Le Jeune Indépendant: Le symbole sud-africain de la lutte contre le régime d’apartheid, Nelson Mandela, est attendu en Algérie. Quel sens donneriez-vous à la présence de cette figure charismatique dans notre pays ?
M. Super Moloi: Pour le moment, je n’ai pas été destinataire d’une quelconque confirmation officielle quant à la venue de Nelson Mandela en Algérie. Mais si cette visite devait avoir lieu, elle devrait renforcer davantage les relations existantes entre les deux pays. Rappelons que, pour Nelson Mandela, l’Algérie revêt une symbolique particulière dans la mesure où elle a été le premier pays à fournir un entraînement militaire au leader du Congrès national africain (ANC) grâce à qui, en plus d’autres militants, le régime l’apartheid a été vaincu. Ce ne sera pas, en tout cas, la première visite de Mandela dans votre pays, la première ayant eu lieu à la suite de sa sortie de prison. On ne peut hélas pas appréhender exactement l’impact de sa visite tant qu’on ne connaîtra pas le programme de son séjour. Ce qui est certain, c’est que si Mandela aura à évoquer l’expérience sud-africaine liée à la commission «Vérité et réconciliation», comme cela s’est écrit dans les médias algériens, cela aidera beaucoup le Président et le gouvernement algériens dans la démarche de mise en œuvre de l’initiative d’amnistie générale.
Le Jeune Indépendant: Au sujet de cette commission justement, peut-on connaître les mécanismes qui ont fait que l’expérience sud-africaine soit citée en référence, notamment pour les pays qui traversent des conflits internes ?
M. Super Moloi: Je dois d’abord préciser qu’il ne s’agit pas de la seule expérience en la matière. La commission en question est le résultat de longues négociations entre l’ANC et le régime d’apartheid. Il faut retenir une chose essentielle à ce propos, c’est que lorsqu’on parle de vérité et de réconciliation, il n’est jamais possible d’obtenir une situation qui puisse satisfaire toutes les parties en conflit. De même que chaque pays a ses propres spécificités qu’il faut prendre en considération et c’est ce que nous avons fait lors du processus des négociations qui ont, évidemment, concerné également la société civile. Je me rappelle que le premier aspect des négociations était de savoir comment traiter le passé, le second comment panser les blessures de la nation.
A cet effet, nous avions commencé par examiner les expériences du Chili et de l’Argentine. Trois options avaient alors prévalu. Celle de l’amnistie générale, celle du jugement à la façon de Nuremberg et enfin celle dite «Vérité et réconciliation». Après un long débat, nous avions conclu que l’amnistie générale est l’option qui nous conviendrait le moins car elle serait susceptible, d’une part, d’encourager l’impunité, et d’autre part, plusieurs personnes étaient portées disparues et leur sort inconnu. Nous avions constaté qu’il était important que les commanditaires des violations des droits de l’homme en Afrique du Sud avouent de manière individuelle ce qui leur a été reproché. Notre pays aspirait à l’instauration d’une démocratie qui suppose le respect de la loi.
Il était donc important pour nous que nous obtenions des révélations complètes sur cette période. Aussi, nous étions convaincus que l’option de l’amnistie générale était à exclure. Nous avons ensuite examiné l’expérience de Nuremberg sous tous ses aspects et avons fini par penser que si nous suivions cet exemple, nous étions convaincus qu’incriminer les services de sécurité allait provoquer leur résistance au processus d’arrêt de la violence. De plus, l’expérience prouve que présenter en justice tous les auteurs des crimes de guerre revient excessivement cher. Récemment, le jugement d’un seul coupable nous a coûté des millions de rands. En plus de cette considération, certains commanditaires n’ont pu être inculpés car on ne les a pas encore retrouvés.
La voie de la vérité et de la réconciliation s’est donc imposée comme étant la plus appropriée pour nous. La première tâche de la commission a été d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrés entre 1960 et 1995, sur les causes, l’ampleur et les auteurs de ces dépassements, qu’il s’agisse des membres du régime de l’apartheid ou des différents mouvements de libération. Cela achevé, un comité a été installé pour se charger de l’indemnisation financière et de la réhabilitation des victimes. Sur les 22 000 victimes qui se sont présentées à la commission, 19 000 avaient besoin d’aide pour accéder au logement, aux soins, à la scolarisation de leurs enfants et surtout être soutenus psychologiquement, car ce sont des personnes qui présentaient beaucoup de traumatismes.
La réhabilitation ne concernait pas seulement les victimes mais également les responsables des délits qui étaient également traumatisés eu égard à la violence dont ils avaient usé. Poser des explosifs pour tuer des personnes laisse sûrement des séquelles. La commission s’est aussi intéressée à l’amnistie, et son mécanisme était que les commanditaires des crimes devaient vouloir et demander eux-mêmes l’amnistie pour l’obtenir. Et celle-ci ne leur été accordée que si le comité était sûr que toute la vérité avait été dite par eux. De même qu’il fallait aussi s’assurer que tous les crimes commis avaient une motivation politique. La commission avait toutes les prérogatives pour assigner les criminels à comparaître ou pour les amnistier. Les choses ne sont, cependant, pas toujours aussi simples.
Il faut comprendre que la réconciliation n’est pas un événement mais un long processus. Il y a ainsi des aspects qui nous posent toujours problème. Nous examinons les cas, par exemple, de ceux qui n’ont pas demandé à être amnistiés mais contre qui nous détenons des preuves quant à leur implication dans certains faits. Nous sommes toujours en train de discuter pour déterminer s’il faut juger ou pas certaines personnes. Nous tenons à ce que toute action n’annule pas tout ce qui a été entrepris dans le cadre de la commission «Vérité et réconciliation» qui nous a permis de réaliser le plus important : que les commanditaires passent aux aveux et que des familles retrouvent les traces de leurs proches disparus et leur offrent une sépulture décente. Que nous sachions qui a fait quoi et quand, car on ne peut pardonner sans connaître la vérité. Nous avons surtout pu démontrer aux générations futures qu’il existe des droits fondamentaux et qu’on ne peut en aucun cas accepter qu’ils soient violés. Le travail de la commission a permis de situer des responsabilités individuelles et de juger les personnes pour les crimes qu’elles ont commis et non pour leur appartenance à un quelconque groupe qui aurait été impliqué.
(... A Suivre ...)
M. Super Moloi: Pour le moment, je n’ai pas été destinataire d’une quelconque confirmation officielle quant à la venue de Nelson Mandela en Algérie. Mais si cette visite devait avoir lieu, elle devrait renforcer davantage les relations existantes entre les deux pays. Rappelons que, pour Nelson Mandela, l’Algérie revêt une symbolique particulière dans la mesure où elle a été le premier pays à fournir un entraînement militaire au leader du Congrès national africain (ANC) grâce à qui, en plus d’autres militants, le régime l’apartheid a été vaincu. Ce ne sera pas, en tout cas, la première visite de Mandela dans votre pays, la première ayant eu lieu à la suite de sa sortie de prison. On ne peut hélas pas appréhender exactement l’impact de sa visite tant qu’on ne connaîtra pas le programme de son séjour. Ce qui est certain, c’est que si Mandela aura à évoquer l’expérience sud-africaine liée à la commission «Vérité et réconciliation», comme cela s’est écrit dans les médias algériens, cela aidera beaucoup le Président et le gouvernement algériens dans la démarche de mise en œuvre de l’initiative d’amnistie générale.
Le Jeune Indépendant: Au sujet de cette commission justement, peut-on connaître les mécanismes qui ont fait que l’expérience sud-africaine soit citée en référence, notamment pour les pays qui traversent des conflits internes ?
M. Super Moloi: Je dois d’abord préciser qu’il ne s’agit pas de la seule expérience en la matière. La commission en question est le résultat de longues négociations entre l’ANC et le régime d’apartheid. Il faut retenir une chose essentielle à ce propos, c’est que lorsqu’on parle de vérité et de réconciliation, il n’est jamais possible d’obtenir une situation qui puisse satisfaire toutes les parties en conflit. De même que chaque pays a ses propres spécificités qu’il faut prendre en considération et c’est ce que nous avons fait lors du processus des négociations qui ont, évidemment, concerné également la société civile. Je me rappelle que le premier aspect des négociations était de savoir comment traiter le passé, le second comment panser les blessures de la nation.
A cet effet, nous avions commencé par examiner les expériences du Chili et de l’Argentine. Trois options avaient alors prévalu. Celle de l’amnistie générale, celle du jugement à la façon de Nuremberg et enfin celle dite «Vérité et réconciliation». Après un long débat, nous avions conclu que l’amnistie générale est l’option qui nous conviendrait le moins car elle serait susceptible, d’une part, d’encourager l’impunité, et d’autre part, plusieurs personnes étaient portées disparues et leur sort inconnu. Nous avions constaté qu’il était important que les commanditaires des violations des droits de l’homme en Afrique du Sud avouent de manière individuelle ce qui leur a été reproché. Notre pays aspirait à l’instauration d’une démocratie qui suppose le respect de la loi.
Il était donc important pour nous que nous obtenions des révélations complètes sur cette période. Aussi, nous étions convaincus que l’option de l’amnistie générale était à exclure. Nous avons ensuite examiné l’expérience de Nuremberg sous tous ses aspects et avons fini par penser que si nous suivions cet exemple, nous étions convaincus qu’incriminer les services de sécurité allait provoquer leur résistance au processus d’arrêt de la violence. De plus, l’expérience prouve que présenter en justice tous les auteurs des crimes de guerre revient excessivement cher. Récemment, le jugement d’un seul coupable nous a coûté des millions de rands. En plus de cette considération, certains commanditaires n’ont pu être inculpés car on ne les a pas encore retrouvés.
La voie de la vérité et de la réconciliation s’est donc imposée comme étant la plus appropriée pour nous. La première tâche de la commission a été d’enquêter sur les violations des droits de l’homme perpétrés entre 1960 et 1995, sur les causes, l’ampleur et les auteurs de ces dépassements, qu’il s’agisse des membres du régime de l’apartheid ou des différents mouvements de libération. Cela achevé, un comité a été installé pour se charger de l’indemnisation financière et de la réhabilitation des victimes. Sur les 22 000 victimes qui se sont présentées à la commission, 19 000 avaient besoin d’aide pour accéder au logement, aux soins, à la scolarisation de leurs enfants et surtout être soutenus psychologiquement, car ce sont des personnes qui présentaient beaucoup de traumatismes.
La réhabilitation ne concernait pas seulement les victimes mais également les responsables des délits qui étaient également traumatisés eu égard à la violence dont ils avaient usé. Poser des explosifs pour tuer des personnes laisse sûrement des séquelles. La commission s’est aussi intéressée à l’amnistie, et son mécanisme était que les commanditaires des crimes devaient vouloir et demander eux-mêmes l’amnistie pour l’obtenir. Et celle-ci ne leur été accordée que si le comité était sûr que toute la vérité avait été dite par eux. De même qu’il fallait aussi s’assurer que tous les crimes commis avaient une motivation politique. La commission avait toutes les prérogatives pour assigner les criminels à comparaître ou pour les amnistier. Les choses ne sont, cependant, pas toujours aussi simples.
Il faut comprendre que la réconciliation n’est pas un événement mais un long processus. Il y a ainsi des aspects qui nous posent toujours problème. Nous examinons les cas, par exemple, de ceux qui n’ont pas demandé à être amnistiés mais contre qui nous détenons des preuves quant à leur implication dans certains faits. Nous sommes toujours en train de discuter pour déterminer s’il faut juger ou pas certaines personnes. Nous tenons à ce que toute action n’annule pas tout ce qui a été entrepris dans le cadre de la commission «Vérité et réconciliation» qui nous a permis de réaliser le plus important : que les commanditaires passent aux aveux et que des familles retrouvent les traces de leurs proches disparus et leur offrent une sépulture décente. Que nous sachions qui a fait quoi et quand, car on ne peut pardonner sans connaître la vérité. Nous avons surtout pu démontrer aux générations futures qu’il existe des droits fondamentaux et qu’on ne peut en aucun cas accepter qu’ils soient violés. Le travail de la commission a permis de situer des responsabilités individuelles et de juger les personnes pour les crimes qu’elles ont commis et non pour leur appartenance à un quelconque groupe qui aurait été impliqué.
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