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Comment Issad Rebrab s'est-il retrouvé dans le viseur du nouveau pouvoir ?

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  • Comment Issad Rebrab s'est-il retrouvé dans le viseur du nouveau pouvoir ?

    ANALYSE. Dans la nuit de lundi à mardi, le plus important homme d'affaires en Algérie a été placé sous mandat de dépôt. Un épisode dans le conflit qui ne date pas d'aujourd'hui entre Issad Rebrab et le pouvoir.

    Par Hadjer Guenanfa, à Alger

    Lundi 22 avril, aux alentours de 10 heures, la télévision nationale annonce l'arrestation du patron du groupe Cevital par la brigade de la gendarmerie nationale de Bab Jdid à Alger. Selon elle, Issad Rebrab a été arrêté pour suspicion de « fausses déclarations relatives au transfert de capitaux de et vers l'étranger », de « surfacturation dans des opérations d'importation de matériel » et d'« importation de matériel usagé alors qu'il avait bénéficié des avantages douaniers, fiscaux et bancaires ».

    Le groupe dément immédiatement l'information relative à l'arrestation. Sur son compte Twitter, l'homme d'affaires explique qu'il s'est rendu à la brigade de la gendarmerie « dans le cadre des blocages » de son projet EvCon. « Nous poursuivrons l'étude de l'affaire de nos équipements retenus au port d'Alger depuis juin 2018 », a-t-il assuré dans son message. À ce moment-là, Issad Rebrab n'a pas vraiment de raison de s'inquiéter outre mesure concernant cette audition.

    Ce qui s'est passé

    Il s'est lui-même rendu à la brigade de la gendarmerie à la suite d'une convocation. Il a déjà été interrogé par la même brigade mercredi 17 avril dans le cadre de cette affaire. Il l'avait lui-même annoncé sur les réseaux sociaux. « Je me suis rendu ce matin à la brigade de gendarmerie de Bab Jdid. J'ai été entendu sur les activités du groupe Cevital et les blocages dont il fait l'objet. Notre groupe est, à l'instar du peuple, une victime du système et de sa mafia économique », avait écrit l'homme d'affaires.

    Lundi, en début d'après-midi, Issad Rebrab savait qu'il devait comparaître devant le procureur de la République près le tribunal de Sidi M'Hamed à Alger. Mais rien ne laissait penser qu'il allait être placé sous mandat de dépôt. Ses proches étaient rassurés. Le groupe affirmait qu'il n'était pas en état d'arrestation. L'homme d'affaires est transféré dans la cage d'un fourgon de la gendarmerie. Les télévisions privées et les photographes sont déjà devant le tribunal pour les images.

    Dans son entourage, le doute s'installe en fin de journée. On commence à envisager la mise sous contrôle judiciaire et une éventuelle interdiction de sortie du territoire. Au tribunal de Sidi M'Hamed, Issad Rebrab passe près de dix heures à l'issue desquelles il est placé sous mandat de dépôt, avant d'être transféré à la prison d'El-Harrach. Jusqu'à maintenant, la justice n'a pas communiqué au sujet de cette affaire.

    Cevital s'est exprimé sur le sujet mardi 23 avril. « Nous tenons à souligner qu'il ne s'agit, comme le laisse entendre une certaine presse, ni d'affaire de corruption, ni de détournement, ni de dilapidation de deniers publics. Des pratiques qui sont contraires à notre éthique et à nos valeurs », assure d'emblée le groupe dans un communiqué publié en début de soirée.

    L'affaire EvCon

    L'affaire est liée à sa filiale EvCon Industry, selon lui. « Cette mesure judiciaire, qui concerne uniquement une des nombreuses filiales de Cevital, la société EvCon Industry, est basée à notre connaissance sur des allégations de fausses déclarations, de surfacturation et d'importation de matériel usagé, objet d'une plainte des services des douanes algériennes datant de 2018 », explique la même source.

    « Cette plainte a été déposée sur la base d'une seule et unique expertise, effectuée à la demande de la direction des douanes. Comme la loi nous le permet, nous nous sommes adressés au tribunal d'Alger pour la désignation d'un nouvel expert. Le tribunal nous a accordé ce droit, mais les services des douanes ont fait appel. Pourtant, cette contre-expertise aurait certainement permis d'apporter davantage d'éléments d'appréciation sur la valeur des équipements », ajoute-t-il.

    Cevital assure avoir introduit « auprès du tribunal une autre demande pour un nouvel expert » malgré « cette réticence inexplicable des services des douanes ». « Elle est toujours en cours de traitement », précise-t-il.

    Une machine de près de 3 millions d'euros

    Le litige entre le groupe et les services des douanes remonte à juillet 2018, quand Cevital importe un prototype de station de purification de l'eau. Le groupe fait une déclaration au niveau des douanes concernant une machine d'une valeur de 2 915 000 euros. L'équipement est bloqué au niveau d'un port sec en Algérie par la direction générale des douanes, qui soupçonne une éventuelle « surfacturation ».

    « L'expert judiciaire désigné par le tribunal compétent a conclu que la valeur de l'équipement importé est estimée à 1 010 000 euros, soit une différence de 1 905 000 euros », avait assuré la direction générale des douanes à TSA en décembre. Le groupe d'Issad Rebrab pointe du doigt la « main invisible » et appelle à l'application de la décision de la justice qui ordonnait aux douanes de restituer la machine.

    « La douane parle d'une possible surfacturation pour notre machine que la main invisible veut retenir malgré un jugement exécutoire. Deux experts judiciaires ont prouvé que sa valeur est justifiée, étant un prototype fabriqué exclusivement pour EvCon Industry », avait affirmé Cevital dans sa réponse à la direction des douanes. « Cevital ne nuirait jamais au Trésor public. Il n'a jamais surfacturé », avait insisté le groupe.

    Dans son communiqué d'hier mardi, Cevital « réaffirme que ces équipements de dernière technologie ont été fabriqués exclusivement et sur mesure pour un projet inédit de production d'eau ultra-pure et de traitement des eaux (EvCon) ». « Nous tenons à rappeler que ces équipements, acquis sur fonds propres, sont bel et bien neufs et que la valeur déclarée correspond à leur valeur réelle », insiste la même source.

    Un conflit qui dure depuis des années

    Mais le conflit entre Issad Rebrab et les autorités ne se résume pas à l'affaire EvCon dans le cadre de laquelle il vient d'être placé sous mandat de dépôt. Il ne date pas également d'aujourd'hui. Au cours de ces dernières années, le plus important homme d'affaires du pays n'a cessé de dénoncer le blocage de ses projets, dont celui relatif à la trituration de la graine oléagineuse ou encore celui du rachat du groupe de presse El Khabar.

    « Je suis habitué à leurs embûches et à leur acharnement », avait-il lancé en 2016 durant la polémique autour du rachat du groupe médiatique, avant d'ajouter : « Nous allons continuer à nous battre. » Comment expliquait-il toutes ces entraves ? « Je ne fais pas partie de leur clan. J'aime mon indépendance. Je suis un électron libre. Et, par conséquent, je dis ce que je pense. Et ça, ça ne leur plaît pas », avait-il résumé lors de son passage sur Berbère TV.



    Le général Toufik…

    L'entrepreneur, âgé de 75 ans, est certes connu pour son franc-parler, mais ce n'est pas ce qui irrite le plus le pouvoir. Pour ce dernier, Issad Rebrab est surtout un homme proche de l'ancien responsable du Département de renseignement et de sécurité (DRS), le général Mohamed Mediène, dit Toufik, limogé en 2015 par Abdelaziz Bouteflika après une restructuration des services de renseignements.

    En 2016, l'ex-secrétaire général du FLN a clairement accusé Issad Rebrab de travailler pour le compte du général Toufik. « La tête de la pieuvre veut acheter El Khabar au nom de Rebrab pour préparer les présidentielles, car celui qui désignait les présidents, les ministres, les ambassadeurs, les directeurs n'est plus en mesure aujourd'hui de désigner un simple chef de bureau dans une commune », avait lâché Amar Saâdani.



    Sur un ton quelque peu menaçant, l'ancien patron du FLN appelait Issad Rebrab à choisir entre l'argent et la politique. « Après avoir gagné de l'argent, M. Rebrab veut acheter et entrer en politique. Et nous, nous disons : la politique nuit à l'argent et l'argent nuit à la politique. Donc Rebrab doit choisir entre la politique et l'argent. S'il choisit les deux, il perdra les sous », a-t-il mis en garde.

    Pour Amar Saâdani comme pour d'autres figures du pouvoir en Algérie, Issad Rebrab est le « bras financier » de l'ex-patron des services de renseignements. Une affirmation que le PDG de Cevital a toujours démentie ,notamment dans un entretien accordé en 2016 à France 24. « Les services de sécurité (…) ont bloqué certains de mes projets. Ils ne m'ont jamais soutenu », avait-il assuré.

    Durant son intervention, Issad Rebrab avait également affirmé, à l'époque, qu'il n'avait « aucune ambition politique ». « Je n'ai aucune ambition politique. Ma seule ambition est le développement économique de mon pays », avait-il insisté.

    Appréhensions

    Aujourd'hui, l'arrestation et la mise sous mandat de dépôt d'Issad Rebrab suscitent des appréhensions et de nombreuses questions. « Les chefs d'entreprise ne doivent pas être les boucs émissaires. Ce sont d'ailleurs les seuls qui sont facilement mis en prison », regrette un entrepreneur qui a requis l'anonymat.

    Quelques jours plus tôt, l'avocat Me Noureddine Benissad et président de la Ligue algérienne pour la défense droits de l'homme (LADDH) mettait en garde contre une « éventuelle chasse aux sorcières ». « On ne veut pas que les pratiques du système se reproduisent même à l'encontre des personnes accusées de dilapidation de deniers publics », avait-il déclaré au lendemain de l'arrestation d'Ali Haddad. « Le procureur de la République est tenu de communiquer tous les éléments objectifs de ces dossiers sans violer la préemption d'innocence et sans violer le secret de l'instruction. Il faut que l'opinion publique sache ce qu'on reproche à ces personnes », indique au Point Afrique l'avocat. Pour lui, il n'est pas possible d'imaginer « une justice indépendante dans un régime autoritaire ».

    Pour l'instant, le groupe reste confiant. « Issad Rebrab et ses 18 000 collaborateurs restent sereins et déterminés et ont pleine confiance en la justice de notre pays pour faire éclater la vérité et lui permettre de recouvrer au plus vite sa liberté », affirme Cevital dans son communiqué.
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    Publié le 24/04/2019 | Le Point.fr
    Le bon sens est la chose la mieux partagée du monde... La connerie aussi - Proverbe shadokien
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