Il y a des hommes dont la parole apaise. Lakhdhar Bouragaa, commandant de l’ALN, évoque, à l’occasion du 5 juillet, ce que fut pour lui l’indépendance, et comment il voit certains dirigeants historiques.
Comment avez-vous passé la journée du 5 juillet 1962 ?
Le 5 juillet 1962, nous avons organisé à Sidi-Fredj une cérémonie à laquelle étaient conviées les autres wilayas. Nous nous sommes rendus à Sidi-Fredj tôt le matin à cet endroit précis où les forces françaises avaient débarqué 132 ans plus tôt. J’étais membre du conseil de la Wilaya IV. Nous avons accueilli les délégations des autres wilayas. Je me rappelle Mohand Oulhadj pour la Wilaya III, Saout El-Arab (Salah Boubnider) pour la wilaya II, et Kadhi Boubekeur pour la wilya V. Si Hassan était là en tant que chef de la wilaya IV. Il y avait aussi Mohamed Bousmaha et Ahmed Bencherif parmi les officiers de la Wilaya IV. Mohamed Oulhadj a fait un discours, en sa qualité de doyen.
Nous avons détruit une grande stèle érigée là par l’armée coloniale. On a utilisé les tracteurs et engins fournis par les fellahs des fermes de la région. Il y avait là des parachutistes français, qui ont voulu nous en empêcher. Nous avons failli en venir aux armes. Il a fallu de longues palabres. Finalement, ils ont reçu des ordres et nous ont laissé détruire ce symbole de l’occupation.
Vous viviez ce moment historique, l’indépendance. Mais quelle est la différence de votre perception de l’indépendance, avant le 5 juillet 1962, et aujourd’hui
Avant le 5 juillet 1962, il y avait deux univers, pour moi. L’un était fait d’injustice, d’exploitation, d’ignorance, de dénuement. J’en faisais partie. L’autre était fait d’espoir, d’ambition à une vie libre, dans la dignité. Il ouvrait le droit au bénéfice légitime des richesses du pays.
La ligne de séparation entre ces deux univers n’était pas facile à franchir, ni à la portée de tout le monde. Un groupe de militants avait décidé de franchir cette ligne quel que soit le prix. Un autre groupe est arrivé au bord de la ligne et est revenu. Pour différentes raisons. D’autres étaient tombés en cours de route, sans arriver sur l’autre rive. Ce sont les plus grands, les plus dignes. Les meilleurs d’en entre nous.
Le 5 juillet 1962, c’est la renaissance de l’Algérie. La nation algérienne a de nouveau émergé.
Aujourd’hui, après un demi-siècle d’indépendance, je note que nos espoirs n’ont pas été pleinement été réalisés. Les promoteurs de la révolution ont disparu, nombre de nos compagnons aussi. Je suis musulman, je pense que leurs âmes continuent de planer au-dessus des montagnes, attendant de nous qu’on fasse ce qui n’a pas été accompli, attendant aussi des nouvelles générations qu’elles d’accomplissent ce que notre génération n’a pu faire.
La génération de la guerre de libération devait-elle tout faire ? Libérer le pays, construire l’état, mettre en place des institutions, construire une économie et le Maghreb… Est-ce que ce n’est pas au-dessus de ses capacités ?
L’homme qui fait la révolution et celui qui construit le pays ensuite ne sont pas les mêmes. Il faut des qualités différentes. Celui qui fait la révolution agit dans des conditions particulières. Il n’y a pas de loi et d’institutions pour l’encadrer. Ses seuls repères , c’est sa conviction, la rigueur, la discipline, l’obéissance aux ordres.
Cela a abouti à certaines dérives, peut-être. Des erreurs. Obéir aux ordres, faire preuve de discipline, c’est par exemple pour certains compagnons participer avec l’armée des frontières à la prise du pouvoir à l’indépendance.
En face, on avait un état qui nous réprimait par tous ses moyens, ses armes, ses lois, son armée, son administration. Nous, on devait créer au fur et à mesure les institutions qui donnent un sens à notre action.
Aujourd’hui, avec le recul, les choses apparaissent de manière radicalement différente. Cette génération a fait la révolution, avec ses moyens, son génie et ses tares. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’on s’est peut être trompé de priorités. Il aurait fallu mieux préparer l’indépendance. C’est là que l’effort essentiel aurait du porter.
Et pourtant, le FLN a formé beaucoup de gens justement pour gérer l’après indépendance…
C’est vrai. Mais ces jeunes formés par le FLN se sont retrouvés à l’indépendance dans une situation délicate. Que faut-il faire ? Avec qui ?, se demandaient-ils, en voyant les ainés se battre pour le pouvoir.
Ces jeunes ne sont pas des hommes de décision. Des hommes de réflexion, peut-être, mais pas des hommes qui forcent les décisions. Certains ont même été choqués par les méthodes de certains dirigeants. D’autres se sont pris au jeu. Ils sont devenus des fonctionnaires du pouvoir. Peut-être à cause de la faillite de ceux qui étaient jusque-là leurs modèles.
Toujours à propos des générations, Saad Dahlab a écrit un livre : Mission accomplie…
Je pense qu’il l’a dit avec amertume, mais c’est une vérité…
Mehri défend une autre vision. Pour lui, le FLN n’a pas achevé sa mission historique, en trois parties : restauration de l’état algérien, système démocratique et édification du Maghreb.
Saad Dahlab est un ancien militant, un centraliste. Il était au cœur de la pensée du mouvement national. Il considérait qu’il n’a pas participé à dessiner la feuille de route du 1er novembre, mais il a apporté sa contribution à sa réalisation. Comme centraliste, il a souffert dans ses rapports avec les autres courants du mouvement national. Il était d’ailleurs devenu un spécialiste pour renouer le dialogue. Il pensait qu’il ne faut jamais couper les ponts.
Il avait des convictions très fortes, mais c’était un pragmatique, Il considérait qu’il devait y avoir des étapes, et que la plus cruciale, c’était l’indépendance. Celle-ci acquise, sa génération pouvait exprimer sa satisfaction du devoir accompli.
Mehri, de son côté, pensait les choses dans une continuité permanente. Il a une perception différente du temps. Il pense les choses dans leur globalité (koul moutakamil), et ne veut pas dissocier les étapes.
Saad Dahlab, Abdelhamid Mehri… Deux personnalités d’envergure, qui en évoquent deux autres, Aït-Ahmed et Bella…
Ben Bella et Aït-Ahmed sont trop grands pour qu’on les évoque comme ça. Ils sont au-dessus de tout ce qu’on puisse dire d’eux. Ils ont été partie prenante dans les actes fondateurs de la violence révolutionnaire. Ils étaient à la direction de l’OS, et l’attaque de la poste d’Oran, en 1950, c’était eux. Tu te rends compte ? Cela s’est passé il y a 61 ans ! Et ensuite, ce fut le 1er novembre. Ils y étaient.
Ils sont plus grands que nous du fait de leur militantisme, de leur itinéraire personnel, de leur histoire. Ils sont faits de la même pâte, celle des géants.
Je me rappelle un moment d’une grande tension. Le pays était en ébullition, avec un grave conflit. Aït-Ahmed et Ben Bella étaient en conflit ouvert. Les conditions ont imposé un consensus national. Une rencontre a été organisée, durant laquelle les gens étaient armés. On appréhendait ce moment où Aït-Ahmed et Ben Bella se retrouveraient dans la salle. Que feraient-ils en se retrouvant face à face ? Eh bien, quand ils se sont retrouvés, ils se sont longuement donnés l’accolade.
Je crois que quelque chose de particulier les unit, définitivement et éternellement. Même s’ils le voulaient, ils ne pourraient pas y échapper.
Ben Bella, Aït-Ahmed. De qui vous sentez-vous le plus proche ?
C’est un vrai problème. Un paradoxe, que je n’arrive pas à résoudre. Sur un plan idéologique, je me sens plus proche de Ben Bella, son attachement à la nation arabe, à un destin commun, à une sorte de militantisme internationaliste. Il avait une vraie ambition pour l’Afrique, pour les pays pauvres. Il a eu la chance inouïe de côtoyer des gens, de l’envergure de Che Guevara, Castro, etc.
Mais sur le plan concret, je me retrouve plus à côté d’Aït-Ahmed. Il est plus constant, plus cohérent, et je me suis retrouvé avec lui dans l’opposition. Dans l’action, dans les prises de position et dans les relations au pouvoir, je suis très proche d’Aït-Ahmed. Il a une analyse plus complète, et son action est plus conforme aux idées qu’il prône.
Ceci dit, je garde pour le deux le même respect, la même affection. Et je crois que je préfère rester sur ce terrain de l’affection.
Votre génération est celle qui a le plus marqué l’histoire du pays au 20ème siècle. Pourtant, elle est perçue aujourd’hui comme encombrante par une partie des autres générations, plus jeunes…
Parce qu’il y a eu une coupure brutale qui a laissé des séquelles… je veux dire une coupure avec la feuille de route de la révolution. Une crise politique d’une semaine dans la vie d’une nation, c’est beaucoup. Une crise aussi longue, ça provoque une perte de tous les repères chez une partie de la société.
Je vais vous faire une confidence. Je me suis enthousiasmé pour Bouteflika quand il était encore dans les pays du Golfe, bien avant qu’il ne devienne candidat au pouvoir. Je considérais alors que c’était un blessé du système, qu’il avait atteint l’âge de la sagesse. Je me disais aussi qu’il connait tous les boutons et les leviers de notre système politique. Il était donc le plus qualifié pour changer les choses. Et voilà ce que ce choix a donné plus tard…
Vous avez connu l’occupation, vous l’avez combattu. Et aujourd’hui, vous voyez des peuples, ou une partie d’entre eux, demander aux occidentaux de venir attaquer leur propre pays pour les libérer. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Les espoirs de ces pays n’ont pas été réalisés. Ces peuples avaient de rêves, des projets, qui ne sont pas concrétisés. Ces peuples pensaient qu’une fois indépendants, ils pourraient choisir qui va les diriger pour réaliser leurs rêves, et ils se retrouvent avec des dirigeants qui veulent choisir le peuple avec lequel ils vont vivre !
Une partie du peuple en arrive à désespérer, et à se nourrir d’illusions, en pensant que tout ce qui peut soulever la montagne qui les écrase est le bienvenu. Ils pensent qu’ils n’ont pas le choix. C‘est le désespoir qui mène à l’aveuglement.
Vous avez connu et côtoyé des dirigeants célèbres. En Algérie et ailleurs. Plus ils ont suscité d’espoir, plus leur échec parait grand…
J’admets que certains dirigeants ont longtemps fait illusion. Ils se sont donnés une image de bâtisseurs, de résistants, mais leur démarche a échoué. Leurs erreurs ont provoqué une frustration, et une perte de repères.
Celui qui a subi la domination coloniale sait ce que c’est que l’injustice. Mais celui qui ne l’a pas subi peut avoir des illusions. Ajoutons à cela que les occidentaux ont un excellent service après-vente, ce qui nous permet de comprendre pourquoi un Libyen pense que l’OTAN peut le libérer, malgré le précédent irakien.
Interview réalisé par Abed Charef en 2011
Comment avez-vous passé la journée du 5 juillet 1962 ?
Le 5 juillet 1962, nous avons organisé à Sidi-Fredj une cérémonie à laquelle étaient conviées les autres wilayas. Nous nous sommes rendus à Sidi-Fredj tôt le matin à cet endroit précis où les forces françaises avaient débarqué 132 ans plus tôt. J’étais membre du conseil de la Wilaya IV. Nous avons accueilli les délégations des autres wilayas. Je me rappelle Mohand Oulhadj pour la Wilaya III, Saout El-Arab (Salah Boubnider) pour la wilaya II, et Kadhi Boubekeur pour la wilya V. Si Hassan était là en tant que chef de la wilaya IV. Il y avait aussi Mohamed Bousmaha et Ahmed Bencherif parmi les officiers de la Wilaya IV. Mohamed Oulhadj a fait un discours, en sa qualité de doyen.
Nous avons détruit une grande stèle érigée là par l’armée coloniale. On a utilisé les tracteurs et engins fournis par les fellahs des fermes de la région. Il y avait là des parachutistes français, qui ont voulu nous en empêcher. Nous avons failli en venir aux armes. Il a fallu de longues palabres. Finalement, ils ont reçu des ordres et nous ont laissé détruire ce symbole de l’occupation.
Vous viviez ce moment historique, l’indépendance. Mais quelle est la différence de votre perception de l’indépendance, avant le 5 juillet 1962, et aujourd’hui
Avant le 5 juillet 1962, il y avait deux univers, pour moi. L’un était fait d’injustice, d’exploitation, d’ignorance, de dénuement. J’en faisais partie. L’autre était fait d’espoir, d’ambition à une vie libre, dans la dignité. Il ouvrait le droit au bénéfice légitime des richesses du pays.
La ligne de séparation entre ces deux univers n’était pas facile à franchir, ni à la portée de tout le monde. Un groupe de militants avait décidé de franchir cette ligne quel que soit le prix. Un autre groupe est arrivé au bord de la ligne et est revenu. Pour différentes raisons. D’autres étaient tombés en cours de route, sans arriver sur l’autre rive. Ce sont les plus grands, les plus dignes. Les meilleurs d’en entre nous.
Le 5 juillet 1962, c’est la renaissance de l’Algérie. La nation algérienne a de nouveau émergé.
Aujourd’hui, après un demi-siècle d’indépendance, je note que nos espoirs n’ont pas été pleinement été réalisés. Les promoteurs de la révolution ont disparu, nombre de nos compagnons aussi. Je suis musulman, je pense que leurs âmes continuent de planer au-dessus des montagnes, attendant de nous qu’on fasse ce qui n’a pas été accompli, attendant aussi des nouvelles générations qu’elles d’accomplissent ce que notre génération n’a pu faire.
La génération de la guerre de libération devait-elle tout faire ? Libérer le pays, construire l’état, mettre en place des institutions, construire une économie et le Maghreb… Est-ce que ce n’est pas au-dessus de ses capacités ?
L’homme qui fait la révolution et celui qui construit le pays ensuite ne sont pas les mêmes. Il faut des qualités différentes. Celui qui fait la révolution agit dans des conditions particulières. Il n’y a pas de loi et d’institutions pour l’encadrer. Ses seuls repères , c’est sa conviction, la rigueur, la discipline, l’obéissance aux ordres.
Cela a abouti à certaines dérives, peut-être. Des erreurs. Obéir aux ordres, faire preuve de discipline, c’est par exemple pour certains compagnons participer avec l’armée des frontières à la prise du pouvoir à l’indépendance.
En face, on avait un état qui nous réprimait par tous ses moyens, ses armes, ses lois, son armée, son administration. Nous, on devait créer au fur et à mesure les institutions qui donnent un sens à notre action.
Aujourd’hui, avec le recul, les choses apparaissent de manière radicalement différente. Cette génération a fait la révolution, avec ses moyens, son génie et ses tares. Mais aujourd’hui, on se rend compte qu’on s’est peut être trompé de priorités. Il aurait fallu mieux préparer l’indépendance. C’est là que l’effort essentiel aurait du porter.
Et pourtant, le FLN a formé beaucoup de gens justement pour gérer l’après indépendance…
C’est vrai. Mais ces jeunes formés par le FLN se sont retrouvés à l’indépendance dans une situation délicate. Que faut-il faire ? Avec qui ?, se demandaient-ils, en voyant les ainés se battre pour le pouvoir.
Ces jeunes ne sont pas des hommes de décision. Des hommes de réflexion, peut-être, mais pas des hommes qui forcent les décisions. Certains ont même été choqués par les méthodes de certains dirigeants. D’autres se sont pris au jeu. Ils sont devenus des fonctionnaires du pouvoir. Peut-être à cause de la faillite de ceux qui étaient jusque-là leurs modèles.
Toujours à propos des générations, Saad Dahlab a écrit un livre : Mission accomplie…
Je pense qu’il l’a dit avec amertume, mais c’est une vérité…
Mehri défend une autre vision. Pour lui, le FLN n’a pas achevé sa mission historique, en trois parties : restauration de l’état algérien, système démocratique et édification du Maghreb.
Saad Dahlab est un ancien militant, un centraliste. Il était au cœur de la pensée du mouvement national. Il considérait qu’il n’a pas participé à dessiner la feuille de route du 1er novembre, mais il a apporté sa contribution à sa réalisation. Comme centraliste, il a souffert dans ses rapports avec les autres courants du mouvement national. Il était d’ailleurs devenu un spécialiste pour renouer le dialogue. Il pensait qu’il ne faut jamais couper les ponts.
Il avait des convictions très fortes, mais c’était un pragmatique, Il considérait qu’il devait y avoir des étapes, et que la plus cruciale, c’était l’indépendance. Celle-ci acquise, sa génération pouvait exprimer sa satisfaction du devoir accompli.
Mehri, de son côté, pensait les choses dans une continuité permanente. Il a une perception différente du temps. Il pense les choses dans leur globalité (koul moutakamil), et ne veut pas dissocier les étapes.
Saad Dahlab, Abdelhamid Mehri… Deux personnalités d’envergure, qui en évoquent deux autres, Aït-Ahmed et Bella…
Ben Bella et Aït-Ahmed sont trop grands pour qu’on les évoque comme ça. Ils sont au-dessus de tout ce qu’on puisse dire d’eux. Ils ont été partie prenante dans les actes fondateurs de la violence révolutionnaire. Ils étaient à la direction de l’OS, et l’attaque de la poste d’Oran, en 1950, c’était eux. Tu te rends compte ? Cela s’est passé il y a 61 ans ! Et ensuite, ce fut le 1er novembre. Ils y étaient.
Ils sont plus grands que nous du fait de leur militantisme, de leur itinéraire personnel, de leur histoire. Ils sont faits de la même pâte, celle des géants.
Je me rappelle un moment d’une grande tension. Le pays était en ébullition, avec un grave conflit. Aït-Ahmed et Ben Bella étaient en conflit ouvert. Les conditions ont imposé un consensus national. Une rencontre a été organisée, durant laquelle les gens étaient armés. On appréhendait ce moment où Aït-Ahmed et Ben Bella se retrouveraient dans la salle. Que feraient-ils en se retrouvant face à face ? Eh bien, quand ils se sont retrouvés, ils se sont longuement donnés l’accolade.
Je crois que quelque chose de particulier les unit, définitivement et éternellement. Même s’ils le voulaient, ils ne pourraient pas y échapper.
Ben Bella, Aït-Ahmed. De qui vous sentez-vous le plus proche ?
C’est un vrai problème. Un paradoxe, que je n’arrive pas à résoudre. Sur un plan idéologique, je me sens plus proche de Ben Bella, son attachement à la nation arabe, à un destin commun, à une sorte de militantisme internationaliste. Il avait une vraie ambition pour l’Afrique, pour les pays pauvres. Il a eu la chance inouïe de côtoyer des gens, de l’envergure de Che Guevara, Castro, etc.
Mais sur le plan concret, je me retrouve plus à côté d’Aït-Ahmed. Il est plus constant, plus cohérent, et je me suis retrouvé avec lui dans l’opposition. Dans l’action, dans les prises de position et dans les relations au pouvoir, je suis très proche d’Aït-Ahmed. Il a une analyse plus complète, et son action est plus conforme aux idées qu’il prône.
Ceci dit, je garde pour le deux le même respect, la même affection. Et je crois que je préfère rester sur ce terrain de l’affection.
Votre génération est celle qui a le plus marqué l’histoire du pays au 20ème siècle. Pourtant, elle est perçue aujourd’hui comme encombrante par une partie des autres générations, plus jeunes…
Parce qu’il y a eu une coupure brutale qui a laissé des séquelles… je veux dire une coupure avec la feuille de route de la révolution. Une crise politique d’une semaine dans la vie d’une nation, c’est beaucoup. Une crise aussi longue, ça provoque une perte de tous les repères chez une partie de la société.
Je vais vous faire une confidence. Je me suis enthousiasmé pour Bouteflika quand il était encore dans les pays du Golfe, bien avant qu’il ne devienne candidat au pouvoir. Je considérais alors que c’était un blessé du système, qu’il avait atteint l’âge de la sagesse. Je me disais aussi qu’il connait tous les boutons et les leviers de notre système politique. Il était donc le plus qualifié pour changer les choses. Et voilà ce que ce choix a donné plus tard…
Vous avez connu l’occupation, vous l’avez combattu. Et aujourd’hui, vous voyez des peuples, ou une partie d’entre eux, demander aux occidentaux de venir attaquer leur propre pays pour les libérer. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Les espoirs de ces pays n’ont pas été réalisés. Ces peuples avaient de rêves, des projets, qui ne sont pas concrétisés. Ces peuples pensaient qu’une fois indépendants, ils pourraient choisir qui va les diriger pour réaliser leurs rêves, et ils se retrouvent avec des dirigeants qui veulent choisir le peuple avec lequel ils vont vivre !
Une partie du peuple en arrive à désespérer, et à se nourrir d’illusions, en pensant que tout ce qui peut soulever la montagne qui les écrase est le bienvenu. Ils pensent qu’ils n’ont pas le choix. C‘est le désespoir qui mène à l’aveuglement.
Vous avez connu et côtoyé des dirigeants célèbres. En Algérie et ailleurs. Plus ils ont suscité d’espoir, plus leur échec parait grand…
J’admets que certains dirigeants ont longtemps fait illusion. Ils se sont donnés une image de bâtisseurs, de résistants, mais leur démarche a échoué. Leurs erreurs ont provoqué une frustration, et une perte de repères.
Celui qui a subi la domination coloniale sait ce que c’est que l’injustice. Mais celui qui ne l’a pas subi peut avoir des illusions. Ajoutons à cela que les occidentaux ont un excellent service après-vente, ce qui nous permet de comprendre pourquoi un Libyen pense que l’OTAN peut le libérer, malgré le précédent irakien.
Interview réalisé par Abed Charef en 2011
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