Par Djamel Labidi
Quotidien d'Oran
Il existe en Algérie une façon de penser qui fonctionne à coup de clichés, d'affirmations arbitraires, d'idées reçues: « l'Algérie est un pays riche», «elle vit de la rente pétrolière», «elle ne produit rien», «la rente sert à acheter la paix sociale», etc.
Cette pensée se caractérise par le conformisme et risque d'empêcher ou même d'assécher toute réflexion originale ou audacieuse sur nos réalités. Des experts, économistes, sociologues, politologues, s'évertuent parfois à lui donner une apparence de rationalité et de scientificité. Cette idéologie n'est pas nouvelle. Elle existe en fait, depuis les premières années de l'indépendance, peut-être surtout à partir des années 70, après la nationalisation des hydrocarbures. Coïncidence? C'est ce qu'on va voir.
Commençons par le cliché des clichés: "l'Algérie est un pays riche". Faux. Sur le plan de la richesse matérielle, l'Algérie est à la 90eme place sur 182 pays, avec un PIB (Produit Intérieur Brut) par habitant de 5297 $ en 2011, et de 5606 $ en 2013 (source FMI). A la même date , le Liban (10,477 $/ha) et la Turquie (10721 $/ha) avaient prés de deux fois la richesse par habitant de l'Algérie, un pays comme la Grèce avait un PIB/ha près de 4 fois supérieur (21857 $/ha) à celui de l'Algérie, Chypre plus de 4 fois supérieur aussi (24867 $/an), l'Espagne (29150 $/an) plus de cinq fois, le Chili ( 15776 $/an) prés de trois fois. Qu'est ce qu'un pays riche? S'agit-il des 20 pays communément appelés les plus riches, du premier du classement, le Qatar, avec 189 950 $ de PIB/ha en 2013, à la France, 20eme avec 42 991 $/ ha (source FMI). Ceux qui utilisent le terme ne prennent pas le soin de le définir. A l'affirmation "l'Algérie est un pays riche", va parfois être ajoutée une autre "avec un peuple pauvre", sans qu'on précise ce qu'est un peuple pauvre. L'économie cède la place à la politique, voire au slogan. Les faits indiquent pourtant le contraire. Le niveau de vie moyen des algériens s'est élevé. C'est particulièrement visible notamment concernant les classes moyennes avec un modèle de consommation qui a changé (voiture, loisirs, tourisme etc..). Il serait bien plus intéressant d'étudier de quelle manière cette augmentation du niveau de vie s'est opérée et la nature des différenciations sociales qui se sont développées.
La «littérature rentiériste»
Autre cliché: "l'Etat rentier". Un nombre incal-culable de textes, d'articles, de discours a utilisé en Algérie cette formule sous ses différentes variantes, "rente pétrolière", les "revenus de la rente", "les comportements rentiers" etc. sans se questionner là aussi sur sa validité. A tel point qu'elle est devenue un lieu commun, un postulat, dans une atmosphère de démission critique étonnante.
Qu'est ce qu'un "Etat rentier" ? L'est-il parce qu'il prélève une taxe pétrolière, c'est-à-dire des impôts sur le pétrole. A ce titre, tout Etat serait "rentier" du moment qu'il lève l'impôt. On remarquera d'ailleurs de suite que cette expression n'est pas utilisée à propos des grandes sociétés pétrolières occidentales. Mais voyons d'abord la validité de l'expression "rente" appliquée à l'Etat.
Du point de vue de la théorie économique, la rente est liée à de multiples définitions et situations mais elle est toujours liée à un profit et au revenu qu'il génère: profit supplémentaire (surprofit) acquis à l'abri de la concurrence dans des conditions par exemple de monopole ou de supériorité technologique, rente de la terre, rente financière à travers les intérêts provenant d'un emprunt. Pour la science économique, la rente est une rémunération du capital sous différentes formes. Elle n'introduit pas de notion morale ou moralisante à ce sujet.
Mais le terme va être détournée et réduit à un seul sens, celui commun d'une personne qui vit sans rien faire, une personne fainéante. Et cela appliqué à tout un Etat, et puis de proche en proche à tout un pays et à toute une société. On va parler de l'Etat comme d'un individu et donner à chacun, à travers une analyse simple, le sentiment de comprendre le fond de la situation algérienne, le secret de tous nos problèmes: "Nous ne travaillons pas, nous vivons du pétrole".
Cette théorie de la rente, relayée en Algérie, répétée, assenée à longueur d'analyse et de déclaration va dresser le tableau d'un pays qui vit et survit uniquement grâce aux ressources en hydrocarbures. La théorie de la rente pétrolière s'accompagne de désinformation. On va jouer auprès de l'opinion sur la confusion entre la part de la valeur des hydrocarbures dans les exportations de l'Algérie (98%) et celle dans la production nationale, ce qui est évidemment tout autre chose. Le produit des hydrocarbures représente 30 % environ du PIB de l'Algérie et donc 70% du PIB sont le produit du travail des Algériens, si tant est que le revenu tiré des hydrocarbures ne le soit pas.
Ce qui n'est évidemment pas le cas. Des dizaines de milliers d'Algériens travaillent, très souvent durement, dans le secteur des hydrocarbures et produisent cette richesse. Ce secteur nécessite des investissements considérables. Ce sont les cadres algériens, par leur valeur, par l'expérience acquise, après la nationalisation des hydrocarbures, qui ont joué un rôle essentiel dans le développement de ce secteur aussi dans d'autres pays arabes, comme, entre autres, les pays du Golfe. La production pétrolière n'a rien d'une rente.
Quotidien d'Oran
Il existe en Algérie une façon de penser qui fonctionne à coup de clichés, d'affirmations arbitraires, d'idées reçues: « l'Algérie est un pays riche», «elle vit de la rente pétrolière», «elle ne produit rien», «la rente sert à acheter la paix sociale», etc.
Cette pensée se caractérise par le conformisme et risque d'empêcher ou même d'assécher toute réflexion originale ou audacieuse sur nos réalités. Des experts, économistes, sociologues, politologues, s'évertuent parfois à lui donner une apparence de rationalité et de scientificité. Cette idéologie n'est pas nouvelle. Elle existe en fait, depuis les premières années de l'indépendance, peut-être surtout à partir des années 70, après la nationalisation des hydrocarbures. Coïncidence? C'est ce qu'on va voir.
Commençons par le cliché des clichés: "l'Algérie est un pays riche". Faux. Sur le plan de la richesse matérielle, l'Algérie est à la 90eme place sur 182 pays, avec un PIB (Produit Intérieur Brut) par habitant de 5297 $ en 2011, et de 5606 $ en 2013 (source FMI). A la même date , le Liban (10,477 $/ha) et la Turquie (10721 $/ha) avaient prés de deux fois la richesse par habitant de l'Algérie, un pays comme la Grèce avait un PIB/ha près de 4 fois supérieur (21857 $/ha) à celui de l'Algérie, Chypre plus de 4 fois supérieur aussi (24867 $/an), l'Espagne (29150 $/an) plus de cinq fois, le Chili ( 15776 $/an) prés de trois fois. Qu'est ce qu'un pays riche? S'agit-il des 20 pays communément appelés les plus riches, du premier du classement, le Qatar, avec 189 950 $ de PIB/ha en 2013, à la France, 20eme avec 42 991 $/ ha (source FMI). Ceux qui utilisent le terme ne prennent pas le soin de le définir. A l'affirmation "l'Algérie est un pays riche", va parfois être ajoutée une autre "avec un peuple pauvre", sans qu'on précise ce qu'est un peuple pauvre. L'économie cède la place à la politique, voire au slogan. Les faits indiquent pourtant le contraire. Le niveau de vie moyen des algériens s'est élevé. C'est particulièrement visible notamment concernant les classes moyennes avec un modèle de consommation qui a changé (voiture, loisirs, tourisme etc..). Il serait bien plus intéressant d'étudier de quelle manière cette augmentation du niveau de vie s'est opérée et la nature des différenciations sociales qui se sont développées.
La «littérature rentiériste»
Autre cliché: "l'Etat rentier". Un nombre incal-culable de textes, d'articles, de discours a utilisé en Algérie cette formule sous ses différentes variantes, "rente pétrolière", les "revenus de la rente", "les comportements rentiers" etc. sans se questionner là aussi sur sa validité. A tel point qu'elle est devenue un lieu commun, un postulat, dans une atmosphère de démission critique étonnante.
Qu'est ce qu'un "Etat rentier" ? L'est-il parce qu'il prélève une taxe pétrolière, c'est-à-dire des impôts sur le pétrole. A ce titre, tout Etat serait "rentier" du moment qu'il lève l'impôt. On remarquera d'ailleurs de suite que cette expression n'est pas utilisée à propos des grandes sociétés pétrolières occidentales. Mais voyons d'abord la validité de l'expression "rente" appliquée à l'Etat.
Du point de vue de la théorie économique, la rente est liée à de multiples définitions et situations mais elle est toujours liée à un profit et au revenu qu'il génère: profit supplémentaire (surprofit) acquis à l'abri de la concurrence dans des conditions par exemple de monopole ou de supériorité technologique, rente de la terre, rente financière à travers les intérêts provenant d'un emprunt. Pour la science économique, la rente est une rémunération du capital sous différentes formes. Elle n'introduit pas de notion morale ou moralisante à ce sujet.
Mais le terme va être détournée et réduit à un seul sens, celui commun d'une personne qui vit sans rien faire, une personne fainéante. Et cela appliqué à tout un Etat, et puis de proche en proche à tout un pays et à toute une société. On va parler de l'Etat comme d'un individu et donner à chacun, à travers une analyse simple, le sentiment de comprendre le fond de la situation algérienne, le secret de tous nos problèmes: "Nous ne travaillons pas, nous vivons du pétrole".
Cette théorie de la rente, relayée en Algérie, répétée, assenée à longueur d'analyse et de déclaration va dresser le tableau d'un pays qui vit et survit uniquement grâce aux ressources en hydrocarbures. La théorie de la rente pétrolière s'accompagne de désinformation. On va jouer auprès de l'opinion sur la confusion entre la part de la valeur des hydrocarbures dans les exportations de l'Algérie (98%) et celle dans la production nationale, ce qui est évidemment tout autre chose. Le produit des hydrocarbures représente 30 % environ du PIB de l'Algérie et donc 70% du PIB sont le produit du travail des Algériens, si tant est que le revenu tiré des hydrocarbures ne le soit pas.
Ce qui n'est évidemment pas le cas. Des dizaines de milliers d'Algériens travaillent, très souvent durement, dans le secteur des hydrocarbures et produisent cette richesse. Ce secteur nécessite des investissements considérables. Ce sont les cadres algériens, par leur valeur, par l'expérience acquise, après la nationalisation des hydrocarbures, qui ont joué un rôle essentiel dans le développement de ce secteur aussi dans d'autres pays arabes, comme, entre autres, les pays du Golfe. La production pétrolière n'a rien d'une rente.
Commentaire