Suite au décès, le 23 décembre 2019, du général de corps d’armée Gaïd Salah, à l’âge de 79 ans, c’est le général-major Saïd Chengriha (74 ans), commandant des forces terrestres, qui l’a remplacé par intérim à la tête de l’état-major de l’ANP. Très proche de longue date de Gaïd Salah, Chengriha a souvent servi à ses côtés (voir la photo de l’un et l’autre à Tindouf, au début des années 1980).

Dans son livre La Sale Guerre (La Découverte, 2001), Habib Souaïdia a rendu compte des crimes dont s’est rendu responsable le colonel Saïd Chengriha lorsqu’il était, de mars 1993 à fin 1994, le commandant en second (puis par intérim) du secteur opérationnel de Bouira (SOB), rattaché au Centre de commandement de la lutte antisubversive (CCLAS). Il était alors le supérieur direct du sous-lieutenant Habib Souaïdia, affecté début 1993 au 25e régiment de reconnaissance (l’une des cinq unités des forces spéciales de l’armée chargées de la lutte antiterroriste), stationné à Lakhdaria pendant toute la période. Avec l’accord d’Habib Souaïdia, nous reprenons ci-après quelques extraits de son livre relatant certains actes du colonel Chengriha, qui s’est alors illustré par sa férocité.
Précisons qu’en 1995, le colonel Chengriha a été muté à l’École des blindés de Constantine où il est resté quelques mois, avant de rejoindre en 1996 la 8e brigade blindée stationnée à Sidi Bel-Abbès à l’ouest de l’Algérie. À ce titre, il a dirigé le Secteur opérationnel de Sidi Bel-Abbès (SOBA) et le Secteur opérationnel de l’ouest algérois (COWAL), qui étaient également rattaché au CCLAS et où il a continué à commettre et faire commettre à large échelle les crimes de guerre qui ont caractérisée la terrible guerre contre les civils conduite par les généraux janviéristes de 1992 à 2000. Rappelons que c’est dans cette région dont il était responsable jusqu’en 2003 que, fin 1997 et début 1998, eurent lieu dans la wilaya de Relizane de terribles massacres (plus de 1 400 villageois tués dans des conditions atroces), attribués aux « groupes islamiques de l’armée ».
Saïd Chengriha a été nommé général en 1998, puis général-major en 2003, occupant le poste d’adjoint au commandant de la IIIe région militaire (Béchar). Il en prend la tête en août 2004, jusqu’à sa nomination en juillet 2018 comme commandant des forces terrestres de l’ANP. La promotion de ce dernier, comme celles à de nombreux postes sensibles d’autres officiers ayant gagné leurs galons de criminels de guerre lors de la « sale guerre », a marqué un tournant majeur, confirmant au fil des mutations le rôle actuellement croissant de ces officiers à la tête de l’armée. C’est notamment le cas du général-major Amar Athamnia, qui commandait à l’époque (avec le grade de colonel) le 12e régiment de para-commandos (12e RPC), qualifié de « régiment des assassins » par Habib Souaïdia dans son livre, et qui a été nommé en 2005 par Gaïd Salah à la tête de la Ve région militaire (poste qu’il occupait encore fin 2019). Ou encore du général-major Mohamed Tlemçani, nommé en 2018 au poste de chef d’état-major des forces terrestres, qui avait commandé dans les années 1990 le 4e RPC, unité des forces spéciales ayant également commis alors des crimes de guerre dans l’Algérois et dans d’autres régions. La direction de la IVe région militaire a quant à elle été confiée en août 2018 à un autre parachutiste acteur de la sale guerre, le général-major Hassan Alaïmia, ex-commandant du 18e RPC installé dans les années 1990 à Boufarik (Blida) et d’autres régions de l’Algérois, là où ont eu lieu les pires exactions des forces spéciales de l’armée et des « groupes islamistes de l’armée » contrôlés par le DRS.
On peut penser que ces officiers et leurs pairs à la tête de l’armée feront corps autour de leur nouveau chef, le général Chengriha, pour agir de façon concertée face au hirak. Reste à savoir dans quel sens, celui du dialogue ou celui de la répression… En évoquant l’implication et la continuité des hommes à leurs postes, nous rappelons que la quête de justice et vérité pour la paix et la réconciliation reste au cœur des exigences du peuple algérien, qui n’ignore rien de son histoire récente. Ces officiers qui ont exécuté sans états d’âme les ordres des janviéristes ont l’occasion inespérée de modifier positivement leur bilan face au peuple et à l’histoire. Espérons qu’ils sauront la saisir…
Extraits du chapitre 6, La « Société nationale de formation des terroristes »
Mon arrivée à Lakhdaria [en mars 1993] a coïncidé avec l’installation d’un nouveau commandant de secteur : le général Abdelaziz Medjahed. Mohamed Lamari avait décidé de créer des « centres opérationnels de lutte antisubversive » (COLAS), qui regroupaient plusieurs secteurs militaires. Lakhdaria était ainsi rattachée au secteur opérationnel de Bouira (SOB) et commandé désormais par le général Medjahed, secondé par le colonel Chengriha. […]
L’été 1993 s’annonçait très chaud. Mais il ne s’agissait pas des conditions climatiques. Le général Medjahed et le colonel Chengriha nous avaient donné l’ordre d’incendier, avec de l’essence, plusieurs montagnes près de Lakhdaria et en Kabylie. Lakhdaria était connu pour être un lieu de transit des groupes terroristes : ils passaient par là pour se rendre en Kabylie, à Jijel ou dans l’Est du pays. Le terrain très boisé facilitait leurs déplacements : il était impossible de voir quoi que ce soit par hélicoptère. Le feu allait non seulement les déloger mais surtout dégager le terrain et nous permettre de voir de loin tout déplacement suspect. En raison des feux de forêts que nous avions allumés, la température atteignait parfois les 45 degrés. Des arbres centenaires brûlaient. Ce désastre écologique n’a pas manqué de faire des morts parmi la population civile. En Kabylie, par exemple, cinq personnes ont trouvé la mort. En l’espace de deux mois, des dizaines de milliers d’hectares de forêts et de pâturages ont été détruits. […]
Extraits du chapitre 8, La descente aux enfers
[Février 1994] Il s’est ensuite passé ce qui se passait systématiquement avec les personnes arrêtées. À chaque fois, les hommes du DRS basés chez nous demandaient des instructions au général Medjahed ou à son chef d’état-major, le colonel Chengriha. En général, l’ordre était toujours le même : « Habtouh lel-oued ! », c’est-à-dire « Fait-les descendre à l’oued ». Ce qui voulait dire : « Liquide-les » (pas nécessairement au bord de l’oued, ce pouvait être n’importe où). Je précise que nos chefs utilisaient également d’autres formules à peine codées pour ordonner de torturer les prisonniers afin d’obtenir des renseignements : « Traitez-les sur place », « Faite l’exploitation sur place » ou « Exploitez-les »… (ce n’est qu’ensuite qu’ils étaient exécutés).

Dans son livre La Sale Guerre (La Découverte, 2001), Habib Souaïdia a rendu compte des crimes dont s’est rendu responsable le colonel Saïd Chengriha lorsqu’il était, de mars 1993 à fin 1994, le commandant en second (puis par intérim) du secteur opérationnel de Bouira (SOB), rattaché au Centre de commandement de la lutte antisubversive (CCLAS). Il était alors le supérieur direct du sous-lieutenant Habib Souaïdia, affecté début 1993 au 25e régiment de reconnaissance (l’une des cinq unités des forces spéciales de l’armée chargées de la lutte antiterroriste), stationné à Lakhdaria pendant toute la période. Avec l’accord d’Habib Souaïdia, nous reprenons ci-après quelques extraits de son livre relatant certains actes du colonel Chengriha, qui s’est alors illustré par sa férocité.
Précisons qu’en 1995, le colonel Chengriha a été muté à l’École des blindés de Constantine où il est resté quelques mois, avant de rejoindre en 1996 la 8e brigade blindée stationnée à Sidi Bel-Abbès à l’ouest de l’Algérie. À ce titre, il a dirigé le Secteur opérationnel de Sidi Bel-Abbès (SOBA) et le Secteur opérationnel de l’ouest algérois (COWAL), qui étaient également rattaché au CCLAS et où il a continué à commettre et faire commettre à large échelle les crimes de guerre qui ont caractérisée la terrible guerre contre les civils conduite par les généraux janviéristes de 1992 à 2000. Rappelons que c’est dans cette région dont il était responsable jusqu’en 2003 que, fin 1997 et début 1998, eurent lieu dans la wilaya de Relizane de terribles massacres (plus de 1 400 villageois tués dans des conditions atroces), attribués aux « groupes islamiques de l’armée ».
Saïd Chengriha a été nommé général en 1998, puis général-major en 2003, occupant le poste d’adjoint au commandant de la IIIe région militaire (Béchar). Il en prend la tête en août 2004, jusqu’à sa nomination en juillet 2018 comme commandant des forces terrestres de l’ANP. La promotion de ce dernier, comme celles à de nombreux postes sensibles d’autres officiers ayant gagné leurs galons de criminels de guerre lors de la « sale guerre », a marqué un tournant majeur, confirmant au fil des mutations le rôle actuellement croissant de ces officiers à la tête de l’armée. C’est notamment le cas du général-major Amar Athamnia, qui commandait à l’époque (avec le grade de colonel) le 12e régiment de para-commandos (12e RPC), qualifié de « régiment des assassins » par Habib Souaïdia dans son livre, et qui a été nommé en 2005 par Gaïd Salah à la tête de la Ve région militaire (poste qu’il occupait encore fin 2019). Ou encore du général-major Mohamed Tlemçani, nommé en 2018 au poste de chef d’état-major des forces terrestres, qui avait commandé dans les années 1990 le 4e RPC, unité des forces spéciales ayant également commis alors des crimes de guerre dans l’Algérois et dans d’autres régions. La direction de la IVe région militaire a quant à elle été confiée en août 2018 à un autre parachutiste acteur de la sale guerre, le général-major Hassan Alaïmia, ex-commandant du 18e RPC installé dans les années 1990 à Boufarik (Blida) et d’autres régions de l’Algérois, là où ont eu lieu les pires exactions des forces spéciales de l’armée et des « groupes islamistes de l’armée » contrôlés par le DRS.
On peut penser que ces officiers et leurs pairs à la tête de l’armée feront corps autour de leur nouveau chef, le général Chengriha, pour agir de façon concertée face au hirak. Reste à savoir dans quel sens, celui du dialogue ou celui de la répression… En évoquant l’implication et la continuité des hommes à leurs postes, nous rappelons que la quête de justice et vérité pour la paix et la réconciliation reste au cœur des exigences du peuple algérien, qui n’ignore rien de son histoire récente. Ces officiers qui ont exécuté sans états d’âme les ordres des janviéristes ont l’occasion inespérée de modifier positivement leur bilan face au peuple et à l’histoire. Espérons qu’ils sauront la saisir…
Extraits du chapitre 6, La « Société nationale de formation des terroristes »
Mon arrivée à Lakhdaria [en mars 1993] a coïncidé avec l’installation d’un nouveau commandant de secteur : le général Abdelaziz Medjahed. Mohamed Lamari avait décidé de créer des « centres opérationnels de lutte antisubversive » (COLAS), qui regroupaient plusieurs secteurs militaires. Lakhdaria était ainsi rattachée au secteur opérationnel de Bouira (SOB) et commandé désormais par le général Medjahed, secondé par le colonel Chengriha. […]
L’été 1993 s’annonçait très chaud. Mais il ne s’agissait pas des conditions climatiques. Le général Medjahed et le colonel Chengriha nous avaient donné l’ordre d’incendier, avec de l’essence, plusieurs montagnes près de Lakhdaria et en Kabylie. Lakhdaria était connu pour être un lieu de transit des groupes terroristes : ils passaient par là pour se rendre en Kabylie, à Jijel ou dans l’Est du pays. Le terrain très boisé facilitait leurs déplacements : il était impossible de voir quoi que ce soit par hélicoptère. Le feu allait non seulement les déloger mais surtout dégager le terrain et nous permettre de voir de loin tout déplacement suspect. En raison des feux de forêts que nous avions allumés, la température atteignait parfois les 45 degrés. Des arbres centenaires brûlaient. Ce désastre écologique n’a pas manqué de faire des morts parmi la population civile. En Kabylie, par exemple, cinq personnes ont trouvé la mort. En l’espace de deux mois, des dizaines de milliers d’hectares de forêts et de pâturages ont été détruits. […]
Extraits du chapitre 8, La descente aux enfers
[Février 1994] Il s’est ensuite passé ce qui se passait systématiquement avec les personnes arrêtées. À chaque fois, les hommes du DRS basés chez nous demandaient des instructions au général Medjahed ou à son chef d’état-major, le colonel Chengriha. En général, l’ordre était toujours le même : « Habtouh lel-oued ! », c’est-à-dire « Fait-les descendre à l’oued ». Ce qui voulait dire : « Liquide-les » (pas nécessairement au bord de l’oued, ce pouvait être n’importe où). Je précise que nos chefs utilisaient également d’autres formules à peine codées pour ordonner de torturer les prisonniers afin d’obtenir des renseignements : « Traitez-les sur place », « Faite l’exploitation sur place » ou « Exploitez-les »… (ce n’est qu’ensuite qu’ils étaient exécutés).
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