Dans un Etat si délité comme l'Agérie, ne faut-il pas au contaire apprécier le rôle du seul pan sérieux du pays: à savoir l'armée?
- Pour la spécialiste de l’Algérie Dalia Ghanem, des mesures coercitives contre le Hirak « seraient une terrible erreur » après la mort, lundi, du chef d’état-major et vice ministre de la défense, Ahmed Gaïd Salah
Spécialiste de l’Algérie, Dalia Ghanem est chercheuse résidente au Carnegie et à l’Institut français des relations internationales. Elle analyse la nouvelle donne créée par la mort d’Ahmed Gaïd Salah.
La mort de Gaïd Salah ouvre-t-elle une période d’incertitude ?
Il était l’homme fort du pays depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika fin mars. Sa mort ouvre une période d’incertitude, mais surtout de reconfiguration des rapports de force au sommet de l’Etat. Gaïd Salah avait parachuté Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République.
Ce dernier n’a pas été élu comme veut le faire croire le pouvoir, mais réellement « choisi » par l’armée, et notamment Gaïd Salah qui était son soutien le plus important.
Aujourd’hui, nous avons un président d’emblée très affaibli, pris en étau entre une rue qui le rejette et une armée qui l’a imposé mais à qui il devra payer le prix fort : une allégeance, sinon une soumission inconditionnelle. Le Hirak, le mouvement de protestation populaire qui a débuté en février, considère Tebboune comme illégitime et refuse de le reconnaître. C’est pour cette raison qu’une négociation est cruciale pour pouvoir lui conférer un minimum de légitimité.
La marge de manœuvre du président est-elle donc très réduite ?
Le président Tebboune se retrouve sous pression de cette rue qui veut réécrire le pacte social et d’un état-major qui a porté ce président et qui donc continuera à tirer les ficelles. Dans son ensemble, la société algérienne veut sortir du paradigme parental qui prévaut depuis l’indépendance du pays en 1962.
En vertu de ce paradigme, la société fonde son rapport à l’Etat sur un pacte d’échange implicite lui donnant le pétrole, qu’elle a payé au prix fort (entendez un million et demi de martyrs de la guerre de libération) en contrepartie d’un Etat-providence.
Cet Etat dispose discrétionnairement des richesses nationales mais garantit leur redistribution sous forme de services publics, de subventions généreuses, et de prébendes politiques. L’armée choisit le président et le peuple valide son choix par les urnes. Ce paradigme est dans l’impasse.
La chute des prix du pétrole en 2014, l’explosion démographique, la crise du logement, le chômage, les nouvelles habitudes de consommation, l’urbanisation, etc., ont obligé le gouvernement à interrompre sa « générosité ». Il n’est plus en mesure d’acheter la paix sociale comme il l’a fait en 2011, lors du « printemps arabe ».
Il en résultera à n’en point douter un fort sentiment d’exclusion, similaire à un déni parental, et une violence non pas destructrice comme celle des années 1990, mais plutôt fondatrice d’un nouveau lien social et d’un Hirak où les Algériens se retrouveront pour la première fois tous unis pour un même désir de transparence et de démocratie-.
Le Monde.fr
- Pour la spécialiste de l’Algérie Dalia Ghanem, des mesures coercitives contre le Hirak « seraient une terrible erreur » après la mort, lundi, du chef d’état-major et vice ministre de la défense, Ahmed Gaïd Salah
Spécialiste de l’Algérie, Dalia Ghanem est chercheuse résidente au Carnegie et à l’Institut français des relations internationales. Elle analyse la nouvelle donne créée par la mort d’Ahmed Gaïd Salah.
La mort de Gaïd Salah ouvre-t-elle une période d’incertitude ?
Il était l’homme fort du pays depuis le départ d’Abdelaziz Bouteflika fin mars. Sa mort ouvre une période d’incertitude, mais surtout de reconfiguration des rapports de force au sommet de l’Etat. Gaïd Salah avait parachuté Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République.
Ce dernier n’a pas été élu comme veut le faire croire le pouvoir, mais réellement « choisi » par l’armée, et notamment Gaïd Salah qui était son soutien le plus important.
Aujourd’hui, nous avons un président d’emblée très affaibli, pris en étau entre une rue qui le rejette et une armée qui l’a imposé mais à qui il devra payer le prix fort : une allégeance, sinon une soumission inconditionnelle. Le Hirak, le mouvement de protestation populaire qui a débuté en février, considère Tebboune comme illégitime et refuse de le reconnaître. C’est pour cette raison qu’une négociation est cruciale pour pouvoir lui conférer un minimum de légitimité.
La marge de manœuvre du président est-elle donc très réduite ?
Le président Tebboune se retrouve sous pression de cette rue qui veut réécrire le pacte social et d’un état-major qui a porté ce président et qui donc continuera à tirer les ficelles. Dans son ensemble, la société algérienne veut sortir du paradigme parental qui prévaut depuis l’indépendance du pays en 1962.
En vertu de ce paradigme, la société fonde son rapport à l’Etat sur un pacte d’échange implicite lui donnant le pétrole, qu’elle a payé au prix fort (entendez un million et demi de martyrs de la guerre de libération) en contrepartie d’un Etat-providence.
Cet Etat dispose discrétionnairement des richesses nationales mais garantit leur redistribution sous forme de services publics, de subventions généreuses, et de prébendes politiques. L’armée choisit le président et le peuple valide son choix par les urnes. Ce paradigme est dans l’impasse.
La chute des prix du pétrole en 2014, l’explosion démographique, la crise du logement, le chômage, les nouvelles habitudes de consommation, l’urbanisation, etc., ont obligé le gouvernement à interrompre sa « générosité ». Il n’est plus en mesure d’acheter la paix sociale comme il l’a fait en 2011, lors du « printemps arabe ».
Il en résultera à n’en point douter un fort sentiment d’exclusion, similaire à un déni parental, et une violence non pas destructrice comme celle des années 1990, mais plutôt fondatrice d’un nouveau lien social et d’un Hirak où les Algériens se retrouveront pour la première fois tous unis pour un même désir de transparence et de démocratie-.
Le Monde.fr
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