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L’indépendance de la justice : Entre le téléphone et la lettre de cachet

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  • L’indépendance de la justice : Entre le téléphone et la lettre de cachet

    NASR EDDINE LEZZAR 07 JANVIER 2020


    Lorsque les événements liés à ce qu’on appelle la révolution et le hirak se sont déclenchés, le ralliement des juges et procureurs avait donné un regain de souffle et de confiance.

    Les juges et procureurs depuis leurs enceintes se rallièrent à la contestation populaire, se révoltèrent contre l’ordre établi et jurèrent devant Dieu et les hommes que dorénavant il n’y aurait plus de «justice du téléphone». Terrible aveu qu’avant le téléphone sonnait et retentissait et même se faisait obéir. Passons sur une époque révolue. Même le chef d’état-major, nouveau maître du pays après Dieu, sur un ton martial que la justice avait récupéré sa liberté .

    Les instructions martiales d’avril 2019 Quelques jours plus tard dans le feu de la révolution, le soldat en chef plus déterminé que jamais déclarait un certain 10 avril 2019 que la justice rouvrira l’ensemble des dossiers de corruption et qu’elle travaillera sans «contrainte aucune». Il a souligné à cet effet que «la justice, qui a recouvré ses pleines prérogatives, est désormais en mesure d’entamer des poursuites judiciaires contre toute la bande impliquée dans les affaires de détournement et de dilapidation des fonds publics, et que la question s’étendra également aux affaires de détournement précédentes.»

    A contrario, pouvait-on déduire, les juges agissaient sur injonction et s’abstenaient sur interdiction ; il poursuit en très bon chemin : «Nous rassurons l’opinion publique que la question s’étendra à tous les dossiers précédents, comme l’affaire d’El Khalifa, de Sonatrach et du Boucher et autres dossiers relatifs à la corruption qui ont occasionné des pertes considérables au Trésor public.»

    La messe était dite. Deux semaines plus tard, cohérent dans sa ligne, il ajouta : «Par ailleurs, j’ai appelé l’appareil de la justice, dans mes interventions précédentes, à accélérer la cadence des poursuites judiciaires concernant les affaires de corruption et de dilapidation des deniers publics et de juger tous ceux qui ont pillé l’argent du peuple» et d’ajouter : «Dans ce contexte précisément, je valorise la réponse de la justice quant à cet appel qui représente un volet important des revendications légitimes des Algériens.

    Je rappelle également que le commandement de l’Armée nationale populaire offre des garanties suffisantes aux services judiciaires pour poursuivre avec détermination et en toute liberté, sans aucune contrainte ni pression, le jugement de ces corrupteurs, ces dispositions permettront ainsi de rassurer le peuple que son argent pillé sera récupéré par la force de la loi et avec la rigueur requise.»

    Discutables ou plutôt inacceptables sur les plans juridique, politique et éthique, les interventions du chef d’état-major avaient le mérite de la clarté. Il instruisait les juges et exprimait sa satisfaction de leurs réponses. Les juges qui, constitutionnellement, ne devaient obéir qu’à la loi qui leur garantit toute indépendance vis-à-vis de toute personne, structure ou institution, venaient de connaître leur chef. Dieu ait son âme.

    Les procès de mai 2019 : une opération mains propres

    Une cascade de procès fera défiler devant la justice des dignitaires du régime déchu, de puissants patrons de groupes industriels, des chefs d’entreprises aussi bien publiques que privées. Tout ce monde avait pourtant sévi sans soupçons et sans crainte dans l’impunité et la sérénité la plus totale sous le regard indifférent et même bienveillant de la justice pendant des années.

    Le 18 juillet 2019, à peine deux mois après le discours du chef d’état-major, la Cour suprême a ordonné le réexamen des affaires Sonatrach et Khalifa, son communiqué précisa : «Dans le cadre de la poursuite des enquêtes sur les affaires de corruption et des poursuites judiciaires engagées par la justice depuis fin mai 2019». Les dossiers qui avaient fait l’objet de casse et de renvoi, comme par hasard, étaient ceux cités nommément par le chef d’état-major.

    Contrairement à toute attente, l’affaire Khalifa, un dossier trop lourd en suspens depuis 2014 et que les observateurs considéraient comme définitivement classé, aura un troisième procès. L’affaire Sonatrach 1 sera elle aussi rejugée. Les deux dossiers ont, selon toute apparence, été traités le même jour et peut-être par la même chambre. Le dossier du boucher connaîtra, quant à lui, une accélération, le tout, conformément aux exhortations du chef d’état-major.

    Disons, pour l’histoire, que l’opération «Mani pulite» déclenchée en Italie a été un sursaut d’indignation des magistrats. En Algérie, elle s’engagea sur injonction militaire. Il ne s’agit pas pour moi pour jeter le discrédit sur ce processus salvateur. Peut-être que sans les exhortations du défunt, il n’aurait jamais eu lieu. Dans le cadre des poursuites engagées, les groupes dont les patrons sont poursuivis allaient connaître d’autres déboires.

    Le ministre des Finances a indiqué à l’APS : «La désignation, par l’autorité judiciaire, d’administrateurs indépendants pour gérer les entreprises appartenant aux groupes Haddad, Tahkout et Kouninef permettra le dégel des comptes bancaires de ces entités dans les plus brefs délais». Il a assuré que cette démarche a été initiée par un comité intersectoriel ad hoc, institué par le Premier ministre et placé auprès du ministre des Finances et qu’elle «permettra à ces entités de renouer rapidement avec un fonctionnement régulier et continu de leurs activités». Le ministre des Finances n’avait même pas le souci des apparences et se réserva la primeur d’annoncer une décision judicaire.

    Ni les juges, ni le ministre de la Justice n’ont réagi devant un empiètement des prérogatives judiciaires, ne serait-ce que pour laver l’affront. Et, effectivement, l’ordonnance de désignation des administrateurs sera rendue quelques jours plus tard, le 26/8/2019. Le dégel des comptes des entreprises suivit. Le magistrat avait, en toute logique, obtempéré aux recommandations /instructions du comité ad hoc. Outre l’illégalité parfaite de la désignation de ces administrateurs, il peut lui être reproché son péché originel d’avoir été conçue par un organe de l’Exécutif.

    La grève des magistrats

    Le monde judiciaire a été secoué par une grève inédite des magistrats en date du 27 octobre 2019. Tous les justiciables qui s’étaient déplacés au tribunal ce jour-là furent déconcertés par l’annonce d’une grève «sauvage» de tous les juges du pays. Cette grève a été une réaction à un mouvement tout aussi inédit de mutations de quelque 3000 magistrats.

    Le syndicat des juges assura que la grève est illimitée jusqu’à l’abrogation de toutes les lois qui incluaient dans leur lettre et leur esprit la subordination des juges à l’Exécutif. Merveilleux ! Ce fut un grand cafouillage. Les juges savaient mieux que quiconque que le gouvernement en place devait, juridiquement, se limiter aux «affaires courantes». Quelques jours plus tard, tout rentra dans l’ordre à la faveur d’augmentations salariales avec effet rétroactif. L’Exécutif a réglé le problème des juges. Qui paye commande !

    Maintenant avec les détenus du hirak

    Lors des manifestations nationales sans précédent qui constituent «le hirak», plusieurs personnes ont été arrêtées et incarcérées en détention préventive pour des motifs variables avec connotation politique. Certains pour atteinte au moral de l’armée, d’autres pour port de l’emblème amazigh. La libération de ces détenus du hirak était exigée – condition sine qua none – comme mesure d’apaisement du contexte politique. En une journée, 70 hirakistes furent libérés par plusieurs tribunaux d’Algérie.

    Une même décision prise par plusieurs juges le même jour ne peut provenir que d’un même centre de décision. Or, les juges sont censés ne pas avoir de chef, ils décident d’une façon casuistique pour chaque dossier et n’obéissent qu’à la loi. Tout comme l’incarcération des détenus du hirak, leur mise en liberté, sur lettre de cachet, laisse transparaître des motivations politiques.

    Trois catégories de procès et une grève

    – L’opération mains propres, qui comprend les «casse et renvoi» de la Cour suprême et les procès relatifs à des faits anciens engagés sur injonction militaire ; – les procès des patrons en détention et la désignation des administrateurs décidée par un comité ad hoc, organe extra judiciaire ; – la libération en bloc des détenus du hirak dans une procédure bancale pour apaisement politique ; – la grève illégale et son règlement : la justice a montré sa soumission à l’Exécutif .

    Justice, le téléphone sonne encore et toujours. Lorsqu’on entendra : «Moughlaq ou kharej Majal Ettaghtia», on comprendra que la démocratie est née.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Malheureusement rien ne changera chez nous. Les Algeriens bledards sont habitués à tout régler avec la chippa.
    "Para alcanzar lo imposible, uno debe intentar lo más absurdo".
    Miguel de Cervantes.

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