Il y a quarante ans, le deuxième président de la République algérienne, Houari Boumediène, décédait à l’hôpital Mustapha, le 27 décembre 1978, à l’âge de 46 ans, après un coma dans lequel il était entré le 18 novembre pécédent.
La plus grande passion de Houari Boumediène et son plus grand amour fut, sans conteste, l’Algérie, ce pays où il était né. En ce qui le concernait, ce n’étaient pas de vains mots destinés à s’attirer une popularité quelconque, comme c’est souvent le cas chez nombre de politiciens.
Non, lui, se gardait bien d’utiliser les vieilles méthodes de la démagogie. Non, lui, cet amour, il ne le proclamait pas à haute voix, il s’abstenait d’en faire état par des déclarations tonitruantes, mais il le prouvait constamment par ses actes au fil des mois et des années, n’hésitant jamais à mettre sa vie et son pouvoir en jeu pour réaliser ce qu’il croyait bon et nécessaire pour améliorer la vie de ses concitoyens et, en particulier, celle des plus déshérités d’entre eux. Non, il n’a jamais recherché le pouvoir pour jouir des plaisirs et des fastes du pouvoir.
Sa vie demeure toujours simple, frugale même, car l’homme était austère et se sentait à l’aise dans son détachement des biens matériels ; austère, il l’est resté jusqu’à sa mort, ne laissant ni argent, ni terre, ni maison, que ce fut en Algérie où ailleurs. Son seul plaisir : les cigares offerts par Fidel Castro qui le respectait et qui lui en voyait tous les trois mois ; en échange, le Président cubain recevait du vin algérien qu’il appréciait beaucoup.
Le nom de Houari Boumediène est indéfectiblement lié à l’âge d’or d’une Algérie nouvellement indépendante dont la voix était écoutée et respectée dans l’arène internationale pour ses réalisations tant sur le plan intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cet âge d’or était concrétisé sur le plan intérieur par une totale sécurité, par la diminution conséquente du chômage, par une monnaie forte (en 1978, 1 DA **=1,20 FF), un taux de croissance de 11,5%, la multiplication des écoles, des lycées, des universités, sans oublier la multiplication des maisons de la culture, la production de séries, de films dont certains reçurent des prix en France (au Festival de Cannes pour Les Années de braise) et aux Etats-Unis (2 oscars, l’un du meilleur film étranger, Z, entièrement produit par l’Algérie, et un autre pour le montage de Z qui avait été tourné à Alger), sans oublier le Premier festival panafricain en juillet 1969 où les orchestres africains jouaient dans la capitale avec la participation de grandes chanteuses comme Nina Simone ou Miriam Makeba.
L’œuvre de Boumediène fut immense, car elle touchait tous les domaines, militaire, industriel, agricole, culturel ; cette œuvre que, malheureusement pour l’Algérie, ses successeurs s’employèrent à détruire en amenant le chômage et le terrorisme, avec la bénédiction des pouvoirs et des médias étrangers qui redoutaient qu’une Algérie développée constitua un exemple fâcheux pour les autres pays du Tiers-Monde, là où se trouvent la plupart des richesses naturelles si précieuses et si utiles à ceux qui en manquent.
Si Boumediène a voulu le pouvoir, ce n’était pas pour lui-même et pour flatter son ego, non, c’était pour se donner les moyens d’appliquer une politique qui permette à l’Algérie de sortir du sous-développement dans lequel elle se trouvait en 1962. Le Président Boumediène mettait tout son honneur et sa fierté à entreprendre et réaliser ce que le pouvoir colonial avait omis de faire, mais la tâche était gigantesque.
En effet, la regrettée Germaine Tillion, ethnologue et sociologue, envoyée par le gouvernement français en Algérie, a admiramment analysé, dans un livre intitulé «L’Afrique bascule vers l’avenir : l’Algérie en 1957 et autres textes», la situation de l’Algérie à l’époque coloniale. Parlant des Algériens, elle écrit : «Je les ai quittés dans la dernière semaine de mai 1940. Quand je les ai retrouvés entre décembre 1954 et mars 1955, j’ai été atterrée par le changement survenu chez eux en moins de quinze ans et que je ne puis exprimer que par ce mot : ‘’clochardisation’’. »
Elle poursuit : «La société rurale algérienne glisse en toboggan vers une classe sociale qu’on peut appeler la ‘’classe clochard’’, car elle ne correspond ni à un prolétariat ni même à un sous-prolétariat.» Elle range « les deux tiers de l’Algérie parmi les pays maudits, ceux qui ont pris du retard, ceux où le morceau de pain quotidien devient chaque année un peu plus sec et un peu plus petit» ; ceux où avec « la multiplicaiton des hommes et la diminution des ressources le résultat est inévitablement une baisse tragique, régulière, progressive, inexorable du niveau de vie».
Dépeignant avec compassion la situation dramatique des masses rurales qui constituent l’écrasante majorité du peuple algérien, étant donné qu’il n’existe alors qu’un nombre très limité d’industries légères et que l’industrie lourde fait défaut, GermaineTillion écrit : « Je ne puis vous décrire l’interminable enchaînement de catastrophes qui, désormais, vont méthodiquement dévaster les existences de ces pauvres gens. Le pâturage ? Utilisé par un trop grand nombre de bêtes, il est usé avant le renouveau, et les bêtes crèvent.
La semence, espoir de l’an prochain ? Mourant de faim, on l’a mangeait par petites poignées. On est volé quand on achète. On est volé quand on vend. On n’aura plus de miel car les abeilles sont mortes à la dernière sécheresse et on n’a pas refait de ruches. Et j’allais oublier les impôts, les usuriers, les sociétes agricoles de prévoyance. Les lois et les fonctionnaires sont impuissants à protéger les hommes illettrés et pauvres ; une nuée de parasites les rongent.»
Elle décrit en ces termes le niveau de l’enseignement : «En 1954, dans la population musulmane, les illettrés en français atteignaient la proportion de 94% des hommes et 98% des femmes. En réalité, un petit garçon musulman sur cinq allait en classe et une petite fille musulmane sur seize.»
Dans les campagnes, dit-elle, « la scolarisation constituait un rêve inaccessible : dans telle commune, il y a place dans les écoles pour un enfant sur cinquante ; ailleurs, pour un enfant sur soixante-dix». Au sujet de cette Algérie qui compte alors dix millions d’habitants, GermaineTillion observe : « En 1955, 1 683 000 enfants algériens d’âge scolaire n’ont pas eu de places dans les écoles... Cela signifie que les populations correspondantes (environ 7 millions d’êtres humains) sont abandonnées, c’est-à-dire privées des chances de vivre un jour dans des conditions normales. Dans tous les autres domaines — soins médicaux, lois sociales, assistance économique —, ces 7 millions d’êtres humains sont privés des avantages auxquels participent plus ou moins les autres habitants de l’Algérie (3 millions dont environ 1 million originaire d’Europe).»
Au vu de ce triste constat, les solutions que préconisait Germaine Tillion étaient «la scolarisaiton totale et une réforme agraire rationnelle» qu’elle jugeait «indispensables» mais qui seraient à elles seules insuffisantes pour résoudre tous les problèmes de l’Algérie si elle ne s’accompagnaient pas de l’industrialisation, car, écrit-elle, «l’Algérie, pays rural archaïque, ne peut nourrir que deux millions. En devenant un pays industriel prospère, elle serait au contraire sous-peuplée. Accourez agronomes, maçons, mécaniciens ! Et tout ce que le monde produit de techniciens ! Il y a place pour vous dans une Algérie qui joue gagnant, alors que dans une Algérie qui joue perdant, sur quatre individus, trois devront partir ou mourir».
En dépit de «l’énormité de l’entreprise» qui consistait à sauver la population d’un pays rural archaïque, déjà clochardisé, « le gouvernement du président Boumediène a voulu que l’Algérie joue gagnant». A sa mort, la revue Pétrole et gaz arabes, qui avait suivi de près, au fil des années, toutes les réalisations de l’Algérie indépendante, dressait en ces termes, dans son numéro du 16 janvier 1979, l’inventaire de ce qu’elle nommait «L’héritage pétrolier de Boumediène».
« L’émotion suscitéeen Algérie et dans le monde par la disparition du Président Houari Boumediène témoigne de la haute stature de l’homme d’Etat qui, pendant la Révolution algérienne de 1954 à 1962, puis comme chef d’Etat de 1965 à 1978, a forgé l’Algérie moderne et joué un role de premier plan dans les affaires économiques et politiques internationales. Les efforts soutenus déployés par le leader disparu ont permis à l’Algérie de se doter d’institutions politiques représentatives et stables, de récupérer ses droits de souveraineté sur l’intégralité de ses richesses naturelles et de son appareil de production et de jeter les bases de son industrialisation et de son développement économique et social.
Parallèlement aux mesures prises au pas de course pour arracher son pays au vide politique et à l’exploitation étrangère légués par 132 ans de domination coloniale, Houari Boumediène a été l’une des principales figures de proue de la lutte engagée par les pays du Tiers-Monde pour parachever leur émancipation politique et rééquilibrer leurs relations économiques avec les pays industrialisés. C’est notamment sur son initiative, alors qu’il était le président du groupe des pays non-alignés, que l’Assemblée générale des Nations unies s’est réunie en avril 1974 en session extraordinaire pour discuter du problème du pétrole et des matières premières et de l’instauration d’un nouvel ordre économique international.
Ajoutons pour la petite histoire que c’est le président Boumediène qui fit entrer, pour la première fois à cette occasion, la langue arabe dans l’institution des Nations unies. Personne ne l’avait fait avant lui.
Ce qui était remarquable chez Boumediène, c’était sa fidélité aux principes qu’il énonçait et qu’il appliquera après sa prise de pouvoir. Ainsi, trois jours avant que s’ouvrent aux Rousses les négociations qui aboutiront aux accords d’Evian, il adressait, en se qualité de chef d’état- major général, aux unités de l’armée, une directive de quatre pages, portant la date du 8 février 1962. Des questions importantes y étaient abordées, et nous en extrayons les passages les plus significatifs qui se rapportent à la conception qu’avait le colonel Boumediène de l’indépendance, du devenir économique de l’Algérie et de l’armée.
L’étude de cette directive est d’autant plus intéressante qu’elle démontre clairement que Houari Boumediène pensait déjà à cette époque à la nécessité de nationaliser les hydrocarbures pour accroître les ressources financières de l’Algérie, et ce, avant même que le programme de Tripoli ait été élaboré.
«De toute évidence, précise la directive du chef d’état-major général, l’indépendance ne saurait être qu’un moyen pour affronter la grande bataille, non pas de la simple reconstruction, mais plutôt de l’édification du pays sur des assises politiques, économiques et sociales répondant aux aspirations légitimes du peuple algérien. Il ne faut à aucun moment dissocier la politique de l’économique et du social... Chaque militant conscient, chaque responsable pensera dès aujourd’hui aux critères. Par ailleurs, de nombreux problèmes économiques et sociaux pourront être également résolus par les principes d’économie dirigée ou de nationalisation des richesses, tels ceux du pétrole ou des grandes richesses naturelles. De la même manière, les compagnies de transport par exemple, les sociétés d’assurances, certaines banques pourront éventuellement être prises en charge par l’Etat.
Pour cela, il nous faut des plans rationels, des structures solides, une progression constante, une pensée unifiée, des cadres politisés, conscients et aptes à saisir les nuances des espoirs du peuple. Il nous faut une conscience nationale exigeante et ambitieuse sans cesser d’être réaliste. Les hommes ne valent pour nous que ce que valent les principes auxquels ils s’identifient... Ayant à ce jour partagé le sort des pays sous-développés, nous devons contribuer avec eux à la liquidation du colonialisme sous toutes ses formes et du néo-colonialisme qui prend chaque jour des aspects plus nuancés.»
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La plus grande passion de Houari Boumediène et son plus grand amour fut, sans conteste, l’Algérie, ce pays où il était né. En ce qui le concernait, ce n’étaient pas de vains mots destinés à s’attirer une popularité quelconque, comme c’est souvent le cas chez nombre de politiciens.
Non, lui, se gardait bien d’utiliser les vieilles méthodes de la démagogie. Non, lui, cet amour, il ne le proclamait pas à haute voix, il s’abstenait d’en faire état par des déclarations tonitruantes, mais il le prouvait constamment par ses actes au fil des mois et des années, n’hésitant jamais à mettre sa vie et son pouvoir en jeu pour réaliser ce qu’il croyait bon et nécessaire pour améliorer la vie de ses concitoyens et, en particulier, celle des plus déshérités d’entre eux. Non, il n’a jamais recherché le pouvoir pour jouir des plaisirs et des fastes du pouvoir.
Sa vie demeure toujours simple, frugale même, car l’homme était austère et se sentait à l’aise dans son détachement des biens matériels ; austère, il l’est resté jusqu’à sa mort, ne laissant ni argent, ni terre, ni maison, que ce fut en Algérie où ailleurs. Son seul plaisir : les cigares offerts par Fidel Castro qui le respectait et qui lui en voyait tous les trois mois ; en échange, le Président cubain recevait du vin algérien qu’il appréciait beaucoup.
Le nom de Houari Boumediène est indéfectiblement lié à l’âge d’or d’une Algérie nouvellement indépendante dont la voix était écoutée et respectée dans l’arène internationale pour ses réalisations tant sur le plan intérieur qu’à l’extérieur du pays. Cet âge d’or était concrétisé sur le plan intérieur par une totale sécurité, par la diminution conséquente du chômage, par une monnaie forte (en 1978, 1 DA **=1,20 FF), un taux de croissance de 11,5%, la multiplication des écoles, des lycées, des universités, sans oublier la multiplication des maisons de la culture, la production de séries, de films dont certains reçurent des prix en France (au Festival de Cannes pour Les Années de braise) et aux Etats-Unis (2 oscars, l’un du meilleur film étranger, Z, entièrement produit par l’Algérie, et un autre pour le montage de Z qui avait été tourné à Alger), sans oublier le Premier festival panafricain en juillet 1969 où les orchestres africains jouaient dans la capitale avec la participation de grandes chanteuses comme Nina Simone ou Miriam Makeba.
L’œuvre de Boumediène fut immense, car elle touchait tous les domaines, militaire, industriel, agricole, culturel ; cette œuvre que, malheureusement pour l’Algérie, ses successeurs s’employèrent à détruire en amenant le chômage et le terrorisme, avec la bénédiction des pouvoirs et des médias étrangers qui redoutaient qu’une Algérie développée constitua un exemple fâcheux pour les autres pays du Tiers-Monde, là où se trouvent la plupart des richesses naturelles si précieuses et si utiles à ceux qui en manquent.
Si Boumediène a voulu le pouvoir, ce n’était pas pour lui-même et pour flatter son ego, non, c’était pour se donner les moyens d’appliquer une politique qui permette à l’Algérie de sortir du sous-développement dans lequel elle se trouvait en 1962. Le Président Boumediène mettait tout son honneur et sa fierté à entreprendre et réaliser ce que le pouvoir colonial avait omis de faire, mais la tâche était gigantesque.
En effet, la regrettée Germaine Tillion, ethnologue et sociologue, envoyée par le gouvernement français en Algérie, a admiramment analysé, dans un livre intitulé «L’Afrique bascule vers l’avenir : l’Algérie en 1957 et autres textes», la situation de l’Algérie à l’époque coloniale. Parlant des Algériens, elle écrit : «Je les ai quittés dans la dernière semaine de mai 1940. Quand je les ai retrouvés entre décembre 1954 et mars 1955, j’ai été atterrée par le changement survenu chez eux en moins de quinze ans et que je ne puis exprimer que par ce mot : ‘’clochardisation’’. »
Elle poursuit : «La société rurale algérienne glisse en toboggan vers une classe sociale qu’on peut appeler la ‘’classe clochard’’, car elle ne correspond ni à un prolétariat ni même à un sous-prolétariat.» Elle range « les deux tiers de l’Algérie parmi les pays maudits, ceux qui ont pris du retard, ceux où le morceau de pain quotidien devient chaque année un peu plus sec et un peu plus petit» ; ceux où avec « la multiplicaiton des hommes et la diminution des ressources le résultat est inévitablement une baisse tragique, régulière, progressive, inexorable du niveau de vie».
Dépeignant avec compassion la situation dramatique des masses rurales qui constituent l’écrasante majorité du peuple algérien, étant donné qu’il n’existe alors qu’un nombre très limité d’industries légères et que l’industrie lourde fait défaut, GermaineTillion écrit : « Je ne puis vous décrire l’interminable enchaînement de catastrophes qui, désormais, vont méthodiquement dévaster les existences de ces pauvres gens. Le pâturage ? Utilisé par un trop grand nombre de bêtes, il est usé avant le renouveau, et les bêtes crèvent.
La semence, espoir de l’an prochain ? Mourant de faim, on l’a mangeait par petites poignées. On est volé quand on achète. On est volé quand on vend. On n’aura plus de miel car les abeilles sont mortes à la dernière sécheresse et on n’a pas refait de ruches. Et j’allais oublier les impôts, les usuriers, les sociétes agricoles de prévoyance. Les lois et les fonctionnaires sont impuissants à protéger les hommes illettrés et pauvres ; une nuée de parasites les rongent.»
Elle décrit en ces termes le niveau de l’enseignement : «En 1954, dans la population musulmane, les illettrés en français atteignaient la proportion de 94% des hommes et 98% des femmes. En réalité, un petit garçon musulman sur cinq allait en classe et une petite fille musulmane sur seize.»
Dans les campagnes, dit-elle, « la scolarisation constituait un rêve inaccessible : dans telle commune, il y a place dans les écoles pour un enfant sur cinquante ; ailleurs, pour un enfant sur soixante-dix». Au sujet de cette Algérie qui compte alors dix millions d’habitants, GermaineTillion observe : « En 1955, 1 683 000 enfants algériens d’âge scolaire n’ont pas eu de places dans les écoles... Cela signifie que les populations correspondantes (environ 7 millions d’êtres humains) sont abandonnées, c’est-à-dire privées des chances de vivre un jour dans des conditions normales. Dans tous les autres domaines — soins médicaux, lois sociales, assistance économique —, ces 7 millions d’êtres humains sont privés des avantages auxquels participent plus ou moins les autres habitants de l’Algérie (3 millions dont environ 1 million originaire d’Europe).»
Au vu de ce triste constat, les solutions que préconisait Germaine Tillion étaient «la scolarisaiton totale et une réforme agraire rationnelle» qu’elle jugeait «indispensables» mais qui seraient à elles seules insuffisantes pour résoudre tous les problèmes de l’Algérie si elle ne s’accompagnaient pas de l’industrialisation, car, écrit-elle, «l’Algérie, pays rural archaïque, ne peut nourrir que deux millions. En devenant un pays industriel prospère, elle serait au contraire sous-peuplée. Accourez agronomes, maçons, mécaniciens ! Et tout ce que le monde produit de techniciens ! Il y a place pour vous dans une Algérie qui joue gagnant, alors que dans une Algérie qui joue perdant, sur quatre individus, trois devront partir ou mourir».
En dépit de «l’énormité de l’entreprise» qui consistait à sauver la population d’un pays rural archaïque, déjà clochardisé, « le gouvernement du président Boumediène a voulu que l’Algérie joue gagnant». A sa mort, la revue Pétrole et gaz arabes, qui avait suivi de près, au fil des années, toutes les réalisations de l’Algérie indépendante, dressait en ces termes, dans son numéro du 16 janvier 1979, l’inventaire de ce qu’elle nommait «L’héritage pétrolier de Boumediène».
« L’émotion suscitéeen Algérie et dans le monde par la disparition du Président Houari Boumediène témoigne de la haute stature de l’homme d’Etat qui, pendant la Révolution algérienne de 1954 à 1962, puis comme chef d’Etat de 1965 à 1978, a forgé l’Algérie moderne et joué un role de premier plan dans les affaires économiques et politiques internationales. Les efforts soutenus déployés par le leader disparu ont permis à l’Algérie de se doter d’institutions politiques représentatives et stables, de récupérer ses droits de souveraineté sur l’intégralité de ses richesses naturelles et de son appareil de production et de jeter les bases de son industrialisation et de son développement économique et social.
Parallèlement aux mesures prises au pas de course pour arracher son pays au vide politique et à l’exploitation étrangère légués par 132 ans de domination coloniale, Houari Boumediène a été l’une des principales figures de proue de la lutte engagée par les pays du Tiers-Monde pour parachever leur émancipation politique et rééquilibrer leurs relations économiques avec les pays industrialisés. C’est notamment sur son initiative, alors qu’il était le président du groupe des pays non-alignés, que l’Assemblée générale des Nations unies s’est réunie en avril 1974 en session extraordinaire pour discuter du problème du pétrole et des matières premières et de l’instauration d’un nouvel ordre économique international.
Ajoutons pour la petite histoire que c’est le président Boumediène qui fit entrer, pour la première fois à cette occasion, la langue arabe dans l’institution des Nations unies. Personne ne l’avait fait avant lui.
Ce qui était remarquable chez Boumediène, c’était sa fidélité aux principes qu’il énonçait et qu’il appliquera après sa prise de pouvoir. Ainsi, trois jours avant que s’ouvrent aux Rousses les négociations qui aboutiront aux accords d’Evian, il adressait, en se qualité de chef d’état- major général, aux unités de l’armée, une directive de quatre pages, portant la date du 8 février 1962. Des questions importantes y étaient abordées, et nous en extrayons les passages les plus significatifs qui se rapportent à la conception qu’avait le colonel Boumediène de l’indépendance, du devenir économique de l’Algérie et de l’armée.
L’étude de cette directive est d’autant plus intéressante qu’elle démontre clairement que Houari Boumediène pensait déjà à cette époque à la nécessité de nationaliser les hydrocarbures pour accroître les ressources financières de l’Algérie, et ce, avant même que le programme de Tripoli ait été élaboré.
«De toute évidence, précise la directive du chef d’état-major général, l’indépendance ne saurait être qu’un moyen pour affronter la grande bataille, non pas de la simple reconstruction, mais plutôt de l’édification du pays sur des assises politiques, économiques et sociales répondant aux aspirations légitimes du peuple algérien. Il ne faut à aucun moment dissocier la politique de l’économique et du social... Chaque militant conscient, chaque responsable pensera dès aujourd’hui aux critères. Par ailleurs, de nombreux problèmes économiques et sociaux pourront être également résolus par les principes d’économie dirigée ou de nationalisation des richesses, tels ceux du pétrole ou des grandes richesses naturelles. De la même manière, les compagnies de transport par exemple, les sociétés d’assurances, certaines banques pourront éventuellement être prises en charge par l’Etat.
Pour cela, il nous faut des plans rationels, des structures solides, une progression constante, une pensée unifiée, des cadres politisés, conscients et aptes à saisir les nuances des espoirs du peuple. Il nous faut une conscience nationale exigeante et ambitieuse sans cesser d’être réaliste. Les hommes ne valent pour nous que ce que valent les principes auxquels ils s’identifient... Ayant à ce jour partagé le sort des pays sous-développés, nous devons contribuer avec eux à la liquidation du colonialisme sous toutes ses formes et du néo-colonialisme qui prend chaque jour des aspects plus nuancés.»
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