L'armée algérienne à l'épreuve du hirak
ANALYSE:L'Armée Algérienne se méfie profondément du HIRAK, au point qu'une alliance entre les Militaires et les Islamistes n'est pas à exclure… Explications.
Par Luis Martinez* pour The conversation.com
Aux yeux de l'armée, le mouvement dit hirak, qui balaie l'Algérie depuis maintenant près d'un an, exprime avant tout la colère du peuple à l'encontre du système Bouteflika – un système caractérisé par la présence au gouvernement de nombreux civils, souvent accusés de corruption. La réponse politique des militaires, qui tiennent les rênes du pays depuis la démission de Bouteflika en avril 2019, a donc été de mettre en place un gouvernement de technocrates présentés comme compétents et intègres. L'armée ne souhaite pas démocratiser le régime, mais seulement d'améliorer la gouvernance afin de pouvoir répondre aux besoins socio-économiques de la population.
L'armée: Un État dans l'État
L'armée se considère historiquement comme la colonne vertébrale de l'État algérien. Elle s'engage à garantir « la sécurité du pays » et à « préserver son caractère républicain ». L'institution militaire a toujours réussi à surmonter ses nombreuses divergences internes et à faire bloc face aux nombreuses crises politiques qui jalonnent l'histoire de l'Algérie depuis son indépendance.
Disposant de relais et de réseaux dans tous les secteurs de la société, l'armée est un acteur social et économique doté d'importantes ressources financières: son budget s'élève à 12 milliards de dollars, soit 25 % du budget de l'État.
Le rôle de l'armée dans la vie politique peut se définir comme celui d'un régulateur central qui détermine, pour l'ensemble des partis politiques et mouvements, la place et la fonction qu'ils doivent occuper sur la scène politique.
Au sein de la population, l'armée suscite des sentiments ambigus, entre fierté et frustration.
En avril 2019, la démission du président Abdelaziz Bouteflika est exigée par le chef d'état-major, le général Gaïd Salah, qui entend ainsi satisfaire l'une des demandes du hirak, ce mouvement contestataire pacifique de masse qui souhaite un changement radical de l'État algérien. Avec habilité, l'armée utilise les revendications du hirak (dont les principaux slogans sont « qu'ils dégagent tous » et « tous des voleurs ») pour démanteler la totalité des réseaux politiques, administratifs, financiers et sécuritaires liés à l'ancien président, sans doute devenus trop autonomes par rapport aux militaires : des Premiers ministres, des ministres, des chefs d'entreprise et de hauts responsables des forces de sécurité sont jetés en prison sous prétexte de corruption ou d'atteintes à la sûreté de l'État.
Ces attaques éclair contre les proches de l'ancien président provoquent dans un premier temps un sentiment de satisfaction au sein de la population
puis un sentiment d'inquiétude lorsque, peu après, l'armée, à travers son chef d'état-major, annonce la tenue d'une nouvelle élection présidentielle – en dépit des protestations et dénonciations du hirak, qui se méfie d'un scrutin contrôlé d'un bout à l'autre par les militaires.
L'élection à la présidence, le 19 décembre 2019, d'Abdelmadjid Tebboune – un proche du général Gaïd Salah – représente pour l'armée, en dépit du faible taux de participation (40 %), un succès qui lui permet de confirmer son rôle central dans la régulation de la vie politique.
L'Armée au cœur du pouvoir depuis l'indépendance
De l'indépendance acquise en 1962 jusqu'en 1991, même si c'est officiellement le FLN (Front de libération nationale) qui se trouve aux affaires, ce sont les militaires qui contrôlent la présidence – un poste occupé par le colonel Boumédiène de 1965 à 1979 et par le colonel Chadli Bendjedid de 1980 à 1991.
En 1991, le FIS (Front islamique du salut) remporte les législatives. L'armée refuse de laisser ce parti islamiste accéder aux responsabilités. Cette décision plonge le pays dans une guerre civile et contraint l'armée à diriger directement l'Algérie, jusqu'à l'élection à la présidence du général Liamine Zéroual en 1995.
Critiquée pour sa violation massive des droits humains durant la guerre civile (1991-1999), l'armée est consciente qu'elle doit se retirer et se rendre invisible pour rendre les autorités politiques algériennes de nouveau fréquentables. Les militaires décident de faire élire Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Une élection truquée est organisée en 1999 afin de l'introniser et un référendum sur la concorde civile est programmé afin de construire l'image d'un président réconciliateur. Par la suite, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) dirigé par le général Toufik va tirer profit du contexte international qui s'instaure après les attentats du 11 septembre 2001 pour vendre l'expertise algérienne en matière de lutte antiterroriste aux États-Unis et à l'Europe et replacer la coopération sécuritaire au cœur de la diplomatie algérienne.
Durant la décennie 2000, l'armée et le DRS sont ravis du travail réalisé par Abdelaziz Bouteflika. Ses premier et deuxième mandats (1999-2004 et 2004-2009) permettent de tourner la page de la guerre civile : les dépenses publiques augmentent et la population retrouve un semblant de perspective. La hausse du prix du baril de pétrole à partir de 2003 facilite l'achat de la paix sociale et politique – et cela, jusqu'en 2014.
En retrait de la vie politique, l'armée voit son budget annuel multiplié par cinq pour atteindre les 11 milliards de dollars : elle modernise ses équipements, professionnalise ses unités et développe un embryon d'industrie militaire.
Mais les révoltes arabes de 2011, la guerre en Libye, les menaces dans le Sahel bouleversent la doctrine statique et défensive de l'armée. Une réorganisation de la défense territoriale est décidée. Sur le plan politique, l'institution militaire comme la présidence souhaitent réduire le pouvoir du DRS et donc écarter le général Toufik, considéré alors comme l'homme le plus puissant d'Algérie. Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée depuis 2004, et Abdelaziz Bouteflika parviennent à le démettre de ses fonctions le 13 septembre 2015. Afin de l'écarter définitivement, il est arrêté le 4 mai 2019 et condamné à quinze ans de prison par le tribunal militaire de Blida.
ANALYSE:L'Armée Algérienne se méfie profondément du HIRAK, au point qu'une alliance entre les Militaires et les Islamistes n'est pas à exclure… Explications.
Par Luis Martinez* pour The conversation.com
Aux yeux de l'armée, le mouvement dit hirak, qui balaie l'Algérie depuis maintenant près d'un an, exprime avant tout la colère du peuple à l'encontre du système Bouteflika – un système caractérisé par la présence au gouvernement de nombreux civils, souvent accusés de corruption. La réponse politique des militaires, qui tiennent les rênes du pays depuis la démission de Bouteflika en avril 2019, a donc été de mettre en place un gouvernement de technocrates présentés comme compétents et intègres. L'armée ne souhaite pas démocratiser le régime, mais seulement d'améliorer la gouvernance afin de pouvoir répondre aux besoins socio-économiques de la population.
L'armée: Un État dans l'État
L'armée se considère historiquement comme la colonne vertébrale de l'État algérien. Elle s'engage à garantir « la sécurité du pays » et à « préserver son caractère républicain ». L'institution militaire a toujours réussi à surmonter ses nombreuses divergences internes et à faire bloc face aux nombreuses crises politiques qui jalonnent l'histoire de l'Algérie depuis son indépendance.
Disposant de relais et de réseaux dans tous les secteurs de la société, l'armée est un acteur social et économique doté d'importantes ressources financières: son budget s'élève à 12 milliards de dollars, soit 25 % du budget de l'État.
Le rôle de l'armée dans la vie politique peut se définir comme celui d'un régulateur central qui détermine, pour l'ensemble des partis politiques et mouvements, la place et la fonction qu'ils doivent occuper sur la scène politique.
Au sein de la population, l'armée suscite des sentiments ambigus, entre fierté et frustration.
En avril 2019, la démission du président Abdelaziz Bouteflika est exigée par le chef d'état-major, le général Gaïd Salah, qui entend ainsi satisfaire l'une des demandes du hirak, ce mouvement contestataire pacifique de masse qui souhaite un changement radical de l'État algérien. Avec habilité, l'armée utilise les revendications du hirak (dont les principaux slogans sont « qu'ils dégagent tous » et « tous des voleurs ») pour démanteler la totalité des réseaux politiques, administratifs, financiers et sécuritaires liés à l'ancien président, sans doute devenus trop autonomes par rapport aux militaires : des Premiers ministres, des ministres, des chefs d'entreprise et de hauts responsables des forces de sécurité sont jetés en prison sous prétexte de corruption ou d'atteintes à la sûreté de l'État.
Ces attaques éclair contre les proches de l'ancien président provoquent dans un premier temps un sentiment de satisfaction au sein de la population
puis un sentiment d'inquiétude lorsque, peu après, l'armée, à travers son chef d'état-major, annonce la tenue d'une nouvelle élection présidentielle – en dépit des protestations et dénonciations du hirak, qui se méfie d'un scrutin contrôlé d'un bout à l'autre par les militaires.
L'élection à la présidence, le 19 décembre 2019, d'Abdelmadjid Tebboune – un proche du général Gaïd Salah – représente pour l'armée, en dépit du faible taux de participation (40 %), un succès qui lui permet de confirmer son rôle central dans la régulation de la vie politique.
L'Armée au cœur du pouvoir depuis l'indépendance
De l'indépendance acquise en 1962 jusqu'en 1991, même si c'est officiellement le FLN (Front de libération nationale) qui se trouve aux affaires, ce sont les militaires qui contrôlent la présidence – un poste occupé par le colonel Boumédiène de 1965 à 1979 et par le colonel Chadli Bendjedid de 1980 à 1991.
En 1991, le FIS (Front islamique du salut) remporte les législatives. L'armée refuse de laisser ce parti islamiste accéder aux responsabilités. Cette décision plonge le pays dans une guerre civile et contraint l'armée à diriger directement l'Algérie, jusqu'à l'élection à la présidence du général Liamine Zéroual en 1995.
Critiquée pour sa violation massive des droits humains durant la guerre civile (1991-1999), l'armée est consciente qu'elle doit se retirer et se rendre invisible pour rendre les autorités politiques algériennes de nouveau fréquentables. Les militaires décident de faire élire Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Une élection truquée est organisée en 1999 afin de l'introniser et un référendum sur la concorde civile est programmé afin de construire l'image d'un président réconciliateur. Par la suite, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) dirigé par le général Toufik va tirer profit du contexte international qui s'instaure après les attentats du 11 septembre 2001 pour vendre l'expertise algérienne en matière de lutte antiterroriste aux États-Unis et à l'Europe et replacer la coopération sécuritaire au cœur de la diplomatie algérienne.
Durant la décennie 2000, l'armée et le DRS sont ravis du travail réalisé par Abdelaziz Bouteflika. Ses premier et deuxième mandats (1999-2004 et 2004-2009) permettent de tourner la page de la guerre civile : les dépenses publiques augmentent et la population retrouve un semblant de perspective. La hausse du prix du baril de pétrole à partir de 2003 facilite l'achat de la paix sociale et politique – et cela, jusqu'en 2014.
En retrait de la vie politique, l'armée voit son budget annuel multiplié par cinq pour atteindre les 11 milliards de dollars : elle modernise ses équipements, professionnalise ses unités et développe un embryon d'industrie militaire.
Mais les révoltes arabes de 2011, la guerre en Libye, les menaces dans le Sahel bouleversent la doctrine statique et défensive de l'armée. Une réorganisation de la défense territoriale est décidée. Sur le plan politique, l'institution militaire comme la présidence souhaitent réduire le pouvoir du DRS et donc écarter le général Toufik, considéré alors comme l'homme le plus puissant d'Algérie. Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée depuis 2004, et Abdelaziz Bouteflika parviennent à le démettre de ses fonctions le 13 septembre 2015. Afin de l'écarter définitivement, il est arrêté le 4 mai 2019 et condamné à quinze ans de prison par le tribunal militaire de Blida.
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