Par Nour-Eddine Boukrouh
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«Le Dieu des uns est le diable des autres.»
(Howard Bloom)
Rares sont les Algériens qui pensaient vivre assez longtemps pour assister à la tenue d’une élection présidentielle libre dans leur pays, tant l’idée est ancrée en eux que le président de la République ne peut sortir que de la casquette de l’institution militaire, et qu’à partir de ce moment, les jeux sont faits et la victoire assurée, quels que soient le taux de participation et le choix des électeurs. Mais à ce que l’on sache, l’institution militaire n’a jamais obligé un président sortant à se représenter, surtout s’il excipe de son âge avancé ou de son état de santé pour se retirer. Dans cette logique, l’armée, ou plus précisément le DRS, ne pouvait imposer un candidat qu’à la condition express que celui-ci soit intéressé et consentant. S’il ne l’était pas, comme Bouteflika en 1994, elle aurait cherché ailleurs ainsi qu’elle a été contrainte de faire après son refus. Une quasi-certitude donc : le quatrième mandat n’a pas été imposé à Bouteflika, il l’a voulu et, d’après les déclarations publiques de Saâdani, obtenu contre l’avis du DRS (et celui de centaines d’officiers supérieurs tenus par le devoir de réserve, comme devait compléter le général Benhadid). Si telle n’avait pas été la volonté du président, 2014 aurait pu être l’année de la première élection présidentielle sans candidat présélectionné, autrement dit ouverte et démocratique. Cela aurait été possible si, au lieu de faire annoncer au dernier moment sa candidature par le Premier ministre, le président avait fait accompagner la publication du décret portant convocation du corps électoral, en janvier dernier, d’une adresse au peuple algérien dans laquelle il lui aurait annoncé sa décision de ne pas se représenter, en même temps que son engagement à superviser la première élection présidentielle «à la loyale» de l’histoire du pays. Le jour dont ne rêvaient pas les Algériens serait arrivé à leur grande surprise le 17 avril prochain et l’Histoire aurait retenu que 2014 a été l’année du «printemps algérien» ; le vrai, car il est faux de prétendre que notre printemps est derrière nous, qu’on l’aurait fait en octobre 1988. Ce sont les trusters du quatrième mandat qui nous chantent cette chanson pour nous endormir. Non, notre printemps nous ne l’avons pas encore eu ; il est toujours devant nous comme une promesse non satisfaite. Nous pouvions même être dispensés d’avoir à le faire un jour au prix d’un lourd tribut et le recevoir en offrande du dernier Mohican de la Révolution du 1er Novembre. Ce cadeau, Bouteflika pouvait le faire à son pays, mais il ne l’a pas voulu, laissant notre avenir sous un point d’interrogation. Qu’est-ce qu’il se serait passé s’il ne s’était pas présenté ? Les gens seraient immédiatement sortis dans la rue comme aux grands jours, avec des drapeaux et des portraits de leur président, celui qui a fait ce qu’aucun chef d’Etat algérien, numide ou contemporain, n’avait fait avant lui : quitter le pouvoir vivant, sans avoir démissionné ou «été démissionné» ; à la fin de son mandat, dans la sérénité, la paix et la joie ; après avoir ramené sous l’autorité présidentielle les institutions présumées lui échapper jusqu’alors... Après cela, l’effet de surprise aurait donné à sa décision de partir un retentissement extraordinaire en Algérie et à l’étranger. Il aurait entendu les youyous d’émotion de nos mères, femmes et sœurs ; il se serait délecté à lire les commentaires flatteurs de la presse nationale et internationale sur son geste auguste et à regarder sur les chaînes de télévision les louanges et les bénédictions de ses compatriotes, une main distraite caressant les cheveux d’un des enfants qu’on voit parfois à ses côtés. Il aurait reçu des messages de félicitations de ses pairs étrangers ; des poètes exaltés auraient composé au pied levé des odes héroïques dédiées à son geste : un geste révélateur d’une nature généreuse et désintéressée, d’un amour sincère pour son peuple et sa jeunesse à qui il aurait légué un si haut exemple, un aussi sublime archétype ; il aurait fait honneur aux martyrs de la Révolution, aux peuples arabes, africains et musulmans. Il serait devenu un trésor national dont on aurait pris le plus grand soin, une icône vivante, un saint personnage. Son nom aurait été écrit en lettres d’or dans la mémoire collective et les annales de l’histoire nationale. Il serait resté une autorité morale dans le pays et au-delà jusqu’à sa mort. Il serait rentré dans le livre des héros qui a été fermé à l’Indépendance et qui aurait été rouvert exceptionnellement pour y ajouter son nom.
Des personnalités de tous les pays et de tous les domaines seraient venues le visiter comme un sage et une belle figure de l’humanité. Il aurait rejoint la galerie des grands hommes politiques où a récemment pris place Nelson Mandela, révéré de son vivant et sanctifié après sa mort. Pour moins que ça, Zéroual a été mis sur un piédestal et sa maison est presque devenue un mausolée. Il se serait retiré après avoir donné à l’Algérie tout ce qu’il lui a donné en bien et en mal. On aurait oublié le mal pour ne retenir que le bien ; on aurait surdimensionné et mythifié ce bien comme sait le faire l’âme candide des Algériens. Ce geste aurait effacé tout ce qu’on lui reprochait quand il était aux responsabilités entre 1962 et 1980 et entre 1999 et 2014, même l’exfiltration de Chakib Khelil et le sacre de Saâdani à la tête du pauvre FLN. Tout ce qui a été construit dans le pays avec l’argent du pétrole aurait été mis au crédit de son génie. Personne n’aurait plus dit un mot de négatif sur lui, pas même les trois Mohamed : Benchicou, Abassa et Sifaoui. La silhouette floutée d’Abdelkader El-Mali aurait laissé place à une image plus nette, celle de l’homme qui aura su préserver «qadrahou» (le respect de soi).
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«Le Dieu des uns est le diable des autres.»
(Howard Bloom)
Rares sont les Algériens qui pensaient vivre assez longtemps pour assister à la tenue d’une élection présidentielle libre dans leur pays, tant l’idée est ancrée en eux que le président de la République ne peut sortir que de la casquette de l’institution militaire, et qu’à partir de ce moment, les jeux sont faits et la victoire assurée, quels que soient le taux de participation et le choix des électeurs. Mais à ce que l’on sache, l’institution militaire n’a jamais obligé un président sortant à se représenter, surtout s’il excipe de son âge avancé ou de son état de santé pour se retirer. Dans cette logique, l’armée, ou plus précisément le DRS, ne pouvait imposer un candidat qu’à la condition express que celui-ci soit intéressé et consentant. S’il ne l’était pas, comme Bouteflika en 1994, elle aurait cherché ailleurs ainsi qu’elle a été contrainte de faire après son refus. Une quasi-certitude donc : le quatrième mandat n’a pas été imposé à Bouteflika, il l’a voulu et, d’après les déclarations publiques de Saâdani, obtenu contre l’avis du DRS (et celui de centaines d’officiers supérieurs tenus par le devoir de réserve, comme devait compléter le général Benhadid). Si telle n’avait pas été la volonté du président, 2014 aurait pu être l’année de la première élection présidentielle sans candidat présélectionné, autrement dit ouverte et démocratique. Cela aurait été possible si, au lieu de faire annoncer au dernier moment sa candidature par le Premier ministre, le président avait fait accompagner la publication du décret portant convocation du corps électoral, en janvier dernier, d’une adresse au peuple algérien dans laquelle il lui aurait annoncé sa décision de ne pas se représenter, en même temps que son engagement à superviser la première élection présidentielle «à la loyale» de l’histoire du pays. Le jour dont ne rêvaient pas les Algériens serait arrivé à leur grande surprise le 17 avril prochain et l’Histoire aurait retenu que 2014 a été l’année du «printemps algérien» ; le vrai, car il est faux de prétendre que notre printemps est derrière nous, qu’on l’aurait fait en octobre 1988. Ce sont les trusters du quatrième mandat qui nous chantent cette chanson pour nous endormir. Non, notre printemps nous ne l’avons pas encore eu ; il est toujours devant nous comme une promesse non satisfaite. Nous pouvions même être dispensés d’avoir à le faire un jour au prix d’un lourd tribut et le recevoir en offrande du dernier Mohican de la Révolution du 1er Novembre. Ce cadeau, Bouteflika pouvait le faire à son pays, mais il ne l’a pas voulu, laissant notre avenir sous un point d’interrogation. Qu’est-ce qu’il se serait passé s’il ne s’était pas présenté ? Les gens seraient immédiatement sortis dans la rue comme aux grands jours, avec des drapeaux et des portraits de leur président, celui qui a fait ce qu’aucun chef d’Etat algérien, numide ou contemporain, n’avait fait avant lui : quitter le pouvoir vivant, sans avoir démissionné ou «été démissionné» ; à la fin de son mandat, dans la sérénité, la paix et la joie ; après avoir ramené sous l’autorité présidentielle les institutions présumées lui échapper jusqu’alors... Après cela, l’effet de surprise aurait donné à sa décision de partir un retentissement extraordinaire en Algérie et à l’étranger. Il aurait entendu les youyous d’émotion de nos mères, femmes et sœurs ; il se serait délecté à lire les commentaires flatteurs de la presse nationale et internationale sur son geste auguste et à regarder sur les chaînes de télévision les louanges et les bénédictions de ses compatriotes, une main distraite caressant les cheveux d’un des enfants qu’on voit parfois à ses côtés. Il aurait reçu des messages de félicitations de ses pairs étrangers ; des poètes exaltés auraient composé au pied levé des odes héroïques dédiées à son geste : un geste révélateur d’une nature généreuse et désintéressée, d’un amour sincère pour son peuple et sa jeunesse à qui il aurait légué un si haut exemple, un aussi sublime archétype ; il aurait fait honneur aux martyrs de la Révolution, aux peuples arabes, africains et musulmans. Il serait devenu un trésor national dont on aurait pris le plus grand soin, une icône vivante, un saint personnage. Son nom aurait été écrit en lettres d’or dans la mémoire collective et les annales de l’histoire nationale. Il serait resté une autorité morale dans le pays et au-delà jusqu’à sa mort. Il serait rentré dans le livre des héros qui a été fermé à l’Indépendance et qui aurait été rouvert exceptionnellement pour y ajouter son nom.
Des personnalités de tous les pays et de tous les domaines seraient venues le visiter comme un sage et une belle figure de l’humanité. Il aurait rejoint la galerie des grands hommes politiques où a récemment pris place Nelson Mandela, révéré de son vivant et sanctifié après sa mort. Pour moins que ça, Zéroual a été mis sur un piédestal et sa maison est presque devenue un mausolée. Il se serait retiré après avoir donné à l’Algérie tout ce qu’il lui a donné en bien et en mal. On aurait oublié le mal pour ne retenir que le bien ; on aurait surdimensionné et mythifié ce bien comme sait le faire l’âme candide des Algériens. Ce geste aurait effacé tout ce qu’on lui reprochait quand il était aux responsabilités entre 1962 et 1980 et entre 1999 et 2014, même l’exfiltration de Chakib Khelil et le sacre de Saâdani à la tête du pauvre FLN. Tout ce qui a été construit dans le pays avec l’argent du pétrole aurait été mis au crédit de son génie. Personne n’aurait plus dit un mot de négatif sur lui, pas même les trois Mohamed : Benchicou, Abassa et Sifaoui. La silhouette floutée d’Abdelkader El-Mali aurait laissé place à une image plus nette, celle de l’homme qui aura su préserver «qadrahou» (le respect de soi).
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