Djilali Hadjadj, le Président de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) a bien voulu répondre à nos questions sur cette « énième opération mains propres » menée par le Chef de l’état-major de l’ANP Ahmed Gaïd Salah.
Le chef de l’Etat vient d’annoncer la fin de fonction du président de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC) : quel est votre commentaire ?
Réputé indépendant selon la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption à l’origine de sa création, mais placé sous la tutelle directe du chef de l’Etat, « l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption » ( ONPLC), cet organisme, un de plus, un de trop à coûter aux contribuables, est resté confiné dans l’ombre douillette du pouvoir et n’a plus du tout fait parler de lui : d’ailleurs, il ne fut installé qu’en ….2011 ! Alors que la grande corruption « explosait » entre 2005 et 2010, le pouvoir bloqua la mise en place de cette « agence gouvernementale » pendant 5 longues années, le temps du pillage et de la prédation à grande échelle. A telle enseigne que les Algériens, à ce jour, ignorent tout de ses activités. Le président de l’ONPLC est en place depuis septembre 2016, et pour une durée d’au moins 5 ans, renouvelable une seule fois, et ce, conformément à la réglementation en vigueur. De ce fait, son limogeage n’est pas légal, plus grave sur une décision d’un chef de l’Etat par intérim….Si au moins un nouveau président de l’ONPLC avait été nommé dans la foulée. C’est une décision inique, sans aucune explication, pas de bilan fourni, c’est dire le mépris vis-à-vis de l’opinion publique qui continue de prévaloir, confirmant si besoin était que ce sont là des mesures cosmétiques sur fond d’absence de réelle volonté politique à lutter contre la corruption. Encore une fois, c’est plutôt la lutte contre la corruption qui est corrompue par le pouvoir….
Quels sont, selon vous, les dossiers de corruption très lourds évoqués par le chef d’Etat-major de l’ANP ?
Effectivement, dans son discours du 30 avril 2019, le chef de l’armée a indiqué, je cite, « ….que les services du ministère de la Défense nationale détiennent des informations avérées concernant plusieurs dossiers lourds de corruption, dont je me suis enquis personnellement, dévoilant des faits de spoliation des fonds publics avec des chiffres et des montants faramineux ». C’est un secret de polichinelle et ce n’est pas faux : l’ex-DRS a rempli depuis des années des dizaines et des dizaines de dossiers de « soupçons » de corruption, très souvent preuves à l’appui, sur de nombreux dignitaires du régime et ceux que l’on appelle les « oligarques », dossiers axés plus particulièrement sur les pratiques de corruption avec des ramifications à l’international, obtenant même la « collaboration » de ses « homologues » étrangers. Certains de ses dossiers ont même été transmis à la justice, sans qu’il y ait une suite concrète, le clan au pouvoir les ayant bloqués….Beaucoup de ces dossiers aussi servaient à faire pression ou étaient utilisés comme instrument de chantage ou alimentaient les règlements de comptes au sein du sérail. Leur liste est très, trop, longue : c’est simple, sans risque de me tromper, aucun marché public – local, régional, central ou à l’international-, n’échappait à la corruption ! Les seules fois où il n’y avait pas de commissions ou autres pots-de-vin, c’est quand le fournisseur ou le fabricant étranger était en situation de monopole, sans concurrent en face, et même là, on l’encourageait à faire de la surfacturation en lui demandant de placer le « différentiel » sur des comptes bancaires à l’étranger. Tous les secteurs d’activité étaient concernés, notamment ceux qui bénéficiaient d’une importante commande publique. Les pays concernés : la Chine, très nettement ; la France : vous remarquerez qu’à ce jour, aucune entreprise française n’est citée dans un scandale de corruption en Algérie, alors que la pratique est très courante chez elles ; l’Italie, et il n’y a pas uniquement l’affaire ENI-SAIPEM-SONATRACH ; l’Espagne : la justice espagnole a mené quelques enquêtes mais elles ont été bloquées aux frontières Algériennes ; l’Allemagne : là-aussi, pratiques de corruption importantes ; le Canada : le dossier de SNC Lavalin est plus qu’explosif, il est enfoui dans les archives de l’ex-DRS et en partie dans les tiroirs empoussiérés de la justice, etc…
Le chef d’Etat-major de l’ANP est revenu, dans ce même discours, sur l’affaire des généraux qui sont toujours poursuivis pour corruption : que faut-il en penser ?
Reprenons à ce sujet un extrait du discours du chef de l’armée, le 30 avril 2019, je cite : « Au sein de l’Armée Nationale Populaire, nous n’avons jamais toléré la corruption ; nous étions même les précurseurs dans ce domaine en présentant de hauts cadres militaires par devant la justice militaire, à savoir les anciens Commandants des 1ère, 2e et 4e RM et de la Gendarmerie Nationale et l’ancien Directeur des Services Financiers, dont l’implication dans des affaires de corruption a été confirmée par des preuves tangibles ». Fin de citation. Là aussi, la « gestion » de cette affaire confirme l’opacité qui règne dans ce type d’opération où les décisions contradictoires s’entrechoquent : le dimanche 14 octobre 2018, après avoir été limogés, ces généraux ont été placés en détention provisoire pour des malversations présumées. Puis quelques semaines plus tard, ils sont libérés, toujours sans aucune explication, cette fois-ci sur instruction du clan des « Bouteflika », mis sous contrôle judiciaire très probablement, dans l’attente de leur procès, si procès il y aura. Nous ne sommes pas dans une opération anti-corruption. Ne soyons pas dupes : comment des mains sales peuvent mener une opération mains propres ? La corruption est quasi-généralisée dans le pouvoir parmi les hauts gradés, les hauts fonctionnaires et même certains ministres. L’impunité règne. On a laissé des généraux s’enrichir illicitement et en toute impunité, à ciel ouvert. Il ne fallait pas faire de très grandes investigations pour déterrer les dossiers.
Peut-on accorder du crédit à cette nouvelle opération « mains propres » ?
Depuis l’indépendance, il y a près de 60 ans maintenant, le pouvoir Algérien se réveille périodiquement pour annoncer à l’opinion publique une énième campagne contre la corruption. Les agissements des chefs d’Etat et de gouvernement qui ont été conduits à prendre des initiatives de ce genre nous donnent une idée du fonctionnement du pouvoir, des différents clans qui le composent et des méthodes utilisées pour se maintenir en place. On relève même quelques situations cocasses, où, pris au piège de ses propres décisions, le pouvoir est contraint à des contorsions intéressantes. Avoir pris quelques mesures anti-corruption, en sacrifiant des lampistes et en multipliant les discours et les communiqués de tonalité révolutionnaire, comme le fait le chef de l’armée, c’est le dénominateur commun de tous les gouvernements qui se sont succédé en Algérie. Dans ces circonstances, plusieurs jours d’affilée, le pouvoir fait semblant de maintenir la pression – contre les « fantômes » de la corruption – puis soudainement, la campagne s’interrompt et tombe rapidement dans l’oubli. Et les citoyens ne sont pas dupes de la mascarade qui se joue pour partie sous leurs yeux. C’est ce qui risque de se passer encore une fois avec cette nouvelle « vraie-fausse » opération « Mains propres »….
Le chef de l’Etat vient d’annoncer la fin de fonction du président de l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption (ONPLC) : quel est votre commentaire ?
Réputé indépendant selon la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption à l’origine de sa création, mais placé sous la tutelle directe du chef de l’Etat, « l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption » ( ONPLC), cet organisme, un de plus, un de trop à coûter aux contribuables, est resté confiné dans l’ombre douillette du pouvoir et n’a plus du tout fait parler de lui : d’ailleurs, il ne fut installé qu’en ….2011 ! Alors que la grande corruption « explosait » entre 2005 et 2010, le pouvoir bloqua la mise en place de cette « agence gouvernementale » pendant 5 longues années, le temps du pillage et de la prédation à grande échelle. A telle enseigne que les Algériens, à ce jour, ignorent tout de ses activités. Le président de l’ONPLC est en place depuis septembre 2016, et pour une durée d’au moins 5 ans, renouvelable une seule fois, et ce, conformément à la réglementation en vigueur. De ce fait, son limogeage n’est pas légal, plus grave sur une décision d’un chef de l’Etat par intérim….Si au moins un nouveau président de l’ONPLC avait été nommé dans la foulée. C’est une décision inique, sans aucune explication, pas de bilan fourni, c’est dire le mépris vis-à-vis de l’opinion publique qui continue de prévaloir, confirmant si besoin était que ce sont là des mesures cosmétiques sur fond d’absence de réelle volonté politique à lutter contre la corruption. Encore une fois, c’est plutôt la lutte contre la corruption qui est corrompue par le pouvoir….
Quels sont, selon vous, les dossiers de corruption très lourds évoqués par le chef d’Etat-major de l’ANP ?
Effectivement, dans son discours du 30 avril 2019, le chef de l’armée a indiqué, je cite, « ….que les services du ministère de la Défense nationale détiennent des informations avérées concernant plusieurs dossiers lourds de corruption, dont je me suis enquis personnellement, dévoilant des faits de spoliation des fonds publics avec des chiffres et des montants faramineux ». C’est un secret de polichinelle et ce n’est pas faux : l’ex-DRS a rempli depuis des années des dizaines et des dizaines de dossiers de « soupçons » de corruption, très souvent preuves à l’appui, sur de nombreux dignitaires du régime et ceux que l’on appelle les « oligarques », dossiers axés plus particulièrement sur les pratiques de corruption avec des ramifications à l’international, obtenant même la « collaboration » de ses « homologues » étrangers. Certains de ses dossiers ont même été transmis à la justice, sans qu’il y ait une suite concrète, le clan au pouvoir les ayant bloqués….Beaucoup de ces dossiers aussi servaient à faire pression ou étaient utilisés comme instrument de chantage ou alimentaient les règlements de comptes au sein du sérail. Leur liste est très, trop, longue : c’est simple, sans risque de me tromper, aucun marché public – local, régional, central ou à l’international-, n’échappait à la corruption ! Les seules fois où il n’y avait pas de commissions ou autres pots-de-vin, c’est quand le fournisseur ou le fabricant étranger était en situation de monopole, sans concurrent en face, et même là, on l’encourageait à faire de la surfacturation en lui demandant de placer le « différentiel » sur des comptes bancaires à l’étranger. Tous les secteurs d’activité étaient concernés, notamment ceux qui bénéficiaient d’une importante commande publique. Les pays concernés : la Chine, très nettement ; la France : vous remarquerez qu’à ce jour, aucune entreprise française n’est citée dans un scandale de corruption en Algérie, alors que la pratique est très courante chez elles ; l’Italie, et il n’y a pas uniquement l’affaire ENI-SAIPEM-SONATRACH ; l’Espagne : la justice espagnole a mené quelques enquêtes mais elles ont été bloquées aux frontières Algériennes ; l’Allemagne : là-aussi, pratiques de corruption importantes ; le Canada : le dossier de SNC Lavalin est plus qu’explosif, il est enfoui dans les archives de l’ex-DRS et en partie dans les tiroirs empoussiérés de la justice, etc…
Le chef d’Etat-major de l’ANP est revenu, dans ce même discours, sur l’affaire des généraux qui sont toujours poursuivis pour corruption : que faut-il en penser ?
Reprenons à ce sujet un extrait du discours du chef de l’armée, le 30 avril 2019, je cite : « Au sein de l’Armée Nationale Populaire, nous n’avons jamais toléré la corruption ; nous étions même les précurseurs dans ce domaine en présentant de hauts cadres militaires par devant la justice militaire, à savoir les anciens Commandants des 1ère, 2e et 4e RM et de la Gendarmerie Nationale et l’ancien Directeur des Services Financiers, dont l’implication dans des affaires de corruption a été confirmée par des preuves tangibles ». Fin de citation. Là aussi, la « gestion » de cette affaire confirme l’opacité qui règne dans ce type d’opération où les décisions contradictoires s’entrechoquent : le dimanche 14 octobre 2018, après avoir été limogés, ces généraux ont été placés en détention provisoire pour des malversations présumées. Puis quelques semaines plus tard, ils sont libérés, toujours sans aucune explication, cette fois-ci sur instruction du clan des « Bouteflika », mis sous contrôle judiciaire très probablement, dans l’attente de leur procès, si procès il y aura. Nous ne sommes pas dans une opération anti-corruption. Ne soyons pas dupes : comment des mains sales peuvent mener une opération mains propres ? La corruption est quasi-généralisée dans le pouvoir parmi les hauts gradés, les hauts fonctionnaires et même certains ministres. L’impunité règne. On a laissé des généraux s’enrichir illicitement et en toute impunité, à ciel ouvert. Il ne fallait pas faire de très grandes investigations pour déterrer les dossiers.
Peut-on accorder du crédit à cette nouvelle opération « mains propres » ?
Depuis l’indépendance, il y a près de 60 ans maintenant, le pouvoir Algérien se réveille périodiquement pour annoncer à l’opinion publique une énième campagne contre la corruption. Les agissements des chefs d’Etat et de gouvernement qui ont été conduits à prendre des initiatives de ce genre nous donnent une idée du fonctionnement du pouvoir, des différents clans qui le composent et des méthodes utilisées pour se maintenir en place. On relève même quelques situations cocasses, où, pris au piège de ses propres décisions, le pouvoir est contraint à des contorsions intéressantes. Avoir pris quelques mesures anti-corruption, en sacrifiant des lampistes et en multipliant les discours et les communiqués de tonalité révolutionnaire, comme le fait le chef de l’armée, c’est le dénominateur commun de tous les gouvernements qui se sont succédé en Algérie. Dans ces circonstances, plusieurs jours d’affilée, le pouvoir fait semblant de maintenir la pression – contre les « fantômes » de la corruption – puis soudainement, la campagne s’interrompt et tombe rapidement dans l’oubli. Et les citoyens ne sont pas dupes de la mascarade qui se joue pour partie sous leurs yeux. C’est ce qui risque de se passer encore une fois avec cette nouvelle « vraie-fausse » opération « Mains propres »….
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