Le présent à la lumière de l'histoire avec Sadek Hadjeres: de l’indépendance au hirak, de “la crise berbériste” au délit d”emblème amazigh
Par Saïd Djaafer
C’est dans un hôpital que cet entretien avec Sadek Hadjeres, a été réalisé, juste au lendemain des grandes marches du vendredi 5 juillet 2019. L’entretien date donc et n’aborde pas les évolutions qui ont eu lieu dans le pays au cours des derniers mois. Mais quand Sadek Hadjeres s’exprime, c’est le présent qui est apprécié à l’aune de l’histoire et de ses enseignements.
Il compare entre l’élan, vite interrompu, du 5 juillet 1962 et l’élan qui s’est exprimé le 5 juillet 2019. La “crise dite berbériste” de 1949 provoquée de “manière fallacieuse” par la direction du PPA-MTLD fait écho aux arrestations pour le port de l’emblème amazigh alors que le peuple a très largement dépasser ce faux clivage. Sadek Hadjeres fait l’éloge de la non-violence du Hirak et insiste, le pacifisme peut-être révolutionnaire, contrairement aux idées qui ont longtemps dominé chez les courants progressistes.
C’est d’ailleurs le message qu’il adresse aux jeunes Algériens: la Silmiya, c’est “votre plus puissante arme pour venir à bout des obstacles nationaux et internationaux considérables”.
L’Algérie vient de vivre un 5 juillet exceptionnel qui est tombé un vendredi, jour de manifestations depuis le 22 février. Vous l’avez suivi de loin, Le 5 juillet 2019, le 5 juillet 1962, c’est comparable ?
Par rapport au 5 juillet 1962 de l’indépendance qui est un évènement énorme, l’aboutissement de sept années de luttes, j’ai ressenti, personnellement, que ce 5 juillet 2019 était un événement plus grand, plus important. En ce sens qu’il est venu apporter une touche nouvelle, de donner une grande partie de la signification du 5 juillet 62, celui de l’indépendance territoriale, formelle.
Le 5 juillet 62, c’était une joie extraordinaire mais déjà, après le cessez-le-feu, dans la population, les premiers signes de mécontentement étaient là, en raison des agissements du nouveau pouvoir qui se mettait en place… Biens vacants, brimades… On sentait déjà une emprise néfaste alors que tout le monde était dans le sens profond de l’indépendance.
Après il y a eu cette captation de la victoire, l’accaparement… On a vu rapidement les limites. En novembre 1962, quelques mois après l’indépendance, le parti communiste était interdit …
Un monopole de la politique s’instaurait …
Durant les dernières années de la lutte armée et indépendamment des difficultés qu’ont eu les communistes à être admis et acceptés, il y avait déjà des signes qui allaient au-delà de l’anticommunisme, une attitude anti-sociale, anti-démocratique. On a eu vers 1958, le texte d’un exposé de Lakhdar Bentobal où il disait que le grand problème après l’indépendance, cela va être les communistes parce qu’ils ont l’expérience du travail social ... etc. Il y avait une volonté de donner un certain contenu à l’indépendance, une vision antisociale, anti-démocratique. La preuve peu après novembre (1962), il y a eu le congrès de l’UGTA où le syndicat a été complètement caporalisé avec le recours à des hommes de main qui ont envahi la salle du congrès… Tous les courants qui se disputaient le pouvoir ont été unanimes, ils ont tous participé à cela…. On a vu tout de suite que ce qui était sous-jacent chez certains seigneurs de guerre a été vite mis en pratique. Il y avait un élan extraordinaire dans le pays, mais qui, avec les pratiques du pouvoir, les interdictions, est rapidement tombé. Je veux dire que ce 5 juillet 2019 par rapport à celui de 1962 est, pour moi, bien au-dessus, ce que nous avions souhaité et espéré commence à se réaliser. Un contenu à l’indépendance commence à être réalisé…
C’est un 5 juillet où les divisions passées, celles des années 90, semblent ignorées ou reportées à plus tard
Ce mouvement semble être apparu d’un seul coup, sous l’effet d’une conjoncture qui a exacerbé le ras-le-bol. Pourtant, bien avant cela, j’étais heureux d’entendre des voix qui s’élevaient de manière forte pour dire qu’il y en a assez du pessimisme, que des choses se font et peuvent se faire. Ce n’est donc pas quelque chose de miraculeux tombé du ciel. A la longue, le travail de la société sur elle-même, qui est souvent ignoré par les politiciens, a de l’effet. Il y a eu des prises de consciences successives, toutes les luttes qui sont menées dans l’anonymat, aussi bien au niveau national qu’international, tout cela a mûri.
Le peuple, dont on dit souvent du mal, a des capacités d’absorber cela, évidemment à un prix très lourd, douloureux. Mais il arrive un moment où la conjoncture nationale et internationale donne une issue favorable. Il y a tous les facteurs, l’internet, les harragas…. Chaque noyé a une famille, des voisins et cela marque. Les fausses solutions reculent au fur et à mesure, on se rend compte que les révoltes, les coupures de routes ne sont pas suffisantes pour arrêter ce grand malheur…
Un mûrissement qui s’est fait en dépit de la faiblesse de l’encadrement politique…
Et de la faiblesse de l’organisation ! On sait très bien comment les différents partis ont été caporalisés ou mis hors d’état de mener une action organisée et concertée. Tout cela était le travail des seigneurs de guerre avant l’indépendance, il est devenu le travail de dictateurs, maîtres dans l’art de diviser, de décourager les gens, de susciter le pessimisme et de dire qu’il n’y a pas d’issue, qu’il n’y a pas de changement possible à cette situation. Comme si cette situation devait être éternelle.
De la “crise berbériste” à l’interdiction de l’emblème amazigh
La société est-elle immunisée contre ces tentatives de division ?
Il y a un très grand progrès et il est même assez inimaginable.
Je suis moi-même étonné que cette histoire de drapeau amazigh soit passée aussi et acceptée aussi largement par les gens, avec cette unanimité.
Il n’y a que les secteurs qui coupent les cheveux en quatre qui rechignent…
Jusqu’à ce que les autorités décident que c’est un délit, il y a des gens en prison à cause de l’emblème amazigh.
On revient à 1949. Lorsque est parue la brochure d’Idir El Watani (*) disant qu’il y a une nation multiculturelle mais pour une République une et indivisible. C’était écrit en majuscules. L’argument des apprentis-dictateurs de l’époque, même s’ils ne s’en rendaient pas compte et se disaient nationalistes, mais nous distinguions entre nationalisme libérateur et nationalisme oppresseur… leur argument à l’époque était de dire que c’est du séparatisme institutionnel ou territorial ... etc Alors qu’on peut prendre la brochure de 1949 et la lire, ligne après ligne, pour voir que ce n’était pas du tout des revendications sécessionnistes, territoriales ou institutionnelles. Il n’y avait même pas de revendication culturelle explicite, il y avait une analyse disant que la nation était multiculturelle et qu’il y avait un grand trésor dans cette diversité. On parlait d’union et d’unité d’action dans la diversité.
A l’époque, ils disaient que même le simple fait de parler amazigh était un acte sécessionniste et séparatiste alors qu’il n’en était pas du tout question et il ne pouvait pas en être question. Le mouvement culturel berbère était à sa naissance à cette époque, il y avait le chant patriotique “Kker a mmi-s n umaziɣ !” qui, entre parenthèses, a été adopté unanimement à l’époque. A la fête de l’AEMAN, organisée à l’opéra d’Alger, il s’est posé un grand problème. A la dernière minute, on a supprimé Kker a mmi-s n umaziɣ qui dure trois minutes sur un programme arabophone et francophone de deux à trois heures.
A ce moment-là, les partisans culturels de l’amazighité, ceux qui ont créé et lancé Kker a mmi-s n umaziɣ, Ait Amrane et ses amis ont refusé d’ouvrir le rideau et ont dit qu’ils refusaient de participer. Finalement, ce n’était pas des gens qui l’ont fait sur directive du MTLD, mais des illuminés qui ont voulu qu’il en soit ainsi. Quand le rideau a été levé, il y a eu un torrent d’acclamation pour “Kker a mmi-s n umaziɣ ! “On a fait des recettes extraordinaires, à ce moment-là j’étais trésorier de l’association, la valise était un peu lourde. (rires).
C’est pour dire qu’il y avait une espèce d’hostilité virulente, même contre le fait de parler kabyle entre nous, naturellement, comme on respirait. La direction du PPA-MTLD à l’époque a adopté cette position perverse et fallacieuse. Il n’y a donc rien de différent avec ce qu’ils essaient de dire maintenant….
Il y a le slogan kbayli-arbi khawa khawa comme réponse
Il y a eu tellement de perversion durant ces décennies que j’ai été enchanté et surpris de cette unanimité des Algériens. C’est ce qui rend d’autant plus ridicule l’interdiction d’un emblème qui en fait exprime une réalité culturelle du pays, ce n’est pas une revendication politique ou chauvine…
Cet emblème amazigh n’est en aucune façon contradictoire avec le drapeau national pour lequel les berbérophones se sont sacrifiés et ils ne sont pas prêts de l’abandonner. La preuve, on le voit partout maintenant, au point que c’est devenu presque subversif.
Ce qui est frappant est que depuis le 22 février, tout ce que le pouvoir s’appropriait, le drapeau, le combat national, les héros… prennent une autre tonalité chez la population.
Ce que l’on croyait enfoui est en réalité resté présent dans les familles, dans la société qui était indigné que le comportement des nouveaux dirigeants ne soit pas celui qu’on proclamait…
C’est une société que beaucoup d’élites matraquaient et insultaient qui fait preuve non seulement de résilience mais aussi d’une grande mémoire historique.
Une grande mémoire, car cela se raconte dans la famille. Tout le monde a eu des frères, des parents… J’ai été vraiment frappé, lors d’un hommage qui m’a été rendu dans mon village natal en Kabylie, combien la mémoire des gens était là pour parler des problèmes présents. Et en même temps, ils étaient imprégnés de ce qui s’est passé. C’était à qui raconterait ce qui s’est passé dans sa famille, des femmes emprisonnés dans des camps, qu’on amenait chaque matin faire des kilomètres pour les obliger à saluer le drapeau français. Il y en a une qui m’a raconté qu’en revenant avec un enfant sur le dos, dans la boue… elle se disait qu’elle pourrait peut-être laisser l’enfant tomber…. Il y a eu des souffrances quotidiennes, cela reste de génération en génération, il n’y a que des politicards qui peuvent dire le contraire
Il y a eu quand même une tentative d’effacer la mémoire… on a présenté une Algérie sans héros
C’était en fait pour faire oublier les enjeux réels, au contenu qu’on voulait donner à l’indépendance. C’était vraiment quelque chose de concret que les gens voulaient donner à l’indépendance. C’est là que s’explique l’immense déception qui s’exprimait dans l’autodérision…. Mais derrière tout cela, il y avait une volonté aussi forte que celle de l’esprit d’un harraga qui s’en va. Il y avait seulement un manque de conscience de quelle voie prendre pour en finir avec ça. Lorsque à l’expérience, les choses, s’avèrent faisables… Tout d’un coup, c’est comme un éclair de lumière dans l’esprit des gens. Ça a explosé publiquement, sans crainte, avec une unanimité extraordinaire.
Le pacifisme est révolutionnaire
C’est un mouvement est quand même une grande surprise, aussi bien par son pacifisme que par son caractère national
La qualité de ce mouvement, cette obstination à ne pas franchir le pas de la violence, cette expression unanime, c’est quelque chose d’extraordinaire. Cela donne à réfléchir.
La qualité de ce mouvement, cette obstination à ne pas franchir le pas de la violence, cette expression unanime, c’est quelque chose d’extraordinaire. Cela donne à réfléchir. Cela veut dire aussi que ce n’est pas la souffrance qui s’est accumulée mais les enseignements des différentes formes de lutte dispersées, réprimées… Il y en a eu des dizaines et des dizaines, elles ont porté leur fruit. Y compris les évènements identiques dans le monde. Les mouvements pacifiques dans le monde, comme ceux de Mandela, tout cela a fini par imprégner les esprits… Il y a une conscience politique et civique qui se forme peu à peu, dont les résultats n’apparaissent pas tout de suite mais qui finalement arrivent.
Par Saïd Djaafer
C’est dans un hôpital que cet entretien avec Sadek Hadjeres, a été réalisé, juste au lendemain des grandes marches du vendredi 5 juillet 2019. L’entretien date donc et n’aborde pas les évolutions qui ont eu lieu dans le pays au cours des derniers mois. Mais quand Sadek Hadjeres s’exprime, c’est le présent qui est apprécié à l’aune de l’histoire et de ses enseignements.
Il compare entre l’élan, vite interrompu, du 5 juillet 1962 et l’élan qui s’est exprimé le 5 juillet 2019. La “crise dite berbériste” de 1949 provoquée de “manière fallacieuse” par la direction du PPA-MTLD fait écho aux arrestations pour le port de l’emblème amazigh alors que le peuple a très largement dépasser ce faux clivage. Sadek Hadjeres fait l’éloge de la non-violence du Hirak et insiste, le pacifisme peut-être révolutionnaire, contrairement aux idées qui ont longtemps dominé chez les courants progressistes.
C’est d’ailleurs le message qu’il adresse aux jeunes Algériens: la Silmiya, c’est “votre plus puissante arme pour venir à bout des obstacles nationaux et internationaux considérables”.
L’Algérie vient de vivre un 5 juillet exceptionnel qui est tombé un vendredi, jour de manifestations depuis le 22 février. Vous l’avez suivi de loin, Le 5 juillet 2019, le 5 juillet 1962, c’est comparable ?
Par rapport au 5 juillet 1962 de l’indépendance qui est un évènement énorme, l’aboutissement de sept années de luttes, j’ai ressenti, personnellement, que ce 5 juillet 2019 était un événement plus grand, plus important. En ce sens qu’il est venu apporter une touche nouvelle, de donner une grande partie de la signification du 5 juillet 62, celui de l’indépendance territoriale, formelle.
Le 5 juillet 62, c’était une joie extraordinaire mais déjà, après le cessez-le-feu, dans la population, les premiers signes de mécontentement étaient là, en raison des agissements du nouveau pouvoir qui se mettait en place… Biens vacants, brimades… On sentait déjà une emprise néfaste alors que tout le monde était dans le sens profond de l’indépendance.
Après il y a eu cette captation de la victoire, l’accaparement… On a vu rapidement les limites. En novembre 1962, quelques mois après l’indépendance, le parti communiste était interdit …
Un monopole de la politique s’instaurait …
Durant les dernières années de la lutte armée et indépendamment des difficultés qu’ont eu les communistes à être admis et acceptés, il y avait déjà des signes qui allaient au-delà de l’anticommunisme, une attitude anti-sociale, anti-démocratique. On a eu vers 1958, le texte d’un exposé de Lakhdar Bentobal où il disait que le grand problème après l’indépendance, cela va être les communistes parce qu’ils ont l’expérience du travail social ... etc. Il y avait une volonté de donner un certain contenu à l’indépendance, une vision antisociale, anti-démocratique. La preuve peu après novembre (1962), il y a eu le congrès de l’UGTA où le syndicat a été complètement caporalisé avec le recours à des hommes de main qui ont envahi la salle du congrès… Tous les courants qui se disputaient le pouvoir ont été unanimes, ils ont tous participé à cela…. On a vu tout de suite que ce qui était sous-jacent chez certains seigneurs de guerre a été vite mis en pratique. Il y avait un élan extraordinaire dans le pays, mais qui, avec les pratiques du pouvoir, les interdictions, est rapidement tombé. Je veux dire que ce 5 juillet 2019 par rapport à celui de 1962 est, pour moi, bien au-dessus, ce que nous avions souhaité et espéré commence à se réaliser. Un contenu à l’indépendance commence à être réalisé…
C’est un 5 juillet où les divisions passées, celles des années 90, semblent ignorées ou reportées à plus tard
Ce mouvement semble être apparu d’un seul coup, sous l’effet d’une conjoncture qui a exacerbé le ras-le-bol. Pourtant, bien avant cela, j’étais heureux d’entendre des voix qui s’élevaient de manière forte pour dire qu’il y en a assez du pessimisme, que des choses se font et peuvent se faire. Ce n’est donc pas quelque chose de miraculeux tombé du ciel. A la longue, le travail de la société sur elle-même, qui est souvent ignoré par les politiciens, a de l’effet. Il y a eu des prises de consciences successives, toutes les luttes qui sont menées dans l’anonymat, aussi bien au niveau national qu’international, tout cela a mûri.
Le peuple, dont on dit souvent du mal, a des capacités d’absorber cela, évidemment à un prix très lourd, douloureux. Mais il arrive un moment où la conjoncture nationale et internationale donne une issue favorable. Il y a tous les facteurs, l’internet, les harragas…. Chaque noyé a une famille, des voisins et cela marque. Les fausses solutions reculent au fur et à mesure, on se rend compte que les révoltes, les coupures de routes ne sont pas suffisantes pour arrêter ce grand malheur…
Un mûrissement qui s’est fait en dépit de la faiblesse de l’encadrement politique…
Et de la faiblesse de l’organisation ! On sait très bien comment les différents partis ont été caporalisés ou mis hors d’état de mener une action organisée et concertée. Tout cela était le travail des seigneurs de guerre avant l’indépendance, il est devenu le travail de dictateurs, maîtres dans l’art de diviser, de décourager les gens, de susciter le pessimisme et de dire qu’il n’y a pas d’issue, qu’il n’y a pas de changement possible à cette situation. Comme si cette situation devait être éternelle.
De la “crise berbériste” à l’interdiction de l’emblème amazigh
La société est-elle immunisée contre ces tentatives de division ?
Il y a un très grand progrès et il est même assez inimaginable.
Je suis moi-même étonné que cette histoire de drapeau amazigh soit passée aussi et acceptée aussi largement par les gens, avec cette unanimité.
Il n’y a que les secteurs qui coupent les cheveux en quatre qui rechignent…
Jusqu’à ce que les autorités décident que c’est un délit, il y a des gens en prison à cause de l’emblème amazigh.
On revient à 1949. Lorsque est parue la brochure d’Idir El Watani (*) disant qu’il y a une nation multiculturelle mais pour une République une et indivisible. C’était écrit en majuscules. L’argument des apprentis-dictateurs de l’époque, même s’ils ne s’en rendaient pas compte et se disaient nationalistes, mais nous distinguions entre nationalisme libérateur et nationalisme oppresseur… leur argument à l’époque était de dire que c’est du séparatisme institutionnel ou territorial ... etc Alors qu’on peut prendre la brochure de 1949 et la lire, ligne après ligne, pour voir que ce n’était pas du tout des revendications sécessionnistes, territoriales ou institutionnelles. Il n’y avait même pas de revendication culturelle explicite, il y avait une analyse disant que la nation était multiculturelle et qu’il y avait un grand trésor dans cette diversité. On parlait d’union et d’unité d’action dans la diversité.
A l’époque, ils disaient que même le simple fait de parler amazigh était un acte sécessionniste et séparatiste alors qu’il n’en était pas du tout question et il ne pouvait pas en être question. Le mouvement culturel berbère était à sa naissance à cette époque, il y avait le chant patriotique “Kker a mmi-s n umaziɣ !” qui, entre parenthèses, a été adopté unanimement à l’époque. A la fête de l’AEMAN, organisée à l’opéra d’Alger, il s’est posé un grand problème. A la dernière minute, on a supprimé Kker a mmi-s n umaziɣ qui dure trois minutes sur un programme arabophone et francophone de deux à trois heures.
A ce moment-là, les partisans culturels de l’amazighité, ceux qui ont créé et lancé Kker a mmi-s n umaziɣ, Ait Amrane et ses amis ont refusé d’ouvrir le rideau et ont dit qu’ils refusaient de participer. Finalement, ce n’était pas des gens qui l’ont fait sur directive du MTLD, mais des illuminés qui ont voulu qu’il en soit ainsi. Quand le rideau a été levé, il y a eu un torrent d’acclamation pour “Kker a mmi-s n umaziɣ ! “On a fait des recettes extraordinaires, à ce moment-là j’étais trésorier de l’association, la valise était un peu lourde. (rires).
C’est pour dire qu’il y avait une espèce d’hostilité virulente, même contre le fait de parler kabyle entre nous, naturellement, comme on respirait. La direction du PPA-MTLD à l’époque a adopté cette position perverse et fallacieuse. Il n’y a donc rien de différent avec ce qu’ils essaient de dire maintenant….
Il y a le slogan kbayli-arbi khawa khawa comme réponse
Il y a eu tellement de perversion durant ces décennies que j’ai été enchanté et surpris de cette unanimité des Algériens. C’est ce qui rend d’autant plus ridicule l’interdiction d’un emblème qui en fait exprime une réalité culturelle du pays, ce n’est pas une revendication politique ou chauvine…
Cet emblème amazigh n’est en aucune façon contradictoire avec le drapeau national pour lequel les berbérophones se sont sacrifiés et ils ne sont pas prêts de l’abandonner. La preuve, on le voit partout maintenant, au point que c’est devenu presque subversif.
Ce qui est frappant est que depuis le 22 février, tout ce que le pouvoir s’appropriait, le drapeau, le combat national, les héros… prennent une autre tonalité chez la population.
Ce que l’on croyait enfoui est en réalité resté présent dans les familles, dans la société qui était indigné que le comportement des nouveaux dirigeants ne soit pas celui qu’on proclamait…
C’est une société que beaucoup d’élites matraquaient et insultaient qui fait preuve non seulement de résilience mais aussi d’une grande mémoire historique.
Une grande mémoire, car cela se raconte dans la famille. Tout le monde a eu des frères, des parents… J’ai été vraiment frappé, lors d’un hommage qui m’a été rendu dans mon village natal en Kabylie, combien la mémoire des gens était là pour parler des problèmes présents. Et en même temps, ils étaient imprégnés de ce qui s’est passé. C’était à qui raconterait ce qui s’est passé dans sa famille, des femmes emprisonnés dans des camps, qu’on amenait chaque matin faire des kilomètres pour les obliger à saluer le drapeau français. Il y en a une qui m’a raconté qu’en revenant avec un enfant sur le dos, dans la boue… elle se disait qu’elle pourrait peut-être laisser l’enfant tomber…. Il y a eu des souffrances quotidiennes, cela reste de génération en génération, il n’y a que des politicards qui peuvent dire le contraire
Il y a eu quand même une tentative d’effacer la mémoire… on a présenté une Algérie sans héros
C’était en fait pour faire oublier les enjeux réels, au contenu qu’on voulait donner à l’indépendance. C’était vraiment quelque chose de concret que les gens voulaient donner à l’indépendance. C’est là que s’explique l’immense déception qui s’exprimait dans l’autodérision…. Mais derrière tout cela, il y avait une volonté aussi forte que celle de l’esprit d’un harraga qui s’en va. Il y avait seulement un manque de conscience de quelle voie prendre pour en finir avec ça. Lorsque à l’expérience, les choses, s’avèrent faisables… Tout d’un coup, c’est comme un éclair de lumière dans l’esprit des gens. Ça a explosé publiquement, sans crainte, avec une unanimité extraordinaire.
Le pacifisme est révolutionnaire
C’est un mouvement est quand même une grande surprise, aussi bien par son pacifisme que par son caractère national
La qualité de ce mouvement, cette obstination à ne pas franchir le pas de la violence, cette expression unanime, c’est quelque chose d’extraordinaire. Cela donne à réfléchir.
La qualité de ce mouvement, cette obstination à ne pas franchir le pas de la violence, cette expression unanime, c’est quelque chose d’extraordinaire. Cela donne à réfléchir. Cela veut dire aussi que ce n’est pas la souffrance qui s’est accumulée mais les enseignements des différentes formes de lutte dispersées, réprimées… Il y en a eu des dizaines et des dizaines, elles ont porté leur fruit. Y compris les évènements identiques dans le monde. Les mouvements pacifiques dans le monde, comme ceux de Mandela, tout cela a fini par imprégner les esprits… Il y a une conscience politique et civique qui se forme peu à peu, dont les résultats n’apparaissent pas tout de suite mais qui finalement arrivent.
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