
Pour une surprise, c’en est véritablement une : le limogeage inattendu et brutal d’Abdelaziz Belkhadem mardi, peu avant la tenue du conseil des ministres, ne manquera certainement pas d’alimenter la chronique politique pendant plusieurs jours.
Comment se fait-il en effet que le président de la république décide, au moment où on l’attendait le moins, de se séparer d’un de ses plus fidèles lieutenants et protégés d’une façon pour le moins peu cavalière ? A bien examiner la teneur de l’information diffusée par l’APS, on est fondés à croire que le président est en colère contre son ex-conseiller. «Le président Bouteflika a pris un décret en vertu duquel il a mis fin aux fonctions de M. Abdelaziz Belkhadem en qualité de ministre d'Etat, conseiller spécial à la présidence de la République, ainsi qu'à toutes ses activités en relation avec l'ensemble des structures de l'Etat », a indiqué une source relevant de la présidence de la République qui précise que «contact a été pris avec M. le secrétaire général du Parti du Front de libération nationale (FLN) à l'effet de prendre les mesures nécessaires afin de mettre fin aux fonctions de M. Abdelaziz Belkhadem au sein du parti et interdire sa participation aux activités de l'ensemble de ses structures».
Et le fait de médiatiser ce limogeage participe, selon toute vraisemblance, de cette volonté d’humilier l’ancien SG du FLN. Car, non seulement Belkadem n’aura plus de chances d’accéder à un poste de responsabilité dans les structures de l’Etat, mais sera exclu du FLN. A voir le soulagement exprimé par certains responsables du comité central et connaissant le mode de fonctionnement de l’ex-parti unique, on peut dire sans risque de se tromper que l’exclusion de Belkhadem est déjà effective. Mais que bien dissimuler cette éviction d’un homme que Bouteflika a pourtant longtemps couvé et propulsé dans des postes stratégiques, notamment à la tête de la diplomatie au début des années 2000, en dépit de critiques alors de l’opposition, et à la chefferie du gouvernement ?
Bouteflika n’a-t-il pas apprécié la présence de Belkhadem à l’université d’été du front du changement (FC) d’Abdelmadjid Menasra à Boumerdes où étaient présents des opposants notoires à Bouteflika, comme son ex concurrent à la présidentielle, aujourd’hui à la tête du pôle des forces du changement, Ali Benflis ou encore l’ex chef de gouvernement Sid Ahmed Ghozali ? Y-a-t-il eu des divergences entre les deux hommes autour de certains dossiers, comme l’avant-projet de révision de la Constitution ? Est-elle liée au refus de Belkhadem de cautionner la participation de l’Algérie aux festivités du 14 juillet, comme le lui prête la presse ? Ou alors Belkhadem est-il coupable d’avoir tenu des propos qui n’auraient pas agréé le président, comme le laisse entendre Saddek Bouguetaya, membre du comité central ?
Pour de nombreux observateurs, la décision de Bouteflika de se séparer de celui qui longtemps le défendait contre vents et marées est lié à ses ambitions présidentielles. Bouteflika n’aurait pas apprécié les manœuvres en coulisses auxquelles se livre Belkhadem depuis plusieurs mois pour récupérer l’appareil du FLN pour servir ses ambitions. A cela s’ajoute son activisme en direction du milieu des affaires, dont certains sont arrivés au parlement et au FLN grâce à lui, et en direction des islamistes avec lesquels il est en bon termes depuis les années 90. Belkhadem dispose aussi de relais à l’extérieur grâce à un réseau tissé du temps où il était aux affaires. En décidant de le mettre hors circuit, Bouteflika élimine un de ses potentiels successeurs qui n’a jamais dissimulé ses ambitions. Et si la décision est intervenue aujourd’hui, c’est que le contexte politique, à la veille d’une rentrée sociale qui sera marquée par la révision constitutionnelle, le congrès du FLN, prévu au printemps prochain, est propice aux grandes manœuvres.
Pour ceux qui connaissent le président, l’homme n’aime pas ceux qui lui fassent un enfant dans le dos. Déjà du temps où il était hospitalisé à Paris, on raconte qu’il était entré dans une colère noire lorsqu’il avait entendu que certains évoquaient déjà la perspective de sa succession. Même diminué, le président entend peser de tout son poids dans le passage de témoin. Et la désignation d’Amar Saidani à la tête du FLN et les restructurations opérées dans certaines institutions participaient dans ce projet. Belkhadem paye ainsi pour avoir probablement manigancé et pour avoir trop montré ses crocs. Ce qui explique la violence du texte rendu public par l’agence de presse nationale.
Sofiane Tiksi
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