LA RÉDACTION 16 février 2019
Il n’y a aucun lien entre nous deux : il est général, je suis sans rang, il est de Tlemcen, je suis de Constantine, il a un profil idéologique et j’en ai un autre. Je ne fais qu’apporter ma contribution :
« Faites preuve de discernement si vous ne voulez pas porter atteinte par ignorance à la réputation des gens et que vous soyez par la suite mis dans les regrets de vos actes ».
Lorsqu’on lit les commentaires insultant sur Youtube à la suite du forum consacré au livre de l’ancien général Rachid Benyellès : « Dans les arcanes du pouvoir (1962-1999) ». Face aux critiques et aux questions légitimes d’une jeunesse privée de repères et mise en situation de haïr son pays et ses élites, le devoir d’un honnête homme est d’y répondre sans polémique, mais sans concessions.
Quelle est l’attente des gens ? Entendre dire d’un général que l’ANP est une pourriture, que les militaires sont tous pourris et que les généraux sont des crapules à passer à la guillotine, parce que certains d’entre eux ont failli ou ont trahi ? Ce n’est pas raisonnable comme attente et cela ne correspond ni à la personnalité de l’ex général Rachid Benyellès ni à ses hautes fonctions.
Il a pourtant dit des choses graves et sérieuses avec subtilité et courage. Nous allons passer en revue certaines vérités du Général et les expliciter du mieux qu’on puisse sans violer l’intimité de sa pensée ou préjuger de ses intentions.
D’abord il a dit ce que l’intelligence et la sensibilité de l’Algérie dictent : « penser à ce qu’il dit sans être obligé de dire tout ce qu’il pense ». Dommage que son éditrice ait préféré souligner le grade de général de Benyellès, mettre en exergue ses désaccords avec lui, et surtout communiquer sur sa maison d’édition. Elle a pourtant ouvert le bal avec quelque chose de remarquable sur le général Benyellès : « Traverser l’histoire en oblique ». Nous devons nous attarder sur ce préambule lourd de significations et de non-dits qui veulent beaucoup dire.
L’oblicité c’est être en position et en trajectoire ni perpendiculaire ni horizontale. Ça peut vouloir dire avoir la faculté de rebondir si l’opportunité se présente pour explorer d’autres directions et s’élever à d’autres hauteurs. Les journalistes n’ont pas saisi l’opportunité, tout empressés de régler leur contentieux avec Boumediene et l’armée algérienne.
L’oblicité, c’est aussi se définir comme ni opposant radical ni partisan sectaire à un système que les circonstances poussent à servir et qu’il est donc difficile de déjuger parce que l’on déjuge soi-même et parce que l’on était persuadé de servir une institution héritée de l’ALN et dans laquelle on trouvait le cadre de continuer à vivre son idéal de résistant et parachever l’indépendance. Il explicite cet aspect des choses en précisant qu’il est un francophone (sous-entendu parlant la langue française qu’il ne faut pas prendre pour un francophile comme aiment le faire les experts algériens en raccourcis et en anathèmes) : les jeunes lycéens qui ont pris le maquis à l’appel du FLN historique. L’intonation de sa voix, son regard, son sourire laissent penser qu’il est désabusé, déçu, mais qu’il avait accompli son devoir dans les limites de ses possibilités et de son pouvoir réel pratiquement limité. Il parvient à dire ce qui lui fait mal au cœur : l’incompétence et la gabegie ont été les principaux maitres de l’Algérie.
L’oblicité signifie aussi être ni trop près ni trop loin des événements pour les comprendre parfaitement et les modifier, ni trop subalterne pour exécuter avec insouciance ni grand décideur pour changer le cap. Il va le dire d’une manière presque timide comme à la fois un reproche à ceux qui ne veulent pas comprendre et à la fois comme une conscience heurtée par le drame de l’Algérie. Il insiste sur la noblesse de cœur et le dévouement du président Boumediene qui a à son actif la révolution agraire, la révolution industrielle et la révolution culturelle (le débat sur la charte nationale et l’identité algérienne en 1977). Il dit sans ambiguïté : le patrimoine moral de la guerre de libération nationale, le foncier industriel et les ressources humaines de l’Algérie ont été anéanti depuis 1980. Il n’en reste plus rien. Personne ne lui pose la question sur les raisons, les causes et les instruments de ce massacre. La question ne se posait pas sur le choix de Chadli puisqu’il explique que l’armée intervenait (plus exactement on la sollicitait) pour porter le fardeau et trouver des solutions aux grandes crises algériennes et elles sont nombreuses puisque l’ANP est intervenue sept fois selon ses dires. Il indique les pistes : cherchez les civils qui ont impliqué l’armée dans ce qui n’était pas sa vocation. Cherchez le cabinet de Chadli et la promotion des hauts fonctionnaires. Cherchez la liquidation des cadres compétents, cherchez la mise à la retraite des Anciens moudjahidines, cherchez l’exclusion des cadres compétents ou leur confinement dans des tâches subalternes. Il avait dit que l’armée était homogène en tant que corps militaires sinon l’Algérie serait en véritable guerre civile avec des systèmes d’armes déployés à travers le vaste territoire déchirés par des seigneurs de guerre que tout oppose sur le plan idéologique, sociologique et économique.
Il va plus loin en disant que l’armée algérienne détentrice du pouvoir et décisionnaire est un mythe. Il n’est pas en train de dédouaner les défaillances et les impostures, mais de les révéler avec finesse et bravoure : où se trouve le véritable pouvoir ? Qui détient les clés de l’administration, de l’économie, du culturel, du commerce, de la diplomatie ? Qui gère la rente ? Qui gère l’énergie ? Qui gouverne ?
Non seulement le pouvoir de l’armée est un leurre, mais la sécurité militaire est incompétente en matière de sécurité publique et de défense nationale. Il dit avec des mots polis et mesurés que l’Algérie est un château de cartes sans consistance. Les forces de sécurité, confinées à la répression et à la police politique ont failli dans les grands dossiers du renseignement, de la sécurité des frontières, dans la lutte contre la subversion idéologique. L’économie est fragile, le peuple algérien est vulnérable dans sa nourriture, ses médicaments, ses biens et services. Il n’y a pas de doctrine de défense. Il le dit avec politesse et douleur. Bien entendu, les partisans de la rente et les agents de destruction de l’Algérie le chargent et le dénigrent. Lorsqu’il cite Kasdi Merbah, réputé pour son intelligence, son patriotisme et tant d’autres, il dit en même temps que nous étions prisonnier de notre époque, de notre creuset et de nos défaillances : l’Algérie avait donné le prix de sa jeunesse pour son indépendance et pour combler le vide elle a fait le plein, sans penser à la qualité. Le militaire et le civil souffre de ce vide et de la manière dont il a été comblé. Les cancres sont devenus une classe dirigeante, aidés ou propulsés par l’Etranger qui dispose du fichier le plus détaillé et le mieux actualisé sur l’Algérie.
En parlant de civils et de militaires, il a la pudeur ou le manque de temps, pour ne pas se disperser, de mettre le doigt sur certaines réalités. Par exemple la réalité de la mentalité algérienne. Ceux qui portent les armes et l’uniforme ont en mépris le civil qu’ils jugent peu patriote et chaotique, incapable de gérer convenablement. Le peuple algérien aime l’armée parce qu’elle lui suggère la discipline et l’ordre qui lui font défaut. En tant qu’ancien Moudjahid, il a parlé convenablement et aimablement des officiers issus de l’armée française qui ont servi l’armée avec professionnalisme et ont construit une administration efficace par rapport à l’administration civile. Les militaires issus intégralement de l’école algérienne ont conjugué le patriotisme des Moudjahidines et l’efficacité administrative des DAF. Il faut donc rendre hommage à sa probité et au refus du clivage basé sur l’origine des militaires. Cela n’exclue pas de comprendre ce qu’il dit ou écrit en filigrane : la masse au détriment de la qualité. Les DAF exemplaires et compétents étaient peu nombreux, une grande partie s’est révélée une bande de canailles et autre partie, celle qui a gravi tous les échelons et occupé des postes stratégiques. Dans le meilleur des cas, issu de l’école des sous-officiers de Koléa ou des champs de bataille de la France coloniale, ils n’avaient pas le niveau requis pour suivre de grandes écoles, se former à l’intelligence militaire ou administrer avec rigueur et science. Ces gens-là ont occupé des postes stratégiques et ont pris des positions qui n’honorent ni l’ALN ni l’ANP. Quel est le secret de leur ascension fulgurante ? Le Cabinet du Président décidait des nominations et de la mise à la retraite, faiseurs de rois et de courtisans. Cela continue. L’école algérienne a produit beaucoup de ratés et d’exclus qui sont parvenus à des postes décisifs dans l’armée et le civil.
Il n’y a aucun lien entre nous deux : il est général, je suis sans rang, il est de Tlemcen, je suis de Constantine, il a un profil idéologique et j’en ai un autre. Je ne fais qu’apporter ma contribution :
« Faites preuve de discernement si vous ne voulez pas porter atteinte par ignorance à la réputation des gens et que vous soyez par la suite mis dans les regrets de vos actes ».
Lorsqu’on lit les commentaires insultant sur Youtube à la suite du forum consacré au livre de l’ancien général Rachid Benyellès : « Dans les arcanes du pouvoir (1962-1999) ». Face aux critiques et aux questions légitimes d’une jeunesse privée de repères et mise en situation de haïr son pays et ses élites, le devoir d’un honnête homme est d’y répondre sans polémique, mais sans concessions.
Quelle est l’attente des gens ? Entendre dire d’un général que l’ANP est une pourriture, que les militaires sont tous pourris et que les généraux sont des crapules à passer à la guillotine, parce que certains d’entre eux ont failli ou ont trahi ? Ce n’est pas raisonnable comme attente et cela ne correspond ni à la personnalité de l’ex général Rachid Benyellès ni à ses hautes fonctions.
Il a pourtant dit des choses graves et sérieuses avec subtilité et courage. Nous allons passer en revue certaines vérités du Général et les expliciter du mieux qu’on puisse sans violer l’intimité de sa pensée ou préjuger de ses intentions.
D’abord il a dit ce que l’intelligence et la sensibilité de l’Algérie dictent : « penser à ce qu’il dit sans être obligé de dire tout ce qu’il pense ». Dommage que son éditrice ait préféré souligner le grade de général de Benyellès, mettre en exergue ses désaccords avec lui, et surtout communiquer sur sa maison d’édition. Elle a pourtant ouvert le bal avec quelque chose de remarquable sur le général Benyellès : « Traverser l’histoire en oblique ». Nous devons nous attarder sur ce préambule lourd de significations et de non-dits qui veulent beaucoup dire.
L’oblicité c’est être en position et en trajectoire ni perpendiculaire ni horizontale. Ça peut vouloir dire avoir la faculté de rebondir si l’opportunité se présente pour explorer d’autres directions et s’élever à d’autres hauteurs. Les journalistes n’ont pas saisi l’opportunité, tout empressés de régler leur contentieux avec Boumediene et l’armée algérienne.
L’oblicité, c’est aussi se définir comme ni opposant radical ni partisan sectaire à un système que les circonstances poussent à servir et qu’il est donc difficile de déjuger parce que l’on déjuge soi-même et parce que l’on était persuadé de servir une institution héritée de l’ALN et dans laquelle on trouvait le cadre de continuer à vivre son idéal de résistant et parachever l’indépendance. Il explicite cet aspect des choses en précisant qu’il est un francophone (sous-entendu parlant la langue française qu’il ne faut pas prendre pour un francophile comme aiment le faire les experts algériens en raccourcis et en anathèmes) : les jeunes lycéens qui ont pris le maquis à l’appel du FLN historique. L’intonation de sa voix, son regard, son sourire laissent penser qu’il est désabusé, déçu, mais qu’il avait accompli son devoir dans les limites de ses possibilités et de son pouvoir réel pratiquement limité. Il parvient à dire ce qui lui fait mal au cœur : l’incompétence et la gabegie ont été les principaux maitres de l’Algérie.
L’oblicité signifie aussi être ni trop près ni trop loin des événements pour les comprendre parfaitement et les modifier, ni trop subalterne pour exécuter avec insouciance ni grand décideur pour changer le cap. Il va le dire d’une manière presque timide comme à la fois un reproche à ceux qui ne veulent pas comprendre et à la fois comme une conscience heurtée par le drame de l’Algérie. Il insiste sur la noblesse de cœur et le dévouement du président Boumediene qui a à son actif la révolution agraire, la révolution industrielle et la révolution culturelle (le débat sur la charte nationale et l’identité algérienne en 1977). Il dit sans ambiguïté : le patrimoine moral de la guerre de libération nationale, le foncier industriel et les ressources humaines de l’Algérie ont été anéanti depuis 1980. Il n’en reste plus rien. Personne ne lui pose la question sur les raisons, les causes et les instruments de ce massacre. La question ne se posait pas sur le choix de Chadli puisqu’il explique que l’armée intervenait (plus exactement on la sollicitait) pour porter le fardeau et trouver des solutions aux grandes crises algériennes et elles sont nombreuses puisque l’ANP est intervenue sept fois selon ses dires. Il indique les pistes : cherchez les civils qui ont impliqué l’armée dans ce qui n’était pas sa vocation. Cherchez le cabinet de Chadli et la promotion des hauts fonctionnaires. Cherchez la liquidation des cadres compétents, cherchez la mise à la retraite des Anciens moudjahidines, cherchez l’exclusion des cadres compétents ou leur confinement dans des tâches subalternes. Il avait dit que l’armée était homogène en tant que corps militaires sinon l’Algérie serait en véritable guerre civile avec des systèmes d’armes déployés à travers le vaste territoire déchirés par des seigneurs de guerre que tout oppose sur le plan idéologique, sociologique et économique.
Il va plus loin en disant que l’armée algérienne détentrice du pouvoir et décisionnaire est un mythe. Il n’est pas en train de dédouaner les défaillances et les impostures, mais de les révéler avec finesse et bravoure : où se trouve le véritable pouvoir ? Qui détient les clés de l’administration, de l’économie, du culturel, du commerce, de la diplomatie ? Qui gère la rente ? Qui gère l’énergie ? Qui gouverne ?
Non seulement le pouvoir de l’armée est un leurre, mais la sécurité militaire est incompétente en matière de sécurité publique et de défense nationale. Il dit avec des mots polis et mesurés que l’Algérie est un château de cartes sans consistance. Les forces de sécurité, confinées à la répression et à la police politique ont failli dans les grands dossiers du renseignement, de la sécurité des frontières, dans la lutte contre la subversion idéologique. L’économie est fragile, le peuple algérien est vulnérable dans sa nourriture, ses médicaments, ses biens et services. Il n’y a pas de doctrine de défense. Il le dit avec politesse et douleur. Bien entendu, les partisans de la rente et les agents de destruction de l’Algérie le chargent et le dénigrent. Lorsqu’il cite Kasdi Merbah, réputé pour son intelligence, son patriotisme et tant d’autres, il dit en même temps que nous étions prisonnier de notre époque, de notre creuset et de nos défaillances : l’Algérie avait donné le prix de sa jeunesse pour son indépendance et pour combler le vide elle a fait le plein, sans penser à la qualité. Le militaire et le civil souffre de ce vide et de la manière dont il a été comblé. Les cancres sont devenus une classe dirigeante, aidés ou propulsés par l’Etranger qui dispose du fichier le plus détaillé et le mieux actualisé sur l’Algérie.
En parlant de civils et de militaires, il a la pudeur ou le manque de temps, pour ne pas se disperser, de mettre le doigt sur certaines réalités. Par exemple la réalité de la mentalité algérienne. Ceux qui portent les armes et l’uniforme ont en mépris le civil qu’ils jugent peu patriote et chaotique, incapable de gérer convenablement. Le peuple algérien aime l’armée parce qu’elle lui suggère la discipline et l’ordre qui lui font défaut. En tant qu’ancien Moudjahid, il a parlé convenablement et aimablement des officiers issus de l’armée française qui ont servi l’armée avec professionnalisme et ont construit une administration efficace par rapport à l’administration civile. Les militaires issus intégralement de l’école algérienne ont conjugué le patriotisme des Moudjahidines et l’efficacité administrative des DAF. Il faut donc rendre hommage à sa probité et au refus du clivage basé sur l’origine des militaires. Cela n’exclue pas de comprendre ce qu’il dit ou écrit en filigrane : la masse au détriment de la qualité. Les DAF exemplaires et compétents étaient peu nombreux, une grande partie s’est révélée une bande de canailles et autre partie, celle qui a gravi tous les échelons et occupé des postes stratégiques. Dans le meilleur des cas, issu de l’école des sous-officiers de Koléa ou des champs de bataille de la France coloniale, ils n’avaient pas le niveau requis pour suivre de grandes écoles, se former à l’intelligence militaire ou administrer avec rigueur et science. Ces gens-là ont occupé des postes stratégiques et ont pris des positions qui n’honorent ni l’ALN ni l’ANP. Quel est le secret de leur ascension fulgurante ? Le Cabinet du Président décidait des nominations et de la mise à la retraite, faiseurs de rois et de courtisans. Cela continue. L’école algérienne a produit beaucoup de ratés et d’exclus qui sont parvenus à des postes décisifs dans l’armée et le civil.
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