Harrachi78,
Quelques jours après sa mise en liberté, Abd-el-Kader sollicita et obtint l’autorisation de venir à Paris. Était-ce par un simple désir de curiosité et pour voir de ses yeux les splendeurs d’une ville dont il avait entendu si souvent parler ? Ce motif ne fut pour rien dans la détermination de l’émir. Le vrai, le seul motif, il le dira tout à l’heure.
Abd-el-Kader arriva à Paris le 27 octobre 1852, vers quatre heures du soir. Il était accompagné de M. le commandant Boissonnet, de Kara-Mohammed, ancien agha de la cavalerie régulière, l’un des serviteurs les plus dévoués de l’émir, et du jeune Ben-Allal, neveu du fameux khalifah tué à l’affaire du 11 novembre 1843.
Le jour même avait lieu à l’Opéra une représentation extraordinaire dans laquelle allait être chantée une cantate en l’honneur du voyage de Bordeaux; le prince Louis-Napoléon devait y assister. Abd-el-Kader, fatigué par le voyage, ne se doutait pas assurément qu’il viendrait par sa présence ajouter à l’éclat de cette fête, lorsque, vers sept heures et demie, M. le commandant, aujourd’hui colonel Henry, aide de camp de M. le général de Saint-Arnaud, se présenta porteur d’une loge que le ministre envoyait à l’ancien prisonnier d’Amboise.
Abd-el-Kader avait témoigné tout d’abord peu d’empressement à accepter cette invitation lorsque, sur l’observation qui lui fut faite que le sultan assisterait à cette représentation, il se leva aussitôt:
« Le sultan sera là ?
— Oui.
— Je verrai le sultan ?
— Oui, mais de loin.
— C’est égal, je le verrai; partons. »
— Pour la première fois, Abd-el-Kader allait se trouver en présence d’une salle composée de l’aristocratie parisienne, des grands fonctionnaires de l’État, des notabilités de l’armée, de personnages marquants dans les lettres, les sciences, les arts, la finance. On pouvait se demander quel accueil lui ferait cette assemblée. Verrait-elle en lui le prétendu massacreur des prisonniers de la deïra, ou bien l’ancien sultan des Arabes, une grande infortune noblement supportée ? Serait-il enfin accueilli par la curiosité ou par la sympathie ?
L’incertitude ne fut pas de longue durée : à peine aperçu, Abd-el-Kader, dont la présence à Paris était cependant ignorée de tous, fut immédiatement deviné. Chacun de porter vers lui ses regards, d’examiner ses traits couverts d’une pâleur maladive, de scruter sous leur enveloppe la pensée qui avait dirigé tant de grands événements. La cause de l’émir était gagnée : c’était la sympathie qui l’accueillait. Fort heureusement pour lui, l’arrivée du Prince, les acclamations qui saluèrent son apparition, délivrèrent Abd-el-Ka-der de la fatigante curiosité dont il était l’objet.
A partir du moment où il eut aperçu son libérateur, une seule pensée préoccupa l’émir : lui serait-il permis d’aller porter au sultan l’hommage de sa reconnaissance ? Une réponse d’acquiescement vint bientôt le rassurer et lui faire connaître qu’il serait reçu dans l’entr’acte suivant. Le bruit de cette nouvelle se répandit instantanément dans toute la salle ; aussitôt chacun de prendre ses dispositions pour se trouver sur le passage de l’homme célèbre dont le nom avait été si souvent mêlé à nos triomphes, parfois à nos revers. La réception qui l’attendait devait laisser bien loin d’elle toutes les suppositions que l’on eût pu faire, car, nous devons le dire à l’honneur de notre nation, sur les mille personnes peut-être qui, à partir de la loge occupée par Abd-el-Kader jusqu’à celle du prince, se pressaient sur deux rangs serrés, il n’y eut pas un homme qui ne se découvrit, pas une femme qui n’agitât son mouchoir devant le héros des légendes algériennes.
Cette réception fit sur Abd-el-Kader une impression à laquelle l’accueil du Prince mit bientôt le comble. Louis-Napoléon accueillit l’émir en lui tendant affectueusement une main que celui-ci s’empressa de baiser. Il n’y avait pas à s’y méprendre, Abd-el-Kader avait voulu faire acte de vassalité ; mais ce n’était pas au-devant de cet acte qu’était allé le Président, et pour bien le prouver à l’émir il lui ouvrit les bras et l’embrassa. Le Prince, après avoir demandé à Abd-el-Kader des nouvelles de sa famille, lui fit connaître que, partant le lendemain pour la chasse, il allait se trouver absent de Paris pendant deux jours ; il ajournait donc au samedi suivant sa réception officielle à Saint-Cloud. Pendant ces deux jours, consacrés par l’émir à visiter divers monuments, une foule sympathique se pressa constamment sur ses pas, et ce ne fut point sans une vive émotion qu’il vit le peuple dans la rue, comme lu veille l’aristocratie à l’Opéra, mettre chapeau bas devant lui. « Voilà, lui disait-on, voilà ce peuple à l’égard duquel tu t’étais fait une idée si fausse. Il y a quatre ans, ces hommes t’auraient combattu avec fureur : mille fois ils ont désiré ta mort, car ta mort eût épargné le sang de leurs enfants. Et maintenant, qu’ils t’ont vu supporter noblement l’infortune, ils cherchent à te faire oublier l’injustice qui a été commise à ton égard. »
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J'ai voulu retracer, de façon chronologique, la vie d'Abdelkader mais pour toi Harrachi78, j'ai hate que tu lises ceci :
ABD-EL-KADER A PARIS.
Quelques jours après sa mise en liberté, Abd-el-Kader sollicita et obtint l’autorisation de venir à Paris. Était-ce par un simple désir de curiosité et pour voir de ses yeux les splendeurs d’une ville dont il avait entendu si souvent parler ? Ce motif ne fut pour rien dans la détermination de l’émir. Le vrai, le seul motif, il le dira tout à l’heure.
Abd-el-Kader arriva à Paris le 27 octobre 1852, vers quatre heures du soir. Il était accompagné de M. le commandant Boissonnet, de Kara-Mohammed, ancien agha de la cavalerie régulière, l’un des serviteurs les plus dévoués de l’émir, et du jeune Ben-Allal, neveu du fameux khalifah tué à l’affaire du 11 novembre 1843.
Le jour même avait lieu à l’Opéra une représentation extraordinaire dans laquelle allait être chantée une cantate en l’honneur du voyage de Bordeaux; le prince Louis-Napoléon devait y assister. Abd-el-Kader, fatigué par le voyage, ne se doutait pas assurément qu’il viendrait par sa présence ajouter à l’éclat de cette fête, lorsque, vers sept heures et demie, M. le commandant, aujourd’hui colonel Henry, aide de camp de M. le général de Saint-Arnaud, se présenta porteur d’une loge que le ministre envoyait à l’ancien prisonnier d’Amboise.
Abd-el-Kader avait témoigné tout d’abord peu d’empressement à accepter cette invitation lorsque, sur l’observation qui lui fut faite que le sultan assisterait à cette représentation, il se leva aussitôt:
« Le sultan sera là ?
— Oui.
— Je verrai le sultan ?
— Oui, mais de loin.
— C’est égal, je le verrai; partons. »
— Pour la première fois, Abd-el-Kader allait se trouver en présence d’une salle composée de l’aristocratie parisienne, des grands fonctionnaires de l’État, des notabilités de l’armée, de personnages marquants dans les lettres, les sciences, les arts, la finance. On pouvait se demander quel accueil lui ferait cette assemblée. Verrait-elle en lui le prétendu massacreur des prisonniers de la deïra, ou bien l’ancien sultan des Arabes, une grande infortune noblement supportée ? Serait-il enfin accueilli par la curiosité ou par la sympathie ?
L’incertitude ne fut pas de longue durée : à peine aperçu, Abd-el-Kader, dont la présence à Paris était cependant ignorée de tous, fut immédiatement deviné. Chacun de porter vers lui ses regards, d’examiner ses traits couverts d’une pâleur maladive, de scruter sous leur enveloppe la pensée qui avait dirigé tant de grands événements. La cause de l’émir était gagnée : c’était la sympathie qui l’accueillait. Fort heureusement pour lui, l’arrivée du Prince, les acclamations qui saluèrent son apparition, délivrèrent Abd-el-Ka-der de la fatigante curiosité dont il était l’objet.
A partir du moment où il eut aperçu son libérateur, une seule pensée préoccupa l’émir : lui serait-il permis d’aller porter au sultan l’hommage de sa reconnaissance ? Une réponse d’acquiescement vint bientôt le rassurer et lui faire connaître qu’il serait reçu dans l’entr’acte suivant. Le bruit de cette nouvelle se répandit instantanément dans toute la salle ; aussitôt chacun de prendre ses dispositions pour se trouver sur le passage de l’homme célèbre dont le nom avait été si souvent mêlé à nos triomphes, parfois à nos revers. La réception qui l’attendait devait laisser bien loin d’elle toutes les suppositions que l’on eût pu faire, car, nous devons le dire à l’honneur de notre nation, sur les mille personnes peut-être qui, à partir de la loge occupée par Abd-el-Kader jusqu’à celle du prince, se pressaient sur deux rangs serrés, il n’y eut pas un homme qui ne se découvrit, pas une femme qui n’agitât son mouchoir devant le héros des légendes algériennes.
Cette réception fit sur Abd-el-Kader une impression à laquelle l’accueil du Prince mit bientôt le comble. Louis-Napoléon accueillit l’émir en lui tendant affectueusement une main que celui-ci s’empressa de baiser. Il n’y avait pas à s’y méprendre, Abd-el-Kader avait voulu faire acte de vassalité ; mais ce n’était pas au-devant de cet acte qu’était allé le Président, et pour bien le prouver à l’émir il lui ouvrit les bras et l’embrassa. Le Prince, après avoir demandé à Abd-el-Kader des nouvelles de sa famille, lui fit connaître que, partant le lendemain pour la chasse, il allait se trouver absent de Paris pendant deux jours ; il ajournait donc au samedi suivant sa réception officielle à Saint-Cloud. Pendant ces deux jours, consacrés par l’émir à visiter divers monuments, une foule sympathique se pressa constamment sur ses pas, et ce ne fut point sans une vive émotion qu’il vit le peuple dans la rue, comme lu veille l’aristocratie à l’Opéra, mettre chapeau bas devant lui. « Voilà, lui disait-on, voilà ce peuple à l’égard duquel tu t’étais fait une idée si fausse. Il y a quatre ans, ces hommes t’auraient combattu avec fureur : mille fois ils ont désiré ta mort, car ta mort eût épargné le sang de leurs enfants. Et maintenant, qu’ils t’ont vu supporter noblement l’infortune, ils cherchent à te faire oublier l’injustice qui a été commise à ton égard. »
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