La polémique autour du marché informel des devises a fait sortir le gouverneur de la Banque d’Algérie de son silence. Ce dernier a confirmé officiellement que son institution est en passe de revoir les procédés de convertibilité courante du dinar au profit des ménages. Autrement dit, il s’agit de réviser les plafonds de droit de change pour les particuliers pour couvrir études, soins à l’étranger, allocations touristiques, etc.
L’Econews : quelle lecture faites-vous des cette actualité relative au change ?
M. Mourad Ouchichi : il est étonnant mais aussi révélateur de constater que des hauts responsables d’Etat, faisant partie d’un même gouvernement, soient aussi contradictoires au sujet d’une question aussi sensible que celle du marché informel des devises. Ceci étant souligné, les mesures annoncées ne peuvent en aucun cas être une solution pour éradiquer le marché informel des devises. Ce ne sont pas, en effet, les ménages qui, pour voyager, pour étudier ou pour se soigner alimentent le marché informel de la devise. Même si ces catégories existent, elles représentent une proportion négligeable.
Deux phénomènes favorisent directement ou indirectement le marché parallèle en général et celui des devises en particulier : le premier est de nature économique, lié à l’incapacité de l’économie locale à répondre aux demandes sociales ; le second est de nature politique, en rapport avec la volonté obsessionnelle du régime d’élargir sa base sociale. Ainsi, la rareté et la rente se trouvent intimement liées dans la structuration du marché national.
Quelles sont les conséquences de ce marché parallèle des monnaies étrangères sur l’économie nationale ? On parle de plusieurs dizaines de milliards d’euros qui circulent dans le circuit informel. N’est-ce pas un manque à gagner important pour les banques ?
Evidemment il y a un manque à gagner pour les banques et naturellement pour toute l’économie. A l’instar de ce qui s’est passé au Moyen-âge, les marchands utilisait dans les foires les monnaies étrangères ou les instruments scripturaires qui leur permettaient de créer leurs propres réseaux de paiement et de crédit, confisquant ainsi le pouvoir monétaire de l’Etat (notamment après la création de la Banque d’Amsterdam en 1617), les pratiques des acteurs du marché parallèle disputaient et réussissaient à dessaisir l’Etat de l’un de ses attributs primordiaux qui est la création et le contrôle de la monnaie. Pour les besoins de leurs transactions internationales, les réseaux retenaient la monnaie locale et créaient un marché de change (clandestin) leur permettant de manipuler les monnaies étrangères sans passer par les banques. Ce faisant, ils provoquaient une mécanique poussant à la perte de contrôle de la Banque centrale sur le volume de billets en circulation.
En Algérie, les réseaux du marché parallèle se sont dotés de leurs propres marchés de change. Les devises se vendent et s’achètent sur la place publique sans aucune intervention bancaire. Il n’y a pas une ville en Algérie où l’on ne peut acheter les monnaies étrangères, notamment celles utilisées dans le cadre du commerce extérieur telle que l’euro et le dollar. Ces réseaux de change parallèle s’étendent même à l’immigration (Paris, Marseille, Lyon, Lille, Rome, Madrid, Londres…). De ce fait, l’Etat algérien est devenu un agent technique et non pas un pouvoir monétaire. Il imprime les billets sans aucun pouvoir de contrôle du volume en circulation. Il n’a suffi que de peu de temps pour que les réseaux du marché parallèle s’emparent d’un des attributs fondamentaux de l’Etat : l’exclusivité du pouvoir sur les instruments monétaires !
Pensez-vous que l’agrément des bureaux de change privés, tel qu’annoncé par le gouverneur de la Banque d’Algérie, va mettre fin définitivement au marché informel des devises ?
Les textes réglementant l’activité des bureaux de change privés existent déjà, mais c’est l’activité qui n’attire pas pour plusieurs raisons, notamment celle de la rentabilité. Pour éradiquer le marché informel des devises, il faut rendre le dinar convertible. Mais la question de la convertibilité de la monnaie nationale est catégoriquement refusée par les pouvoirs publics.
Le gouverneur de la Banque d’Algérie a rappelé que ces marchés informels ouvrent la voie à la fuite des capitaux et à l’évasion fiscale. Un secret de polichinelle. Quelle analyse faites-vous au sujet du transfert illégal de capitaux ?
Effectivement, le marché informel des devises est un canal important pour le transfert illégal des capitaux avec tout ce que cela suppose comme évasion fiscale, développement de la délinquance économique et toutes sortes de trafics. (L'Eco N 54)
*Mourad Ouchichi, professeur d’économie à l’université de Béjaïa
Ali Ben Mohamed
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