Les dessous des 2 transitions difficiles auxquelles fait face l’Algérie révélés par l’International Crisis Group
L’Algérie fait face à deux transitions difficiles :
Ces deux transitions sont liées : l’ère Bouteflika a coïncidé, jusqu’en 2014, avec une période d’augmentation continue des prix du pétrole qui a soutenu l’économie algérienne alors que le pays se relevait de la guerre civile des années 1990. Cette période a aussi vu naitre une nouvelle classe d’entrepreneurs qui a stimulé la croissance mais dont le poids politique croissant et la corruption rampante constituent un frein aux réformes. Pour préserver la relative stabilité de l’Algérie dans une région tourmentée, il sera crucial de réussir simultanément ces deux transitions.
Ce rapport montre pourquoi le modèle économique actuel n’est pas viable, une situation que les autorités reconnaissent ouvertement mais qu’elles peinent à corriger.
Cette difficulté est courante dans les Etats « rentiers » – dont le budget annuel dépend excessivement des revenus pétroliers – confrontés à l’impératif de changement : la population, habituée au carburant et autres produits de base subventionnés, voit d’un mauvais œil la baisse des dépenses publiques. En Algérie, la tâche est rendue plus difficile par le lien tacite entre la prospérité économique et le processus de réconciliation nationale entrepris depuis l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, en 1999. La conjoncture économique des années d’après-guerre civile, avec des prix du pétrole au beau fixe permettant à la fois des dépenses sociales et l’émergence d’une nouvelle élite économique, a contribué à éviter le retour de la violence. Les réformes sont freinées à la fois par les traumatismes persistants de la guerre civile – qui avait commencé comme un mouvement populaire appelant à des réformes politiques et économiques pour se terminer dans un bain de sang –, et par la capacité de groupes d’intérêts influents qui ont prospéré sous Bouteflika de bloquer tout changement politique qui risquerait de les affecter négativement.
Les soulèvements arabes de 2011 et leurs conséquences ont souligné la fragilité des modèles économiques et politiques qui existent dans la région. L’Algérie ne s’identifie pas à ces pays car elle a connu, et fini par surmonter, ses propres bouleversements politiques et sociaux majeurs dans les années 1980 et 1990. Conséquence de cette histoire et des traumatismes associés, le pays n’a pas connu de troubles significatifs en 2011. La classe au pouvoir, bien que souvent critiquée, conserve une légitimité historique qui découle de la guerre de libération nationale contre la France, ainsi que le soutien de la population, en partie du fait de l’absence d’alternatives claires. Pourtant, l’Algérie a de nombreux points communs avec ses voisins : une population très jeune, une économie réfractaire aux réformes qui tourne au ralenti, et une passation de pouvoir plus qu’incertaine à l’horizon. Le sentiment d’être à l’abri des tendances régionales ne devrait pas donner lieu à de la complaisance.
Ce rapport repose sur des recherches effectuées en Algérie en 2017 et 2018, y compris des entretiens menés avec des responsables gouvernementaux et politiques, des entrepreneurs, des membres de la société civile, des universitaires et des journalistes. Il s’intéresse aux façons de conjuguer la volonté actuelle d’éviter un choc socio-économique en pleine transition politique et la nécessité pour le pays de s’adapter à un environnement économique très volatile et de répondre aux attentes des Algériens au seuil de la prochaine décennie.
II. Un modèle économique à bout de souffle
A. Une dépendance dangereuse aux réserves d’hydrocarbures qui s’épuisent
L’Algérie est extrêmement dépendante des revenus des hydrocarbures. Le pétrole et le gaz représentaient 97 pour cent des exportations, deux tiers des revenus de l’Etat et un tiers du PIB en 2014. En des jours meilleurs, cette ressource a permis à l’Etat de dépenser sans compter pour acheter la loyauté des élites et la paix sociale. Les revenus du pétrole ont permis au gouvernement d’ignorer largement les demandes de participation citoyenne et de transparence. Et quand les bénéfices financiers tels que les généreuses subventions et la gratuité des logements se sont révélés insuffisants pour étouffer la grogne sociale, ces revenus ont permis aux services de sécurité d’acquérir les moyens coercitifs nécessaires pour la réprimer.
Mais l’économie de rente a ses défauts. Elle a rendu l’Etat complaisant, protégé un secteur privé dans lequel les marchés publics sont attribués sur la base des relations personnelles plutôt que du mérite ou de l’efficacité, et maintenu des industries non compétitives à l’échelle internationale. Cela a également favorisé un sentiment d’ayant droit au sein de la population. Ces différents facteurs ont fait de l’Algérie un pays vulnérable aux fluctuations mondiales des prix des marchandises, ce qui risque de transformer le déclin économique qui dure depuis 2014 en une crise de légitimité politique. Le manque d’efficacité dans le secteur énergétique entrave encore davantage une économie qui tourne au ralenti. Ainsi, tandis que sa production diminue, l’Algérie est devenue le seul membre de l’OPEP à pomper en-dessous du quota autorisé, malgré les efforts entrepris pour attirer de nouveaux investisseurs.
Les réserves énergétiques prouvées de l’Algérie s’amenuisent également. Le calendrier prévisionnel d’extraction – vingt ans pour le pétrole et quinze pour le gaz – indique que d’ici une ou deux générations et à moins de nouvelles découvertes significatives ou d’avancées technologiques majeures, les réserves pourraient être épuisées. En attendant, les effets de la baisse des investissements internationaux dans le secteur des hydrocarbures et du vieillissement des champs pétrolifères se font déjà sentir.
En outre, la consommation nationale augmente, du fait de la croissance démographique et de l’évolution des modes de consommation. Une proportion croissante de la production reste dans le pays, ce qui diminue les exportations et, par conséquent, l’accès aux devises étrangères nécessaires à l’importation de marchandises.
L’Algérie redouble d’efforts pour augmenter sa production, y compris en employant des techniques controversées telles que la fracturation hydraulique. Tandis que l’ambivalence affichée concernant une participation étrangère accrue dans le secteur du pétrole et du gaz a bloqué à maintes reprises les réformes réglementaires, l’Etat pourrait se trouver dans l’obligation d’opter pour des solutions plus radicales, comme rendre l’investissement en Algérie plus attractif pour des multinationales capables d’améliorer le rendement des puits existants et de développer de nouvelles ressources telles que le gaz de schiste. Le projet du gouvernement d’augmenter la production de pétrole de 14 pour cent d’ici 2019 et d’investir des milliards dans l’exploration n’est pas réaliste, en partie à cause des interminables scandales de corruption qui paralysent la Sonatrach, l’entreprise pétrolière d’Etat ; ceux-ci sont généralement considérés comme le résultat d’un bras de fer entre les responsables politiques et les services de renseignement. Une gestion chaotique, marquée par la succession de quatre ministres de l’Energie et de six PDG de la Sonatrach depuis 2010, a affecté la stabilité du secteur pétrolier. Comme le souligne un analyste de l’industrie pétrolière :
Ce fut un double revers. Le scandale qui a entaché la Sonatrach et le ministère de l’Energie en 2010 a laissé tout le monde dans l’expectative. A cette période a succédé la chute des prix du pétrole en 2014. Or, avec cette dégringolade, même si les entreprises pétrolières se sentaient mieux armées pour faire face aux risques liés aux changements à leur tête et à l’environnement réglementaire, elles ne disposaient pas de la marge de manœuvre financière qui leur aurait permis de retourner en Algérie et de commencer à investir.
L’Algérie fait face à deux transitions difficiles :
- La première, rendue nécessaire par la chute des prix du pétrole depuis le pic du début des années 2010, correspond à la sortie d’un modèle économique reposant principalement sur les revenus pétroliers et gaziers et sur d’importantes dépenses publiques.
- La seconde se rapporte à une succession présidentielle incertaine, avec un président, Abdelaziz Bouteflika, âgé de 81 ans et très affaibli par un accident vasculaire cérébral en 2013, qui arrivera au terme de son quatrième mandat de cinq ans en 2019.
Ces deux transitions sont liées : l’ère Bouteflika a coïncidé, jusqu’en 2014, avec une période d’augmentation continue des prix du pétrole qui a soutenu l’économie algérienne alors que le pays se relevait de la guerre civile des années 1990. Cette période a aussi vu naitre une nouvelle classe d’entrepreneurs qui a stimulé la croissance mais dont le poids politique croissant et la corruption rampante constituent un frein aux réformes. Pour préserver la relative stabilité de l’Algérie dans une région tourmentée, il sera crucial de réussir simultanément ces deux transitions.
Ce rapport montre pourquoi le modèle économique actuel n’est pas viable, une situation que les autorités reconnaissent ouvertement mais qu’elles peinent à corriger.
Cette difficulté est courante dans les Etats « rentiers » – dont le budget annuel dépend excessivement des revenus pétroliers – confrontés à l’impératif de changement : la population, habituée au carburant et autres produits de base subventionnés, voit d’un mauvais œil la baisse des dépenses publiques. En Algérie, la tâche est rendue plus difficile par le lien tacite entre la prospérité économique et le processus de réconciliation nationale entrepris depuis l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, en 1999. La conjoncture économique des années d’après-guerre civile, avec des prix du pétrole au beau fixe permettant à la fois des dépenses sociales et l’émergence d’une nouvelle élite économique, a contribué à éviter le retour de la violence. Les réformes sont freinées à la fois par les traumatismes persistants de la guerre civile – qui avait commencé comme un mouvement populaire appelant à des réformes politiques et économiques pour se terminer dans un bain de sang –, et par la capacité de groupes d’intérêts influents qui ont prospéré sous Bouteflika de bloquer tout changement politique qui risquerait de les affecter négativement.
" Les soulèvements arabes de 2011 et leurs conséquences ont souligné la fragilité des modèles économiques et politiques qui existent dans la région. "
Ce rapport repose sur des recherches effectuées en Algérie en 2017 et 2018, y compris des entretiens menés avec des responsables gouvernementaux et politiques, des entrepreneurs, des membres de la société civile, des universitaires et des journalistes. Il s’intéresse aux façons de conjuguer la volonté actuelle d’éviter un choc socio-économique en pleine transition politique et la nécessité pour le pays de s’adapter à un environnement économique très volatile et de répondre aux attentes des Algériens au seuil de la prochaine décennie.
II. Un modèle économique à bout de souffle
A. Une dépendance dangereuse aux réserves d’hydrocarbures qui s’épuisent
L’Algérie est extrêmement dépendante des revenus des hydrocarbures. Le pétrole et le gaz représentaient 97 pour cent des exportations, deux tiers des revenus de l’Etat et un tiers du PIB en 2014. En des jours meilleurs, cette ressource a permis à l’Etat de dépenser sans compter pour acheter la loyauté des élites et la paix sociale. Les revenus du pétrole ont permis au gouvernement d’ignorer largement les demandes de participation citoyenne et de transparence. Et quand les bénéfices financiers tels que les généreuses subventions et la gratuité des logements se sont révélés insuffisants pour étouffer la grogne sociale, ces revenus ont permis aux services de sécurité d’acquérir les moyens coercitifs nécessaires pour la réprimer.
Mais l’économie de rente a ses défauts. Elle a rendu l’Etat complaisant, protégé un secteur privé dans lequel les marchés publics sont attribués sur la base des relations personnelles plutôt que du mérite ou de l’efficacité, et maintenu des industries non compétitives à l’échelle internationale. Cela a également favorisé un sentiment d’ayant droit au sein de la population. Ces différents facteurs ont fait de l’Algérie un pays vulnérable aux fluctuations mondiales des prix des marchandises, ce qui risque de transformer le déclin économique qui dure depuis 2014 en une crise de légitimité politique. Le manque d’efficacité dans le secteur énergétique entrave encore davantage une économie qui tourne au ralenti. Ainsi, tandis que sa production diminue, l’Algérie est devenue le seul membre de l’OPEP à pomper en-dessous du quota autorisé, malgré les efforts entrepris pour attirer de nouveaux investisseurs.
Les réserves énergétiques prouvées de l’Algérie s’amenuisent également. Le calendrier prévisionnel d’extraction – vingt ans pour le pétrole et quinze pour le gaz – indique que d’ici une ou deux générations et à moins de nouvelles découvertes significatives ou d’avancées technologiques majeures, les réserves pourraient être épuisées. En attendant, les effets de la baisse des investissements internationaux dans le secteur des hydrocarbures et du vieillissement des champs pétrolifères se font déjà sentir.
- En 2007, l’Algérie a exporté85 milliards de mètres cubes (mmc) de gaz naturel
- en 2018,l’objectif d’exportation n’est plus fixé qu’à 50 milliards de mètres cubes (mmc).
- en 2018,l’objectif d’exportation n’est plus fixé qu’à 50 milliards de mètres cubes (mmc).
L’Algérie redouble d’efforts pour augmenter sa production, y compris en employant des techniques controversées telles que la fracturation hydraulique. Tandis que l’ambivalence affichée concernant une participation étrangère accrue dans le secteur du pétrole et du gaz a bloqué à maintes reprises les réformes réglementaires, l’Etat pourrait se trouver dans l’obligation d’opter pour des solutions plus radicales, comme rendre l’investissement en Algérie plus attractif pour des multinationales capables d’améliorer le rendement des puits existants et de développer de nouvelles ressources telles que le gaz de schiste. Le projet du gouvernement d’augmenter la production de pétrole de 14 pour cent d’ici 2019 et d’investir des milliards dans l’exploration n’est pas réaliste, en partie à cause des interminables scandales de corruption qui paralysent la Sonatrach, l’entreprise pétrolière d’Etat ; ceux-ci sont généralement considérés comme le résultat d’un bras de fer entre les responsables politiques et les services de renseignement. Une gestion chaotique, marquée par la succession de quatre ministres de l’Energie et de six PDG de la Sonatrach depuis 2010, a affecté la stabilité du secteur pétrolier. Comme le souligne un analyste de l’industrie pétrolière :
Ce fut un double revers. Le scandale qui a entaché la Sonatrach et le ministère de l’Energie en 2010 a laissé tout le monde dans l’expectative. A cette période a succédé la chute des prix du pétrole en 2014. Or, avec cette dégringolade, même si les entreprises pétrolières se sentaient mieux armées pour faire face aux risques liés aux changements à leur tête et à l’environnement réglementaire, elles ne disposaient pas de la marge de manœuvre financière qui leur aurait permis de retourner en Algérie et de commencer à investir.
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