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Voyage dans la France musulmane

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  • Voyage dans la France musulmane

    Ce texte est extrait de l’excellent ouvrage de Stéphanie Marteau et Sadek Hadjii intitulé « Voyage dans la France musulmane » paru récemment aux éditions Plon. Fruit d’une longue enquête de terrain, ce livre brosse le tableau d’une France musulmane plurielle qui tranche avec les visions globalisantes et caricaturales de certains médias.

    Nassim, je propose le texte en entier car ca se lit facilement et vite, j'espère que tu le laisseras tel quel. Merci.

    Le quotidien des journalistes de culture musulmane


    Les Français de culture musulmane ne se reconnaissent pas dans le miroir que leur tendent les médias. Pourtant, dans les principaux organes de presse, des journalistes qui leur ressemblent essaient chaque jour de faire leur travail. Baignés dans un milieu qu’ils considèrent le plus souvent comme hostile, mais décidés à « pacifier » la vision que les médias ont de l’islam, les journalistes de culture musulmane intègrent petit à petit les rédactions. Les premiers pas sont parfois difficiles et ne se font pas sans heurts... Ils découvrent un univers féroce dont ils ne maîtrisent pas toujours les usages : « Dans ce milieu, même si les gens te tutoient, te font croire qu’ils sont cool, en fait, c’est pas vrai. Quand t’as pas les codes, t’es pas de leur monde », a constaté Aziz, la trentaine, qui travaille dans la presse écrite depuis plus de dix ans. Pas toujours évident de faire son trou lorsqu’on est le seul de l’équipe à avoir grandi en banlieue.


    Difficile, par exemple, de se défaire du cliché qui veut qu’un Français de culture musulmane n’ait pas poussé ses études au-delà du BEP... « Un jour, un collègue a cité Racine, et il a commencé à me faire une explication de texte, à me dire d’où c’était tiré... Je lui ai dit que je connaissais, que j’avais étudié la pièce en hypokhâgne », se souvient le reporter en riant jaune. « Il y a un schéma de représentation et un racisme de classe. Dans leur représentation, un Maghrébin ne peut pas pratiquer le même métier qu’eux. Journaliste, c’est un métier prestigieux, et c’est pour ça qu’il y a des filtres vachement importants », estime-t-il.


    Poursuivis par de tels clichés, les journalistes de culture musulmane ont parfois bien du mal à se fondre dans le décor. Ils suscitent malgré eux une curiosité qui peut vite se transformer en méfiance. C’est Leïla qui en parle le mieux. Installée dans le fond d’un café, elle a l’air sereine et détache ses cheveux bouclés. Personne ne lui donnerait trente ans. Elle travaille dans un hebdomadaire renommé. La jeune femme, née en France d’un père harki, se dit croyante, bien qu’elle ne pratique plus. « Quand je suis arrivée au journal, je faisais le ramadan. C’était perçu comme une menace. On m’a refusé plusieurs fois une augmentation, alors que tout le service en avait, parce que le directeur du journal avait " un problème " avec moi, bien qu’il ne m’ait jamais vue ! Ma chef m’a déconseillé d’aller le voir... Elle m’a juste dit, très embarrassée, qu’il pensait que j’étais " pro-islamistes " parce que je faisais le ramadan.


    Mais des journalistes de base, dans mon service, le pensaient aussi. » Leïla s’étonne encore de susciter « une peur aussi fantasmatique », elle qui se sent « française à 100 % »... La jeune femme, sans être effacée, semble plutôt discrète. On l’imagine mal militante et brutale dans ses prises de position. Pourtant, pas un de ses collègues n’a protesté lorsque, l’année dernière, elle fut à nouveau victime de discrimination : « Dans le cadre des promotions internes dont la plupart des journalistes de mon magazine ont bénéficié, j’ai voulu changer de secteur. La chef du service où je voulais travailler m’a reçue pour un entretien, et m’a demandé : " Tu es pour ou contre le communautarisme ? Qu’est-ce que tu penses de la discrimination positive ? Parce qu’on est contre, et que si tu es pour, tu vas être malheureuse dans le service... Est-ce que tu adhères à la ligne du journal sur l’islam ? " » La ligne éditoriale en question est très critique, et Leïla est déstabilisée : « J’ai répondu que je pensais que toute religion pouvait être critiquée. J’étais énervée, et elle m’a proposé de remettre l’entretien à plus tard. Quand on s’est revues, je lui ai dit que j’étais contre le communautarisme, enfin, j’ai essayé... Elle ne m’écoutait pas, et moi, j’étais en train de me justifier... Elle n’a jamais lu mes articles, n’a jamais cherché à savoir comment j’enquêtais, ne m’a posé aucune question sur mon parcours professionnel. C’était un entretien politique ! Finalement, elle m’a dit qu’il fallait que je " fasse mes preuves ". C’était très infantilisant, je suis là depuis dix ans ! La fille qui a été prise était en CDD depuis six mois ! » Le fait que l’hebdomadaire pour lequel travaille Leïla soit classé à droite ne joue pas forcément.


    Paradoxalement, malgré une ligne éditoriale parfois très dure concernant l’islam, les journalistes de culture musulmane ont en effet constaté que la presse conservatrice était évidemment plus tolérante en matière religieuse que des médias aux penchants anticléricaux. De la même manière, les tendances libérales sur le plan économique de certains rédacteurs en chef ont pour conséquence d’atténuer les discriminations sociales et raciales pour ne plus retenir que le critère de compétence. Confirmation de Hocine, la trentaine : « Les plus gros donneurs de leçons, les médias de gauche, sont les plus fermés. Ils ont un racisme caché, mais plus profond, qui prend la forme d’un paternalisme incroyable. Les médias de droite, c’est le libéralisme : " T’es un Arabe, on t’aime pas, mais comme t’es bon, on prend " », explique le pigiste, qui collabore à des titres prestigieux et travaille occasionnellement pour une grande société de production. L’hebdomadaire qui emploie Leïla doit être l’exception qui confirme la règle...


    Depuis longtemps, les rapports entre la presse de gauche et les journalistes de culture musulmane sont tendus. Ces derniers sont exaspérés par le décalage entre le discours humaniste et ouvert de certains médias, et la pratique : « Quand j’étais en stage dans un grand quotidien, j’étais le seul Arabe. Les seuls Noirs et Arabes que j’ai vus, ils faisaient le ménage et ils partaient à 7 heures, quand les journalistes arrivaient. Les journalistes en question faisaient campagne contre Le Pen et les discriminations », se souvient un reporter, excédé, en se lançant dans un florilège du racisme ordinaire pratiqué par ses confrères : « Dans les rédactions, il y a toujours un mec pour te dire qu’il connaît bien les Arabes parce qu’il a fait la guerre d’Algérie, ou parce qu’il a un commerçant en bas de chez lui, dans le VIe, qu’est tunisien ! »


    Un traitement médiatique de l’islam décrié


    En dépit des rapports humains parfois difficiles entre les journalistes musulmans et leur hiérarchie, les sujets se rapportant à l’islam sont-ils traités avec impartialité par les médias ? Sans surprise, la réponse des journalistes de culture musulmane est à peu près identique à celle de la rue... Tous témoignent que la « peur » de l’islam a envahi les rédactions, avec pour conséquence une stigmatisation plus ou moins consciente des musulmans de France. Le contexte international joue pour beaucoup dans ce phénomène, bien sûr. Mais pas seulement, selon un journaliste qui préfère garder l’anonymat : « La presse regrette d’avoir écouté SOS-Racisme et d’avoir raté, d’avoir nié l’émergence de la violence en banlieue. Alors au lendemain du 21 avril, elle veut pas rater l’islam. Et cette fois, y aura pas de cadeaux ! Hier, la presse était aveugle, angélique. Aujourd’hui, c’est le retour de bâton, un déchaînement de violence islamophobe ! » estime le journaliste, qui se souvient des années durant lesquelles on passait sous silence l’actualité pour le moins « chaude » de certains quartiers, sous peine de passer pour raciste... En cachant la dérive délinquante de certaines cités, les médias ont malgré eux contribué à « lepéniser » le débat public. De mémoire de journaliste, l’islam en France n’a jamais été traité avec pragmatisme par la presse, qui en a toujours fait un enjeu politique. « Le problème, c’est que beaucoup de journalistes viennent plus ou moins du social ou du gauchisme, et qu’ils ont un traitement politique de l’islam, totalement coupé du terrain, de la réalité », déplore Nidam, journaliste dans un grand quotidien, en observant certains de ses confrères « qui pensent à la place des beurs, alors qu’ils sont presque tous nés dans la bourgeoisie française »...

    Sadek Hajji, Stéphanie Marteau, Voyage dans la France Musulmane, éditions Plon, Paris, 2005.
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