A nul n’aura échappé l’offensive diplomatique marocaine en Afrique. C’est même le fait diplomatique majeur dans la région.
Comme Maghrébin, je ne peux que m’en réjouir. Il est temps que le Maghreb sorte d’une posture schizophrénique qui lui fait tourner le dos à sa profondeur géostratégique et qui, loin de le rapprocher avec l’Europe, le fragilise plutôt dans ses rapports avec cette dernière. Mais je ne peux m’empêcher de constater que l’Algérie soit non seulement en reste, mais qu’elle ne cesse de perdre toujours plus pied dans le continent comme elle le perd d’ailleurs dans son propre Sud. Il ne s’agit pas d’agiter le «chiffon rouge» marocain et participer à ce jeu de rivalités entre les pouvoirs des deux pays qui ne tient pas seulement de la prétention de chacun de jouer le rôle de puissance régionale, mais tient plutôt des stratégies de pouvoir ; chacun cherchant à cultiver une assabya nationale pour combler son déficit de légitimité par le danger fantasmé de l’autre. Il s’agit plutôt d’interroger l’Algérie à la lumière d’une dynamique qui révèle sa marginalisation.
Bouteflika : Roosevelt ou Bourguiba ?
Il serait tentant dans le contexte du débat sur le quatrième mandat de Bouteflika de focaliser sur le contraste entre l’exploit physique du périple marathonien de trois semaines en Afrique d’un jeune roi parti au contact direct des foules et des dirigeants africains d’un côté, et de l’autre un Président fantomatique quasiment invisible et dont les rares apparitions, hagardes, ajoutent encore plus à l’inquiétude sur ses aptitudes. Mais là n’est pas vraiment la question. Même si cela compte beaucoup et que cela compte de façon générale pour la gouvernance du pays. Et lorsque MM. Saadani, Sellal et d’autres comparent l’état de M. Bouteflika à celui de Franklin Roosevelt, savent-ils que ce dernier, atteint seulement à ses membres inférieurs, a été le Président américain qui avait alors, malgré cela, le plus sillonné le monde partant à la rencontre directe de ses dirigeants et n’hésitant pas à «monter au front».
C’est ainsi, et pour en rester au seul Maroc, que c’est en chef de guerre qu’il a débarqué à Casablanca donnant une impulsion décisive à la contre-offensive alliée. A quelques jours seulement de sa mort, il s’est rendu dans l’antre de Staline, en Crimée, revenue aujourd’hui au-devant de l’actualité, pour engager avec lui un bras de fer d’où sortiront les fameux accords de Yalta qui façonneront le monde pour un demi-siècle. Il enchaînera avec une rencontre avec le roi d’Egypte, le Négus d’Ethiopie et le roi Abdelaziz, fondateur de l’Arabie Saoudite. Quelques jours plus tard, il mourra mais sans jamais avoir renoncé à remplir toutes les tâches de sa fonction.
Plutôt que Roosevelt, M. Benyounes avait raison de nous faire penser à Bourguiba en agitant le danger d’un possible «coup d’Etat médical». Il aurait dû aller plus loin dans son évocation et rappeler la «prise d’otage médicale» dont avait été victime celui-ci de la part de son entourage, particulièrement son épouse Wassila, qui a gouverné des années par procuration. C’est la guerre féroce que s’est livrée cet entourage et d’abord son épouse, légiférant par décret au nom du Président, destituant ou promouvant les cadres de l’Etat pour renforcer leur position, qui a abouti à un véritable turn-over de responsables et la déstabilisation des institutions.
C’est par l’interstice de ce désordre qu’un cadre de second ordre, un sombre policier, a pu arriver au cœur du dispositif sécuritaire et «faire le coup» à ceux-là mêmes qui l’ont utilisé. On aura reconnu Ben Ali que rien, n’était ce désordre institutionnel, ne destinait à dépasser le statut d’un anonyme attaché militaire, fonction qu’il a occupée justement à Rabat d’où il a été chassé par Hassan II pour une histoire de mœurs digne d’un soudard. Le désordre de la guerre des héritiers qui ont toujours besoin d’un homme pour les sales besognes ouvrira un boulevard à ce médiocre dans un pays qui ne manquait pourtant ni d’intelligences ni de commis de l’Etat.
Mais le désordre institutionnel créé par la prise en otage de Bourguiba n’a pas seulement donné des idées à des héritiers putatifs. D’autres à l’extérieur de la Tunisie n’ont pu s’empêcher d’en profiter. Ses voisins d’abord. C’est le cas d’El Gueddafi qui arme des commandos qui s’emparent de la ville de Gafsa (certaines mauvaises langues avancent que l’Algérie n’avait pas voulu être en reste puisqu’une partie des commandos armés a traversé les frontières algéro-tunisiennes après avoir transité par Alger).
Bourguiba qui se reposait tout près à Nefta n’aura même pas la force de s’y rendre après la reprise en main de la ville et sa sécurisation par les armées étrangères… il enverra sa femme tenir un meeting en son nom ! Comme quoi, les meetings par procuration ne sont pas une invention de la présidentielle algérienne ! Mais faut-il le rappeler, la sécurisation de la ville a été au prix d’une lourde intervention de la France qui a envoyé des avions de transport, des hélicoptères Puma, des conseillers militaires et dépêché de Toulon trois bateaux de guerre et leur escorte de cinq sous-marins au large des côtes tuniso-libyennes. Hassan II envoie deux avions de transport et des hélicoptères. L’aide militaire des USA augmentera jusqu’à atteindre le triple à la veille du «coup d’Etat médical». A ceux qui en Algérie agitent le chiffon rouge de l’intervention de l’étranger, l’exemple de cet autre président fantôme, Bourguiba, devrait donner à réfléchir.
Paris et le désert africain
Mais encore une fois, là n’est pas la vraie question car même sans la maladie, Bouteflika ne s’est pas rendu une seule fois au Sahel. Par contre, il a été au moins sept fois à Paris.
Mais là n’est pas également la question car le dynamisme marocain en Afrique ne se base pas tant sur le dynamisme de la personne du Roi que sur une stratégie nationale de «soft power», c’est-à-dire une stratégie «par le bas» qui utilise le canal des entrepreneurs économiques et celui des sociétés.
Très loin devant l’Algérie, insignifiante sur ce terrain, le Maroc est le pays maghrébin qui a le plus développé, à travers ses entrepreneurs, ses relations économiques avec l’Afrique. C’est d’ailleurs uniquement avec l’Afrique subsaharienne que les échanges du Maroc dégagent un excédent, important par ailleurs. Depuis 2010, les exportations marocaines vers cette région ont doublé celles en direction de l’Afrique du Nord. L’Algérie est dans l’incapacité de le concurrencer sur ce terrain parce que son système stérilise déjà l’entrepreneuriat localement pour que l’aventure à l’internationale, et encore plus en Afrique, puisse faire partie de ses perspectives.
La corruption y est pour beaucoup, mais pas simplement en tant que telle puisque la corruption est également forte au Maroc quoique dorénavant moindre qu’en Algérie. En effet, le Maroc a longtemps été connu pour sa corruption mais l’Algérie le devance aujourd’hui allègrement puisque si on se réfère au classement de ces 5 dernières années (2008-2012), l’Algérie est classée loin derrière le Maroc entre 12 places (en 2008) et 32 places (en 2011) !
Mais l’effet de la corruption en Algérie est tout à la fois plus amplifié et plus pervers du fait de la rente pétrolière et de l’usage qui en est fait. Si au Maroc l’argent de la corruption circule surtout des entrepreneurs vers les détenteurs de pouvoir qui les ponctionnent, en Algérie il circule pour l’essentiel en sens inverse. L’argent de la rente pétrolière sert au pouvoir à se créer une clientèle privée constituée d’«entrepreneurs» captifs de la redistribution de la rente ou d’«entrepreneurs» prête-noms pour blanchir les détournements de la rente.
L’acte entrepreneurial est ainsi réduit, perverti, annihilé et toute chance de voir émerger une classe d’entrepreneurs est ainsi nulle. L’entreprise n’étant pas, sauf pour une minorité à la marge, création de richesse et prise de risque, l’aventure entrepreneuriale à l’étranger n’a de ce fait pas d’intérêt. Pourquoi aller chercher l’argent dans les conditions difficiles de l’Afrique quand il tombe si facilement en Algérie ? Plus que cela, l’argent qui rechigne à prendre le chemin de l’investissement en Afrique, l’argent détourné de la rente, comme les voyages présidentiels, préfère la destination Paris.
Ainsi, et ce n’est qu’un détail illustratif, les Algériens non-résidents en France (donc émigrés exclus) sont la troisième nationalité pour l’acquisition de biens immobiliers à Paris, juste après les Américains et à égalité avec les Britanniques ! Et ces statistiques sont sûrement sous-estimées car les nouveaux riches du détournement de la rente ont appris à faire des montages brouillant leur identité et leur nationalité. Et Paris n’est qu’un arbre qui cache la forêt des destinations vers les paradis fiscaux et les autres destinations moins regardantes que Paris sur l’argent sale, comme on l’a appris avec Chakib Khelil et Farid Bedjaoui. L’oncle de ce dernier, quand il est devenu ministre des Affaires étrangères de Bouteflika, a demandé à garder quand même un statut d’ambassadeur pour bénéficier de la dérogation à certains impôts sur ses biens immobiliers à Paris comme le prévoit la loi française. Il n’y a pas de petits profits !
(à suivre)
Comme Maghrébin, je ne peux que m’en réjouir. Il est temps que le Maghreb sorte d’une posture schizophrénique qui lui fait tourner le dos à sa profondeur géostratégique et qui, loin de le rapprocher avec l’Europe, le fragilise plutôt dans ses rapports avec cette dernière. Mais je ne peux m’empêcher de constater que l’Algérie soit non seulement en reste, mais qu’elle ne cesse de perdre toujours plus pied dans le continent comme elle le perd d’ailleurs dans son propre Sud. Il ne s’agit pas d’agiter le «chiffon rouge» marocain et participer à ce jeu de rivalités entre les pouvoirs des deux pays qui ne tient pas seulement de la prétention de chacun de jouer le rôle de puissance régionale, mais tient plutôt des stratégies de pouvoir ; chacun cherchant à cultiver une assabya nationale pour combler son déficit de légitimité par le danger fantasmé de l’autre. Il s’agit plutôt d’interroger l’Algérie à la lumière d’une dynamique qui révèle sa marginalisation.
Bouteflika : Roosevelt ou Bourguiba ?
Il serait tentant dans le contexte du débat sur le quatrième mandat de Bouteflika de focaliser sur le contraste entre l’exploit physique du périple marathonien de trois semaines en Afrique d’un jeune roi parti au contact direct des foules et des dirigeants africains d’un côté, et de l’autre un Président fantomatique quasiment invisible et dont les rares apparitions, hagardes, ajoutent encore plus à l’inquiétude sur ses aptitudes. Mais là n’est pas vraiment la question. Même si cela compte beaucoup et que cela compte de façon générale pour la gouvernance du pays. Et lorsque MM. Saadani, Sellal et d’autres comparent l’état de M. Bouteflika à celui de Franklin Roosevelt, savent-ils que ce dernier, atteint seulement à ses membres inférieurs, a été le Président américain qui avait alors, malgré cela, le plus sillonné le monde partant à la rencontre directe de ses dirigeants et n’hésitant pas à «monter au front».
C’est ainsi, et pour en rester au seul Maroc, que c’est en chef de guerre qu’il a débarqué à Casablanca donnant une impulsion décisive à la contre-offensive alliée. A quelques jours seulement de sa mort, il s’est rendu dans l’antre de Staline, en Crimée, revenue aujourd’hui au-devant de l’actualité, pour engager avec lui un bras de fer d’où sortiront les fameux accords de Yalta qui façonneront le monde pour un demi-siècle. Il enchaînera avec une rencontre avec le roi d’Egypte, le Négus d’Ethiopie et le roi Abdelaziz, fondateur de l’Arabie Saoudite. Quelques jours plus tard, il mourra mais sans jamais avoir renoncé à remplir toutes les tâches de sa fonction.
Plutôt que Roosevelt, M. Benyounes avait raison de nous faire penser à Bourguiba en agitant le danger d’un possible «coup d’Etat médical». Il aurait dû aller plus loin dans son évocation et rappeler la «prise d’otage médicale» dont avait été victime celui-ci de la part de son entourage, particulièrement son épouse Wassila, qui a gouverné des années par procuration. C’est la guerre féroce que s’est livrée cet entourage et d’abord son épouse, légiférant par décret au nom du Président, destituant ou promouvant les cadres de l’Etat pour renforcer leur position, qui a abouti à un véritable turn-over de responsables et la déstabilisation des institutions.
C’est par l’interstice de ce désordre qu’un cadre de second ordre, un sombre policier, a pu arriver au cœur du dispositif sécuritaire et «faire le coup» à ceux-là mêmes qui l’ont utilisé. On aura reconnu Ben Ali que rien, n’était ce désordre institutionnel, ne destinait à dépasser le statut d’un anonyme attaché militaire, fonction qu’il a occupée justement à Rabat d’où il a été chassé par Hassan II pour une histoire de mœurs digne d’un soudard. Le désordre de la guerre des héritiers qui ont toujours besoin d’un homme pour les sales besognes ouvrira un boulevard à ce médiocre dans un pays qui ne manquait pourtant ni d’intelligences ni de commis de l’Etat.
Mais le désordre institutionnel créé par la prise en otage de Bourguiba n’a pas seulement donné des idées à des héritiers putatifs. D’autres à l’extérieur de la Tunisie n’ont pu s’empêcher d’en profiter. Ses voisins d’abord. C’est le cas d’El Gueddafi qui arme des commandos qui s’emparent de la ville de Gafsa (certaines mauvaises langues avancent que l’Algérie n’avait pas voulu être en reste puisqu’une partie des commandos armés a traversé les frontières algéro-tunisiennes après avoir transité par Alger).
Bourguiba qui se reposait tout près à Nefta n’aura même pas la force de s’y rendre après la reprise en main de la ville et sa sécurisation par les armées étrangères… il enverra sa femme tenir un meeting en son nom ! Comme quoi, les meetings par procuration ne sont pas une invention de la présidentielle algérienne ! Mais faut-il le rappeler, la sécurisation de la ville a été au prix d’une lourde intervention de la France qui a envoyé des avions de transport, des hélicoptères Puma, des conseillers militaires et dépêché de Toulon trois bateaux de guerre et leur escorte de cinq sous-marins au large des côtes tuniso-libyennes. Hassan II envoie deux avions de transport et des hélicoptères. L’aide militaire des USA augmentera jusqu’à atteindre le triple à la veille du «coup d’Etat médical». A ceux qui en Algérie agitent le chiffon rouge de l’intervention de l’étranger, l’exemple de cet autre président fantôme, Bourguiba, devrait donner à réfléchir.
Paris et le désert africain
Mais encore une fois, là n’est pas la vraie question car même sans la maladie, Bouteflika ne s’est pas rendu une seule fois au Sahel. Par contre, il a été au moins sept fois à Paris.
Mais là n’est pas également la question car le dynamisme marocain en Afrique ne se base pas tant sur le dynamisme de la personne du Roi que sur une stratégie nationale de «soft power», c’est-à-dire une stratégie «par le bas» qui utilise le canal des entrepreneurs économiques et celui des sociétés.
Très loin devant l’Algérie, insignifiante sur ce terrain, le Maroc est le pays maghrébin qui a le plus développé, à travers ses entrepreneurs, ses relations économiques avec l’Afrique. C’est d’ailleurs uniquement avec l’Afrique subsaharienne que les échanges du Maroc dégagent un excédent, important par ailleurs. Depuis 2010, les exportations marocaines vers cette région ont doublé celles en direction de l’Afrique du Nord. L’Algérie est dans l’incapacité de le concurrencer sur ce terrain parce que son système stérilise déjà l’entrepreneuriat localement pour que l’aventure à l’internationale, et encore plus en Afrique, puisse faire partie de ses perspectives.
La corruption y est pour beaucoup, mais pas simplement en tant que telle puisque la corruption est également forte au Maroc quoique dorénavant moindre qu’en Algérie. En effet, le Maroc a longtemps été connu pour sa corruption mais l’Algérie le devance aujourd’hui allègrement puisque si on se réfère au classement de ces 5 dernières années (2008-2012), l’Algérie est classée loin derrière le Maroc entre 12 places (en 2008) et 32 places (en 2011) !
Mais l’effet de la corruption en Algérie est tout à la fois plus amplifié et plus pervers du fait de la rente pétrolière et de l’usage qui en est fait. Si au Maroc l’argent de la corruption circule surtout des entrepreneurs vers les détenteurs de pouvoir qui les ponctionnent, en Algérie il circule pour l’essentiel en sens inverse. L’argent de la rente pétrolière sert au pouvoir à se créer une clientèle privée constituée d’«entrepreneurs» captifs de la redistribution de la rente ou d’«entrepreneurs» prête-noms pour blanchir les détournements de la rente.
L’acte entrepreneurial est ainsi réduit, perverti, annihilé et toute chance de voir émerger une classe d’entrepreneurs est ainsi nulle. L’entreprise n’étant pas, sauf pour une minorité à la marge, création de richesse et prise de risque, l’aventure entrepreneuriale à l’étranger n’a de ce fait pas d’intérêt. Pourquoi aller chercher l’argent dans les conditions difficiles de l’Afrique quand il tombe si facilement en Algérie ? Plus que cela, l’argent qui rechigne à prendre le chemin de l’investissement en Afrique, l’argent détourné de la rente, comme les voyages présidentiels, préfère la destination Paris.
Ainsi, et ce n’est qu’un détail illustratif, les Algériens non-résidents en France (donc émigrés exclus) sont la troisième nationalité pour l’acquisition de biens immobiliers à Paris, juste après les Américains et à égalité avec les Britanniques ! Et ces statistiques sont sûrement sous-estimées car les nouveaux riches du détournement de la rente ont appris à faire des montages brouillant leur identité et leur nationalité. Et Paris n’est qu’un arbre qui cache la forêt des destinations vers les paradis fiscaux et les autres destinations moins regardantes que Paris sur l’argent sale, comme on l’a appris avec Chakib Khelil et Farid Bedjaoui. L’oncle de ce dernier, quand il est devenu ministre des Affaires étrangères de Bouteflika, a demandé à garder quand même un statut d’ambassadeur pour bénéficier de la dérogation à certains impôts sur ses biens immobiliers à Paris comme le prévoit la loi française. Il n’y a pas de petits profits !
(à suivre)
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