Des chercheurs et penseurs français posent une nouvelle problématique dans les rapports au commerce mondial alimentaire. La nourriture des humains a toujours été un enjeu important pour les pouvoirs, le blé est la base de l’alimentation pour 3 milliards de personnes. Ces derniers, les plus gros consommateurs, sont le plus sont souvent incapables de le produire. Cette situation confère à la poignée de pays exportateurs, dont la France, une responsabilité majeure et un poids politique qui pourrait engendrer des tensions dans le monde.
La vision de Sébastien Abis, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de la Géopolitique du blé (éditions Armand Colin), est assez insidieuse. Il considère que cette réalité économique et stratégique est beaucoup trop ignorée ou minimisée par les décideurs, alors que la France est le cinquième producteur et troisième exportateur mondial.
Arguant des motifs « nobles », le chercheur affirme qu’« on se réjouit dès qu’on vend des avions Rafale à l’Egypte, mais personne ne souligne qu’on y vend régulièrement du blé ». « Pourtant, le blé constitue une meilleure contribution à la paix ! », ajoute-t-il. Et cette région du monde, « en permanente ébullition », souligne-t-il, manque aussi en permanence des précieux grains d’or.
L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, avec 6% de la population mondiale, « polarisent un tiers des achats de blé », note le chercheur. « Du Maroc à l’Egypte, la consommation y est la plus élevée du monde : 100 kilos de blé par habitant et par an, c’est le double de l’Union européenne, le triple du reste du monde. » Hélas, sols, climat, manque d’eau et croissance démographique les plongent dans une « hyper-dépendance céréalière », explique-t-il.
Cinq pays ou régions seulement produisent plus de la moitié du blé mondial (Inde, Chine, Russie, Etats-Unis et UE - France très largement en tête), auxquels s’ajoutent une poignée d’exportateurs, Canada, Australie, Ukraine et Turquie. Ce club (85% de la production mondiale) contribue à alimenter un marché international de 160 millions de tonnes par an, pesant environ 50 milliards de dollars.
Face à une demande exponentielle, la pénurie menace pourtant une année sur deux, quand la production mondiale de blé (720 millions de tonnes en 2014) est inférieure à la consommation et oblige à puiser dans les stocks. « Entre 1998 et 2013, la demande mondiale a excédé à huit reprises la production », insiste Sébastien Abis. Et en 2013, le blé coûtait en moyenne 80% de plus qu’en 2005.
Le blé est le produit agricole et alimentaire le plus échangé au monde, rappelle-t-il : l’Egypte est le premier importateur mondial (plus de 10 millions de tonnes par an), suivie par l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Irak, l’Iran, la Syrie, le Yémen et l’Arabie saoudite…
« Un marché de la peur », explique le chercheur, qui incite les puissances régionales à pratiquer « la diplomatie des grains » pour mieux contrôler leurs voisins, comme le colonel Kadhafi, ex-dirigeant libyen, qui redistribuait au Sahel une partie de ses importations.
C’est ce que tentent à leur tour les Saoudiens et que pratiquent déjà les Turcs, qui assurent 30% de la production de la région, mais restent les grands acheteurs dans leur zone (4 à 5 millions de tonnes), affirme-t-il. Et quand l’organisation terroriste Daech conquiert le nord de l’Irak, elle s’empare de gisements de pétrole autant que des réserves de blé de la plaine de Ninive, selon Jean-Charles Brisard, expert sur le financement du terrorisme.
Une demande mondiale en hausse
La Wheat Initiative, lancée en 2011 dans le cadre du G20, qui fédère instituts de recherche et partenaires privés de seize pays, estime que les besoins en blé - déjà la céréale la plus cultivée au monde - augmenteront de 60% d’ici à 2050.
Aussi, pour Sébastien Abis, la France est tout particulièrement concernée par les besoins de la Méditerranée : « Le blé est son pétrole doré », et elle en a exporté pour 9,5 milliards d’euros l’an dernier. « Un hectare sur cinq cultivé en France se retrouve consommé par les populations du sud de la Méditerranée. »
Ce qui lui confère une responsabilité particulière : « Dans la région, si vous retirez le pain de la table, il ne reste plus grand-chose. » D’autant que la France produit des volumes réguliers grâce à son climat stable, épargnée par les extrêmes que connaissent les grandes plaines américaines ou la Russie. Même la canicule cet été n’a pas altéré la récolte hexagonale, prévue à 38 millions de tonnes qui seront exportées pour un tiers (à 70% hors UE).
« Le blé est quand même un meilleur ambassadeur économique que les avions de combat », défend le chercheur, qui plaide pour une « Opep du blé », à l’image de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole qui s’entendent pour réguler l’offre - et les prix. Une thèse qui se défend, mais qui met en danger les consommateurs les plus faibles de la planète
Par Zerga Nadia
repoerters dz
La vision de Sébastien Abis, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et auteur de la Géopolitique du blé (éditions Armand Colin), est assez insidieuse. Il considère que cette réalité économique et stratégique est beaucoup trop ignorée ou minimisée par les décideurs, alors que la France est le cinquième producteur et troisième exportateur mondial.
Arguant des motifs « nobles », le chercheur affirme qu’« on se réjouit dès qu’on vend des avions Rafale à l’Egypte, mais personne ne souligne qu’on y vend régulièrement du blé ». « Pourtant, le blé constitue une meilleure contribution à la paix ! », ajoute-t-il. Et cette région du monde, « en permanente ébullition », souligne-t-il, manque aussi en permanence des précieux grains d’or.
L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, avec 6% de la population mondiale, « polarisent un tiers des achats de blé », note le chercheur. « Du Maroc à l’Egypte, la consommation y est la plus élevée du monde : 100 kilos de blé par habitant et par an, c’est le double de l’Union européenne, le triple du reste du monde. » Hélas, sols, climat, manque d’eau et croissance démographique les plongent dans une « hyper-dépendance céréalière », explique-t-il.
Cinq pays ou régions seulement produisent plus de la moitié du blé mondial (Inde, Chine, Russie, Etats-Unis et UE - France très largement en tête), auxquels s’ajoutent une poignée d’exportateurs, Canada, Australie, Ukraine et Turquie. Ce club (85% de la production mondiale) contribue à alimenter un marché international de 160 millions de tonnes par an, pesant environ 50 milliards de dollars.
Face à une demande exponentielle, la pénurie menace pourtant une année sur deux, quand la production mondiale de blé (720 millions de tonnes en 2014) est inférieure à la consommation et oblige à puiser dans les stocks. « Entre 1998 et 2013, la demande mondiale a excédé à huit reprises la production », insiste Sébastien Abis. Et en 2013, le blé coûtait en moyenne 80% de plus qu’en 2005.
Le blé est le produit agricole et alimentaire le plus échangé au monde, rappelle-t-il : l’Egypte est le premier importateur mondial (plus de 10 millions de tonnes par an), suivie par l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Irak, l’Iran, la Syrie, le Yémen et l’Arabie saoudite…
« Un marché de la peur », explique le chercheur, qui incite les puissances régionales à pratiquer « la diplomatie des grains » pour mieux contrôler leurs voisins, comme le colonel Kadhafi, ex-dirigeant libyen, qui redistribuait au Sahel une partie de ses importations.
C’est ce que tentent à leur tour les Saoudiens et que pratiquent déjà les Turcs, qui assurent 30% de la production de la région, mais restent les grands acheteurs dans leur zone (4 à 5 millions de tonnes), affirme-t-il. Et quand l’organisation terroriste Daech conquiert le nord de l’Irak, elle s’empare de gisements de pétrole autant que des réserves de blé de la plaine de Ninive, selon Jean-Charles Brisard, expert sur le financement du terrorisme.
Une demande mondiale en hausse
La Wheat Initiative, lancée en 2011 dans le cadre du G20, qui fédère instituts de recherche et partenaires privés de seize pays, estime que les besoins en blé - déjà la céréale la plus cultivée au monde - augmenteront de 60% d’ici à 2050.
Aussi, pour Sébastien Abis, la France est tout particulièrement concernée par les besoins de la Méditerranée : « Le blé est son pétrole doré », et elle en a exporté pour 9,5 milliards d’euros l’an dernier. « Un hectare sur cinq cultivé en France se retrouve consommé par les populations du sud de la Méditerranée. »
Ce qui lui confère une responsabilité particulière : « Dans la région, si vous retirez le pain de la table, il ne reste plus grand-chose. » D’autant que la France produit des volumes réguliers grâce à son climat stable, épargnée par les extrêmes que connaissent les grandes plaines américaines ou la Russie. Même la canicule cet été n’a pas altéré la récolte hexagonale, prévue à 38 millions de tonnes qui seront exportées pour un tiers (à 70% hors UE).
« Le blé est quand même un meilleur ambassadeur économique que les avions de combat », défend le chercheur, qui plaide pour une « Opep du blé », à l’image de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole qui s’entendent pour réguler l’offre - et les prix. Une thèse qui se défend, mais qui met en danger les consommateurs les plus faibles de la planète
Par Zerga Nadia
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