Volet National : Les élections
Quelle pourra être, selon vous, la “feuille de route” de M. Abdelaziz Bouteflika après sa réélection ?
La “feuille de route” est toute tracée. Première étape, révision de la Constitution puis désignation —désignation pour que les concernés n’aient pas de légitimité propre — d’un ou de deux vice-présidents. Deuxième étape, organisation de nouvelles élections législatives censées ressourcer le régime. Troisième étape, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, hypothèse d’école, songera-t-il, de son plein gré, à passer la main dans le cadre d’un dispositif de succession arrangée ? Nous sommes, à bien des égards, dans une période comparable à celle où l’ancien président de Russie, Boris Eltsine, soucieux d’assurer l’impunité pour lui-même et les siens, avait intronisé M. Vladimir Poutine avant de céder le pouvoir. M. Abdelaziz Bouteflika, dans le cas présent, aura besoin d’un Poutine à deux têtes. Un Poutine capable de mener à bon port la réhabilitation du FIS. C’est une idée lancinante chez l’actuel président de la République. Un Poutine capable d’exercer un contrôle autoritariste sur la société. C’est, aux yeux du cercle présidentiel, du moins son “noyau dur”, une condition sine qua non pour étouffer toute velléité de poursuites. Convenons que MM. Abdelaziz Belkhadem et Ahmed Ouyahia, chacun dans son registre, disposent du profil recherché.
Vous récusez le principe de la réhabilitation du FIS ?
Il ne s’agit pas d’une position idéologique figée, comme vous pourriez le croire. Il ne s’agit pas d’être éradicateur au sens primaire du terme. Il ne s’agit pas, tout aussi bien, d’être ingénu. Pas de doute, il est nécessaire que le courant islamiste soit représenté sur la scène politique nationale dans toute la diversité de ses composantes. Il faut se prémunir, cependant, contre toute dérive possible, à travers un engagement irréfragable de la formation considérée de respecter les dispositions de la Constitution et, auparavant, celles du Pacte de transition à définir. Ce qui interpelle, c’est cette volonté insidieuse de réintroduire, par effraction, ce parti dissous sur la scène politique nationale sans qu’il ait, expressément, rejeté son projet d’instaurer un État théocratique.
Le projet de M. Abdelaziz Bouteflika — relayé par M. Abdelaziz Belkhadem — est, à cet égard, des plus ambigus. C’est, au surplus, une démarche fondée non pas sur la conviction mais sur un calcul politicien intéressé. Il faut éviter de revenir à l’équation de 1992, hypothèse grave de dangers. Le président de la République serait, d’ailleurs, en dépassement de la ligne rouge. À n’en point douter, l’hostilité de l’armée et des services de renseignement aurait à se manifester.
Ces deux personnalités viennent, justement, d’être investies de responsabilités de premier plan auprès du président de la République…
Il s’agit, pourtant, d’une fausse solution à un vrai problème. Le défi consiste non pas à ravaler un système obsolète mais à le changer radicalement. La feuille de route de M. Abdelaziz Bouteflika, pour l’après-17 avril 2014, occulte ce défi. La preuve, après quinze ans d’exercice au pouvoir, le voilà à puiser, encore, au sein de la vieille garde. S’il s’agit, dans le cas de M. Ahmed Ouyahia, de choisir un Vladimir Poutine, il faudrait en avoir les qualités. Y compris dans la manière autoritariste — mais acceptée par la société — d’exercer le pouvoir. En dépit des travers dont on pourrait affubler l’actuel président russe, il faut convenir que sa gouvernance s’appuie sur un “socle de valeurs” puisé du legs de la Russie éternelle. Dans le cas de M. Abdelaziz Belkhadem, évacuons l’exemple inadapté du Premier ministre turc, Tayep Erdogan, qui est en difficulté. Prenons l’exemple de Rached Ghannouchi, le chef du mouvement tunisien Ennahdha. M. Abdelaziz Belkhadem est-il capable d’exhiber les mêmes dispositions ? Peut-il se prévaloir de la légitimité incontestée des urnes, de la faculté d’absorber — dans sa dimension noble — l’héritage de Bourguiba et de l’habiliter à s’adapter, harmonieusement, aux exigences du contexte national et international ?
Vous imaginez M. Abdelaziz Belkhadem capable de porter le projet islamiste en Algérie ?
Sûrement pas. Ni, d’ailleurs, le projet nationaliste. Que pensez-vous, honnêtement, de son bilan à la tête du FLN ? D’un parti qui postulait à la modernité et qui avait vocation à y accéder, il en a fait un parti rivé sur la régression, privé d’ancrage idéologique sain et livré aux puissances de l’argent les plus néfastes. Par Dieu ! Vous imaginez M. Abdelaziz Belkhadem porteur d’un projet national où la conjonction d’un islam de modernité et d’un nationalisme de progrès pourrait amarrer l’Algérie aux temps modernes sans qu’elle ne cède rien de son âme ? Seul, apparemment, M. Abdelaziz Bouteflika, pourtant, peu crédule, semble y croire. M. Abdelaziz Belkhadem est juste capable de promouvoir un “islam de bazar” qui ferait reculer l’Algérie, pas la faire avancer.
Vous ne pensez pas que, dans la feuille de route qui sera sienne au lendemain du prochain scrutin présidentiel, le président de la République pourrait fixer son choix, expressément, sur M. Ahmed Ouyahia pour lui succéder ?
Vous allez être décontenancé par mon propos. M. Ahmed Ouyahia, c’est établi, n’est guère un représentant légitime de la Kabylie. Mais il est originaire de la Kabylie. C’est un motif suffisant de disqualification. Le système politique en Algérie n’a pas accompli sa mue jusqu’au point d’accepter que le président de la République soit d’origine kabyle. C’est un constat malheureux qui témoigne de la résurgence de l’instinct grégaire avec persistance de pratiques régionalistes détestables. Mais évacuons ce paramètre. Comment M. Ahmed Ouyahia pourrait-il accéder au palais d’El-Mouradia ? À travers l’onction populaire ? La pratique des sondages d’opinion n’est guère encouragée en Algérie. Sans avoir besoin, cependant, de chiffres incontestables, il est possible d’évaluer la notoriété de M. Ouyahia. Il ne faut pas être grand clerc pour s’en faire une idée à travers les commentaires désobligeants, à son endroit, de toute la société, particulièrement parmi les couches défavorisées. Accédera-t-il au palais d’El-Mouradia juché sur un char ? Il fut un temps où M. Ouyahia était adoubé par une partie agissante des officiers généraux, les “janviéristes” qui ont interrompu le processus électoral en 1992. Ces officiers généraux ne sont plus aux affaires. La nouvelle génération d’officiers, dont le centre de gravité se situe à l’Est, ne cultive pas de proximité avec l’ancien chef de gouvernement. Enfin, M. Ahmed Ouyahia, dont les ambitions sont affichées, pourrait songer à devenir chef dÉtat, subrepticement, en s’introduisant par effraction au palais d’El-Mouradia. Qu’à Dieu ne plaise, la crise actuelle devrait, alors, s’aggraver jusqu’à provoquer la déflagration tant redoutée. Il faudrait, selon l’heureuse formule de Max Weber, que les postulants à la magistrature suprême parviennent à concilier “éthique de la responsabilité” et “éthique de la conviction”.
M. Saïd Bouteflika ne risque-t-il pas, derrière le rideau, de se substituer au chef de l’État élu avec le concours de personnalités agissantes, à l’instar du vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP et, à présent, de M. Ahmed Ouyahia?
Si cela devait se vérifier, nous serions dans le cas d’une succession familiale déguisée à la tête de l’État. Ce serait un dépassement de ligne rouge, avec les conséquences qui en découleraient.
Quelle pourra être, selon vous, la “feuille de route” de M. Abdelaziz Bouteflika après sa réélection ?
La “feuille de route” est toute tracée. Première étape, révision de la Constitution puis désignation —désignation pour que les concernés n’aient pas de légitimité propre — d’un ou de deux vice-présidents. Deuxième étape, organisation de nouvelles élections législatives censées ressourcer le régime. Troisième étape, Monsieur Abdelaziz Bouteflika, hypothèse d’école, songera-t-il, de son plein gré, à passer la main dans le cadre d’un dispositif de succession arrangée ? Nous sommes, à bien des égards, dans une période comparable à celle où l’ancien président de Russie, Boris Eltsine, soucieux d’assurer l’impunité pour lui-même et les siens, avait intronisé M. Vladimir Poutine avant de céder le pouvoir. M. Abdelaziz Bouteflika, dans le cas présent, aura besoin d’un Poutine à deux têtes. Un Poutine capable de mener à bon port la réhabilitation du FIS. C’est une idée lancinante chez l’actuel président de la République. Un Poutine capable d’exercer un contrôle autoritariste sur la société. C’est, aux yeux du cercle présidentiel, du moins son “noyau dur”, une condition sine qua non pour étouffer toute velléité de poursuites. Convenons que MM. Abdelaziz Belkhadem et Ahmed Ouyahia, chacun dans son registre, disposent du profil recherché.
Vous récusez le principe de la réhabilitation du FIS ?
Il ne s’agit pas d’une position idéologique figée, comme vous pourriez le croire. Il ne s’agit pas d’être éradicateur au sens primaire du terme. Il ne s’agit pas, tout aussi bien, d’être ingénu. Pas de doute, il est nécessaire que le courant islamiste soit représenté sur la scène politique nationale dans toute la diversité de ses composantes. Il faut se prémunir, cependant, contre toute dérive possible, à travers un engagement irréfragable de la formation considérée de respecter les dispositions de la Constitution et, auparavant, celles du Pacte de transition à définir. Ce qui interpelle, c’est cette volonté insidieuse de réintroduire, par effraction, ce parti dissous sur la scène politique nationale sans qu’il ait, expressément, rejeté son projet d’instaurer un État théocratique.
Le projet de M. Abdelaziz Bouteflika — relayé par M. Abdelaziz Belkhadem — est, à cet égard, des plus ambigus. C’est, au surplus, une démarche fondée non pas sur la conviction mais sur un calcul politicien intéressé. Il faut éviter de revenir à l’équation de 1992, hypothèse grave de dangers. Le président de la République serait, d’ailleurs, en dépassement de la ligne rouge. À n’en point douter, l’hostilité de l’armée et des services de renseignement aurait à se manifester.
Ces deux personnalités viennent, justement, d’être investies de responsabilités de premier plan auprès du président de la République…
Il s’agit, pourtant, d’une fausse solution à un vrai problème. Le défi consiste non pas à ravaler un système obsolète mais à le changer radicalement. La feuille de route de M. Abdelaziz Bouteflika, pour l’après-17 avril 2014, occulte ce défi. La preuve, après quinze ans d’exercice au pouvoir, le voilà à puiser, encore, au sein de la vieille garde. S’il s’agit, dans le cas de M. Ahmed Ouyahia, de choisir un Vladimir Poutine, il faudrait en avoir les qualités. Y compris dans la manière autoritariste — mais acceptée par la société — d’exercer le pouvoir. En dépit des travers dont on pourrait affubler l’actuel président russe, il faut convenir que sa gouvernance s’appuie sur un “socle de valeurs” puisé du legs de la Russie éternelle. Dans le cas de M. Abdelaziz Belkhadem, évacuons l’exemple inadapté du Premier ministre turc, Tayep Erdogan, qui est en difficulté. Prenons l’exemple de Rached Ghannouchi, le chef du mouvement tunisien Ennahdha. M. Abdelaziz Belkhadem est-il capable d’exhiber les mêmes dispositions ? Peut-il se prévaloir de la légitimité incontestée des urnes, de la faculté d’absorber — dans sa dimension noble — l’héritage de Bourguiba et de l’habiliter à s’adapter, harmonieusement, aux exigences du contexte national et international ?
Vous imaginez M. Abdelaziz Belkhadem capable de porter le projet islamiste en Algérie ?
Sûrement pas. Ni, d’ailleurs, le projet nationaliste. Que pensez-vous, honnêtement, de son bilan à la tête du FLN ? D’un parti qui postulait à la modernité et qui avait vocation à y accéder, il en a fait un parti rivé sur la régression, privé d’ancrage idéologique sain et livré aux puissances de l’argent les plus néfastes. Par Dieu ! Vous imaginez M. Abdelaziz Belkhadem porteur d’un projet national où la conjonction d’un islam de modernité et d’un nationalisme de progrès pourrait amarrer l’Algérie aux temps modernes sans qu’elle ne cède rien de son âme ? Seul, apparemment, M. Abdelaziz Bouteflika, pourtant, peu crédule, semble y croire. M. Abdelaziz Belkhadem est juste capable de promouvoir un “islam de bazar” qui ferait reculer l’Algérie, pas la faire avancer.
Vous ne pensez pas que, dans la feuille de route qui sera sienne au lendemain du prochain scrutin présidentiel, le président de la République pourrait fixer son choix, expressément, sur M. Ahmed Ouyahia pour lui succéder ?
Vous allez être décontenancé par mon propos. M. Ahmed Ouyahia, c’est établi, n’est guère un représentant légitime de la Kabylie. Mais il est originaire de la Kabylie. C’est un motif suffisant de disqualification. Le système politique en Algérie n’a pas accompli sa mue jusqu’au point d’accepter que le président de la République soit d’origine kabyle. C’est un constat malheureux qui témoigne de la résurgence de l’instinct grégaire avec persistance de pratiques régionalistes détestables. Mais évacuons ce paramètre. Comment M. Ahmed Ouyahia pourrait-il accéder au palais d’El-Mouradia ? À travers l’onction populaire ? La pratique des sondages d’opinion n’est guère encouragée en Algérie. Sans avoir besoin, cependant, de chiffres incontestables, il est possible d’évaluer la notoriété de M. Ouyahia. Il ne faut pas être grand clerc pour s’en faire une idée à travers les commentaires désobligeants, à son endroit, de toute la société, particulièrement parmi les couches défavorisées. Accédera-t-il au palais d’El-Mouradia juché sur un char ? Il fut un temps où M. Ouyahia était adoubé par une partie agissante des officiers généraux, les “janviéristes” qui ont interrompu le processus électoral en 1992. Ces officiers généraux ne sont plus aux affaires. La nouvelle génération d’officiers, dont le centre de gravité se situe à l’Est, ne cultive pas de proximité avec l’ancien chef de gouvernement. Enfin, M. Ahmed Ouyahia, dont les ambitions sont affichées, pourrait songer à devenir chef dÉtat, subrepticement, en s’introduisant par effraction au palais d’El-Mouradia. Qu’à Dieu ne plaise, la crise actuelle devrait, alors, s’aggraver jusqu’à provoquer la déflagration tant redoutée. Il faudrait, selon l’heureuse formule de Max Weber, que les postulants à la magistrature suprême parviennent à concilier “éthique de la responsabilité” et “éthique de la conviction”.
M. Saïd Bouteflika ne risque-t-il pas, derrière le rideau, de se substituer au chef de l’État élu avec le concours de personnalités agissantes, à l’instar du vice-ministre de la Défense nationale, chef d’état-major de l’ANP et, à présent, de M. Ahmed Ouyahia?
Si cela devait se vérifier, nous serions dans le cas d’une succession familiale déguisée à la tête de l’État. Ce serait un dépassement de ligne rouge, avec les conséquences qui en découleraient.
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