Nasreddine Lezzar. Avocat spécialiste du droit international
L’avocat aborde la réglementation internationale en matière de sécurité aérienne et affirme que, dans le cas où le crash est dû à un acte terroriste, la France «conservera dans les archives de ses services, sous un nom de code, des informations hautement sécuritaires» et dans le cas où il est accidentel, «elle déterminera les responsabilités et décidera des dommages et intérêts».
- Qui, selon vous, a les prérogatives de mener l’enquête technique et pénale sur le crash ?
La détermination de l’Etat compétent pour prendre en charge le dossier du crash de l’avion affrété par Air Algérie est variable selon que l’on se trouve devant un acte de malveillance ou un simple accident. En cas de malveillance, plusieurs Etats peuvent être interpellés ; la Convention de Montréal ne se limite pas à accorder une prérogative, mais fait obligation à tout Etat contractant de prendre les mesures nécessaires pour établir sa compétence.
En cas d’accident sans malveillance (défaillance technique ou humaine), seul le Mali est habilité à prendre en charge le dossier. Or, il faut attendre les résultats de l’enquête, que la France a accaparée, pour déterminer les conventions internationales applicables et donc savoir si on doit retenir les compétences de substitution à la compétence territoriale ou les écarter.
En fait, il appartiendra à la France de décider en fonction des résultats de l’enquête, qu’elle révélera ou qu’elle ne révélera pas. Pourquoi et comment, en dépit de la clarté du droit international, la France s’est-elle approprié ou a plutôt squatté le terrain, l’initiative, l’enquête préliminaire et les poursuites judiciaires relatives au crash de l’avion d’Air Algérie ? Pourquoi le crash de cet avion au Mali est-il devenu une affaire française ?
Le Mali a-t-il délégué sa compétence à la France juste parce qu’il ne dispose pas de moyens techniques ? L’argument est indignant. Aucun Etat ne délègue sa souveraineté. On supplée à la faiblesse technologique par la coopération technique et non par une concession de souveraineté. Pour de multiples raisons, l’Algérie est la mieux placée pour prendre en charge cette coopération. Malheureusement, notre pays a préféré s’éclipser et se cloisonner dans une stature de comparse.
- Voulez-vous dire que la France agit en dehors de la réglementation internationale ?
Bien avant les conclusions de l’enquête, la France a mis en œuvre son droit interne et a ouvert une procédure pénale devant ses tribunaux. En récupérant les boîtes noires par une sorte d’acte de piraterie internationale, la France s’approprie et l’enquête technique et la procédure judiciaire. Pourtant, en vertu de la réglementation internationale, elle est expressément exclue des compétences possibles. S’il s’agit d’un acte terroriste, la France conservera, sous un nom de code, dans ses archives et le secret de ses services, des informations hautement sécuritaires. Dans cet ordre d’idées, elle fait main basse sur la sécurité de l’Algérie.
S’il s’agit d’un simple accident, la France déterminera les responsabilités et décidera des dommages et intérêts. Il ressort des déclarations recueillies ici et là que le Mali lui a délégué cette prérogative. Or, aucun pays ne délègue sa souveraineté ; il peut recourir à la coopération technique, mais pas à une concession de souveraineté. Sommes-nous dans une logique de néocolonialisme ?
- Que dit la réglementation internationale en matière de crash ?
Avant d’aborder le droit international aérien, il faut faire la distinction entre la sûreté aérienne et la sécurité aérienne. Même si elles se confondent, ces deux notions orientent les spécialistes vers des cadres juridiques différents. Ainsi, la sûreté de l’aviation vise à prévenir les actes de malveillance visant les aéronefs, leurs passagers et les membres d’équipage. Après les attentats de 2001, l’Union européenne, notamment, a adopté une série de règles destinées à préserver la sûreté de l’aviation civile. Ces règles sont régulièrement mises à jour en fonction de l’évolution des risques.
Les Etats membres conservent le droit d’appliquer des mesures plus strictes. La sécurité aérienne est, quant à elle, liée à la conception, la construction, la maintenance et l’exploitation des aéronefs. Ainsi, selon que l’origine du crash se trouve dans un acte de malveillance ou dans la conception, la maintenance ou l’exploitation de l’avion, le cadre juridique de référence se déplace et se transforme de façon radicale. Si le crash est l’œuvre d’un acte terroriste, il faudra consulter les conventions concernant les infractions commises dans l’espace aérien. Si l’accident est dû à des défaillances de l’appareil, il faudra se référer aux conventions de sécurité. Trois conventions internationales concernent les infractions commises dans l’espace aérien : celle de Tokyo de 1963, celle de La Haye de 1970 et, enfin, celle de Montréal de 1971.
Celles-ci stipulent que l’Etat dans lequel l’avion a été immatriculé est compétent pour juger les infractions commises à bord et organise un régime répressif des actes de capture et de piratage de l’aviation civile. Les trois conventions qui se sont succédé à travers l’histoire s’accordent sur l’essentiel de la question de l’Etat dévolutaire de la compétence. La dernière en date prévoit la compétence à l’Etat du lieu de l’infraction, à celui de l’immatriculation, à celui de l’atterrissage ou à celui du siège de l’exploitant.
Pour ce qui est de la sécurité aérienne, il faut revenir à la Convention de Chicago qui commence par rappeler, préciser et consacrer, dans son article 1er, le sacro-saint principe qui fonde le droit international, à savoir la souveraineté territoriale des Etats, et considère – sur le plan de la souveraineté – l’espace aérien comme une portion intégrante du territoire terrestre de chaque Etat y exerçant la souveraineté complète et exclusive.
Dans son article 26, cette convention octroie la compétence à «l’Etat dans lequel l’accident s’est produit» (le Mali) qui «ouvrira une enquête sur les circonstances de l’accident, en se conformant, dans la mesure où ses lois le permettent, à la procédure qui pourra être recommandée par l’Organisation de l’aviation civile internationale». L’Etat dans lequel l’aéronef est immatriculé aura «la possibilité de nommer des observateurs pour assister à l’enquête et l’Etat procédant à l’enquête lui communique le rapport et les constatations en la matière». Il est clair qu’en vertu de cet article, l’enquête sur l’accident doit être une affaire malienne. L’Espagne, pays d‘immatriculation, a le droit de nommer des observateurs.
L’article 27 enlève toute ambiguïté et tout risque de revendication indue de compétence en ajoutant : «Quel que soit l’Etat dans lequel est immatriculé l’avion, est situé le siège de la compagnie aérienne ou du constructeur, a été conçu et/ou construit l’aéronef ou dont les passagers, membres d’équipage et toutes autres victimes sont ressortissants, l’enquête technique est de la compétence de l’Etat sur le territoire duquel ou dans l’espace aérien duquel est survenu l’accident aérien, appelé ‘Etat d’occurrence’». Ce qui veut dire que l’enquête technique est du ressort exclusif du Mali, et l’Espagne ne peut qu’envoyer des observateurs. A la différence de la Convention de Montréal applicable en cas de malveillance, la Convention de Chicago applicable en cas d’accident (sans malveillance) n’a prévu aucune compétence de substitution.
L’avocat aborde la réglementation internationale en matière de sécurité aérienne et affirme que, dans le cas où le crash est dû à un acte terroriste, la France «conservera dans les archives de ses services, sous un nom de code, des informations hautement sécuritaires» et dans le cas où il est accidentel, «elle déterminera les responsabilités et décidera des dommages et intérêts».
- Qui, selon vous, a les prérogatives de mener l’enquête technique et pénale sur le crash ?
La détermination de l’Etat compétent pour prendre en charge le dossier du crash de l’avion affrété par Air Algérie est variable selon que l’on se trouve devant un acte de malveillance ou un simple accident. En cas de malveillance, plusieurs Etats peuvent être interpellés ; la Convention de Montréal ne se limite pas à accorder une prérogative, mais fait obligation à tout Etat contractant de prendre les mesures nécessaires pour établir sa compétence.
En cas d’accident sans malveillance (défaillance technique ou humaine), seul le Mali est habilité à prendre en charge le dossier. Or, il faut attendre les résultats de l’enquête, que la France a accaparée, pour déterminer les conventions internationales applicables et donc savoir si on doit retenir les compétences de substitution à la compétence territoriale ou les écarter.
En fait, il appartiendra à la France de décider en fonction des résultats de l’enquête, qu’elle révélera ou qu’elle ne révélera pas. Pourquoi et comment, en dépit de la clarté du droit international, la France s’est-elle approprié ou a plutôt squatté le terrain, l’initiative, l’enquête préliminaire et les poursuites judiciaires relatives au crash de l’avion d’Air Algérie ? Pourquoi le crash de cet avion au Mali est-il devenu une affaire française ?
Le Mali a-t-il délégué sa compétence à la France juste parce qu’il ne dispose pas de moyens techniques ? L’argument est indignant. Aucun Etat ne délègue sa souveraineté. On supplée à la faiblesse technologique par la coopération technique et non par une concession de souveraineté. Pour de multiples raisons, l’Algérie est la mieux placée pour prendre en charge cette coopération. Malheureusement, notre pays a préféré s’éclipser et se cloisonner dans une stature de comparse.
- Voulez-vous dire que la France agit en dehors de la réglementation internationale ?
Bien avant les conclusions de l’enquête, la France a mis en œuvre son droit interne et a ouvert une procédure pénale devant ses tribunaux. En récupérant les boîtes noires par une sorte d’acte de piraterie internationale, la France s’approprie et l’enquête technique et la procédure judiciaire. Pourtant, en vertu de la réglementation internationale, elle est expressément exclue des compétences possibles. S’il s’agit d’un acte terroriste, la France conservera, sous un nom de code, dans ses archives et le secret de ses services, des informations hautement sécuritaires. Dans cet ordre d’idées, elle fait main basse sur la sécurité de l’Algérie.
S’il s’agit d’un simple accident, la France déterminera les responsabilités et décidera des dommages et intérêts. Il ressort des déclarations recueillies ici et là que le Mali lui a délégué cette prérogative. Or, aucun pays ne délègue sa souveraineté ; il peut recourir à la coopération technique, mais pas à une concession de souveraineté. Sommes-nous dans une logique de néocolonialisme ?
- Que dit la réglementation internationale en matière de crash ?
Avant d’aborder le droit international aérien, il faut faire la distinction entre la sûreté aérienne et la sécurité aérienne. Même si elles se confondent, ces deux notions orientent les spécialistes vers des cadres juridiques différents. Ainsi, la sûreté de l’aviation vise à prévenir les actes de malveillance visant les aéronefs, leurs passagers et les membres d’équipage. Après les attentats de 2001, l’Union européenne, notamment, a adopté une série de règles destinées à préserver la sûreté de l’aviation civile. Ces règles sont régulièrement mises à jour en fonction de l’évolution des risques.
Les Etats membres conservent le droit d’appliquer des mesures plus strictes. La sécurité aérienne est, quant à elle, liée à la conception, la construction, la maintenance et l’exploitation des aéronefs. Ainsi, selon que l’origine du crash se trouve dans un acte de malveillance ou dans la conception, la maintenance ou l’exploitation de l’avion, le cadre juridique de référence se déplace et se transforme de façon radicale. Si le crash est l’œuvre d’un acte terroriste, il faudra consulter les conventions concernant les infractions commises dans l’espace aérien. Si l’accident est dû à des défaillances de l’appareil, il faudra se référer aux conventions de sécurité. Trois conventions internationales concernent les infractions commises dans l’espace aérien : celle de Tokyo de 1963, celle de La Haye de 1970 et, enfin, celle de Montréal de 1971.
Celles-ci stipulent que l’Etat dans lequel l’avion a été immatriculé est compétent pour juger les infractions commises à bord et organise un régime répressif des actes de capture et de piratage de l’aviation civile. Les trois conventions qui se sont succédé à travers l’histoire s’accordent sur l’essentiel de la question de l’Etat dévolutaire de la compétence. La dernière en date prévoit la compétence à l’Etat du lieu de l’infraction, à celui de l’immatriculation, à celui de l’atterrissage ou à celui du siège de l’exploitant.
Pour ce qui est de la sécurité aérienne, il faut revenir à la Convention de Chicago qui commence par rappeler, préciser et consacrer, dans son article 1er, le sacro-saint principe qui fonde le droit international, à savoir la souveraineté territoriale des Etats, et considère – sur le plan de la souveraineté – l’espace aérien comme une portion intégrante du territoire terrestre de chaque Etat y exerçant la souveraineté complète et exclusive.
Dans son article 26, cette convention octroie la compétence à «l’Etat dans lequel l’accident s’est produit» (le Mali) qui «ouvrira une enquête sur les circonstances de l’accident, en se conformant, dans la mesure où ses lois le permettent, à la procédure qui pourra être recommandée par l’Organisation de l’aviation civile internationale». L’Etat dans lequel l’aéronef est immatriculé aura «la possibilité de nommer des observateurs pour assister à l’enquête et l’Etat procédant à l’enquête lui communique le rapport et les constatations en la matière». Il est clair qu’en vertu de cet article, l’enquête sur l’accident doit être une affaire malienne. L’Espagne, pays d‘immatriculation, a le droit de nommer des observateurs.
L’article 27 enlève toute ambiguïté et tout risque de revendication indue de compétence en ajoutant : «Quel que soit l’Etat dans lequel est immatriculé l’avion, est situé le siège de la compagnie aérienne ou du constructeur, a été conçu et/ou construit l’aéronef ou dont les passagers, membres d’équipage et toutes autres victimes sont ressortissants, l’enquête technique est de la compétence de l’Etat sur le territoire duquel ou dans l’espace aérien duquel est survenu l’accident aérien, appelé ‘Etat d’occurrence’». Ce qui veut dire que l’enquête technique est du ressort exclusif du Mali, et l’Espagne ne peut qu’envoyer des observateurs. A la différence de la Convention de Montréal applicable en cas de malveillance, la Convention de Chicago applicable en cas d’accident (sans malveillance) n’a prévu aucune compétence de substitution.
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