Hirak, année 3 : un message politique limpide
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Rédaction LQA
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avril 5, 2021
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La campagne de propagande prétend que le Hirak originel aurait été « détourné » au profit d’un « néo-Hirak » manipulé par des « forces obscures » et d’hypothétiques et très imprécis « agents de l’étranger ». Cette propagande est la production directe du laboratoire de désinformation de la police politique. Il faudrait plutôt écouter et décortiquer les slogans scandés.2021-04-04
Omar Benderra
Economiste, d’Algérie. Membre d’Algeria-Watch
https://assafirarabi.com/fr

Depuis la reprise des manifestations hebdomadaires dans les villes algériennes à l’occasion du deuxième anniversaire, le 19 février 2021, du déclenchement du Hirak, on a vu se multiplier dans les médias algériens, tous contrôlés par le régime, des analyses selon lesquelles, en substance, le Hirak originel aurait été « détourné » au profit d’un « néo-Hirak » manipulé par des forces obscures. Parmi les acteurs d’une « contre-révolution qui veut faire avorter le Hirak de l’intérieur », selon la formule d’un observateur critique (1) , figureraient au premier rang le mouvement Rachad, présenté de manière trompeuse comme une résurgence du FIS (2) , ou encore, de manière plus nébuleuse, d’hypothétiques et très imprécis « agents de l’étranger ».
Pour l’immense majorité des manifestants, cette campagne de propagande – peu ou prou relayée par les médias parisiens – est la production directe du laboratoire de désinformation de la police politique. Il n’est donc pas surprenant que cette thèse prospère particulièrement dans la presse ou les pseudo-partis politiques composant la façade civile d’un pouvoir dont la nature militaire est trop flagrante pour être niée. Cela fait bien partie du cahier des charges d’organes qui sont, in fine, le bras de communication de la police politique (3) . Plus étonnant en revanche est le fait qu’elle ait pu être reprise, certes avec des variantes, par certaines personnalités jusque-là connues pour leur distance affichée vis-à-vis du régime.Lire aussi
2019-2020 : le pouvoir algérien face au Hirak
Le Hirak algérien au temps du confinement
Pour tenter de dissiper le brouillard de fake news émis par l’action psychologique, le meilleur moyen est sans doute de prêter une oreille attentive aux slogans des manifestants du vendredi, ces dernières semaines. Repris par des dizaines de milliers de voix, en arabe algérien (dardja) ou classique, en français et parfois dans un mélange des deux, ces slogans sont lourds de signification politique. Comme c’est la règle depuis le début du mouvement en février 2019, ces mots d’ordre expriment, avec alacrité souvent, à la fois une critique lucide du régime et la voie de dépassement de l’impasse politique actuelle. Mais ce mode de communication, efficace car percutant, n’est évidemment pas du goût de ceux qui en sont la cible ou qui ont été marginalisés par le mouvement. Les slogans du vendredi suscitent de nombreuses réactions tranchées et une bataille interprétative très orchestrée.
« Police politique terroriste, à bas la mafia militaire ! »
Parmi les plus controversés « Moukhabarat irhabiya, taskout al mafia al askaria » (Police politique terroriste, à bas la mafia militaire !). Ses contempteurs estiment que ce slogan exprimerait une attaque en règle contre l’armée et ses services de renseignements, laquelle serait directement attentatoire à la souveraineté du pays. Qu’en est-il vraiment ? Comme le montrent bien d’autres slogans, banderoles et pancartes, il s’agit évidemment de tout autre chose : le « terrorisme » de la police politique, c’est d’abord l’hyperviolence que ses chefs et ceux de l’armée ont déployée contre la population civile après le coup d’État de janvier 1992, jusqu’au début des années 2000, au prix de dizaines de milliers de morts et de disparus. La « mafia militaire », c’est celle d’un haut commandement qui a alors utilisé les mêmes méthodes que celles de l’armée française contre les Algériens en lutte pour leur indépendance. Et c’est clairement avec ces références en tête que les manifestants ont récemment dénoncé le recours à la torture (4) contre des jeunes arrêtés par les « forces de sécurité ». Pour eux, il ne fait pas de doute que les pratiques héritées des généraux Massu et Bigeard (5) ont été reprises de longue date par les moukhabarate (la police politique secrète de l’armée (6) ) : humiliations, mises à nu, insultes, viols et chocs électriques (le pistolet à impulsions électriques Taser ayant avantageusement remplacé l’encombrante gégène). La villa Susini (7) de sinistre mémoire coloniale a été remplacée par le « Centre Antar », caserne de la police militaire politique secrète située dans les hauteurs d’Alger.
Mais le message est passé, et fort mal, dans certains cercles. Les clientèles de la dictature déjà interpellées par le mot d’ordre « Dawla Madaniya Machi 3askaria » (« État civil et non militaire »), ne peuvent plus se taire estimant qu’un point de non-retour a été franchi. Certaines voix, autrefois plutôt critiques du système, se désolidarisent désormais clairement du Hirak. Ces milieux sont en effet placés devant un dilemme insurmontable : comment prétendre encore qu’ils soutiennent le Hirak et faire oublier leurs silences des années 1990 quand ce même Centre Antar torturait à échelle industrielle ? Il devient de plus en plus difficile pour beaucoup de maintenir une posture toute d’ambiguïté, tentant de conserver un pied dans le Hirak et l’autre dans le régime, comme cela avait été le cas jusqu’alors.
Il reste que les contre-mesures mises en œuvre par les services d’information officiels et officieux peinent à être seulement audibles. À court d’arguments et très visiblement sans grandes ressources intellectuelles (8) , le régime dispose néanmoins d’un important dispositif médiatique et de plumes autorisées qui ont pour référence charnière les représentations de propagande de la « sale guerre » des années 1990. L’épouvantail islamiste qui a tant servi à dissimuler les raisons et conséquences du coup d’État du 11 janvier 1992 est ainsi très opportunément réanimé. Le discours de justification des généraux janviéristes (9) , dont l’influence sur le sommet des appareils est progressivement restaurée depuis le décès suspect de l’ancien chef d’état-major Ahmed Gaïd-Salah en décembre 2019, a servi de base aux partisans du bâillonnement des voix dissidentes et de l’éradication par tous les moyens, y compris les plus expéditifs, de toutes les oppositions, au premier chef islamiste mais pas seulement, à la dictature.
« Ni islamiste ni laïque, il n’y a qu’un gang qui vole ouvertement ! »
Présenter le Hirak comme l’objet d’une récupération islamiste est donc l’axe de propagande, peu probant, choisi faute d’alternative pour décrédibiliser le mouvement populaire. Cela en vue aussi de mobiliser le soutien étranger nécessaire dans la perspective du déploiement d’une stratégie de répression brutale de cette profonde et très pacifique mobilisation populaire. Le mouvement Rachad, qui dispose de porte-voix écoutés sur les réseaux sociaux, est la cible désignée de cette campagne dénonçant une prétendue « islamisation » du Hirak. Rachad est une organisation regroupant des universitaires, dont certains ont appartenu ou ont été proches du FIS, et qui se proclame « mouvement populaire algérien nationaliste et démocrate qui œuvre pour le changement non violent du système de gouvernance en Algérie (10) », sans la moindre référence à une quelconque déclinaison de l’islam politique.
Mais toute à son entreprise de diabolisation, la propagande du régime ne s’embarrasse pas de nuances : Rachad est présenté comme l’inspirateur principal (avec « la main de l’étranger ») du Hirak et un surgeon du Front islamique du salut. De là à présenter des youtubeurs (11) à forte audience comme les instigateurs et les propagateurs islamistes des slogans les plus incisifs, il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. Qu’importe alors que les manifestants s’époumonent chaque vendredi à démentir cette construction en scandant : « Ni islamiste ni laïque, il n’y a qu’un gang qui vole ouvertement » (« La Islami, La Ilmani, Kayen Issaba tassrek Inani »).
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Rédaction LQA
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avril 5, 2021
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La campagne de propagande prétend que le Hirak originel aurait été « détourné » au profit d’un « néo-Hirak » manipulé par des « forces obscures » et d’hypothétiques et très imprécis « agents de l’étranger ». Cette propagande est la production directe du laboratoire de désinformation de la police politique. Il faudrait plutôt écouter et décortiquer les slogans scandés.2021-04-04
Omar Benderra
Economiste, d’Algérie. Membre d’Algeria-Watch
https://assafirarabi.com/fr

Depuis la reprise des manifestations hebdomadaires dans les villes algériennes à l’occasion du deuxième anniversaire, le 19 février 2021, du déclenchement du Hirak, on a vu se multiplier dans les médias algériens, tous contrôlés par le régime, des analyses selon lesquelles, en substance, le Hirak originel aurait été « détourné » au profit d’un « néo-Hirak » manipulé par des forces obscures. Parmi les acteurs d’une « contre-révolution qui veut faire avorter le Hirak de l’intérieur », selon la formule d’un observateur critique (1) , figureraient au premier rang le mouvement Rachad, présenté de manière trompeuse comme une résurgence du FIS (2) , ou encore, de manière plus nébuleuse, d’hypothétiques et très imprécis « agents de l’étranger ».
Pour l’immense majorité des manifestants, cette campagne de propagande – peu ou prou relayée par les médias parisiens – est la production directe du laboratoire de désinformation de la police politique. Il n’est donc pas surprenant que cette thèse prospère particulièrement dans la presse ou les pseudo-partis politiques composant la façade civile d’un pouvoir dont la nature militaire est trop flagrante pour être niée. Cela fait bien partie du cahier des charges d’organes qui sont, in fine, le bras de communication de la police politique (3) . Plus étonnant en revanche est le fait qu’elle ait pu être reprise, certes avec des variantes, par certaines personnalités jusque-là connues pour leur distance affichée vis-à-vis du régime.Lire aussi
2019-2020 : le pouvoir algérien face au Hirak
Le Hirak algérien au temps du confinement
Pour tenter de dissiper le brouillard de fake news émis par l’action psychologique, le meilleur moyen est sans doute de prêter une oreille attentive aux slogans des manifestants du vendredi, ces dernières semaines. Repris par des dizaines de milliers de voix, en arabe algérien (dardja) ou classique, en français et parfois dans un mélange des deux, ces slogans sont lourds de signification politique. Comme c’est la règle depuis le début du mouvement en février 2019, ces mots d’ordre expriment, avec alacrité souvent, à la fois une critique lucide du régime et la voie de dépassement de l’impasse politique actuelle. Mais ce mode de communication, efficace car percutant, n’est évidemment pas du goût de ceux qui en sont la cible ou qui ont été marginalisés par le mouvement. Les slogans du vendredi suscitent de nombreuses réactions tranchées et une bataille interprétative très orchestrée.
« Police politique terroriste, à bas la mafia militaire ! »
Parmi les plus controversés « Moukhabarat irhabiya, taskout al mafia al askaria » (Police politique terroriste, à bas la mafia militaire !). Ses contempteurs estiment que ce slogan exprimerait une attaque en règle contre l’armée et ses services de renseignements, laquelle serait directement attentatoire à la souveraineté du pays. Qu’en est-il vraiment ? Comme le montrent bien d’autres slogans, banderoles et pancartes, il s’agit évidemment de tout autre chose : le « terrorisme » de la police politique, c’est d’abord l’hyperviolence que ses chefs et ceux de l’armée ont déployée contre la population civile après le coup d’État de janvier 1992, jusqu’au début des années 2000, au prix de dizaines de milliers de morts et de disparus. La « mafia militaire », c’est celle d’un haut commandement qui a alors utilisé les mêmes méthodes que celles de l’armée française contre les Algériens en lutte pour leur indépendance. Et c’est clairement avec ces références en tête que les manifestants ont récemment dénoncé le recours à la torture (4) contre des jeunes arrêtés par les « forces de sécurité ». Pour eux, il ne fait pas de doute que les pratiques héritées des généraux Massu et Bigeard (5) ont été reprises de longue date par les moukhabarate (la police politique secrète de l’armée (6) ) : humiliations, mises à nu, insultes, viols et chocs électriques (le pistolet à impulsions électriques Taser ayant avantageusement remplacé l’encombrante gégène). La villa Susini (7) de sinistre mémoire coloniale a été remplacée par le « Centre Antar », caserne de la police militaire politique secrète située dans les hauteurs d’Alger.
Mais le message est passé, et fort mal, dans certains cercles. Les clientèles de la dictature déjà interpellées par le mot d’ordre « Dawla Madaniya Machi 3askaria » (« État civil et non militaire »), ne peuvent plus se taire estimant qu’un point de non-retour a été franchi. Certaines voix, autrefois plutôt critiques du système, se désolidarisent désormais clairement du Hirak. Ces milieux sont en effet placés devant un dilemme insurmontable : comment prétendre encore qu’ils soutiennent le Hirak et faire oublier leurs silences des années 1990 quand ce même Centre Antar torturait à échelle industrielle ? Il devient de plus en plus difficile pour beaucoup de maintenir une posture toute d’ambiguïté, tentant de conserver un pied dans le Hirak et l’autre dans le régime, comme cela avait été le cas jusqu’alors.
Il reste que les contre-mesures mises en œuvre par les services d’information officiels et officieux peinent à être seulement audibles. À court d’arguments et très visiblement sans grandes ressources intellectuelles (8) , le régime dispose néanmoins d’un important dispositif médiatique et de plumes autorisées qui ont pour référence charnière les représentations de propagande de la « sale guerre » des années 1990. L’épouvantail islamiste qui a tant servi à dissimuler les raisons et conséquences du coup d’État du 11 janvier 1992 est ainsi très opportunément réanimé. Le discours de justification des généraux janviéristes (9) , dont l’influence sur le sommet des appareils est progressivement restaurée depuis le décès suspect de l’ancien chef d’état-major Ahmed Gaïd-Salah en décembre 2019, a servi de base aux partisans du bâillonnement des voix dissidentes et de l’éradication par tous les moyens, y compris les plus expéditifs, de toutes les oppositions, au premier chef islamiste mais pas seulement, à la dictature.
« Ni islamiste ni laïque, il n’y a qu’un gang qui vole ouvertement ! »
Présenter le Hirak comme l’objet d’une récupération islamiste est donc l’axe de propagande, peu probant, choisi faute d’alternative pour décrédibiliser le mouvement populaire. Cela en vue aussi de mobiliser le soutien étranger nécessaire dans la perspective du déploiement d’une stratégie de répression brutale de cette profonde et très pacifique mobilisation populaire. Le mouvement Rachad, qui dispose de porte-voix écoutés sur les réseaux sociaux, est la cible désignée de cette campagne dénonçant une prétendue « islamisation » du Hirak. Rachad est une organisation regroupant des universitaires, dont certains ont appartenu ou ont été proches du FIS, et qui se proclame « mouvement populaire algérien nationaliste et démocrate qui œuvre pour le changement non violent du système de gouvernance en Algérie (10) », sans la moindre référence à une quelconque déclinaison de l’islam politique.
PARMI LES SLOGANS LES PLUS CONTROVERSÉS « MOUKHABARAT IRHABIYA, TASKOUT AL MAFIA AL ASKARIA » (POLICE POLITIQUE TERRORISTE, À BAS LA MAFIA MILITAIRE !). SES CONTEMPTEURS ESTIMENT QUE CE SLOGAN EXPRIMERAIT UNE ATTAQUE EN RÈGLE CONTRE L’ARMÉE ET SES SERVICES DE RENSEIGNEMENTS, LAQUELLE SERAIT DIRECTEMENT ATTENTATOIRE À LA SOUVERAINETÉ DU PAYS. QU’EN EST-IL ?
Mais toute à son entreprise de diabolisation, la propagande du régime ne s’embarrasse pas de nuances : Rachad est présenté comme l’inspirateur principal (avec « la main de l’étranger ») du Hirak et un surgeon du Front islamique du salut. De là à présenter des youtubeurs (11) à forte audience comme les instigateurs et les propagateurs islamistes des slogans les plus incisifs, il n’y a qu’un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. Qu’importe alors que les manifestants s’époumonent chaque vendredi à démentir cette construction en scandant : « Ni islamiste ni laïque, il n’y a qu’un gang qui vole ouvertement » (« La Islami, La Ilmani, Kayen Issaba tassrek Inani »).
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