La ministre de l’Education nationale, Mme Nouria Benghebrit, revient sur le chantier de la réforme du système éducatif et regrette que le travail de réfl exion effectué ait buté et bute encore sur l’écueil de l’instabilité chronique dans le secteur. Elle relance à l’occasion son appel au dialogue tout en maintenant que certaines revendications portées par les syndicats ne relèvent pas de ses prérogatives.
- Cela fait neuf mois que vous êtes à la tête d’un secteur en pleine réforme et que vous avez connu de l’extérieur. Quel constat faites-vous, aujourd’hui, de la situation qu’il traverse ?
J’ai travaillé longtemps dans le secteur, mais là j’ai eu la possibilité d’entrer à l’intérieur du système. Il ne faut pas oublier que c’était la période des examens et que j’ai été prise dans le tourbillon de leur préparation, particulièrement le bac. Là j’ai eu la possibilité de regarder de l’intérieur. Honnêtement, je ne savais pas, en tant que chercheuse, que le baccalauréat mobilisait toute la société et son gouvernement. Une machine de guerre était à l’œuvre. Tout est programmé depuis le bunker où sont isolés pendant un mois les professeurs pour établir les sujets. Ils ne sortent pas, ils ne voient pas leurs enfants, ils sont coupés du monde.
Quand je vous dit bunker, c’est vraiment un bunker parce qu’il est quasiment impossible qu’il puisse y avoir des fuites. Cette face cachée de la préparation du bac m’a, à un moment donné, extrêmement émue. Le dernier jour de l’examen, une cinquantaine de personnes devaient sortir du bunker et j’ai tenu à être présente. J’ai vu des jeunes et des moins jeunes ; certains embrassaient leurs enfants qui leur avaient manqué...
Cette vision qui n’est pas sous les feux des médias montre ce qu’il y a au sous-sol. Pour arriver à cette opération banale de l’examen, il y a les avions, la défense qui transporte les sujets, les sujets qui sont stockés dans des coffres forts, qui sont gardés toute la nuit. Tout cela est méconnu de ceux qui sont à l’extérieur. J’étais face à une organisation qui impose le respect.
Lorsque vous lisez la presse qui évoque les problèmes, on met tout sur l’incurie, or j’ai une image complètement inverse. Je vois ce dévouement extraordinaire des professeurs, inspecteurs et directeurs qui sont impliqués dans la rédaction des sujets et la réflexion qu’ils ont à mener. Ils acceptent pendant neuf mois d’être en retrait. C’est le premier tableau qui était en face de moi (moment d’émotion).
- Voulez-vous dire qu’on est braqués sur des détails au détriment de l’essentiel ?
Je dirais au détriment des labeurs. Aujourd’hui, tout ce qui est mis en avant ce n’est jamais le travail, l’effort, l’engagement, la disponibilité. Ce qui est mis en avant, et peut-être y compris par ceux qui en parlent, parce qu’après on entre dans un cadre référentiel dans lequel il ne faut pas parler de ce qu’on fait mais que de ce qui ne va pas. Même nous, nous avons ce défaut.
Cela a été ma première constatation. La seconde, c’est quand je me suis mise à rencontrer les acteurs du secteur, tout de suite après la bourrasque du baccalauréat. On a pu travailler, en juillet-août. Je peux vous dire qu’après avoir rencontré toutes les directions et les structures externes du secteur, je me suis rendu compte des nombreux rapports, dossiers et études finalisés. J’ai été surprise que les cadres du secteur soient en mesure de faire une analyse, au détail près, du pan qu’ils avaient à gérer.
Et c’était d’une richesse extraordinaire. En fait, le secteur de l’éducation tel qu’on le voit de l’extérieur, ce n’est absolument pas cela. Il fallait donc mettre en valeur ces travaux et les rendre plus cohérents. Par exemple, lorsque l’on vous commande une étude sur la violence, il faut aussi faire en sorte qu’elle entre dans une stratégie de mise en application sur le terrain. Troisième surprise, l’accumulation en matière de données de réflexion et de travaux d’audit.
- Si l’on comprend bien, le secteur vivait en autarcie. Etait-il en décalage par rapport à ce qui se passait sur le terrain ?
Le problème résidait dans le type d’organisation adopté. Le ministère de l’Education nationale n’a aucune direction générale. Pour la pédagogie, il y a une direction de l’enseignement fondamental, une direction de l’enseignement secondaire, une direction de l’évaluation, une direction des infrastructures, de la coopération... Donc nous avons une foule de directions, une sorte d’émiettement du travail qui fait qu’à un moment donné, sans le vouloir, on a fini par construire des sous-territoires ; le mouvement de partage et d’échange était faible, parfois inexistant. La difficulté se situait dans la mise en synergie de l’ensemble des compétences.
- Pourtant, tous ces problèmes ont été pris en charge par la commission de réforme éducative, dont vous étiez membre. Pourquoi cette préoccupation n’a-t-elle pas été prise en compte ?
Cette réforme a été très bien pensée. Nous avions une lettre de mission qui faisait une analyse pertinente du système éducatif et qui a servi de feuille de route au travail de la commission. Moi qui ai fait partie de plusieurs groupes de recherche et d’institutions, je peux vous garantir que là où j’ai eu le plus grand confort et le plus grand plaisir à travailler, c’était dans cette commission. Il y a eu de l’intelligence dans le choix des personnes, des éléments qui avaient l’expérience du terrain, des chercheurs avérés qui ont écrit dans le domaine, des personnes qui, plutôt par leurs interrogations, nous poussaient à aller plus loin dans les réponses à apporter. Nous avons travaillé durant neuf mois d’arrache-pied.
La composante était des militants de la pensée. Les échanges d’une richesse… enfin, on parlait de pédagogie ! Nous n’étions pas dans les faux débats de l’école. Parce que l’école, jusqu’à la commission, chaque fois que vous abordiez un point de vue, il y avait une pensée accréditée qui ne permettait pas d’aller plus loin. Nous étions dans un conflit d’idées complètement destructif. Nous étions dans des rapports de certitude. Dans la commission, c’était tout à fait le contraire.
Malheureusement, ce que nous avons entendu et lu à travers les médias n’était pas à la hauteur de la qualité des débats que la commission a eu dans ses différents ateliers. Cela tournait toujours autour du même fonds de commerce lié à la place du français, alors que nous avions accordé plus de réflexion à l’amélioration de l’enseignement de la langue arabe. Le débat était autour de la réforme de l’école après ce que l’Algérie a vécu durant les années du terrorisme.
Quels doivent être les éléments qui pourraient constituer le ciment entre les Algériens ? C’est à partir de cette réforme que le concept d’algérianité a été produit et a trouvé sa place dans la loi d’orientation de 2008. Le deuxième point de cette réforme était de trouver ce dont nous avions besoin en matière de civisme sur lequel nous avions insisté, mais aussi sur l’amélioration de l’approche pédagogique et didactique des langues, particulièrement de la langue arabe.
Il fallait trouver la réponse au fait qu’au bout de 12 années de scolarité, nous nous retrouvons avec des élèves qui ne savent pas s’exprimer. Il y a eu une remise en question de la façon dont cet enseignement se faisait, du choix méthodologie opéré. Il faut dire que les travaux produits par des collègues, entre autres Khaoula Taleb El Ibrahimi et Cherifa Ghetas, ont énormément aidé à mieux comprendre la situation. Des propositions pertinentes ont été faites et nous nous sommes tous mis au service de la mise en œuvre de cette réforme.
- Pourquoi alors ce dysfonctionnement sur le terrain ?
Nous sentons ce dysfonctionnement parce qu’au début de la mise en œuvre de cette réforme, il manquait un accompagnement par le discours sur la réforme d’ordre pédagogique…
- Et d’ordre politique aussi…
Sur le plan politique, le Président a mis une commission et il y a eu des résultats. Mais dans la mise en œuvre, l’émiettement dont je parlais plus haut a commencé à apparaître. L’enseignement supérieur a pris sa réforme, l’éducation nationale a pris la sienne et la formation professionnelle aussi.
Pour réussir sur le terrain, cette réforme avait besoin d’un accompagnement par la parole, de savoir dans quel sens on voulait aller et d’une articulation entre l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur. Mais quand chaque secteur a pris sa portion de réforme, cette articulation nécessaire a manqué.
Si on avait eu, à l’époque, un conseil national de la réforme, on aurait pu dire avec quel profil de compétence nous sortons des enfants qui seront prêts à entrer avec le minimum exigé pour entamer des études réussies. Cela n’a pas été fait et nous-mêmes nous étions restés sur notre faim. Il faut aussi rappeler que de la mise en œuvre de cette réforme a démarré en 2006-2007-2008, avec les perturbations liées à l’ouverture sur la pluralité syndicale et l’apprentissage démocratique qui se sont fait, à mon sens, au détriment de l’école.
- Cela fait neuf mois que vous êtes à la tête d’un secteur en pleine réforme et que vous avez connu de l’extérieur. Quel constat faites-vous, aujourd’hui, de la situation qu’il traverse ?
J’ai travaillé longtemps dans le secteur, mais là j’ai eu la possibilité d’entrer à l’intérieur du système. Il ne faut pas oublier que c’était la période des examens et que j’ai été prise dans le tourbillon de leur préparation, particulièrement le bac. Là j’ai eu la possibilité de regarder de l’intérieur. Honnêtement, je ne savais pas, en tant que chercheuse, que le baccalauréat mobilisait toute la société et son gouvernement. Une machine de guerre était à l’œuvre. Tout est programmé depuis le bunker où sont isolés pendant un mois les professeurs pour établir les sujets. Ils ne sortent pas, ils ne voient pas leurs enfants, ils sont coupés du monde.
Quand je vous dit bunker, c’est vraiment un bunker parce qu’il est quasiment impossible qu’il puisse y avoir des fuites. Cette face cachée de la préparation du bac m’a, à un moment donné, extrêmement émue. Le dernier jour de l’examen, une cinquantaine de personnes devaient sortir du bunker et j’ai tenu à être présente. J’ai vu des jeunes et des moins jeunes ; certains embrassaient leurs enfants qui leur avaient manqué...
Cette vision qui n’est pas sous les feux des médias montre ce qu’il y a au sous-sol. Pour arriver à cette opération banale de l’examen, il y a les avions, la défense qui transporte les sujets, les sujets qui sont stockés dans des coffres forts, qui sont gardés toute la nuit. Tout cela est méconnu de ceux qui sont à l’extérieur. J’étais face à une organisation qui impose le respect.
Lorsque vous lisez la presse qui évoque les problèmes, on met tout sur l’incurie, or j’ai une image complètement inverse. Je vois ce dévouement extraordinaire des professeurs, inspecteurs et directeurs qui sont impliqués dans la rédaction des sujets et la réflexion qu’ils ont à mener. Ils acceptent pendant neuf mois d’être en retrait. C’est le premier tableau qui était en face de moi (moment d’émotion).
- Voulez-vous dire qu’on est braqués sur des détails au détriment de l’essentiel ?
Je dirais au détriment des labeurs. Aujourd’hui, tout ce qui est mis en avant ce n’est jamais le travail, l’effort, l’engagement, la disponibilité. Ce qui est mis en avant, et peut-être y compris par ceux qui en parlent, parce qu’après on entre dans un cadre référentiel dans lequel il ne faut pas parler de ce qu’on fait mais que de ce qui ne va pas. Même nous, nous avons ce défaut.
Cela a été ma première constatation. La seconde, c’est quand je me suis mise à rencontrer les acteurs du secteur, tout de suite après la bourrasque du baccalauréat. On a pu travailler, en juillet-août. Je peux vous dire qu’après avoir rencontré toutes les directions et les structures externes du secteur, je me suis rendu compte des nombreux rapports, dossiers et études finalisés. J’ai été surprise que les cadres du secteur soient en mesure de faire une analyse, au détail près, du pan qu’ils avaient à gérer.
Et c’était d’une richesse extraordinaire. En fait, le secteur de l’éducation tel qu’on le voit de l’extérieur, ce n’est absolument pas cela. Il fallait donc mettre en valeur ces travaux et les rendre plus cohérents. Par exemple, lorsque l’on vous commande une étude sur la violence, il faut aussi faire en sorte qu’elle entre dans une stratégie de mise en application sur le terrain. Troisième surprise, l’accumulation en matière de données de réflexion et de travaux d’audit.
- Si l’on comprend bien, le secteur vivait en autarcie. Etait-il en décalage par rapport à ce qui se passait sur le terrain ?
Le problème résidait dans le type d’organisation adopté. Le ministère de l’Education nationale n’a aucune direction générale. Pour la pédagogie, il y a une direction de l’enseignement fondamental, une direction de l’enseignement secondaire, une direction de l’évaluation, une direction des infrastructures, de la coopération... Donc nous avons une foule de directions, une sorte d’émiettement du travail qui fait qu’à un moment donné, sans le vouloir, on a fini par construire des sous-territoires ; le mouvement de partage et d’échange était faible, parfois inexistant. La difficulté se situait dans la mise en synergie de l’ensemble des compétences.
- Pourtant, tous ces problèmes ont été pris en charge par la commission de réforme éducative, dont vous étiez membre. Pourquoi cette préoccupation n’a-t-elle pas été prise en compte ?
Cette réforme a été très bien pensée. Nous avions une lettre de mission qui faisait une analyse pertinente du système éducatif et qui a servi de feuille de route au travail de la commission. Moi qui ai fait partie de plusieurs groupes de recherche et d’institutions, je peux vous garantir que là où j’ai eu le plus grand confort et le plus grand plaisir à travailler, c’était dans cette commission. Il y a eu de l’intelligence dans le choix des personnes, des éléments qui avaient l’expérience du terrain, des chercheurs avérés qui ont écrit dans le domaine, des personnes qui, plutôt par leurs interrogations, nous poussaient à aller plus loin dans les réponses à apporter. Nous avons travaillé durant neuf mois d’arrache-pied.
La composante était des militants de la pensée. Les échanges d’une richesse… enfin, on parlait de pédagogie ! Nous n’étions pas dans les faux débats de l’école. Parce que l’école, jusqu’à la commission, chaque fois que vous abordiez un point de vue, il y avait une pensée accréditée qui ne permettait pas d’aller plus loin. Nous étions dans un conflit d’idées complètement destructif. Nous étions dans des rapports de certitude. Dans la commission, c’était tout à fait le contraire.
Malheureusement, ce que nous avons entendu et lu à travers les médias n’était pas à la hauteur de la qualité des débats que la commission a eu dans ses différents ateliers. Cela tournait toujours autour du même fonds de commerce lié à la place du français, alors que nous avions accordé plus de réflexion à l’amélioration de l’enseignement de la langue arabe. Le débat était autour de la réforme de l’école après ce que l’Algérie a vécu durant les années du terrorisme.
Quels doivent être les éléments qui pourraient constituer le ciment entre les Algériens ? C’est à partir de cette réforme que le concept d’algérianité a été produit et a trouvé sa place dans la loi d’orientation de 2008. Le deuxième point de cette réforme était de trouver ce dont nous avions besoin en matière de civisme sur lequel nous avions insisté, mais aussi sur l’amélioration de l’approche pédagogique et didactique des langues, particulièrement de la langue arabe.
Il fallait trouver la réponse au fait qu’au bout de 12 années de scolarité, nous nous retrouvons avec des élèves qui ne savent pas s’exprimer. Il y a eu une remise en question de la façon dont cet enseignement se faisait, du choix méthodologie opéré. Il faut dire que les travaux produits par des collègues, entre autres Khaoula Taleb El Ibrahimi et Cherifa Ghetas, ont énormément aidé à mieux comprendre la situation. Des propositions pertinentes ont été faites et nous nous sommes tous mis au service de la mise en œuvre de cette réforme.
- Pourquoi alors ce dysfonctionnement sur le terrain ?
Nous sentons ce dysfonctionnement parce qu’au début de la mise en œuvre de cette réforme, il manquait un accompagnement par le discours sur la réforme d’ordre pédagogique…
- Et d’ordre politique aussi…
Sur le plan politique, le Président a mis une commission et il y a eu des résultats. Mais dans la mise en œuvre, l’émiettement dont je parlais plus haut a commencé à apparaître. L’enseignement supérieur a pris sa réforme, l’éducation nationale a pris la sienne et la formation professionnelle aussi.
Pour réussir sur le terrain, cette réforme avait besoin d’un accompagnement par la parole, de savoir dans quel sens on voulait aller et d’une articulation entre l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur. Mais quand chaque secteur a pris sa portion de réforme, cette articulation nécessaire a manqué.
Si on avait eu, à l’époque, un conseil national de la réforme, on aurait pu dire avec quel profil de compétence nous sortons des enfants qui seront prêts à entrer avec le minimum exigé pour entamer des études réussies. Cela n’a pas été fait et nous-mêmes nous étions restés sur notre faim. Il faut aussi rappeler que de la mise en œuvre de cette réforme a démarré en 2006-2007-2008, avec les perturbations liées à l’ouverture sur la pluralité syndicale et l’apprentissage démocratique qui se sont fait, à mon sens, au détriment de l’école.
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