
Le pouvoir algérien vient de donner, de lui-même, la preuve que la justice de Bouteflika a bel et bien condamné Mohamed Benchicou, le 14 juin 2004, sur la base d’un délit inexistant : l’article de loi sanctionnant le transport de bons de caisse vient à peine d’être créé … en mai 2007 !
Le but du subterfuge : remplir un vide juridique « compromettant, donner une « base légale » à l’emprisonnement de Benchicou décidé… trois ans auparavant !
C’est dans le Journal Officiel numéro 31, en date du 13 mai 2007, qu’on apprend que, DESORMAIS, voyager avec des bons de caisse ou tout autre titre de créance, est interdit.
Autrement dit, l’infraction reprochée au directeur du Matin en juin 2004 et pour laquelle il a été incarcéré, n’était, à l’époque, prévue par aucune loi !
C’est grâce à la vigilance d’un lecteur-avocat que nous découvrons le pot-aux-roses.
Voilà ce qu’écrit Maître Hanoun :
« Presque trois années après sa condamnation, et presque une année depuis que Benchicou eut recouvré sa liberté en ayant purgé sa lourde peine, les arguments de la Défense, consistant surtout en l’inexistence de l’infraction dans le cas du déplacement des bons de caisse à l’étranger, se retrouvent étayés, renforcés et prouvés par les nouvelles dispositions du Journal Officiel dans son numéro 31, en date du 13 mai 2007.
Cette « voix » officielle de la « République algérienne » comporte en sa page 13 la promulgation du « Règlement N°. 07-01 de la Banque d’Algérie, du 03 février 2007, relatif aux transactions courantes avec l’étranger et aux comptes devises ». L’article 06 dudit règlement est ainsi formulé : «Sauf autorisation expresse de la Banque d’Algérie, l’exportation de tout titre de créance, valeur mobilière ou moyen de paiement libellé en monnaie nationale sont interdites. Toutefois, les voyageurs sont autorisés à exporter et/ou importer la monnaie fiduciaire en dinars algériens, dans la limite d’un montant fixé par instruction de la Banque d’Algérie. »
La messe est dite : en un article, le pouvoir, qui met un cadre juridique après avoir sévi pour l’exemple, en violation de la loi pénale, offre la preuve par récurrence aux rares personnes qui doutaient que la condamnation de Benchicou et la suspension du Le Matin soient motivées par de pures raisons politiques et qu’elles ne soient obtenues par une manipulation éhontée de la justice.
Cet article 06, qui ne souffre d’aucune ambiguïté et qui ne nécessite aucune analyse poussée de notre part, sera désormais le reflet d’une flétrissure profonde (une de plus) pour la justice algérienne qui a amputé arbitrairement un citoyen de deux années de sa vie, en se laissant porter par des visées revanchardes sans aucun rapport avec « l’Etat de droit».
Cette « disposition Benchicou », que les banquiers et les praticiens du droit apprécieront à coup sûr, eux qui « n’ont jamais compris qu’on puisse condamner un citoyen pour avoir sorti des bons de caisse à l’étranger, ce que font des milliers d’algériens qui n’ont jamais été inquiétés », aurait pu échapper à notre vigilance, noyée dans le flot des milliers d’autres dispositions légales. Ce ne fut point le cas.
Malheureusement pour ceux qui ordonnèrent la confiscation de la liberté de Benchicou, ceux-là même qui sont responsables de l’assassinat des dizaines de jeunes par les gendarmes en Kabylie durant le printemps noir de 2001, et qui sont le soliflore du drame de l’Algérie post indépendance, l’histoire retiendra que c’est le Journal Officiel, comptant sur la morbide vague d’amnésie collective qui souffle sur l’Algérie depuis la « réconciliation nationale », qui démasqua, encore une fois, la nature dictatoriale de ce pouvoir.
Malgré deux années passées au fond du cachot, nonobstant la détérioration de sa santé, Benchicou saura savourer cette revanche sur le déni de justice : sa réhabilitation est venue par la voie la plus officielle, comme l’était celle qui ordonna son incarcération…
Comme le procès d’Arezki Aït Larbi, le 23 mai 2007, a mis en évidence la responsabilité du pouvoir dans la torture dans les prisons, cet article 6, le 31 mai 07, une semaine après, est une mise à nu des coulisses d’une justice trop imbriquée dans les intrigues du pouvoir politique.
A l’avenir, pour éviter toutes ces humiliations et ces échecs à répétition, une solution : imposer une nouvelle philosophie de l’Etat et de sa justice par la consécration d’un réel pouvoir judiciaire, socle d’un Etat de droit respectueux des droits humains et de la souveraineté du peuple à disposer de son avenir et de ses institutions démocratiquement élues. "
Maître Hannoun
par Maître Hannoun publié dans : Tasartit / Politique
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