Les commémorations passent inaperçues à Bouira
Longtemps leurrée par l'enseignement d'une histoire officielle imposée par la politique de la pensée unique, la génération post-indépendance, notamment la catégorie de jeunes nés depuis les années 1990, ne retient pas grand-chose de cette date historique qui a libéré le peuple du joug colonial et a scellé les idées fondatrices de la République algérienne.
Au même moment, les jeunes scolarisés observent quotidiennement à leur entrée et à leur sortie des établissements scolaires, l'action de hisser et de baisser l'emblème national, accompagnés de l'hymne national qui fuse des gorges des élèves ou d'une radio-cassette utilisé pour la circonstance.
Un moment solennel et émouvant que tentent de faire respecter les directeurs par leurs élèves et les travailleurs, mais parfois et à la suite des événements qu'a vécus et vit encore le pays s'ajoutant à une réalité sociale et économique qui n'inspire pas confiance dans la tête des enfants, les mêmes responsables qui s'efforcent de respecter une note venue d'en haut, arrivent difficilement à créer le silence exigé par le rituel.
Pour la catégorie de citoyens qui sont nés durant la guerre de libération et qui s'apprêtent actuellement à prendre leur retraite, en dehors des cérémonies festives et quelque peu creuses organisées pour la célébration des anniversaires du déclenchement de la lutte armée, des sentiments de chagrin sont exprimés, car le caractère folklorique de l'impersonnel et du déjà-vu a souvent marqué ces cérémonies où aucun bilan critique n'est établi sur la situation qu'a traversée le pays et qui s'inscrit à contresens des principes de Novembre. «Rien n'a été fait pour redonner à cette date sa véritable dimension historique», ont indiqué quelques citoyens que nous avons approchés. Cette année encore, rien n'indique que la wilaya de Bouira, à l'instar des autres régions du pays, fête un
événement clé de son histoire, et les jeunes se considèrent un peu en marge de cette société.
Le président de la République a bien reconnu que la politique entreprise envers cette catégorie est loin d'être efficiente.
Les phénomènes de «harraga» et «kamikaze» ainsi que du suicide, qui se sont incrustés et assombrissent l'actualité nationale ne sont que la conséquence des mesures prises jusque-là en direction de la jeunesse. Comment s'attendre, donc, à ce que ces jeunes cessent de critiquer, de fuir et de maudire leur pays, leur histoire ? Comment peut-on les convaincre de remémorer et s'intéresser au message de Novembre 54 ? En effet, loin de ces questions, le festif officiel consisterait en un déploiement de drapeaux le long des grandes artères de la ville, des évocations sélectives de certaines figures emblématiques et acteurs de la guerre de la révolution, une exposition de photos inaugurée spécialement pour la circonstance et un film révolutionnaire diffusé par l'unique pour célébrer l'événement. Tout cela avec un soupçon de recueillement et une gerbe de fleurs déposée au pied des monuments des martyrs par des responsables locaux accompagnés des notables ou des animateurs d'associations qui gravitent autour de la «famille révolutionnaire». Puis on rentre à la maison en attendant le prochain anniversaire.
Cinquante-trois ans plus tard, que reste-il de l'étincelle à l'origine de la formidable mobilisation du peuple algérien ? Et que signifie la symbolique du 1er Novembre 1954, aux yeux de cette jeunesse ? Les réponses recueillies auprès des scolarisés dont l'âge ne dépasse pas 20 ans sont, d'une spontanéité, voire d'une banalité affligeante.
Alors que certains adolescents pensent qu'à cette date l'Algérie a fait la guerre contre la France, sans situer où, pourquoi, pour quel objectif, d'autres plus consciencieux se contentent de rappeler que «le 1er Novembre a marqué le déclenchement de la guerre de libération». D'autres encore n'hésitent pas à afficher leur indifférence en n'émettant aucune opinion sur le sujet. En somme, à travers les réponses de ces jeunes, c'est un mélange d'ignorance et de désintérêt de la chose historique qui se dégage. Ces derniers se sont montrés incapables de resituer la symbolique de Novembre 54, à partir du contenu des cours qu'ils ont étudiés avec leurs enseignants ; autre faillite du système éducatif, où des responsables se sont efforcés d'imposer une histoire officielle unique, sans donner à l'enseigné l'occasion de comprendre l'histoire de son pays.
D'autres jeunes ont confondu politique et histoire, en attribuant tout ce qui se rapporte à la Révolution aux dirigeants du pays, depuis 1962, qu'ils stigmatisent, de manière innocente et à partir des discours contraires, d'«avoir utilisé l'histoire pour se légitimer et rester au pouvoir». Cependant, le fait que les jeunes Algériens tournent le dos à la révolution n'est pas synonyme de manque de nationalisme, comme le prétendent certains responsables. «Mon grand-père est un martyr, mon oncle est un ancien maquisard, mais malgré cela, le 1er Novembre 1954 ne signifie rien pour moi. Nos grands-pères ne se sont pas battus pour instaurer une Algérie de hogra, d'exclusion et de chômage. Notre famille est originaire du mont du Djurdjura : bastion de la révolution, et avec le temps elle s'est disloquée. Sincèrement, je refuse qu'on me parle de guerre de libération.»
Cette répugnance envers la chose historique collective est l'expression d'un mécontentement à l'égard de ceux qui ont détourné la révolution de ses objectifs tracés par la déclaration du 1er Novembre 54 et par la plate-forme de la Soummam. D'autre part, des enseignants ont expliqué la méconnaissance de la symbolique de Novembre chez les jeunes par le fait que ces derniers ne savent de la grande insurrection que sa dimension figée qui s'articule autour de déclarations et discours glorificateurs, vidés du sens réel des sacrifices consentis par les martyrs.
La commémoration du 53e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération ne peut avoir de l'importance pour les jeunes Algériens que si elle s'accompagne d'une profonde réflexion sérieuse pour une réécriture crédible et scientifique de l'histoire.
La Tribune
Longtemps leurrée par l'enseignement d'une histoire officielle imposée par la politique de la pensée unique, la génération post-indépendance, notamment la catégorie de jeunes nés depuis les années 1990, ne retient pas grand-chose de cette date historique qui a libéré le peuple du joug colonial et a scellé les idées fondatrices de la République algérienne.
Au même moment, les jeunes scolarisés observent quotidiennement à leur entrée et à leur sortie des établissements scolaires, l'action de hisser et de baisser l'emblème national, accompagnés de l'hymne national qui fuse des gorges des élèves ou d'une radio-cassette utilisé pour la circonstance.
Un moment solennel et émouvant que tentent de faire respecter les directeurs par leurs élèves et les travailleurs, mais parfois et à la suite des événements qu'a vécus et vit encore le pays s'ajoutant à une réalité sociale et économique qui n'inspire pas confiance dans la tête des enfants, les mêmes responsables qui s'efforcent de respecter une note venue d'en haut, arrivent difficilement à créer le silence exigé par le rituel.
Pour la catégorie de citoyens qui sont nés durant la guerre de libération et qui s'apprêtent actuellement à prendre leur retraite, en dehors des cérémonies festives et quelque peu creuses organisées pour la célébration des anniversaires du déclenchement de la lutte armée, des sentiments de chagrin sont exprimés, car le caractère folklorique de l'impersonnel et du déjà-vu a souvent marqué ces cérémonies où aucun bilan critique n'est établi sur la situation qu'a traversée le pays et qui s'inscrit à contresens des principes de Novembre. «Rien n'a été fait pour redonner à cette date sa véritable dimension historique», ont indiqué quelques citoyens que nous avons approchés. Cette année encore, rien n'indique que la wilaya de Bouira, à l'instar des autres régions du pays, fête un
événement clé de son histoire, et les jeunes se considèrent un peu en marge de cette société.
Le président de la République a bien reconnu que la politique entreprise envers cette catégorie est loin d'être efficiente.
Les phénomènes de «harraga» et «kamikaze» ainsi que du suicide, qui se sont incrustés et assombrissent l'actualité nationale ne sont que la conséquence des mesures prises jusque-là en direction de la jeunesse. Comment s'attendre, donc, à ce que ces jeunes cessent de critiquer, de fuir et de maudire leur pays, leur histoire ? Comment peut-on les convaincre de remémorer et s'intéresser au message de Novembre 54 ? En effet, loin de ces questions, le festif officiel consisterait en un déploiement de drapeaux le long des grandes artères de la ville, des évocations sélectives de certaines figures emblématiques et acteurs de la guerre de la révolution, une exposition de photos inaugurée spécialement pour la circonstance et un film révolutionnaire diffusé par l'unique pour célébrer l'événement. Tout cela avec un soupçon de recueillement et une gerbe de fleurs déposée au pied des monuments des martyrs par des responsables locaux accompagnés des notables ou des animateurs d'associations qui gravitent autour de la «famille révolutionnaire». Puis on rentre à la maison en attendant le prochain anniversaire.
Cinquante-trois ans plus tard, que reste-il de l'étincelle à l'origine de la formidable mobilisation du peuple algérien ? Et que signifie la symbolique du 1er Novembre 1954, aux yeux de cette jeunesse ? Les réponses recueillies auprès des scolarisés dont l'âge ne dépasse pas 20 ans sont, d'une spontanéité, voire d'une banalité affligeante.
Alors que certains adolescents pensent qu'à cette date l'Algérie a fait la guerre contre la France, sans situer où, pourquoi, pour quel objectif, d'autres plus consciencieux se contentent de rappeler que «le 1er Novembre a marqué le déclenchement de la guerre de libération». D'autres encore n'hésitent pas à afficher leur indifférence en n'émettant aucune opinion sur le sujet. En somme, à travers les réponses de ces jeunes, c'est un mélange d'ignorance et de désintérêt de la chose historique qui se dégage. Ces derniers se sont montrés incapables de resituer la symbolique de Novembre 54, à partir du contenu des cours qu'ils ont étudiés avec leurs enseignants ; autre faillite du système éducatif, où des responsables se sont efforcés d'imposer une histoire officielle unique, sans donner à l'enseigné l'occasion de comprendre l'histoire de son pays.
D'autres jeunes ont confondu politique et histoire, en attribuant tout ce qui se rapporte à la Révolution aux dirigeants du pays, depuis 1962, qu'ils stigmatisent, de manière innocente et à partir des discours contraires, d'«avoir utilisé l'histoire pour se légitimer et rester au pouvoir». Cependant, le fait que les jeunes Algériens tournent le dos à la révolution n'est pas synonyme de manque de nationalisme, comme le prétendent certains responsables. «Mon grand-père est un martyr, mon oncle est un ancien maquisard, mais malgré cela, le 1er Novembre 1954 ne signifie rien pour moi. Nos grands-pères ne se sont pas battus pour instaurer une Algérie de hogra, d'exclusion et de chômage. Notre famille est originaire du mont du Djurdjura : bastion de la révolution, et avec le temps elle s'est disloquée. Sincèrement, je refuse qu'on me parle de guerre de libération.»
Cette répugnance envers la chose historique collective est l'expression d'un mécontentement à l'égard de ceux qui ont détourné la révolution de ses objectifs tracés par la déclaration du 1er Novembre 54 et par la plate-forme de la Soummam. D'autre part, des enseignants ont expliqué la méconnaissance de la symbolique de Novembre chez les jeunes par le fait que ces derniers ne savent de la grande insurrection que sa dimension figée qui s'articule autour de déclarations et discours glorificateurs, vidés du sens réel des sacrifices consentis par les martyrs.
La commémoration du 53e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération ne peut avoir de l'importance pour les jeunes Algériens que si elle s'accompagne d'une profonde réflexion sérieuse pour une réécriture crédible et scientifique de l'histoire.
La Tribune
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