Pendant dix ans, à partir de 1992, la guerre civile a déchiré le pays. Une période noire pendant laquelle la population, prise en étau entre les exactions des islamistes et la répression gouvernementale, a cessé toute vie “normale”. Les attentats de Paris ont rouvert cette plaie encore vive.
Les premiers tweets ont été postés quelques heures seulement après la tuerie. « J’avais fui l’Algérie avec mes deux enfants à cause des attentats des années 1990 – j’ai l’impression de revivre la même chose à Paris », raconte l’un d’eux. Un autre : « #Paris ! Ça nous rappelle la décennie noire en Algérie. Des bombes, des gens dans la rue, la violence et la peur. RIP toutes les victimes. » Puis, le lendemain, cette photo d’un jeune violoniste algérien, Kheireddine Sahbi, tué ce 13 novembre dans le 10e arrondissement, et ces quelques mots, amers : « Avoir vécu la décennie noire à #Alger et mourir à #Paris.
Si l’onde de choc des attentats de Paris a atteint le monde entier, l’Algérie, pays ensanglanté par une décennie de violences, l’a presque vécue dans sa chair. « C’est très douloureux, violent. Une cicatrice qui se rouvre d’un coup », reconnaît Adlène Meddi, rédacteur en chef de l’hebdomadaire El Watan Week-end. Le journaliste avait un peu plus de 15 ans lorsque le pays a plongé dans l’horreur.
Nous sommes en 1992, le Front islamique du salut (FIS) a remporté le premier tour des élections législatives. Les généraux décident alors d’interrompre le processus électoral et décrètent l’état d’urgence, provoquant la révolte de milliers d’islamistes qui prennent les armes. Rafles, exécutions, journalistes assassinés, massacres de civils : on estime qu’en dix ans, 200 000 personnes auraient été tuées, 30 000 disparues. Dix ans pendant lesquels la violence va broyer le tissu social, la vie culturelle, la relation des Algériens à leur territoire.
Les habitants des campagnes se réfugient dans les villes. Les Algérois cessent d’aller au cinéma, au restaurant, et même de pique-niquer dans les montagnes. Aujourd’hui, « on a commencé à reconquérir tous ces endroits, des associations tentent de réconcilier les Algériens avec leur territoire, mais […] le sentiment de peur revient vite », souligne Adlène Meddi. La décapitation d’Hervé Gourdel en septembre 2014 dans les montagnes du Djurdjura, au nord du pays, avait constitué une onde de choc.
La culture à genoux
Le cinéma, si populaire pendant les années 1980, ne s’est jamais remis de cette période. En juin 2015, alors qu’Oran s’apprête à accueillir la huitième édition du Festival international du film arabe, la ministre algérienne de la culture révèle que 95 % des 400 salles de cinéma du pays sont fermées ! Alger est une capitale peu festive. Les restaurants où sortir le soir se comptent sur les doigts d’une main. Et si la jeunesse bénéficie des largesses de la rente pétrolière, elle souffre du manque de loisirs et d’infrastructures culturelles.
La politique de réconciliation imposée par le président Abdelaziz Bouteflika à partir de son élection en 1999 restaure la paix dans un pays exsangue. La Charte pour la paix et la réconciliation, adoptée par référendum en 2005, assure l’amnistie aux islamistes qui rendent les armes et interdit à quiconque d’évoquer publiquement cette période. Des textes qui vont permettre au pays d’avancer mais qui ont aussi organisé l’impunité et confisqué une partie de l’Histoire. « Dans les salons algériens, les photographies des disparus de la décennie noire côtoient celles des aïeux de la famille », rappelle le journaliste. Une mémoire silencieuse mais omniprésente.
Lire aussi : En Algérie, seul le pouvoir croit en une réconciliation réussie
La vie politique algérienne reste elle aussi dominée par ce passé. Les apparitions d’anciens dirigeants islamistes repentis défraient régulièrement la chronique, sur fond d’islamisation de la société. En septembre, l’ancien chef de l’Armée islamique du salut Madani Mezrag, bras armé du FIS dans les années 1990, a suscité l’émotion en annonçant son intention de créer un nouveau parti politique. Le pouvoir algérien tire, lui, une part de sa légitimité de la lutte contre le terrorisme islamiste.
Un sentiment d’isolement
Les souvenirs de cette « sale guerre » toujours à fleur de peau, les attentats qui ont touché Paris, sa jeunesse, ses cafés, ses lieux de culture, ne pouvaient que raviver cette douloureuse mémoire. Celle des violences, mais aussi celle du sentiment d’isolement international vécu par l’Algérie des années 1990. Dans un éditorial intitulé « Emotion partagée », Omar Belhouchet, le directeur du quotidien francophone El Watan, s’émeut de ces images en provenance de Paris « effroyables, choquantes, inadmissibles [qui] nous replongent dans l’Algérie des années 1990. » « Mais hélas, ajoute-t-il, sans l’élan de solidarité exprimé à la France. »
Insupportables, les attentats de Paris le sont aussi pour de nombreux Algériens en raison de la proximité humaine et historique entre les deux pays. Selon l’Association internationale de la diaspora algérienne (AIDA), 5 millions d’Algériens vivent en France. En janvier déjà, le carnage contre les journalistes de Charlie Hebdo avait provoqué l’effroi de l’autre côté de la Méditerranée, où des dizaines de journalistes ont été tués par les islamistes armés pendant les années 1990. « Quand on frappe la France, c’est comme si on frappait ici, souligne Adlène Meddi. On revit ces années-là, alors qu’on pensait ne plus jamais voir ça. »
Source: Le Monde
Les premiers tweets ont été postés quelques heures seulement après la tuerie. « J’avais fui l’Algérie avec mes deux enfants à cause des attentats des années 1990 – j’ai l’impression de revivre la même chose à Paris », raconte l’un d’eux. Un autre : « #Paris ! Ça nous rappelle la décennie noire en Algérie. Des bombes, des gens dans la rue, la violence et la peur. RIP toutes les victimes. » Puis, le lendemain, cette photo d’un jeune violoniste algérien, Kheireddine Sahbi, tué ce 13 novembre dans le 10e arrondissement, et ces quelques mots, amers : « Avoir vécu la décennie noire à #Alger et mourir à #Paris.
Si l’onde de choc des attentats de Paris a atteint le monde entier, l’Algérie, pays ensanglanté par une décennie de violences, l’a presque vécue dans sa chair. « C’est très douloureux, violent. Une cicatrice qui se rouvre d’un coup », reconnaît Adlène Meddi, rédacteur en chef de l’hebdomadaire El Watan Week-end. Le journaliste avait un peu plus de 15 ans lorsque le pays a plongé dans l’horreur.
Nous sommes en 1992, le Front islamique du salut (FIS) a remporté le premier tour des élections législatives. Les généraux décident alors d’interrompre le processus électoral et décrètent l’état d’urgence, provoquant la révolte de milliers d’islamistes qui prennent les armes. Rafles, exécutions, journalistes assassinés, massacres de civils : on estime qu’en dix ans, 200 000 personnes auraient été tuées, 30 000 disparues. Dix ans pendant lesquels la violence va broyer le tissu social, la vie culturelle, la relation des Algériens à leur territoire.
Les habitants des campagnes se réfugient dans les villes. Les Algérois cessent d’aller au cinéma, au restaurant, et même de pique-niquer dans les montagnes. Aujourd’hui, « on a commencé à reconquérir tous ces endroits, des associations tentent de réconcilier les Algériens avec leur territoire, mais […] le sentiment de peur revient vite », souligne Adlène Meddi. La décapitation d’Hervé Gourdel en septembre 2014 dans les montagnes du Djurdjura, au nord du pays, avait constitué une onde de choc.
La culture à genoux
Le cinéma, si populaire pendant les années 1980, ne s’est jamais remis de cette période. En juin 2015, alors qu’Oran s’apprête à accueillir la huitième édition du Festival international du film arabe, la ministre algérienne de la culture révèle que 95 % des 400 salles de cinéma du pays sont fermées ! Alger est une capitale peu festive. Les restaurants où sortir le soir se comptent sur les doigts d’une main. Et si la jeunesse bénéficie des largesses de la rente pétrolière, elle souffre du manque de loisirs et d’infrastructures culturelles.
La politique de réconciliation imposée par le président Abdelaziz Bouteflika à partir de son élection en 1999 restaure la paix dans un pays exsangue. La Charte pour la paix et la réconciliation, adoptée par référendum en 2005, assure l’amnistie aux islamistes qui rendent les armes et interdit à quiconque d’évoquer publiquement cette période. Des textes qui vont permettre au pays d’avancer mais qui ont aussi organisé l’impunité et confisqué une partie de l’Histoire. « Dans les salons algériens, les photographies des disparus de la décennie noire côtoient celles des aïeux de la famille », rappelle le journaliste. Une mémoire silencieuse mais omniprésente.
Lire aussi : En Algérie, seul le pouvoir croit en une réconciliation réussie
La vie politique algérienne reste elle aussi dominée par ce passé. Les apparitions d’anciens dirigeants islamistes repentis défraient régulièrement la chronique, sur fond d’islamisation de la société. En septembre, l’ancien chef de l’Armée islamique du salut Madani Mezrag, bras armé du FIS dans les années 1990, a suscité l’émotion en annonçant son intention de créer un nouveau parti politique. Le pouvoir algérien tire, lui, une part de sa légitimité de la lutte contre le terrorisme islamiste.
Un sentiment d’isolement
Les souvenirs de cette « sale guerre » toujours à fleur de peau, les attentats qui ont touché Paris, sa jeunesse, ses cafés, ses lieux de culture, ne pouvaient que raviver cette douloureuse mémoire. Celle des violences, mais aussi celle du sentiment d’isolement international vécu par l’Algérie des années 1990. Dans un éditorial intitulé « Emotion partagée », Omar Belhouchet, le directeur du quotidien francophone El Watan, s’émeut de ces images en provenance de Paris « effroyables, choquantes, inadmissibles [qui] nous replongent dans l’Algérie des années 1990. » « Mais hélas, ajoute-t-il, sans l’élan de solidarité exprimé à la France. »
Insupportables, les attentats de Paris le sont aussi pour de nombreux Algériens en raison de la proximité humaine et historique entre les deux pays. Selon l’Association internationale de la diaspora algérienne (AIDA), 5 millions d’Algériens vivent en France. En janvier déjà, le carnage contre les journalistes de Charlie Hebdo avait provoqué l’effroi de l’autre côté de la Méditerranée, où des dizaines de journalistes ont été tués par les islamistes armés pendant les années 1990. « Quand on frappe la France, c’est comme si on frappait ici, souligne Adlène Meddi. On revit ces années-là, alors qu’on pensait ne plus jamais voir ça. »
Source: Le Monde
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