L’incarcération d’Issad Rebrab, voilà déjà quelques semaines, avait fortement surpris la communauté économique algérienne, de même qu’elle a choqué ceux des Algériens qui le connaissaient personnellement ou ceux, encore plus nombreux, qui étaient admiratifs des projets industriels qu’il avait réussi à mener à bien. Dans un pays où l’industrie nationale a perdu pied, avec une part dans le PIB qui a régressé jusqu’à passer sous le seuil des 5% du PIB, le succès d’un entrepreneur privé national qui arrive à rayonner au-delà des frontières de son propre pays, en dépit d’un climat des affaires que toutes les analyses reconnaissent comme exécrable, aurait dû lui valoir la reconnaissance des autorités officielles, plutôt que les affres de l’emprisonnement.
1- La surprise aura été d’autant plus grande qu’Issad Rebrab était loin d’être un familier des équipes au pouvoir, ces dernières années. Et qu’il ne faisait pas partie de cette “bande maffieuse” (issaba) qui, selon les termes mêmes du premier responsable de l’armée algérienne, avait écumé l’économie nationale au long du règne des Bouteflika.
Ceci dit, même un grand entrepreneur n’est pas au-dessus de la loi et c’est pourquoi, au-delà des péripéties du contexte politique particulier que le pays traverse actuellement, il paraît utile de tenter de comprendre le fond des accusations dont il est l’objet et qui, aux dires de nombreux commentateurs spécialisés, ne justifiaient pas a priori son arrestation. Si l’on en croit ces derniers, le litige est lié à un problème de surfacturation dans le cadre d’une importation d’équipement de purification d’eau, bloquée depuis déjà plusieurs mois. Cet équipement est un prototype et on comprend que les services des Douanes s’interrogent sur sa valeur réelle, comme la loi algérienne les y invite du reste expressément.
2- Il faut savoir que cette question de la valeur réelle des biens et services échangés est d’une importance essentielle dans le système du commerce international. Celle-ci est en effet la base sur laquelle sont calculés généralement tous les droits, taxes et autres redevances exigibles, dans chaque pays, au titre des législations applicables à son commerce extérieur.
Dans le même ordre d’idées, la valeur présente un intérêt évident au regard de préoccupations liées à la protection des marchés internes contre certaines pratiques de nature à nuire aux fabricants locaux. Enfin, elle sert de base à l’établissement de statistiques fiables rendant compte de la réalité des échanges et des balances commerciales avec les partenaires à travers le monde. De tous points de vue, la valeur des biens échangés dans les transactions internationales est une matière essentielle.
Ainsi, on rappellera que, dans le sillage du premier grand accord commercial international mis en place après la Seconde Guerre mondiale — le GATT de 1949 — des règles de plus en plus contraignantes seront négociées entre les parties prenantes en 1953, en 1973 puis en 2005 au moment de la création de l’OMC, avec comme objectif de donner un contenu chaque fois plus précis aux modalités de définition et de détermination de la valeur en douane applicable. Au stade actuel, c’est un accord spécifique extrêmement détaillé, conclu sous l’égide de l’OMC, qui régit cet aspect essentiel de la régulation des échanges entre pays membres.
3- Il n’est pas anodin de relever que, pour ce qui la concerne, la législation algérienne pertinente, soit l’article 16 du Code des douanes, fait une mention explicite à cet accord de l’OMC sur l’évaluation en douane (accord sur la mise en œuvre de l’article VII de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994) et est allée jusqu’à en transposer très fidèlement les dispositions dans le droit interne. En effet, dans la perspective de son entrée à l’OMC, cette législation s’était alignée au début des années 2000 sur les standards internationaux de cette organisation multilatérale et a posé le principe de la valeur transactionnelle, soit celle convenue entre l’importateur et l’exportateur, comme base première de détermination de la valeur à retenir.
Elle confère par ailleurs à l’administration douanière le pouvoir légitime de contester celle-ci et propose, à cette fin, pas moins de cinq autres méthodes possibles pour déterminer la valeur finalement acceptable.
Ainsi donc, sans être effectivement membre de l’OMC (les négociations n’ayant toujours pas abouti), l’Algérie a accepté formellement d’en appliquer toutes les règles en matière d’évaluation en douane.
4- Ce simple constat présente un intérêt de premier ordre pour apprécier la portée du litige qui oppose actuellement l’administration douanière à l’entreprise Cevital à propos de la détermination de la valeur de l’équipement importé par cette dernière. Concrètement, il est permis d’en inférer trois types de conséquences :
- Dans l’esprit comme dans la lettre de la législation douanière en vigueur, le litige aurait dû être circonscrit à son côté administratif, soit un simple problème de fixation de la valeur en douane, comme il en surgit des milliers de cas chaque année. La loi donne à l’administration des Douanes le pouvoir de redresser la valeur déclarée dans les factures présentées par chaque importateur. Ainsi, dans cet exemple de Cevital, la valeur de l’équipement importé aurait pu être banalement révisée par les services douaniers. L’entreprise aurait eu alors toute latitude, le cas échéant, de contester devant les tribunaux la valeur déterminée d’autorité par l’administration, si elle s’estimait lésée et si elle avait des raisons de penser que celle-ci n’a pas fait recours à la méthode appropriée recommandée par la loi.
- Certes, dans le cas de figure examiné ici, il semblerait qu’une des raisons qui ont conduit les Douanes algériennes à remettre en question la valeur transactionnelle déclarée soit relative à l’existence d’un lien juridique établi entre l’entreprise importatrice et l’entreprise exportatrice.
Malgré cela, il faut souligner que ce cas de figure est lui-même expressément prévu par la loi, en l’occurrence, l’article 16ter-2a du Code des douanes stipule très clairement que “pour déterminer si la valeur transactionnelle est acceptable aux fins d'application du paragraphe 1 ci-dessus, le fait que l'acheteur et le vendeur sont liés au sens de l'article 16 ci-dessus ne constitue pas un motif suffisant pour considérer la valeur transactionnelle comme inacceptable. Si nécessaire, les circonstances propres à la vente sont examinées, et la valeur transactionnelle admise pour autant que ces liens n'ont pas influencé le prix. Si, compte tenu des renseignements fournis par l'importateur, ou obtenus par d'autres sources, l'administration des douanes a des motifs de considérer que les liens ont influencé le prix, elle communiquera ses motifs à l'importateur et lui donnera une possibilité raisonnable de répondre. Si l'importateur le demande, les motifs lui seront communiqués par écrit”.
On en déduit ainsi que, si l’on s’en tient à la loi douanière, le litige avec l’entreprise Cevital aurait dû rester dans le registre strictement économique, celui de la détermination de la valeur d’un bien importé.
- En troisième lieu, il n’est pas inutile d’observer que l’article 16 du Code algérien des douanes qui régit le thème de la valeur en douane est très long et plutôt complexe. Il ne comprend pas moins de quatorze parties d’articles qui, chacune, détaille des cas spécifiques pouvant se présenter aux services douaniers et, pour chaque cas de figure recensé, recommande le type de traitement légal à mettre en œuvre. Pour mieux aider ces mêmes services, un guide pratique de l’évaluation en douane avait même été produit par l’administration douanière qui dispense un véritable cours de formation sur l’attitude précise à observer dans tous les cas de figure potentiels que les agents compétents peuvent être amenés à rencontrer en matière de détermination de la valeur des importations ou des exportations des marchandises. La lecture de ce guide renseigne sur une donnée essentielle qui est à la base même de cet article 16 du Code des douanes, de même que de l’accord spécifique de l’OMC sur l’évaluation en douane : les décisions en matière de fixation de la valeur des biens importés ou exportés constituent une dimension ordinaire de la relation quotidienne qu’entretiennent les opérateurs du commerce extérieur et l’administration des Douanes ; et surtout, c’est à cette dernière qu’il incombe au premier chef de documenter et de fonder légalement, de manière extrêmement précise, les décisions qu’elle est amenée à rendre à chaque fois qu’elle souhaite apprécier la valeur en douane de telle ou telle opération d’importation ou d’exportation.
1- La surprise aura été d’autant plus grande qu’Issad Rebrab était loin d’être un familier des équipes au pouvoir, ces dernières années. Et qu’il ne faisait pas partie de cette “bande maffieuse” (issaba) qui, selon les termes mêmes du premier responsable de l’armée algérienne, avait écumé l’économie nationale au long du règne des Bouteflika.
Ceci dit, même un grand entrepreneur n’est pas au-dessus de la loi et c’est pourquoi, au-delà des péripéties du contexte politique particulier que le pays traverse actuellement, il paraît utile de tenter de comprendre le fond des accusations dont il est l’objet et qui, aux dires de nombreux commentateurs spécialisés, ne justifiaient pas a priori son arrestation. Si l’on en croit ces derniers, le litige est lié à un problème de surfacturation dans le cadre d’une importation d’équipement de purification d’eau, bloquée depuis déjà plusieurs mois. Cet équipement est un prototype et on comprend que les services des Douanes s’interrogent sur sa valeur réelle, comme la loi algérienne les y invite du reste expressément.
2- Il faut savoir que cette question de la valeur réelle des biens et services échangés est d’une importance essentielle dans le système du commerce international. Celle-ci est en effet la base sur laquelle sont calculés généralement tous les droits, taxes et autres redevances exigibles, dans chaque pays, au titre des législations applicables à son commerce extérieur.
Dans le même ordre d’idées, la valeur présente un intérêt évident au regard de préoccupations liées à la protection des marchés internes contre certaines pratiques de nature à nuire aux fabricants locaux. Enfin, elle sert de base à l’établissement de statistiques fiables rendant compte de la réalité des échanges et des balances commerciales avec les partenaires à travers le monde. De tous points de vue, la valeur des biens échangés dans les transactions internationales est une matière essentielle.
Ainsi, on rappellera que, dans le sillage du premier grand accord commercial international mis en place après la Seconde Guerre mondiale — le GATT de 1949 — des règles de plus en plus contraignantes seront négociées entre les parties prenantes en 1953, en 1973 puis en 2005 au moment de la création de l’OMC, avec comme objectif de donner un contenu chaque fois plus précis aux modalités de définition et de détermination de la valeur en douane applicable. Au stade actuel, c’est un accord spécifique extrêmement détaillé, conclu sous l’égide de l’OMC, qui régit cet aspect essentiel de la régulation des échanges entre pays membres.
3- Il n’est pas anodin de relever que, pour ce qui la concerne, la législation algérienne pertinente, soit l’article 16 du Code des douanes, fait une mention explicite à cet accord de l’OMC sur l’évaluation en douane (accord sur la mise en œuvre de l’article VII de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994) et est allée jusqu’à en transposer très fidèlement les dispositions dans le droit interne. En effet, dans la perspective de son entrée à l’OMC, cette législation s’était alignée au début des années 2000 sur les standards internationaux de cette organisation multilatérale et a posé le principe de la valeur transactionnelle, soit celle convenue entre l’importateur et l’exportateur, comme base première de détermination de la valeur à retenir.
Elle confère par ailleurs à l’administration douanière le pouvoir légitime de contester celle-ci et propose, à cette fin, pas moins de cinq autres méthodes possibles pour déterminer la valeur finalement acceptable.
Ainsi donc, sans être effectivement membre de l’OMC (les négociations n’ayant toujours pas abouti), l’Algérie a accepté formellement d’en appliquer toutes les règles en matière d’évaluation en douane.
4- Ce simple constat présente un intérêt de premier ordre pour apprécier la portée du litige qui oppose actuellement l’administration douanière à l’entreprise Cevital à propos de la détermination de la valeur de l’équipement importé par cette dernière. Concrètement, il est permis d’en inférer trois types de conséquences :
- Dans l’esprit comme dans la lettre de la législation douanière en vigueur, le litige aurait dû être circonscrit à son côté administratif, soit un simple problème de fixation de la valeur en douane, comme il en surgit des milliers de cas chaque année. La loi donne à l’administration des Douanes le pouvoir de redresser la valeur déclarée dans les factures présentées par chaque importateur. Ainsi, dans cet exemple de Cevital, la valeur de l’équipement importé aurait pu être banalement révisée par les services douaniers. L’entreprise aurait eu alors toute latitude, le cas échéant, de contester devant les tribunaux la valeur déterminée d’autorité par l’administration, si elle s’estimait lésée et si elle avait des raisons de penser que celle-ci n’a pas fait recours à la méthode appropriée recommandée par la loi.
- Certes, dans le cas de figure examiné ici, il semblerait qu’une des raisons qui ont conduit les Douanes algériennes à remettre en question la valeur transactionnelle déclarée soit relative à l’existence d’un lien juridique établi entre l’entreprise importatrice et l’entreprise exportatrice.
Malgré cela, il faut souligner que ce cas de figure est lui-même expressément prévu par la loi, en l’occurrence, l’article 16ter-2a du Code des douanes stipule très clairement que “pour déterminer si la valeur transactionnelle est acceptable aux fins d'application du paragraphe 1 ci-dessus, le fait que l'acheteur et le vendeur sont liés au sens de l'article 16 ci-dessus ne constitue pas un motif suffisant pour considérer la valeur transactionnelle comme inacceptable. Si nécessaire, les circonstances propres à la vente sont examinées, et la valeur transactionnelle admise pour autant que ces liens n'ont pas influencé le prix. Si, compte tenu des renseignements fournis par l'importateur, ou obtenus par d'autres sources, l'administration des douanes a des motifs de considérer que les liens ont influencé le prix, elle communiquera ses motifs à l'importateur et lui donnera une possibilité raisonnable de répondre. Si l'importateur le demande, les motifs lui seront communiqués par écrit”.
On en déduit ainsi que, si l’on s’en tient à la loi douanière, le litige avec l’entreprise Cevital aurait dû rester dans le registre strictement économique, celui de la détermination de la valeur d’un bien importé.
- En troisième lieu, il n’est pas inutile d’observer que l’article 16 du Code algérien des douanes qui régit le thème de la valeur en douane est très long et plutôt complexe. Il ne comprend pas moins de quatorze parties d’articles qui, chacune, détaille des cas spécifiques pouvant se présenter aux services douaniers et, pour chaque cas de figure recensé, recommande le type de traitement légal à mettre en œuvre. Pour mieux aider ces mêmes services, un guide pratique de l’évaluation en douane avait même été produit par l’administration douanière qui dispense un véritable cours de formation sur l’attitude précise à observer dans tous les cas de figure potentiels que les agents compétents peuvent être amenés à rencontrer en matière de détermination de la valeur des importations ou des exportations des marchandises. La lecture de ce guide renseigne sur une donnée essentielle qui est à la base même de cet article 16 du Code des douanes, de même que de l’accord spécifique de l’OMC sur l’évaluation en douane : les décisions en matière de fixation de la valeur des biens importés ou exportés constituent une dimension ordinaire de la relation quotidienne qu’entretiennent les opérateurs du commerce extérieur et l’administration des Douanes ; et surtout, c’est à cette dernière qu’il incombe au premier chef de documenter et de fonder légalement, de manière extrêmement précise, les décisions qu’elle est amenée à rendre à chaque fois qu’elle souhaite apprécier la valeur en douane de telle ou telle opération d’importation ou d’exportation.
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