directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) : « L’accusation d’antisémitisme vise a empêcher la critique de la politique Israélienne» Spécial
Écrit par Omar Merzoug
Reporters : Vous avez très récemment publié un ouvrage que vous avez intitulé «Antisémite» (Editions Max Milo), pourquoi ce titre ?
Pascal Boniface : Parce que depuis environ dix-sept ans, je suis régulièrement l’objet d’attaques m’accusant d’antisémitisme, sans que pour autant du reste aucun de mes écrits, aucune de mes déclarations ne puisse prêter corps à cette rumeur calomnieuse. Tout ceci parce que j’ai émis des critiques à l’encontre du gouvernement israélien. C’est une affaire qui a pris une certaine importance. Ce que je raconte dans ce livre, outre le fait que j’ai toujours combattu l’antisémitisme comme toutes les formes de racisme, en les mettant sur le même pied, ne faisant pas de différence entre les luttes contre le racisme, mais un peu pour mettre en garde contre la confusion de plus en plus fréquente de la critique politique d’un gouvernement, en l’occurrence celui d’Israël, comme je peux critiquer d’autres gouvernements, et la haine d’un peuple, l’antisémitisme. Et l’on voit que pour des raisons sur lesquelles on pourra peut-être revenir, les avocats inconditionnels d’Israël, non pas ceux qui soutiennent l’Etat d’Israël, mais ceux qui estiment qu’il ne faut en aucun cas critiquer le gouvernement israélien, ces gens-là commettent une confusion entre critique du gouvernement israélien et l’antisémitisme, ce qui est politiquement dangereux et intellectuellement faux. Si je critique la politique de Donald Trump, Poutine ou tel grand dirigeant chinois, on ne va pas m’accuser de racisme anti-américain, anti-russe ou anti-chinois, on va s’aviser que j’exerce un jugement politique. Il n’y a donc vraiment que ce cas spécifique, où pour sanctuariser le gouvernement israélien, on accuse d’antisémitisme ceux qui jettent un regard critique sur l’action de ce gouvernement.
Ce serait une forme d’intimidation, de terrorisme intellectuel ?
C’est à la fois de l’intimidation et du terrorisme intellectuel, cocktail qui, je dois le dire, se révèle à l’expérience assez efficace. L’accusation d’antisémitisme est lourde à porter du point de vue de l’honneur et entraîne des conséquences sur le plan à la fois personnel et professionnel. Un certain nombre de collègues, de journalistes ou d’hommes politiques, que je connais personnellement, me confient en privé qu’ils partagent mes opinions sur le conflit israélo-palestinien, mais qu’ils se gardent bien de les proférer en public, parce qu’ils ne sont guère désireux de subir les foudres d’une campagne pour antisémitisme. A court terme, ces procédés sont efficaces dans la mesure où ils empêchent nombre de personnes de s’exprimer.
Comment en êtes-vous venu à vous pencher sur le problème israélo-palestinien, parce qu’à l’origine, vous n’êtes pas un spécialiste de la question ?
A l’origine, je suis un spécialiste des questions de désarmement et de dissuasion nucléaire. Aujourd’hui, je suis un généraliste des questions géopolitiques. Mais il est vrai que le conflit israélo-palestinien sort de l’ordinaire à la fois par son ancienneté et par les contradictions qu’il révèle dans le monde occidental. Ce dernier met en avant des valeurs dites «universelles» comme «le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», mais qu’il ne respecte pas. Dans le cas des Palestiniens, il s’agit d’un conflit à part dans les conséquences qu’il entraîne dans différents pays et, en particulier le mien, la France. On peut être en désaccord sur l’Ukraine, le Tibet, sur mille autres sujets, ça ne soulèvera jamais les passions et les campagnes de haine que peut provoquer le conflit israélo-palestinien.
Pourquoi, à votre sens, ce conflit suscite-t-il de telles passions ?
Parce que ce conflit a des correspondances internes en France qui compte à la fois la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d’Europe. En même temps, cet élément n’explique pas tout, car je connais de nombreux juifs qui militent pour que les Palestiniens se voient reconnaître le droit à un Etat et voir leurs droits s’exercer librement. On ne peut pas dire que tous les Juifs soutiennent Israël et tous les musulmans les Palestiniens. Ce sont aussi des choix politiques qui sont faits, mais peut-être que la position du gouvernement israélien est de plus en plus difficile à soutenir. Parce que l’occupation d’un peuple par une autre était déjà fort contestable au XXe siècle, au XXIe, elle est devenue franchement indéfendable. Lorsque vous n’avez pas réellement d’arguments à faire valoir sur le fond, qui est tout simplement l’occupation d’un peuple par un autre, vous avez peut-être tendance à reprendre les «arguments» du terrorisme intellectuel, pour reprendre votre expression, c’est-à-dire qui viennent empêcher une critique qui s’exercerait plus aisément.
Tous vos déboires ont commencé par une note que vous rédigez au sein du Parti socialiste…
Tout à fait. En 2001, un groupe de travail avait été créé au sein du Parti socialiste auquel j’appartenais afin de sortir du langage convenu, qui consistait à renvoyer dos à dos Israéliens et Palestiniens. Historiquement, le Parti socialiste est très proche d’Israël, et François Mitterrand a pris des positions très courageuses et qui dénotaient par rapport à l’ambiance générale du PS, parce qu’il l’a fait en tant que chef d’Etat, comme président de la République française. Les responsables du PS étaient toujours là à déclarer que ce serait, en effet, mieux qu’il y ait la paix, mais sans vraiment s’engager. J’ai participé aux réunions de ce groupe de travail et à la fin des travaux, j’ai rédigé une note signée de mon nom recommandant de prendre des positions plus dures sur le conflit israélo-palestinien.
Plus dures, en quel sens ?
Dans le sens du respect des dispositions du droit international, des principes dont se réclamait le PS lui-même. Afin que le PS soit en accord avec lui-même, je disais qu’il était tout de même curieux qu’on puisse se dire de gauche et rester muet face à l’action d’un gouvernement israélien qui déjà comptait des partis d’extrême droite en son sein, notamment celui d’Ariel Sharon. Il est curieux de protester contre la présence au pouvoir de l’extrême droite en Autriche et de ne rien dire sur la participation au gouvernement de l’extrême droite en Israël. Il se trouve que ma note a circulé et Lionel Jospin, qui était à l’époque Premier ministre et considéré comme un fort soutien d’Israël, a été relativement impressionné, m’a-t-on dit, par les arguments que je développais dans mon texte. Et c’est à partir de là que je suis devenu un danger pour les avocats inconditionnels d’Israël qui ont eu peur que le PS ne change d’attitude et ne prenne une position moins complice à l’égard du gouvernement israélien.
En lisant vos différents ouvrages, je me suis rendu compte que l’image d’Israël s’est progressivement modifiée dans l’opinion internationale. En 1967, Israël était perçu presque unanimement en Occident comme une victime, quinze ans plus tard, cette position est devenue plus difficilement tenable…
Tout à fait. Lorsqu’on consulte les sondages, en 1967, lors de la guerre des Six-jours, il y a encore un antisémitisme qui est prégnant en France, les préjugés touchant les Juifs sont encore très forts et en même temps, l’opinion est très pro-israélienne parce qu’elle est plus anti-arabe.
Écrit par Omar Merzoug
Reporters : Vous avez très récemment publié un ouvrage que vous avez intitulé «Antisémite» (Editions Max Milo), pourquoi ce titre ?
Pascal Boniface : Parce que depuis environ dix-sept ans, je suis régulièrement l’objet d’attaques m’accusant d’antisémitisme, sans que pour autant du reste aucun de mes écrits, aucune de mes déclarations ne puisse prêter corps à cette rumeur calomnieuse. Tout ceci parce que j’ai émis des critiques à l’encontre du gouvernement israélien. C’est une affaire qui a pris une certaine importance. Ce que je raconte dans ce livre, outre le fait que j’ai toujours combattu l’antisémitisme comme toutes les formes de racisme, en les mettant sur le même pied, ne faisant pas de différence entre les luttes contre le racisme, mais un peu pour mettre en garde contre la confusion de plus en plus fréquente de la critique politique d’un gouvernement, en l’occurrence celui d’Israël, comme je peux critiquer d’autres gouvernements, et la haine d’un peuple, l’antisémitisme. Et l’on voit que pour des raisons sur lesquelles on pourra peut-être revenir, les avocats inconditionnels d’Israël, non pas ceux qui soutiennent l’Etat d’Israël, mais ceux qui estiment qu’il ne faut en aucun cas critiquer le gouvernement israélien, ces gens-là commettent une confusion entre critique du gouvernement israélien et l’antisémitisme, ce qui est politiquement dangereux et intellectuellement faux. Si je critique la politique de Donald Trump, Poutine ou tel grand dirigeant chinois, on ne va pas m’accuser de racisme anti-américain, anti-russe ou anti-chinois, on va s’aviser que j’exerce un jugement politique. Il n’y a donc vraiment que ce cas spécifique, où pour sanctuariser le gouvernement israélien, on accuse d’antisémitisme ceux qui jettent un regard critique sur l’action de ce gouvernement.
Ce serait une forme d’intimidation, de terrorisme intellectuel ?
C’est à la fois de l’intimidation et du terrorisme intellectuel, cocktail qui, je dois le dire, se révèle à l’expérience assez efficace. L’accusation d’antisémitisme est lourde à porter du point de vue de l’honneur et entraîne des conséquences sur le plan à la fois personnel et professionnel. Un certain nombre de collègues, de journalistes ou d’hommes politiques, que je connais personnellement, me confient en privé qu’ils partagent mes opinions sur le conflit israélo-palestinien, mais qu’ils se gardent bien de les proférer en public, parce qu’ils ne sont guère désireux de subir les foudres d’une campagne pour antisémitisme. A court terme, ces procédés sont efficaces dans la mesure où ils empêchent nombre de personnes de s’exprimer.
Comment en êtes-vous venu à vous pencher sur le problème israélo-palestinien, parce qu’à l’origine, vous n’êtes pas un spécialiste de la question ?
A l’origine, je suis un spécialiste des questions de désarmement et de dissuasion nucléaire. Aujourd’hui, je suis un généraliste des questions géopolitiques. Mais il est vrai que le conflit israélo-palestinien sort de l’ordinaire à la fois par son ancienneté et par les contradictions qu’il révèle dans le monde occidental. Ce dernier met en avant des valeurs dites «universelles» comme «le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes», mais qu’il ne respecte pas. Dans le cas des Palestiniens, il s’agit d’un conflit à part dans les conséquences qu’il entraîne dans différents pays et, en particulier le mien, la France. On peut être en désaccord sur l’Ukraine, le Tibet, sur mille autres sujets, ça ne soulèvera jamais les passions et les campagnes de haine que peut provoquer le conflit israélo-palestinien.
Pourquoi, à votre sens, ce conflit suscite-t-il de telles passions ?
Parce que ce conflit a des correspondances internes en France qui compte à la fois la plus grande communauté juive et la plus grande communauté musulmane d’Europe. En même temps, cet élément n’explique pas tout, car je connais de nombreux juifs qui militent pour que les Palestiniens se voient reconnaître le droit à un Etat et voir leurs droits s’exercer librement. On ne peut pas dire que tous les Juifs soutiennent Israël et tous les musulmans les Palestiniens. Ce sont aussi des choix politiques qui sont faits, mais peut-être que la position du gouvernement israélien est de plus en plus difficile à soutenir. Parce que l’occupation d’un peuple par une autre était déjà fort contestable au XXe siècle, au XXIe, elle est devenue franchement indéfendable. Lorsque vous n’avez pas réellement d’arguments à faire valoir sur le fond, qui est tout simplement l’occupation d’un peuple par un autre, vous avez peut-être tendance à reprendre les «arguments» du terrorisme intellectuel, pour reprendre votre expression, c’est-à-dire qui viennent empêcher une critique qui s’exercerait plus aisément.
Tous vos déboires ont commencé par une note que vous rédigez au sein du Parti socialiste…
Tout à fait. En 2001, un groupe de travail avait été créé au sein du Parti socialiste auquel j’appartenais afin de sortir du langage convenu, qui consistait à renvoyer dos à dos Israéliens et Palestiniens. Historiquement, le Parti socialiste est très proche d’Israël, et François Mitterrand a pris des positions très courageuses et qui dénotaient par rapport à l’ambiance générale du PS, parce qu’il l’a fait en tant que chef d’Etat, comme président de la République française. Les responsables du PS étaient toujours là à déclarer que ce serait, en effet, mieux qu’il y ait la paix, mais sans vraiment s’engager. J’ai participé aux réunions de ce groupe de travail et à la fin des travaux, j’ai rédigé une note signée de mon nom recommandant de prendre des positions plus dures sur le conflit israélo-palestinien.
Plus dures, en quel sens ?
Dans le sens du respect des dispositions du droit international, des principes dont se réclamait le PS lui-même. Afin que le PS soit en accord avec lui-même, je disais qu’il était tout de même curieux qu’on puisse se dire de gauche et rester muet face à l’action d’un gouvernement israélien qui déjà comptait des partis d’extrême droite en son sein, notamment celui d’Ariel Sharon. Il est curieux de protester contre la présence au pouvoir de l’extrême droite en Autriche et de ne rien dire sur la participation au gouvernement de l’extrême droite en Israël. Il se trouve que ma note a circulé et Lionel Jospin, qui était à l’époque Premier ministre et considéré comme un fort soutien d’Israël, a été relativement impressionné, m’a-t-on dit, par les arguments que je développais dans mon texte. Et c’est à partir de là que je suis devenu un danger pour les avocats inconditionnels d’Israël qui ont eu peur que le PS ne change d’attitude et ne prenne une position moins complice à l’égard du gouvernement israélien.
En lisant vos différents ouvrages, je me suis rendu compte que l’image d’Israël s’est progressivement modifiée dans l’opinion internationale. En 1967, Israël était perçu presque unanimement en Occident comme une victime, quinze ans plus tard, cette position est devenue plus difficilement tenable…
Tout à fait. Lorsqu’on consulte les sondages, en 1967, lors de la guerre des Six-jours, il y a encore un antisémitisme qui est prégnant en France, les préjugés touchant les Juifs sont encore très forts et en même temps, l’opinion est très pro-israélienne parce qu’elle est plus anti-arabe.
Commentaire