En septembre 1998, le chef de l’État annonçait son départ et la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Dix-huit ans après, Jeune Afrique a pu reconstituer les circonstances précises de ce tournant majeur dans l’histoire récente du pays.
Algérie: l'ex-président Zeroual décline les appels à sa candidature
En cette nuit du jeudi 3 septembre 1998, Liamine Zéroual, 57 ans, a du mal à trouver le sommeil. Seul dans le jardin d’une résidence de luxe, à Windhoek (Namibie), que son homologue namibien, Sam Nujoma, a mise à sa disposition, le président algérien fait les cent pas, grillant cigarette sur cigarette. On le sait couche-tard et gros fumeur, mais, cette nuit-là, quelque chose semble le hanter.
Une décision difficile
Encore un massacre perpétré par les GIA ? Des ennuis de santé ? Des soucis familiaux ? Un énième scandale médiatique éclaboussant le général Mohamed Betchine, son ami et conseiller à la présidence ? Rien de tout cela : Zéroual a une décision importante à prendre, et pèse le pour et le contre. Tard dans la nuit, après des heures passées à cogiter, il a enfin tranché.
Le lendemain, dans l’avion présidentiel qui le ramène à Alger, il invite les collaborateurs qui l’ont accompagné dans son périple africain à le rejoindre dans le petit salon. Il est serein mais grave. « Vous savez que je voulais partir il y a un an, leur dit-il. À l’époque, les décideurs n’étaient pas d’accord, arguant qu’il n’était pas opportun de quitter le pouvoir. Eh bien ce moment est venu. Il faut laisser la place à d’autres. Je pars. Je vais le faire savoir dès mon retour à Alger. » Vendredi 11 septembre, huit jours après cette confidence faite à 10 000 m d’altitude, Liamine Zéroual annonce la tenue d’une élection présidentielle anticipée.
La suite est connue. Adoubé par l’armée, Abdelaziz Bouteflika lui succédera en avril 1999. Depuis son départ, Zéroual ne s’est jamais exprimé sur les circonstances qui l’ont conduit à quitter le palais d’El-Mouradia. Discret et réservé de nature, il a toujours évité les journalistes et décliné les propositions d’entrevue. Mohamed Betchine cultive le même goût du silence. S’il soutient que son ami Zéroual a été poussé à la démission, il refuse d’en dire davantage. Dix-huit ans plus tard, JA revient sur cet événement qui a bouleversé le cours de l’histoire en Algérie. Récit inédit d’une démission forcée.
» Un désintérêt manifeste pour le pouvoir et ses privilèges »
Nous sommes en octobre 1997. Presque deux ans après avoir été élu à la présidence, Zéroual veut déjà céder sa place. À ses proches collaborateurs, ce général redevenu civil développe son principal argument : il a comblé le vide institutionnel consécutif à l’interruption du processus électoral et à la démission, en janvier 1992, du président Chadli Bendjedid.
L’Algérie a désormais à sa tête un chef de l’État démocratiquement élu, en dépit des menaces des GIA. Et une nouvelle Constitution consacrant l’alternance au pouvoir a été adoptée par référendum en novembre 1996. Le pays dispose d’une Assemblée nationale et d’un Conseil de la nation (Sénat) où siègent tous les courants politiques, y compris les islamistes. Des assemblées locales ont été élues pour assurer le transfert des pouvoirs de l’Administration vers les représentants choisis par la population. Le terrorisme a été ramené à un état résiduel, quand bien même une série de massacres effroyables, commis durant l’été 1997 aux portes d’Alger, viennent rappeler que la lutte antiterroriste n’est pas encore gagnée.
Dans le cadre de la réconciliation nationale, Zéroual a mené un dialogue avec les dirigeants du Front islamique du salut (FIS, dissous en février 1992), mais ces derniers ont refusé de condamner les violences. Pour dégarnir les maquis, il a promulgué, deux ans plus tôt, la loi sur la rahma (« clémence ») afin de permettre à des centaines de terroristes de déposer les armes et de répondre de leurs crimes devant les juges. Mission accomplie donc pour Zéroual, dont le désintérêt manifeste pour le pouvoir et ses privilèges est un secret de Polichinelle.
N’avait-il pas démissionné en 1990 de son poste de chef des forces terrestres ? Puis quitté l’ambassade algérienne à Bucarest, où il avait été affecté quelques mois plus tard, pour retourner dans sa maison de Batna, dans l’est du pays, arguant qu’il ne voulait pas être payé à ne rien faire ?
Éradiquer le terrorisme
« Il faut maintenant prévoir une élection présidentielle anticipée », déclare Zéroual en ce mois d’octobre 1997. Mais quand ses collaborateurs, l’état-major de l’armée ainsi que les responsables des services de renseignements (DRS) apprennent qu’il veut écourter son mandat, ils manquent de s’étrangler. Pour eux, l’Algérie ne peut s’offrir le luxe de plonger dans une nouvelle période de turbulences et d’incertitude.
« Vous devez poursuivre votre mission », lui lance le général Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée et farouche partisan de l’éradication du terrorisme. Zéroual se résout à temporiser. Mais un dossier explosif viendra le contrarier sérieusement et empoisonner ses relations avec les services secrets, à l’époque dirigés par Mohamed Mediène, dit Toufik. Au terme de plusieurs mois de négociations secrètes avec le numéro deux du DRS, l’Armée islamique du salut (AIS) avait décrété une trêve unilatérale des armes à partir du 1er octobre 1997.
Pour arracher cet accord au bras armé du FIS, le DRS et l’armée ont dû sécuriser les campements de l’AIS, ravitailler ses terroristes en vivres et mobiliser les moyens de l’État (avions et véhicules) pour permettre à ses émirs de se déplacer dans plusieurs régions du pays afin d’expliquer le bien-fondé de cet armistice. Quels sont les termes de ce fameux accord ? À ce jour, Madani Mezrag, ex-chef de l’AIS, refuse d’en divulguer le contenu dans sa totalité, mais il en a laissé filtrer les grandes lignes dans les années 2000.
On sait donc que les deux parties avaient négocié une amnistie pour les combattants de l’AIS, l’intégration de certains d’entre eux dans les rangs de l’armée nationale pour combattre les résidus des GIA et la levée des contraintes administratives frappant les dirigeants du FIS.
Les termes de cet accord, négocié par le numéro deux du DRS au nom de son supérieur hiérarchique, révulsent Zéroual. Comme le rapporte l’un de ses ex-conseillers, « les positions des uns et des autres étaient devenues presque inconciliables. »
Si le DRS et une partie de l’establishment militaire sont favorables à un tel prolongement politique de la trêve, c’est parce que celui-ci neutraliserait de fait des milliers de terroristes et permettrait aux services de sécurité de se concentrer sur la traque et l’élimination des GIA. Washington n’est pas insensible à cet argument. Cameron Hume, ambassadeur des États-Unis à Alger, se fait l’avocat de cette option directement auprès de Zéroual, qui le reçoit pendant quarante minutes en décembre 1997.
Lorsque Hume lui explique, en prenant un luxe de précautions, que cet accord AIS-armée peut préfigurer un dialogue mettant définitivement fin aux violences qui ensanglantent l’Algérie, le sang du chef de l’État algérien ne fait qu’un tour. « La réponse de Zéroual ne laissait pas la moindre chance à la poursuite de la discussion sur le sujet », écrira l’ambassadeur américain.
Algérie: l'ex-président Zeroual décline les appels à sa candidature
En cette nuit du jeudi 3 septembre 1998, Liamine Zéroual, 57 ans, a du mal à trouver le sommeil. Seul dans le jardin d’une résidence de luxe, à Windhoek (Namibie), que son homologue namibien, Sam Nujoma, a mise à sa disposition, le président algérien fait les cent pas, grillant cigarette sur cigarette. On le sait couche-tard et gros fumeur, mais, cette nuit-là, quelque chose semble le hanter.
Une décision difficile
Encore un massacre perpétré par les GIA ? Des ennuis de santé ? Des soucis familiaux ? Un énième scandale médiatique éclaboussant le général Mohamed Betchine, son ami et conseiller à la présidence ? Rien de tout cela : Zéroual a une décision importante à prendre, et pèse le pour et le contre. Tard dans la nuit, après des heures passées à cogiter, il a enfin tranché.
Le lendemain, dans l’avion présidentiel qui le ramène à Alger, il invite les collaborateurs qui l’ont accompagné dans son périple africain à le rejoindre dans le petit salon. Il est serein mais grave. « Vous savez que je voulais partir il y a un an, leur dit-il. À l’époque, les décideurs n’étaient pas d’accord, arguant qu’il n’était pas opportun de quitter le pouvoir. Eh bien ce moment est venu. Il faut laisser la place à d’autres. Je pars. Je vais le faire savoir dès mon retour à Alger. » Vendredi 11 septembre, huit jours après cette confidence faite à 10 000 m d’altitude, Liamine Zéroual annonce la tenue d’une élection présidentielle anticipée.
La suite est connue. Adoubé par l’armée, Abdelaziz Bouteflika lui succédera en avril 1999. Depuis son départ, Zéroual ne s’est jamais exprimé sur les circonstances qui l’ont conduit à quitter le palais d’El-Mouradia. Discret et réservé de nature, il a toujours évité les journalistes et décliné les propositions d’entrevue. Mohamed Betchine cultive le même goût du silence. S’il soutient que son ami Zéroual a été poussé à la démission, il refuse d’en dire davantage. Dix-huit ans plus tard, JA revient sur cet événement qui a bouleversé le cours de l’histoire en Algérie. Récit inédit d’une démission forcée.
» Un désintérêt manifeste pour le pouvoir et ses privilèges »
Nous sommes en octobre 1997. Presque deux ans après avoir été élu à la présidence, Zéroual veut déjà céder sa place. À ses proches collaborateurs, ce général redevenu civil développe son principal argument : il a comblé le vide institutionnel consécutif à l’interruption du processus électoral et à la démission, en janvier 1992, du président Chadli Bendjedid.
L’Algérie a désormais à sa tête un chef de l’État démocratiquement élu, en dépit des menaces des GIA. Et une nouvelle Constitution consacrant l’alternance au pouvoir a été adoptée par référendum en novembre 1996. Le pays dispose d’une Assemblée nationale et d’un Conseil de la nation (Sénat) où siègent tous les courants politiques, y compris les islamistes. Des assemblées locales ont été élues pour assurer le transfert des pouvoirs de l’Administration vers les représentants choisis par la population. Le terrorisme a été ramené à un état résiduel, quand bien même une série de massacres effroyables, commis durant l’été 1997 aux portes d’Alger, viennent rappeler que la lutte antiterroriste n’est pas encore gagnée.
Dans le cadre de la réconciliation nationale, Zéroual a mené un dialogue avec les dirigeants du Front islamique du salut (FIS, dissous en février 1992), mais ces derniers ont refusé de condamner les violences. Pour dégarnir les maquis, il a promulgué, deux ans plus tôt, la loi sur la rahma (« clémence ») afin de permettre à des centaines de terroristes de déposer les armes et de répondre de leurs crimes devant les juges. Mission accomplie donc pour Zéroual, dont le désintérêt manifeste pour le pouvoir et ses privilèges est un secret de Polichinelle.
N’avait-il pas démissionné en 1990 de son poste de chef des forces terrestres ? Puis quitté l’ambassade algérienne à Bucarest, où il avait été affecté quelques mois plus tard, pour retourner dans sa maison de Batna, dans l’est du pays, arguant qu’il ne voulait pas être payé à ne rien faire ?
Éradiquer le terrorisme
« Il faut maintenant prévoir une élection présidentielle anticipée », déclare Zéroual en ce mois d’octobre 1997. Mais quand ses collaborateurs, l’état-major de l’armée ainsi que les responsables des services de renseignements (DRS) apprennent qu’il veut écourter son mandat, ils manquent de s’étrangler. Pour eux, l’Algérie ne peut s’offrir le luxe de plonger dans une nouvelle période de turbulences et d’incertitude.
« Vous devez poursuivre votre mission », lui lance le général Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée et farouche partisan de l’éradication du terrorisme. Zéroual se résout à temporiser. Mais un dossier explosif viendra le contrarier sérieusement et empoisonner ses relations avec les services secrets, à l’époque dirigés par Mohamed Mediène, dit Toufik. Au terme de plusieurs mois de négociations secrètes avec le numéro deux du DRS, l’Armée islamique du salut (AIS) avait décrété une trêve unilatérale des armes à partir du 1er octobre 1997.
Pour arracher cet accord au bras armé du FIS, le DRS et l’armée ont dû sécuriser les campements de l’AIS, ravitailler ses terroristes en vivres et mobiliser les moyens de l’État (avions et véhicules) pour permettre à ses émirs de se déplacer dans plusieurs régions du pays afin d’expliquer le bien-fondé de cet armistice. Quels sont les termes de ce fameux accord ? À ce jour, Madani Mezrag, ex-chef de l’AIS, refuse d’en divulguer le contenu dans sa totalité, mais il en a laissé filtrer les grandes lignes dans les années 2000.
On sait donc que les deux parties avaient négocié une amnistie pour les combattants de l’AIS, l’intégration de certains d’entre eux dans les rangs de l’armée nationale pour combattre les résidus des GIA et la levée des contraintes administratives frappant les dirigeants du FIS.
Les termes de cet accord, négocié par le numéro deux du DRS au nom de son supérieur hiérarchique, révulsent Zéroual. Comme le rapporte l’un de ses ex-conseillers, « les positions des uns et des autres étaient devenues presque inconciliables. »
Si le DRS et une partie de l’establishment militaire sont favorables à un tel prolongement politique de la trêve, c’est parce que celui-ci neutraliserait de fait des milliers de terroristes et permettrait aux services de sécurité de se concentrer sur la traque et l’élimination des GIA. Washington n’est pas insensible à cet argument. Cameron Hume, ambassadeur des États-Unis à Alger, se fait l’avocat de cette option directement auprès de Zéroual, qui le reçoit pendant quarante minutes en décembre 1997.
Lorsque Hume lui explique, en prenant un luxe de précautions, que cet accord AIS-armée peut préfigurer un dialogue mettant définitivement fin aux violences qui ensanglantent l’Algérie, le sang du chef de l’État algérien ne fait qu’un tour. « La réponse de Zéroual ne laissait pas la moindre chance à la poursuite de la discussion sur le sujet », écrira l’ambassadeur américain.
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