Dans cet entretien, la ministre cible les attaques des islamo-conservateurs hostiles à la réforme de l’école, évoque la rentrée scolaire d’aujourd’hui et restitue l’enjeu principal de l’école qui est la rémédiation pédagogique. Elle plaide également pour la moralisation dans le secteur.
Liberté : Plus de huit millions d’élèves rejoignent ce matin les bancs de l’école, comment se présente cette rentrée ?
Mme Nouria Benghabrit : Elle se prépare depuis l’année dernière, c’est l’axe d’aboutissement d’un processus d’efforts qui démarre à la rentrée. Dès qu’on fait une rentrée, on prépare la suivante. Même si on la décline avec des choses basiques (établissements, enseignants, élèves, ressources humaines, manuels, etc.), c’est un travail soutenu. L’année scolaire, c’est préparer à un rythme d’enfer toute l’année, et nous avons espoir d’être payés en retour, c'est-à-dire une rentrée stable, des élèves qui soient dans des classes propres avec leurs manuels, avec leur enseignants, avec leur chef d’établissement. On a fait de gros efforts à ce niveau-là. On s’attend à quelque chose dans une ambiance plutôt chaleureuse, plutôt de confiance, que de défiance.
Cette année va connaître l’introduction de manuels dits de deuxième génération, qu’apportent-ils de nouveau ?
La nouveauté concernant les nouveaux programmes a été la nécessité de les adapter par rapport à la loi d’orientation. Cette loi a établi tous les contours de la réforme de l’école. Elle a donné un contenu formel, réglementaire à la réforme de l’école de 2003. Or, que s’est-il passé ? L’application de la réforme de l’école de 2003 est la conséquence d’un travail de spécialistes, d’experts, une commission qui a travaillé pendant neuf mois sans répit et qui a produit des résultats. J’ai eu la chance de faire partie de cette commission, et je peux vous dire que comparée à tous les groupes, structures auxquels j’ai participé, c’est la commission qui m’a le plus satisfaite. J’ai eu le sentiment et l’impression d’échanger avec des gens qui avaient des choses à dire, qui connaissaient en profondeur l’état du système. Vous savez, quand vous vous retrouvez avec des gens qui partagent les mêmes préoccupations, vous avez l’impression de faire des bonds en avant. Mais dès que vous êtes avec quelqu’un qui n’a connaissance du système que de manière subjective, soit par le biais de son enfant, de son épouse ou de son expérience, c’est impossible d’échanger. Je peux dire, en toute sincérité, c’est que la composante de la commission est mûrement réfléchie parce que moi-même, j’ai eu à faire des comparaisons avec tous les groupes dans lesquels j’étais (…) Dans cette commission, il y avait des spécialistes, mais pas forcément du système scolaire. C’est une commission intéressante car on a été jusqu’au bout de nos réflexions. En 2003, Il y avait des programmes qui ont été élaborés par la commission nationale des programmes. Et en 2008, la loi d’orientation précise, de manière importante, la question des valeurs qui étaient disséminées à travers l’ancien programme. La loi a remis de l’ordre dans les priorités en disant que l’algérianité recouvre les composantes de l’islam, de l’arabe, de l’amazighité. Or, quand vous lisez la référence des textes, il y a des études qui ont été menées, c’est là que nous avons vu que les textes étaient beaucoup externes par rapport à la production locale. Or dans notre pays, il y a des écrivains, des auteurs qui écrivent en arabe, en tamazight et en français. Être présent dans un manuel est une consécration. C’est pour cela que la commission des programmes a rédigé immédiatement en 2009 un référentiel. On est dans un processus cumulatif. Le référentiel, on l’a diffusé. Ce qui fait un peu de peine, c’est que certains pensent qu’on est dans la précipitation et nous demandent d’attendre. Dans les nouveaux programmes, il y a une démarche méthodologique, une clarification des valeurs. C’est un travail de spécialistes. Vous verrez dans la démarche que vous retrouvez à tous les niveaux, qu’il y a un effort d’organisation d’une matrice. Ce travail minutieux va faciliter le travail pédagogique des enseignants dont l’amélioration est notre credo.
Au-delà du contenu des manuels, les tares de l’école ne résident-elles pas plus globalement dans la pédagogie ou encore l’encadrement ? L’école n’est-elle pas aussi prisonnière de l’idéologie ?
L’école est prisonnière de l’idéologie quand on ne parle pas de pédagogie. Or, quand on recentre la problématique sur la pédagogie, il n’y a pas de place pour l’idéologue. Quand nous disons que nous allons mettre la pédagogie au cœur de nos préoccupations, cela signifie qu’il va falloir aller au détail : la formation des enseignants et sur quoi doit porter cette formation. On a commencé par faire l’analyse des résultats, les examens nationaux. Ce sont des examens qui touchent un nombre extrêmement important d’élèves dont le taux de réussite n’est pas très fort. Il faut aller au-delà de ça. Mais qu’est-ce que je vais faire de ces copies ? Ces copies vont nous servir de base d’analyse aux contenus. Cela ne s’est pas fait dans beaucoup de pays. L’action qui a été menée portait sur la pédagogie car pour nous, la dimension politique et idéologique, c’est la Constitution et la réforme de l’école. Nous considérons en tant que ministère de l’Éducation que nous avons un rôle d’opérationnalisation, donc la politique, c’est pas nous, la politique linguistique, c’est pas nous. Par contre, on est redevable de l’opérationnalisation. Et au cœur de cette opérationnalisation, c’est la pédagogie, parce que c’est elle qui va repositionner l’élève, les compétences, l’enseignant auquel la mission est dévolue.
Des forces se sont élevées pour vous attaquer quand vous avez évoqué la “derja”, puis ont persisté après l’annonce de la réforme du bac, comment réagissez-vous à cela ? Selon vous, est-ce un complot ou s’agit-il de gens qui ont pris l’école en otage ?
Ce sont les forces de la résistance face au changement. Il y a effectivement un reflexe naturel qui est celui de craindre le changement. Les gens sont habitués à une certaine façon de faire, à des choses, et nous on reparle de pédagogie, de communication. Si on revient à la question du dialectal (et ce qu’elle a fait comme bruit), la problématique porte sur comment assurer une transition entre le capital linguistique acquis par l’enfant dans sa famille et l’apprentissage à l’école, comment assurer la transition en douceur, c’est ça la problématique, elle est pédagogique et non pas politique ni idéologique. Ce que je voulais, c’est formaliser la démarche. Et on m’a ramené des enseignants qui faisaient un travail magnifique, comme une au Sud qui avait une licence en tamazight et avait un corpus pour expliquer des choses en targui, en arabe, en kabyle, en français… personne ne le lui a demandé. C’est ce qui est intéressant avec les enseignants. On encourage l’innovation pour peu que ça serve l’enfant, la réussite.
Dans votre démarche de réforme, avez-vous senti que vous étiez soutenue par le gouvernement ? On a l’impression qu’il y a une forme d’hésitation chez le gouvernement, à chaque fois il tente de rassurer…
En toute sincérité, je n’aurais pas pu avancer si je n’ avais pas le soutien du gouvernement, du Premier ministre et des plus hautes autorités de l’État. Parce que dans un système éducatif, il n’y a pas pire que de laisser les choses en l’état. Ça n’existe pas, soit vous reculez, soit vous avancez. Il est vrai qu’il y avait un environnement, un contexte. Il y a très peu d’organisations qui se sont élevées pour lutter contre la “ataba”. Que les probabilités ne soient pas enseignées, cela n’a dérangé personne. Ce qui fait que le taux d’échec en première année à l’université s’explique aussi par cela. J’ai l’impression qu’il y avait un phénomène de banalisation. On est habitué, on est juste content quand il n’y a pas de grèves. Mais c’est insuffisant. On est content que l’enfant ait son enseignant. Aujourd’hui, la société est exigeante et j’encourage l’exigence, sinon il n’y aura pas d’amélioration. Encourager l’exigence et répondre à la demande des parents, c’est de leur dire oui je ne me contente pas d’assurer une place pédagogique à votre enfant, mais je vais tenter d’assurer son épanouissement en faisant en sorte que ses compétences puissent êtres valorisées à travers la didactique des disciplines, l’attitude que l’enseignant doit avoir. S’il y a un secteur où il faut une formation permanente, c’est le secteur de l’éducation. Il y a des avancées continuelles et si on ne développe pas une attitude critique par rapport à sa pratique, une attitude critique chez l’enseignant, vous gagnerez sur les trente années à venir. L’enseignant saura sa mesure. Se satisfaire de la réussite de quatre élèves dans une classe alors que le gros de la troupe a échoué, c’est un aveu d’échec, de l’inconscience. Nous sommes là pour faire réussir les enfants. Il y a des compétences diversifiées, on doit les accompagner et on doit valoriser la formation professionnelle. L’éducation nationale, avec ses 400 000 enseignants, a un boulot monstrueux à mener, il y a tout un programme, mais on est obligé d’élaborer des priorités et dans nos priorités, c’est la remédiation pédagogique. Notre priorité, remédier au taux de redoublement catastrophique et au taux d’abandon. Quand vous vous sentez mal dans votre classe, quand vous allez à l’école juste pour qu’on vous stigmatise, vous préparez le lit à tout ça. Mais si on a une approche pédagogique, on change la posture chez l’enseignant où son objectif est d’identifier non seulement vos incompétences, mais aussi vos compétences.
Liberté : Plus de huit millions d’élèves rejoignent ce matin les bancs de l’école, comment se présente cette rentrée ?
Mme Nouria Benghabrit : Elle se prépare depuis l’année dernière, c’est l’axe d’aboutissement d’un processus d’efforts qui démarre à la rentrée. Dès qu’on fait une rentrée, on prépare la suivante. Même si on la décline avec des choses basiques (établissements, enseignants, élèves, ressources humaines, manuels, etc.), c’est un travail soutenu. L’année scolaire, c’est préparer à un rythme d’enfer toute l’année, et nous avons espoir d’être payés en retour, c'est-à-dire une rentrée stable, des élèves qui soient dans des classes propres avec leurs manuels, avec leur enseignants, avec leur chef d’établissement. On a fait de gros efforts à ce niveau-là. On s’attend à quelque chose dans une ambiance plutôt chaleureuse, plutôt de confiance, que de défiance.
Cette année va connaître l’introduction de manuels dits de deuxième génération, qu’apportent-ils de nouveau ?
La nouveauté concernant les nouveaux programmes a été la nécessité de les adapter par rapport à la loi d’orientation. Cette loi a établi tous les contours de la réforme de l’école. Elle a donné un contenu formel, réglementaire à la réforme de l’école de 2003. Or, que s’est-il passé ? L’application de la réforme de l’école de 2003 est la conséquence d’un travail de spécialistes, d’experts, une commission qui a travaillé pendant neuf mois sans répit et qui a produit des résultats. J’ai eu la chance de faire partie de cette commission, et je peux vous dire que comparée à tous les groupes, structures auxquels j’ai participé, c’est la commission qui m’a le plus satisfaite. J’ai eu le sentiment et l’impression d’échanger avec des gens qui avaient des choses à dire, qui connaissaient en profondeur l’état du système. Vous savez, quand vous vous retrouvez avec des gens qui partagent les mêmes préoccupations, vous avez l’impression de faire des bonds en avant. Mais dès que vous êtes avec quelqu’un qui n’a connaissance du système que de manière subjective, soit par le biais de son enfant, de son épouse ou de son expérience, c’est impossible d’échanger. Je peux dire, en toute sincérité, c’est que la composante de la commission est mûrement réfléchie parce que moi-même, j’ai eu à faire des comparaisons avec tous les groupes dans lesquels j’étais (…) Dans cette commission, il y avait des spécialistes, mais pas forcément du système scolaire. C’est une commission intéressante car on a été jusqu’au bout de nos réflexions. En 2003, Il y avait des programmes qui ont été élaborés par la commission nationale des programmes. Et en 2008, la loi d’orientation précise, de manière importante, la question des valeurs qui étaient disséminées à travers l’ancien programme. La loi a remis de l’ordre dans les priorités en disant que l’algérianité recouvre les composantes de l’islam, de l’arabe, de l’amazighité. Or, quand vous lisez la référence des textes, il y a des études qui ont été menées, c’est là que nous avons vu que les textes étaient beaucoup externes par rapport à la production locale. Or dans notre pays, il y a des écrivains, des auteurs qui écrivent en arabe, en tamazight et en français. Être présent dans un manuel est une consécration. C’est pour cela que la commission des programmes a rédigé immédiatement en 2009 un référentiel. On est dans un processus cumulatif. Le référentiel, on l’a diffusé. Ce qui fait un peu de peine, c’est que certains pensent qu’on est dans la précipitation et nous demandent d’attendre. Dans les nouveaux programmes, il y a une démarche méthodologique, une clarification des valeurs. C’est un travail de spécialistes. Vous verrez dans la démarche que vous retrouvez à tous les niveaux, qu’il y a un effort d’organisation d’une matrice. Ce travail minutieux va faciliter le travail pédagogique des enseignants dont l’amélioration est notre credo.
Au-delà du contenu des manuels, les tares de l’école ne résident-elles pas plus globalement dans la pédagogie ou encore l’encadrement ? L’école n’est-elle pas aussi prisonnière de l’idéologie ?
L’école est prisonnière de l’idéologie quand on ne parle pas de pédagogie. Or, quand on recentre la problématique sur la pédagogie, il n’y a pas de place pour l’idéologue. Quand nous disons que nous allons mettre la pédagogie au cœur de nos préoccupations, cela signifie qu’il va falloir aller au détail : la formation des enseignants et sur quoi doit porter cette formation. On a commencé par faire l’analyse des résultats, les examens nationaux. Ce sont des examens qui touchent un nombre extrêmement important d’élèves dont le taux de réussite n’est pas très fort. Il faut aller au-delà de ça. Mais qu’est-ce que je vais faire de ces copies ? Ces copies vont nous servir de base d’analyse aux contenus. Cela ne s’est pas fait dans beaucoup de pays. L’action qui a été menée portait sur la pédagogie car pour nous, la dimension politique et idéologique, c’est la Constitution et la réforme de l’école. Nous considérons en tant que ministère de l’Éducation que nous avons un rôle d’opérationnalisation, donc la politique, c’est pas nous, la politique linguistique, c’est pas nous. Par contre, on est redevable de l’opérationnalisation. Et au cœur de cette opérationnalisation, c’est la pédagogie, parce que c’est elle qui va repositionner l’élève, les compétences, l’enseignant auquel la mission est dévolue.
Des forces se sont élevées pour vous attaquer quand vous avez évoqué la “derja”, puis ont persisté après l’annonce de la réforme du bac, comment réagissez-vous à cela ? Selon vous, est-ce un complot ou s’agit-il de gens qui ont pris l’école en otage ?
Ce sont les forces de la résistance face au changement. Il y a effectivement un reflexe naturel qui est celui de craindre le changement. Les gens sont habitués à une certaine façon de faire, à des choses, et nous on reparle de pédagogie, de communication. Si on revient à la question du dialectal (et ce qu’elle a fait comme bruit), la problématique porte sur comment assurer une transition entre le capital linguistique acquis par l’enfant dans sa famille et l’apprentissage à l’école, comment assurer la transition en douceur, c’est ça la problématique, elle est pédagogique et non pas politique ni idéologique. Ce que je voulais, c’est formaliser la démarche. Et on m’a ramené des enseignants qui faisaient un travail magnifique, comme une au Sud qui avait une licence en tamazight et avait un corpus pour expliquer des choses en targui, en arabe, en kabyle, en français… personne ne le lui a demandé. C’est ce qui est intéressant avec les enseignants. On encourage l’innovation pour peu que ça serve l’enfant, la réussite.
Dans votre démarche de réforme, avez-vous senti que vous étiez soutenue par le gouvernement ? On a l’impression qu’il y a une forme d’hésitation chez le gouvernement, à chaque fois il tente de rassurer…
En toute sincérité, je n’aurais pas pu avancer si je n’ avais pas le soutien du gouvernement, du Premier ministre et des plus hautes autorités de l’État. Parce que dans un système éducatif, il n’y a pas pire que de laisser les choses en l’état. Ça n’existe pas, soit vous reculez, soit vous avancez. Il est vrai qu’il y avait un environnement, un contexte. Il y a très peu d’organisations qui se sont élevées pour lutter contre la “ataba”. Que les probabilités ne soient pas enseignées, cela n’a dérangé personne. Ce qui fait que le taux d’échec en première année à l’université s’explique aussi par cela. J’ai l’impression qu’il y avait un phénomène de banalisation. On est habitué, on est juste content quand il n’y a pas de grèves. Mais c’est insuffisant. On est content que l’enfant ait son enseignant. Aujourd’hui, la société est exigeante et j’encourage l’exigence, sinon il n’y aura pas d’amélioration. Encourager l’exigence et répondre à la demande des parents, c’est de leur dire oui je ne me contente pas d’assurer une place pédagogique à votre enfant, mais je vais tenter d’assurer son épanouissement en faisant en sorte que ses compétences puissent êtres valorisées à travers la didactique des disciplines, l’attitude que l’enseignant doit avoir. S’il y a un secteur où il faut une formation permanente, c’est le secteur de l’éducation. Il y a des avancées continuelles et si on ne développe pas une attitude critique par rapport à sa pratique, une attitude critique chez l’enseignant, vous gagnerez sur les trente années à venir. L’enseignant saura sa mesure. Se satisfaire de la réussite de quatre élèves dans une classe alors que le gros de la troupe a échoué, c’est un aveu d’échec, de l’inconscience. Nous sommes là pour faire réussir les enfants. Il y a des compétences diversifiées, on doit les accompagner et on doit valoriser la formation professionnelle. L’éducation nationale, avec ses 400 000 enseignants, a un boulot monstrueux à mener, il y a tout un programme, mais on est obligé d’élaborer des priorités et dans nos priorités, c’est la remédiation pédagogique. Notre priorité, remédier au taux de redoublement catastrophique et au taux d’abandon. Quand vous vous sentez mal dans votre classe, quand vous allez à l’école juste pour qu’on vous stigmatise, vous préparez le lit à tout ça. Mais si on a une approche pédagogique, on change la posture chez l’enseignant où son objectif est d’identifier non seulement vos incompétences, mais aussi vos compétences.
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