Une justice suspecte en attendant l’État de droit
Dans la colonne maintenant de «ce qui n’a pas changé», c’est d’abord le reste des «B» dont le peuple revendique, chaque week-end, le départ aux cris de «Yetnahaw ga3 !» Belaïz, l’un des hommes-clés de Bouteflika, a jeté l’éponge.
Mais le CC reste majoritairement «bouteflikien». Bedoui était le ministre de l’Intérieur de Bouteflika, un fidèle parmi les fidèles ; il était chargé de la mise au pas de l’appareil administratif pour faciliter le passage du 5e mandat, fût-ce au prix d’une fraude massive, si la volonté populaire ne s’était pas exprimée entre-temps, autrement que par le subterfuge des urnes. Il y a aussi, bien sûr, Bensalah qui est imposé de facto comme le chef de la transition, et qui est un pur produit du système Bouteflika.
Côté justice, beaucoup de noms ont défrayé la chronique ces derniers jours, dont nombre d’oligarques proches du clan présidentiel.
Mais on n’a encore rien entendu sur le principal concerné, le parrain de toute cette «issaba» : le sieur Saïd Bouteflika. Pareil, concernant le général Toufik qui a fait beaucoup de mal, l’ancien patron du DRS étant intimement lié à la police politique et ses basses besognes, et qui a été d’ailleurs pilonné avec véhémence dans le dernier discours de Gaïd Salah.
D’un autre côté, il faut souligner un principe important : l’institution judiciaire ne doit écouter que sa conscience et ne s’en tenir qu’aux dossiers qu’elle a entre ses mains. Or, il y a comme un parfum de «justice expéditive» dans cet emballement de l’actualité judiciaire.
Il n’y a pas de justice libre sans séparation des pouvoirs. Et nous n’en sommes pas encore là. Nous sommes encore bien loin des standards de la «IIe République».
Une réforme profonde du secteur de la justice ne peut se faire sans un véritable Etat de droit. Elle doit être l’émanation d’une refonte des institutions, d’une répartition équilibrée des pouvoirs de sorte que les juges ne soient plus sous la botte de la «chancellerie», qu’il n’y ait plus de justice aux ordres, que le parquet ne soit plus à la merci de telle ou telle autorité, civile ou militaire…
Dans le spectacle qui se déroule devant le tribunal de Sidi M’hamed, il y a quelque chose de suspect, oui. Surtout si on y ajoute la façon dont des dizaines de jeunes manifestants innocents sont traités (et maltraités) par cette même justice.
Les choses vont trop vite, alors que la transition n’est pas actée, le système est toujours en place, avec ses hommes de main et ses hommes de l’ombre, ses walis, ses magistrats, ses chefs de daïra, son APN, son Sénat, son EPTV, son UGTA…
À quoi joue Gaïd Salah ?
Il faut dire un mot également sur Gaïd Salah sans qui le système Bouteflika n’aurait jamais tenu aussi longtemps. Il a été d’un précieux secours au régime, et s’il veut se poser aujourd’hui en sauveur de la nation, un timonier réellement à l’écoute de son peuple, il faudrait qu’il en donne le gage rapidement en sortant du piège du «102» et en engageant le pays sur les rails d’une transition solide, avec une toute autre feuille de route, des visages issus du mouvement populaire, et des garanties surtout de prendre sa retraite sitôt la passation de pouvoirs entérinée.
Pour l’heure, ce que l’on voit, c’est beaucoup d’agitation, beaucoup d’effets d’annonce, beaucoup de spectaculaire et beaucoup de tergiversations qui n’augurent rien de bon.
A quoi riment, sinon, les dernières consultations de Bensalah ?
A quoi joue-t-on ? Quelle mouche a donc piqué ces messieurs d’organiser cette conférence casse-gueule de Club des Pins pour finir avec quatre chats qui ne représentent même pas leur dechra ? Et pour couronner le tout, la Présidence annonce le maintien de l’échéance du 4 juillet.
Ce n’est pas sérieux ! C’est irresponsable. Peut-on imaginer une seule seconde des candidats (a fortiori des candidats identifiés comme «cachiristes») se présenter devant le peuple pour animer leur campagne, quand la moindre sortie ministérielle s’apparente à une mission casse-cou ? C’est proprement suicidaire, cette élection. Nos chers décideurs n’ont donc absolument rien compris au message du 22 février.
Il y a aussi un autre élément extrêmement inquiétant, et qui révèle l’ampleur du gap qui sépare ces gens-là de ce que dit tous les vendredis la population : l’enfer qu’ont vécu de nombreux activistes ces dernières semaines.
Le retour du répressif avec tout l’arsenal habituel (gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, canons à eau…) est un très mauvais signe, en effet. Sans parler des interpellations abusives, avec tout l’arbitraire qui les caractérise, comme l’illustre l’affront subi par quatre militantes au commissariat de Baraki, le samedi 13 avril, elles qui ont été obligées de se déshabiller pour une «fouille corporelle» totalement injustifiée, surtout que leurs camarades hommes n’ont pas été soumis au même traitement…
La «Bouteflicaille» n’a pas changé
Il convient de rappeler aussi l’affaire Ramzi Yettou, Allah yerahmou, qui a rendu l’âme vendredi dernier après une semaine passée à l’hôpital Mustapha. Il avait été blessé à la tête lors des manifestations du 12 avril.
A cela s’ajoutent tous les sit-in, les rassemblements, interdits par la police, particulièrement à la Grande-Poste, avec leur lot de rafles agressives, donnant le sentiment que le calendrier de la police s’est arrêté au 21 février et que c’est toujours la «bouteflicaille» qui est à l’œuvre.
Gaïd Salah a promis de protéger les manifestants, et le porte-æparole du gouvernement a affirmé que l’instruction de réprimer n’est pas venue de l’Exécutif. Qui croire ? Qui décide ?
Y aurait-il plusieurs centres de décision ? Bedoui roulerait-il pour Saïd Bouteflika ? Le couple Toufik-Saïd serait-il encore à la manœuvre ?
Quelles que soient les hypothèses posées sur la table, Gaïd Salah qui détient le pouvoir réel, et qui semble tellement attaché à l’application de la Constitution, notamment ses articles 102 et 104, doit veiller au strict respect de tous les articles de la Constitution, à commencer par ceux qui énoncent le respect des libertés fondamentales, individuelles et collectives.
Nous le disons encore une fois : le patron de l’armée doit donner des gages pour une vraie transition, sans quoi, rien n’aura vraiment changé et le système finira par se restaurer. Pas avec les mêmes visages, peut-être, mais avec les mêmes pratiques et le même logiciel.
El Watan
23 Avril 2019
Dans la colonne maintenant de «ce qui n’a pas changé», c’est d’abord le reste des «B» dont le peuple revendique, chaque week-end, le départ aux cris de «Yetnahaw ga3 !» Belaïz, l’un des hommes-clés de Bouteflika, a jeté l’éponge.
Mais le CC reste majoritairement «bouteflikien». Bedoui était le ministre de l’Intérieur de Bouteflika, un fidèle parmi les fidèles ; il était chargé de la mise au pas de l’appareil administratif pour faciliter le passage du 5e mandat, fût-ce au prix d’une fraude massive, si la volonté populaire ne s’était pas exprimée entre-temps, autrement que par le subterfuge des urnes. Il y a aussi, bien sûr, Bensalah qui est imposé de facto comme le chef de la transition, et qui est un pur produit du système Bouteflika.
Côté justice, beaucoup de noms ont défrayé la chronique ces derniers jours, dont nombre d’oligarques proches du clan présidentiel.
Mais on n’a encore rien entendu sur le principal concerné, le parrain de toute cette «issaba» : le sieur Saïd Bouteflika. Pareil, concernant le général Toufik qui a fait beaucoup de mal, l’ancien patron du DRS étant intimement lié à la police politique et ses basses besognes, et qui a été d’ailleurs pilonné avec véhémence dans le dernier discours de Gaïd Salah.
D’un autre côté, il faut souligner un principe important : l’institution judiciaire ne doit écouter que sa conscience et ne s’en tenir qu’aux dossiers qu’elle a entre ses mains. Or, il y a comme un parfum de «justice expéditive» dans cet emballement de l’actualité judiciaire.
Il n’y a pas de justice libre sans séparation des pouvoirs. Et nous n’en sommes pas encore là. Nous sommes encore bien loin des standards de la «IIe République».
Une réforme profonde du secteur de la justice ne peut se faire sans un véritable Etat de droit. Elle doit être l’émanation d’une refonte des institutions, d’une répartition équilibrée des pouvoirs de sorte que les juges ne soient plus sous la botte de la «chancellerie», qu’il n’y ait plus de justice aux ordres, que le parquet ne soit plus à la merci de telle ou telle autorité, civile ou militaire…
Dans le spectacle qui se déroule devant le tribunal de Sidi M’hamed, il y a quelque chose de suspect, oui. Surtout si on y ajoute la façon dont des dizaines de jeunes manifestants innocents sont traités (et maltraités) par cette même justice.
Les choses vont trop vite, alors que la transition n’est pas actée, le système est toujours en place, avec ses hommes de main et ses hommes de l’ombre, ses walis, ses magistrats, ses chefs de daïra, son APN, son Sénat, son EPTV, son UGTA…
À quoi joue Gaïd Salah ?
Il faut dire un mot également sur Gaïd Salah sans qui le système Bouteflika n’aurait jamais tenu aussi longtemps. Il a été d’un précieux secours au régime, et s’il veut se poser aujourd’hui en sauveur de la nation, un timonier réellement à l’écoute de son peuple, il faudrait qu’il en donne le gage rapidement en sortant du piège du «102» et en engageant le pays sur les rails d’une transition solide, avec une toute autre feuille de route, des visages issus du mouvement populaire, et des garanties surtout de prendre sa retraite sitôt la passation de pouvoirs entérinée.
Pour l’heure, ce que l’on voit, c’est beaucoup d’agitation, beaucoup d’effets d’annonce, beaucoup de spectaculaire et beaucoup de tergiversations qui n’augurent rien de bon.
A quoi riment, sinon, les dernières consultations de Bensalah ?
A quoi joue-t-on ? Quelle mouche a donc piqué ces messieurs d’organiser cette conférence casse-gueule de Club des Pins pour finir avec quatre chats qui ne représentent même pas leur dechra ? Et pour couronner le tout, la Présidence annonce le maintien de l’échéance du 4 juillet.
Ce n’est pas sérieux ! C’est irresponsable. Peut-on imaginer une seule seconde des candidats (a fortiori des candidats identifiés comme «cachiristes») se présenter devant le peuple pour animer leur campagne, quand la moindre sortie ministérielle s’apparente à une mission casse-cou ? C’est proprement suicidaire, cette élection. Nos chers décideurs n’ont donc absolument rien compris au message du 22 février.
Il y a aussi un autre élément extrêmement inquiétant, et qui révèle l’ampleur du gap qui sépare ces gens-là de ce que dit tous les vendredis la population : l’enfer qu’ont vécu de nombreux activistes ces dernières semaines.
Le retour du répressif avec tout l’arsenal habituel (gaz lacrymogènes, balles en caoutchouc, canons à eau…) est un très mauvais signe, en effet. Sans parler des interpellations abusives, avec tout l’arbitraire qui les caractérise, comme l’illustre l’affront subi par quatre militantes au commissariat de Baraki, le samedi 13 avril, elles qui ont été obligées de se déshabiller pour une «fouille corporelle» totalement injustifiée, surtout que leurs camarades hommes n’ont pas été soumis au même traitement…
La «Bouteflicaille» n’a pas changé
Il convient de rappeler aussi l’affaire Ramzi Yettou, Allah yerahmou, qui a rendu l’âme vendredi dernier après une semaine passée à l’hôpital Mustapha. Il avait été blessé à la tête lors des manifestations du 12 avril.
A cela s’ajoutent tous les sit-in, les rassemblements, interdits par la police, particulièrement à la Grande-Poste, avec leur lot de rafles agressives, donnant le sentiment que le calendrier de la police s’est arrêté au 21 février et que c’est toujours la «bouteflicaille» qui est à l’œuvre.
Gaïd Salah a promis de protéger les manifestants, et le porte-æparole du gouvernement a affirmé que l’instruction de réprimer n’est pas venue de l’Exécutif. Qui croire ? Qui décide ?
Y aurait-il plusieurs centres de décision ? Bedoui roulerait-il pour Saïd Bouteflika ? Le couple Toufik-Saïd serait-il encore à la manœuvre ?
Quelles que soient les hypothèses posées sur la table, Gaïd Salah qui détient le pouvoir réel, et qui semble tellement attaché à l’application de la Constitution, notamment ses articles 102 et 104, doit veiller au strict respect de tous les articles de la Constitution, à commencer par ceux qui énoncent le respect des libertés fondamentales, individuelles et collectives.
Nous le disons encore une fois : le patron de l’armée doit donner des gages pour une vraie transition, sans quoi, rien n’aura vraiment changé et le système finira par se restaurer. Pas avec les mêmes visages, peut-être, mais avec les mêmes pratiques et le même logiciel.
El Watan
23 Avril 2019
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