Maâmar Benguerba : «C’est un véritable hold-up de la souveraineté populaire»
El Watan le 10.04.14 | 10h00
| © Lyès. H.
Maâmar Benguerba, ancien ministre des Affaires sociales et du Travail.
Dans cet entretien, Maâmar Benguerba, ancien député et ancien ministre des Affaires sociales et du Travail du gouvernement de Ahmed Benbitour, s’exprime sur le contexte politique dans lequel se tient l’élection du 17 avril. Pour ce fin observateur de la vie nationale, qui a prévu bien avant tout le monde les soubresauts qui agitent les régions du sud du pays du fait de leur marginalisation par les politiques publiques de développement, la candidature de Bouteflika n’est que la partie apparente de l’iceberg. «C’est le système qui est candidat», affirme-t-il.
-La candidature de Bouteflika pour un 4e mandat divise la classe politique et l’opinion publique. Selon vous, l’équation politique est-elle bien ou mal posée ? Le sort de Bouteflika est-il dialectiquement lié à celui du système en place ?
Il faut se souvenir que sa cooptation par les décideurs, en 1999, ne faisait déjà pas l’unanimité. J’étais parmi ceux qui la contestaient en soutenant une autre candidature. Néanmoins, de larges couches de la population s’y étaient ralliées. Subjuguées par la rhétorique, les ambitions et les promesses. L’énergique accroissement du prix du pétrole dans les années qui suivirent a contribué à la valider, avec une mise en œuvre boulimique de projets publics. Avec le temps, beaucoup de gens se sont ravisés. Les résultats escomptés n’ont pas été au rendez-vous. Les affaires de corruption, la gabegie des finances publiques, l’incompétence des responsables, la multiplication des problèmes sociaux et l’usure du pouvoir ont amplifié la désaffection.
Aujourd’hui, il est soutenu essentiellement par ceux qui tirent des profits personnels de sa mandature ou qui redoutent, pour une raison ou une autre, son départ. Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je vous rappelle que le Président est le produit d’un système qui fonctionne selon des règles claniques. Imaginer qu’il peut entreprendre, comme il est dit ça et là par ses partisans, des initiatives antinomiques à la pérennisation du système est totalement exclu. C’est d’ailleurs le système lui-même qui est candidat puisque Bouteflika n’est que la partie apparente de celui qui aurait à diriger effectivement le pays après l’élection. Son identité n’est connue que par un groupe très limité au sein du système. C’est un véritable hold-up de la souveraineté populaire qui est programmé avec cette candidature.
-Des personnalités politiques en vue, à l’instar de l’ancien président Liamine Zeroual, ou des anciens chefs de gouvernement (Hamrouche ou Ghozali) sont intervenues dans le débat électoral. Quelle lecture politique en faites-vous ?
Au risque de schématiser à l’extrême les interventions des éminentes personnalités que vous citez, je dirais qu’elles présentent deux aspects. Le premier a trait au constat unanime qu’elles font de l’Etat et des sombres perspectives qui s’offrent au pays. Le niveau des responsabilités assumées leurs permettent de connaître les différents et d’estimer le rapport des forces à l’intérieur du cœur du système de pouvoir. Leur évaluation est, à mon avis, extrêmement précieuse. Elle nourrit une effrayante inquiétude quant à l’avenir. Pour le deuxième aspect, j’ai perçu, paradoxalement, une divergence fondamentale quant aux recommandations.
Le président Zeroual affiche une préférence pour la poursuite du processus électoral, et donc privilégie un arbitrage populaire pour solutionner les différends existant à l’intérieur du système et éviter les dérapages suicidaires qui pourraient surgir. Il témoigne d’une confiance en le citoyen. Par contre, pour Mouloud Hamrouche et Sid Ahmed Ghozali, l’élection est insignifiante et quasiment déjà pliée. Le premier propose clairement au système de s’autodétruire en indiquant le moyen d’y parvenir ; quant au second, il se situe dans le cadre d’une négociation entre un pouvoir régénéré et des forces sur le terrain impuissantes. Sincèrement, je ne vois pas le président fraîchement reconduit se prévalant d’une nouvelle onction populaire, se rallier à l’une ou à l’autre de ces deux propositions. Les deux personnalités paraissent, objectivement, envisager une prolongation de la durée de vie du système de pouvoir.
Des voix se sont élevées, dont celle de l’ancien général à la retraite Mohamed Tahar Yala, appelant à l’interruption du processus électoral pour barrer la route à l’aventurisme politique du 4e mandat de Bouteflika et sortir de l’impasse politique dans laquelle le pays se trouve.
Il faut rendre l’interruption du processus électoral inopérante. Il faut empêcher la poursuite de la politique de désarmement de la souveraineté populaire, de désertification économique du pays, de délitement du système éducatif et d’approfondissement de la fracture sociale et territoriale. Le 4e mandat sollicité ne relève pas de l’aventurisme politique, il procède d’un choix de société rejeté intuitivement par une majorité de la population. Il a des partisans.
La société est victime d’une dépolitisation menée depuis longtemps par le système. Une série de lois, de règlements, de manipulations et d’agissements ont étouffé les prises de conscience et la contestation globale. La conséquence est stupéfiante puisque même des leaders politiques, en dehors du pouvoir, doutent des aptitudes et des capacités de la société à s’organiser et à se défendre. C’est «la» et «le» politique qui ont été bannis de l’espace national. Au métier noble s’est substitué la magouille, la corruption et autres maux innommables. Le résultat est qu’à un mouvement conscient, organisé et structuré se substituent des jacqueries et des émeutes récurrentes, parfois destructrices de biens publics et privés. Je pense que nous n’avons pas encore compris la gravité que le vivre-ensemble devient de plus en plus, dans des parties du territoire de plus en plus nombreuses, impossible. Le pays s’émiette progressivement. Il se désarticule lentement. En silence.
El Watan le 10.04.14 | 10h00
| © Lyès. H.
Maâmar Benguerba, ancien ministre des Affaires sociales et du Travail.
Dans cet entretien, Maâmar Benguerba, ancien député et ancien ministre des Affaires sociales et du Travail du gouvernement de Ahmed Benbitour, s’exprime sur le contexte politique dans lequel se tient l’élection du 17 avril. Pour ce fin observateur de la vie nationale, qui a prévu bien avant tout le monde les soubresauts qui agitent les régions du sud du pays du fait de leur marginalisation par les politiques publiques de développement, la candidature de Bouteflika n’est que la partie apparente de l’iceberg. «C’est le système qui est candidat», affirme-t-il.
-La candidature de Bouteflika pour un 4e mandat divise la classe politique et l’opinion publique. Selon vous, l’équation politique est-elle bien ou mal posée ? Le sort de Bouteflika est-il dialectiquement lié à celui du système en place ?
Il faut se souvenir que sa cooptation par les décideurs, en 1999, ne faisait déjà pas l’unanimité. J’étais parmi ceux qui la contestaient en soutenant une autre candidature. Néanmoins, de larges couches de la population s’y étaient ralliées. Subjuguées par la rhétorique, les ambitions et les promesses. L’énergique accroissement du prix du pétrole dans les années qui suivirent a contribué à la valider, avec une mise en œuvre boulimique de projets publics. Avec le temps, beaucoup de gens se sont ravisés. Les résultats escomptés n’ont pas été au rendez-vous. Les affaires de corruption, la gabegie des finances publiques, l’incompétence des responsables, la multiplication des problèmes sociaux et l’usure du pouvoir ont amplifié la désaffection.
Aujourd’hui, il est soutenu essentiellement par ceux qui tirent des profits personnels de sa mandature ou qui redoutent, pour une raison ou une autre, son départ. Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, je vous rappelle que le Président est le produit d’un système qui fonctionne selon des règles claniques. Imaginer qu’il peut entreprendre, comme il est dit ça et là par ses partisans, des initiatives antinomiques à la pérennisation du système est totalement exclu. C’est d’ailleurs le système lui-même qui est candidat puisque Bouteflika n’est que la partie apparente de celui qui aurait à diriger effectivement le pays après l’élection. Son identité n’est connue que par un groupe très limité au sein du système. C’est un véritable hold-up de la souveraineté populaire qui est programmé avec cette candidature.
-Des personnalités politiques en vue, à l’instar de l’ancien président Liamine Zeroual, ou des anciens chefs de gouvernement (Hamrouche ou Ghozali) sont intervenues dans le débat électoral. Quelle lecture politique en faites-vous ?
Au risque de schématiser à l’extrême les interventions des éminentes personnalités que vous citez, je dirais qu’elles présentent deux aspects. Le premier a trait au constat unanime qu’elles font de l’Etat et des sombres perspectives qui s’offrent au pays. Le niveau des responsabilités assumées leurs permettent de connaître les différents et d’estimer le rapport des forces à l’intérieur du cœur du système de pouvoir. Leur évaluation est, à mon avis, extrêmement précieuse. Elle nourrit une effrayante inquiétude quant à l’avenir. Pour le deuxième aspect, j’ai perçu, paradoxalement, une divergence fondamentale quant aux recommandations.
Le président Zeroual affiche une préférence pour la poursuite du processus électoral, et donc privilégie un arbitrage populaire pour solutionner les différends existant à l’intérieur du système et éviter les dérapages suicidaires qui pourraient surgir. Il témoigne d’une confiance en le citoyen. Par contre, pour Mouloud Hamrouche et Sid Ahmed Ghozali, l’élection est insignifiante et quasiment déjà pliée. Le premier propose clairement au système de s’autodétruire en indiquant le moyen d’y parvenir ; quant au second, il se situe dans le cadre d’une négociation entre un pouvoir régénéré et des forces sur le terrain impuissantes. Sincèrement, je ne vois pas le président fraîchement reconduit se prévalant d’une nouvelle onction populaire, se rallier à l’une ou à l’autre de ces deux propositions. Les deux personnalités paraissent, objectivement, envisager une prolongation de la durée de vie du système de pouvoir.
Des voix se sont élevées, dont celle de l’ancien général à la retraite Mohamed Tahar Yala, appelant à l’interruption du processus électoral pour barrer la route à l’aventurisme politique du 4e mandat de Bouteflika et sortir de l’impasse politique dans laquelle le pays se trouve.
Il faut rendre l’interruption du processus électoral inopérante. Il faut empêcher la poursuite de la politique de désarmement de la souveraineté populaire, de désertification économique du pays, de délitement du système éducatif et d’approfondissement de la fracture sociale et territoriale. Le 4e mandat sollicité ne relève pas de l’aventurisme politique, il procède d’un choix de société rejeté intuitivement par une majorité de la population. Il a des partisans.
La société est victime d’une dépolitisation menée depuis longtemps par le système. Une série de lois, de règlements, de manipulations et d’agissements ont étouffé les prises de conscience et la contestation globale. La conséquence est stupéfiante puisque même des leaders politiques, en dehors du pouvoir, doutent des aptitudes et des capacités de la société à s’organiser et à se défendre. C’est «la» et «le» politique qui ont été bannis de l’espace national. Au métier noble s’est substitué la magouille, la corruption et autres maux innommables. Le résultat est qu’à un mouvement conscient, organisé et structuré se substituent des jacqueries et des émeutes récurrentes, parfois destructrices de biens publics et privés. Je pense que nous n’avons pas encore compris la gravité que le vivre-ensemble devient de plus en plus, dans des parties du territoire de plus en plus nombreuses, impossible. Le pays s’émiette progressivement. Il se désarticule lentement. En silence.
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