Consultant polyvalent dans les technologies civiles et militaires, le docteur Mohamed Belhocine revient dans cet entretien sur les marchés de l’armement et la corruption dans le domaine militaire. Il évoque aussi l’absence de contrôle politique sur les dépenses du ministère de la Défense, dont le budget est passé de 2,5 milliards de dollars en 2008 à 13 milliards de dollars en 2015.
Le budget du ministère de la Défense vient en 1re position avant l’Education et l’Intérieur, alors que la gestion de cette manne échappe au contrôle politique. Peut-on connaître votre avis ?
L’embellie financière qu’a connue le pays a été profitable à tous les secteurs et surtout à l’armée. Mais la surliquidité s’est vite érodée. Au lieu de gérer cette aubaine comme un bon père de famille, le régime s’est amusé comme une cigale dispendieuse à la jeter par les fenêtres, en manipulant l’économie pour produire des rentes. Des fortunes considérables ont poussé comme des champignons sans rationalité et assise économiques. Ajouté à cela la mauvaise allocation des ressources, les gaspillages, les marchés octroyés de gré à gré, les surcoûts considérables sur des projets, le non contrôle des prix internationaux, etc.
Nos recettes des hydrocarbures cumulées en 17 ans pleines ont atteint presque les 1300 milliards de dollars (et non 800 milliards de dollars comme veut nous le faire avaler la doxa officielle). Imaginez que l’Algérie développe des projets industriels d’une valeur de 10 millions de dollars chacun. Avec 1300 milliards de dollars, nous aurions dû créer 130 000 projets sur l’ensemble du territoire national. Chacune des 1500 communes aurait dû bénéficier de 87 projets. Pour créer un poste d’emploi hautement qualifié, il faut 200 000 dollars. Chaque projet aurait pu créer 50 emplois qualifiés.
Chaque commune aurait donc eu 4350 emplois hautement qualifiés, ce qui aurait donné 7 500 000 emplois au niveau national. A l’opposé, en 17 ans ce régime n’a même pas pu créer 35 000 emplois qualifiés. C’est un gigantesque gaspillage. Il nous faut un grand procès de ce régime.
Si on revenait un peu à l’armée ; selon vous, est-elle épargnée par la corruption ?
Je vous répondrais par l’affirmative si elle était soumise à un réel contrôle politique, mais ce n’est pas le cas. Nous avons des partis oligarchiques qui ne rêvent que de vivre avec leurs voitures de luxe flambant neuves sous les dorures du palais. En face, nous avons un système constitutionnel totalement vicié, adopté au vote à main levée, une supercherie qui fait de nous la risée des bien-pensants du monde. L’Etat est un ensemble d’organisations, ou plutôt l’organisation des organisations.
L’armée est une organisation de l’Etat. La tragédie algérienne, c’est que l’Etat a monopolisé la politique qui n’est pas sa mission. Seule une démocratie nouvelle et participative nous mettra à l’abri. La tragédie, chez nous, c’est que notre armée n’est pas soumise à un contrôle politique. Ce n’est pas de sa faute. La nature a horreur du vide. Cela est imputable à la supercherie d’une fausse représentation corrompue.
Le pouvoir s’arrache, personne ne vous le donnera, à moins que vous acceptiez d’être un vassal, un courtisan et un flagorneur et rentrer dans les petites compromissions d’épicier. Regardez le spectacle affligeant que nous offre cette caste qui tourne autour du pouvoir.
Donc, déjà, dès le départ, le jeu est faussé. Nous avons un biais qui présente une forte propension à la corruption. Machiavel, en observant les principautés florentines au XVIe siècle a compris que tous les maux d’une société viennent d’un défaut de contrôle politique sur l’armée (que corroborera Max Weber au début du siècle dans son traité sur la Domination).
La corruption de l’armée, en d’autres termes, implique la corruption de l’ordre politique tout entier, c’est-à-dire la destruction de l’éthique publique, le déchaînement des passions du pouvoir, la multiplication des foyers de violence allant à l’encontre des ordres sociaux et la distorsion de l’ordre patriotique.
D’autre part, depuis la mort de Houari Boumediene, l’état-major s’est approprié la politique de façon indue sans interruption jusqu’à aujourd’hui ; c’est une usurpation de fonction, c’est un coup d’Etat permanent, ce n’est pas du tout sa mission. L’état-major profite parce qu’il y a un vide, cela l’arrange. Je vous dirais même que la situation lui est très confortable. Il se délecte de ce pouvoir total en se servant tous azimuts.
C’est aux représentés de faire la politique parce qu’il s’agit de leur destin. Le peuple est la source du pouvoir. Mais le représenté, pauvre parmi les pauvres, exproprié de la chose qui lui revient, lutte seul dans la jungle sociale. Cette lourde responsabilité est à endosser par tous les partis sans exclusive qui ne sont pas enchâssés dans les véritables mouvements sociaux, ni fibrillés au cœur de la chair et des os de nos populations. Nos partis ne sont que des prototypes personnifiés d’oligarchies en place.
Quand je vois le cirque de Mazafran, qui en termes d’actions concrètes n’apporte rien de tangible pour les mouvements sociaux, et sans oublier le lot des partis organiques folkloriques comme le FLN ou le RND dont la mission principale est de masquer les forfaitures «grandioses», pour paraphraser Sellal, du régime, je me dis que nous sommes loin d’être sortis de l’auberge. A partir de ce postulat, tout devient clair.
Ces pauvres partis indigents, dans l’incapacité de produire du savoir politique, démunis de repères théoriques, n’ont pas encore compris la nature du pouvoir. Il ne survit que parce que nous acceptons d’y prendre part. Il y a une porte de sortie pour que ce pouvoir disparaisse : la désertion, la désobéissance, la résistance sont des armes redoutables dans la lutte contre la servitude volontaire. Le pouvoir ne peut survivre lorsque ses sujets s’émancipent de la peur.
Que voulez-vous dire par désertion, désobéissance, résistance ?
Il faut savoir que le capitalisme via son dispositif de guerres douce et dure et l’impérialisme a amorcé sa chute finale. Dans son dernier combat de «desesperado», le capitalisme-impérialisme, dos au mur, veut produire de nouvelles figures de subjectivité : des figures de la domination. L’hégémonie de la finance et des banques, comme par exemple le crédit à la consommation, qui chez nous vise à faire fonctionner les usines en France entre autres, a donné naissance à l’endetté qui croule sous les crédits et qui va travailler toute sa vie comme un forçat pour rembourser sa dette.
Le contrôle mondial et national de l’information et des réseaux de communication a produit le médiatisé paralysé, aliéné par le trop-plein d’informations et leurs mensonges. Le régime sécuritaire, les guerres secrètes impérialistes et la généralisation des zones où pullulent des bandes armées ont fait surgir une figure en proie à la peur et aspirant à la protection : le sécurisé.
Et la corruption de la démocratie (constitutive et inféodée au capital) avec ses systèmes de représentations politiques corrompues a donné forme à une figure étrange et dépolitisée : le représenté.
Ces quatre figures subjectives constituent le terrain social sur lequel et contre lequel les mouvements de désertion, de désobéissance et de résistance, voire de révolte doivent agir. Seule l’intelligence de cet «être-ensemble», des mouvements sociaux, avec la figure du pauvre froissé dans sa chair et ses os au fronton, ont la capacité non seulement de refuser ces subjectivités, mais aussi de les inverser pour créer des figures capables d’exprimer leur indépendance et leur puissance d’agir politiquement.
Ce sursaut ne se fera que si cet «être-ensemble» diffuse un apprentissage de la décision, lorsque l’endetté décide de ne pas payer sa dette ; lorsque le «médiatisé» décide d’éteindre la télévision, la radio, de ne plus lire les journaux, d’échapper au contrôle des médias et à leurs mensonges ; lorsque le sécurisé décide de devenir invisible et de ne plus avoir peur ; et lorsque le représenté refuse d’être gouverné par des représentants alimentaires, indignes et corrompus.
Il nous faut un nouveau manifeste qui nous donne l’aperçu du monde à venir et donne naissance à des visions d’un nouveau monde. Les manifestes ont le pouvoir des anciens prophètes, capables de donner naissance à un peuple par la seule puissance de leur vision.
Le budget du ministère de la Défense vient en 1re position avant l’Education et l’Intérieur, alors que la gestion de cette manne échappe au contrôle politique. Peut-on connaître votre avis ?
L’embellie financière qu’a connue le pays a été profitable à tous les secteurs et surtout à l’armée. Mais la surliquidité s’est vite érodée. Au lieu de gérer cette aubaine comme un bon père de famille, le régime s’est amusé comme une cigale dispendieuse à la jeter par les fenêtres, en manipulant l’économie pour produire des rentes. Des fortunes considérables ont poussé comme des champignons sans rationalité et assise économiques. Ajouté à cela la mauvaise allocation des ressources, les gaspillages, les marchés octroyés de gré à gré, les surcoûts considérables sur des projets, le non contrôle des prix internationaux, etc.
Nos recettes des hydrocarbures cumulées en 17 ans pleines ont atteint presque les 1300 milliards de dollars (et non 800 milliards de dollars comme veut nous le faire avaler la doxa officielle). Imaginez que l’Algérie développe des projets industriels d’une valeur de 10 millions de dollars chacun. Avec 1300 milliards de dollars, nous aurions dû créer 130 000 projets sur l’ensemble du territoire national. Chacune des 1500 communes aurait dû bénéficier de 87 projets. Pour créer un poste d’emploi hautement qualifié, il faut 200 000 dollars. Chaque projet aurait pu créer 50 emplois qualifiés.
Chaque commune aurait donc eu 4350 emplois hautement qualifiés, ce qui aurait donné 7 500 000 emplois au niveau national. A l’opposé, en 17 ans ce régime n’a même pas pu créer 35 000 emplois qualifiés. C’est un gigantesque gaspillage. Il nous faut un grand procès de ce régime.
Si on revenait un peu à l’armée ; selon vous, est-elle épargnée par la corruption ?
Je vous répondrais par l’affirmative si elle était soumise à un réel contrôle politique, mais ce n’est pas le cas. Nous avons des partis oligarchiques qui ne rêvent que de vivre avec leurs voitures de luxe flambant neuves sous les dorures du palais. En face, nous avons un système constitutionnel totalement vicié, adopté au vote à main levée, une supercherie qui fait de nous la risée des bien-pensants du monde. L’Etat est un ensemble d’organisations, ou plutôt l’organisation des organisations.
L’armée est une organisation de l’Etat. La tragédie algérienne, c’est que l’Etat a monopolisé la politique qui n’est pas sa mission. Seule une démocratie nouvelle et participative nous mettra à l’abri. La tragédie, chez nous, c’est que notre armée n’est pas soumise à un contrôle politique. Ce n’est pas de sa faute. La nature a horreur du vide. Cela est imputable à la supercherie d’une fausse représentation corrompue.
Le pouvoir s’arrache, personne ne vous le donnera, à moins que vous acceptiez d’être un vassal, un courtisan et un flagorneur et rentrer dans les petites compromissions d’épicier. Regardez le spectacle affligeant que nous offre cette caste qui tourne autour du pouvoir.
Donc, déjà, dès le départ, le jeu est faussé. Nous avons un biais qui présente une forte propension à la corruption. Machiavel, en observant les principautés florentines au XVIe siècle a compris que tous les maux d’une société viennent d’un défaut de contrôle politique sur l’armée (que corroborera Max Weber au début du siècle dans son traité sur la Domination).
La corruption de l’armée, en d’autres termes, implique la corruption de l’ordre politique tout entier, c’est-à-dire la destruction de l’éthique publique, le déchaînement des passions du pouvoir, la multiplication des foyers de violence allant à l’encontre des ordres sociaux et la distorsion de l’ordre patriotique.
D’autre part, depuis la mort de Houari Boumediene, l’état-major s’est approprié la politique de façon indue sans interruption jusqu’à aujourd’hui ; c’est une usurpation de fonction, c’est un coup d’Etat permanent, ce n’est pas du tout sa mission. L’état-major profite parce qu’il y a un vide, cela l’arrange. Je vous dirais même que la situation lui est très confortable. Il se délecte de ce pouvoir total en se servant tous azimuts.
C’est aux représentés de faire la politique parce qu’il s’agit de leur destin. Le peuple est la source du pouvoir. Mais le représenté, pauvre parmi les pauvres, exproprié de la chose qui lui revient, lutte seul dans la jungle sociale. Cette lourde responsabilité est à endosser par tous les partis sans exclusive qui ne sont pas enchâssés dans les véritables mouvements sociaux, ni fibrillés au cœur de la chair et des os de nos populations. Nos partis ne sont que des prototypes personnifiés d’oligarchies en place.
Quand je vois le cirque de Mazafran, qui en termes d’actions concrètes n’apporte rien de tangible pour les mouvements sociaux, et sans oublier le lot des partis organiques folkloriques comme le FLN ou le RND dont la mission principale est de masquer les forfaitures «grandioses», pour paraphraser Sellal, du régime, je me dis que nous sommes loin d’être sortis de l’auberge. A partir de ce postulat, tout devient clair.
Ces pauvres partis indigents, dans l’incapacité de produire du savoir politique, démunis de repères théoriques, n’ont pas encore compris la nature du pouvoir. Il ne survit que parce que nous acceptons d’y prendre part. Il y a une porte de sortie pour que ce pouvoir disparaisse : la désertion, la désobéissance, la résistance sont des armes redoutables dans la lutte contre la servitude volontaire. Le pouvoir ne peut survivre lorsque ses sujets s’émancipent de la peur.
Que voulez-vous dire par désertion, désobéissance, résistance ?
Il faut savoir que le capitalisme via son dispositif de guerres douce et dure et l’impérialisme a amorcé sa chute finale. Dans son dernier combat de «desesperado», le capitalisme-impérialisme, dos au mur, veut produire de nouvelles figures de subjectivité : des figures de la domination. L’hégémonie de la finance et des banques, comme par exemple le crédit à la consommation, qui chez nous vise à faire fonctionner les usines en France entre autres, a donné naissance à l’endetté qui croule sous les crédits et qui va travailler toute sa vie comme un forçat pour rembourser sa dette.
Le contrôle mondial et national de l’information et des réseaux de communication a produit le médiatisé paralysé, aliéné par le trop-plein d’informations et leurs mensonges. Le régime sécuritaire, les guerres secrètes impérialistes et la généralisation des zones où pullulent des bandes armées ont fait surgir une figure en proie à la peur et aspirant à la protection : le sécurisé.
Et la corruption de la démocratie (constitutive et inféodée au capital) avec ses systèmes de représentations politiques corrompues a donné forme à une figure étrange et dépolitisée : le représenté.
Ces quatre figures subjectives constituent le terrain social sur lequel et contre lequel les mouvements de désertion, de désobéissance et de résistance, voire de révolte doivent agir. Seule l’intelligence de cet «être-ensemble», des mouvements sociaux, avec la figure du pauvre froissé dans sa chair et ses os au fronton, ont la capacité non seulement de refuser ces subjectivités, mais aussi de les inverser pour créer des figures capables d’exprimer leur indépendance et leur puissance d’agir politiquement.
Ce sursaut ne se fera que si cet «être-ensemble» diffuse un apprentissage de la décision, lorsque l’endetté décide de ne pas payer sa dette ; lorsque le «médiatisé» décide d’éteindre la télévision, la radio, de ne plus lire les journaux, d’échapper au contrôle des médias et à leurs mensonges ; lorsque le sécurisé décide de devenir invisible et de ne plus avoir peur ; et lorsque le représenté refuse d’être gouverné par des représentants alimentaires, indignes et corrompus.
Il nous faut un nouveau manifeste qui nous donne l’aperçu du monde à venir et donne naissance à des visions d’un nouveau monde. Les manifestes ont le pouvoir des anciens prophètes, capables de donner naissance à un peuple par la seule puissance de leur vision.
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