adversaires, de conjoncturelles, sans ancrage populaire, à contre-courant de l’histoire et minées par les guerres de leadership.
Néanmoins et malgré ces avatars, l’idée a survécu et est revenue en force, supportée par un spectre d’opposants et d’anciens responsables civils et militaires qui voient dans la phase incertaine que traverse, actuellement, l’Algérie, une opportunité propice pour vérifier son actualité et, surtout, s’entendre sur le sens à lui donner.
Les schémas proposés sont variés, fonction de la ligne défendue par chacun mais convergent tous sur son inéluctabilité pour affirmer qu’en plus des anciens termes du plaidoyer, l’arrivée massive des jeunes générations aux portes des responsabilités politiques a inscrit la transition dans l’agenda de l’Algérie comme une urgence vitale.
Qualifiée de démocratique et, depuis peu, de générationnelle, la transition est communément définie par ses défenseurs comme le passage d’un Etat autoritaire à un Etat de droit qui devra résulter d’un dialogue national visant la rédaction d’une nouvelle Constitution habilitant la citoyenneté.
A la veille de la Présidentielle d’avril prochain, la revendication prend la forme dans la stratégie électorale des partis islamistes et laïcs, d’un argument justificatif du boycott pour lequel ils ont opté, quoi que, s’agissant des islamistes, les observateurs estiment que le choix du boycott tire, en fait, sa véritable substance du recul des «révolutions» arabes et de la crainte de se voir, cette fois-ci, encore plus fortement laminés que lors des législatives de 2012.
Au-delà des spéculations auxquelles ces propositions donnent lieu, il y a une question qui revient de façon récurrente à chaque fois que l’idée est posée sur la table : existe-t-il au sein du pouvoir des forces qui peuvent exprimer une volonté réelle de prendre en considération cette perspective et de travailler à sa réalisation, sachant que sans la volonté politique du pouvoir ou d’une partie influente de celui-ci et sans la réunion d’un minimum de préalables rien ne sera possible.
Les conditions de sa «négociation» et de son applicabilité sont-elles, effectivement, arrivées à maturité, au vu de la situation qui prévaut aujourd’hui, aussi bien au sommet des institutions qu’au sein de la société ?
Ou bien ne sont-ce là que des vues de l’esprit de politiciens et d’intellectuels, en décalage ou trop en avance sur les réalités du régime et de la nation ? Les véritables ressorts du débat se situent à ce niveau.
L’ Algérie de 2014 n’est plus celle des dernières décennies.
Elle est parvenue à sortir de l’engrenage dans lequel elle fut poussée par l’aventurisme des marchands de religion et récupère, petit à petit, des traumatismes de ces années de cauchemar. Les valeurs et les comportements de la société ne sont plus les mêmes. Entre clair et obscur, percées et retards, ils sont d’une autre texture. Les notions de politique et de politiciens, hier, bannies du vocabulaire de la pensée unique, ont, aujourd’hui – entachées, il est vrai, de trabendisme – remplacé ceux de militantisme et de militants désintéressés.
Dans un contexte de relative libération de la parole, les Algériens apparaissent moins corsetés. Ils accèdent, massivement, à l’usage des NTIC et à un paysage audiovisuel plus ouvert, quoique médiocre, et n’ont plus peur, comme durant les années de plomb, de dire leur avis sur la chose politique.
C’est là une avancée remarquable. Mais cela est-il pour autant suffisant pour faire bouger les atavismes ? De nombreuses pesanteurs arrimées aux vieux usages et à la résignation continuent de freiner la marche vers le changement.
En effet, les Algériens, dans certains de leurs segments, donnent d’eux une image fragile, technologiquement et politiquement, peu armés pour affronter les nouveaux déterminismes de la mondialisation économique, de l’environnement sécuritaire et du déferlement médiatique international.
Les fractions traditionnelles de la société, dominées par les féodalités religieuses, n’en finissent pas de tirer vers le bas en s’agrippant aux mirages de l’ancien modèle de gouvernance dominé par l’ombre tutélaire de l’homme providentiel, le wali des affaires de la communauté.
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