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BTP : comment l’Algérie a perdu son savoir-faire au profit des étrangers

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  • BTP : comment l’Algérie a perdu son savoir-faire au profit des étrangers

    En plus de trente ans, l’Algérie a perdu son savoir-faire dans le BTP au profit des groupes étrangers, notamment chinois et turcs grands bénéficiaires des plans de relance algériens.

    Mouloud Kheloufi, Chef d’entreprise et président de l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) réclame un plan de sauvetage et de relance au profit des entreprises du secteur du BTP.

    Pour lui, les pouvoirs publics doivent apporter une réponse urgente permettant aux entreprises algériennes de BTP de se relever d’un long et dur naufrage après une série de chocs économiques subis ces cinq dernières années.

    Dans un entretien accordé à TSA, le président de l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA) appelle notamment les pouvoirs publics à faire appliquer les mesures protectionnistes contenues dans le Code des marchés publics.

    «Certains disent que les entreprises algériennes ne sont pas capables de réaliser de gros volumes de programmes publics. Je conteste cette contre vérité. Ce n’est qu’une manière de justifier l’octroi des marchés publics de gré à gré au profit des entreprises étrangères», argumente-t-il.

    Le code des marchés publics a été amendé « rien que pour octroyer les mégaprojets par la procédure de gré à gré aux entreprises étrangères. Le pire est que ces entreprises étrangères bénéficient en plus d’une avance financière de 50% avant la réalisation des projets. Les entreprises étrangères ont été favorisées au détriment des entreprises algériennes. C’est injuste !», s’exclame M. Kheloufi.

    « Les entreprises étrangères ont été favorisées au détriment des entreprises algériennes »

    L’AGEA, qui a adressé 14 propositions au gouvernement, réclame notamment «l’annulation du gré à gré lors des passations des marchés publics dans la réalisation de logements et un retour à la procédure des appels d’offres pour garantir la transparence avec, en sus la nécessité de l’application de la marge de préférence de 25% des entreprises algériennes, qu’elles soient publiques ou privées prévue dans la loi».

    L’article 83 du code des marchés publics en vigueur prévoit, en effet, une marge de préférence de 25% accordée aux produits d’origine algérienne ou aux entreprises de droit algérien dont le capital est détenu majoritairement par des nationaux résidents.

    Cet article, qui prévoit la préférence nationale de 25%, « n’a jamais été appliqué», déplore le président de l’AGEA.

    «Tous les pays du monde protègent leurs entreprises respectives. Il est temps que ce soit aussi le cas en Algérie. La fameuse short-liste qui autorise injustement le gré à gré au profit des entreprises étrangères doit être supprimée. Il faut réformer le cahier des charges. Elle doit être appliquée pour la sauvegarde de l’emploi et de notre économie», lance-t-il.

    Un pavé dans la mare

    L’outil de production national dans le BTP est-il capable de satisfaire une commande publique gigantesque en matière de réalisation de logements ?

    D’aucuns estiment que le secteur public algérien est en déclin. Hormis le groupe Cosider qui a échappé au naufrage des entreprises publiques de BTP et qui peut réaliser de grands ensembles immobiliers, y a-t-il vraiment des entreprises algériennes dotées d’une grande capacité de réalisation de logements ?

    L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer a récemment jeté un pavé dans la marre. Dans une interview accordée à la chaîne Berbère Télévision, l’économiste a déploré le fait que «l’industrie algérienne ait été détruite dans les années 1990, alors qu’une décennie auparavant, l’Algérie était considérée par le FMI et la Banque Mondiale comme un pays qui a suffisamment accumulé de technologie industrielle et économique pour pouvoir basculer dans l’auto-développement».

    Abderrahmane Hadj Nacer, qui a travaillé à la présidence de la République de 1985 à 1989, a fait une révélation fracassante: «La destruction a commencé bien avant, en témoigne la décision prise au milieu des années 1980 où l’Algérie réalisait 200 000 logements par an en moyens propres, 120 000 par le public et 80 000 par le privé. Nous avons reçu l’ordre de revoir à la baisse la capacité de réalisation du secteur public à 60 000 logements.»

    «L’ordre venait de la présidence à l’époque de la République, mais pas du président (Chadli Bendjedid, NDLR). Le motif invoqué était l’encouragement du privé, mais quelques mois après, des entreprises françaises ont raflé un marché public de 60 000 logements sur la base d’un emprunt», regrette-t-il.

    «Sous couvert des privatisations, l’outil de production a été détruit au profit d’intérêts privés extérieurs, sachant que le privé national n’était pas prêt», expliquait l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie.

    Le coup de grâce fut donné ensuite aux entreprises publiques algériennes dans les 1990 avec la décision d’Ahmed Ouyahia d’emprisonner des milliers de cadres.

    Le résultat est qu’aujourd’hui, l’Algérie fait appel à des groupes étrangers pour construire des projets modestes comme les mosquées, les petites promotions immobilières et même des maisons pour particuliers.

    Les entreprises étrangères et les années fastes

    De 200.000 logements dans les années 1980, l’Algérie a vu sa capacité de réalisation de logements baisser drastiquement au lieu de progresser alors qu’elle a dépensé des dizaines de milliards de dollars dans le BTP.

    «En 2017-2018, les entreprises algériennes avaient la capacité de réaliser 120.000 logements par an. Et depuis la crise liée au Covid-19 et la baisse de la commande publique, on ne peut pas évaluer cette capacité », souligne Mouloud Kheloufi. Certains chefs d’entreprises évaluent la capacité algérienne de construire de logements à moins de 100.000 unités par an.

    Ce déclin s’est accompagné d’une perte de l’ingénierie dont l’Algérie disposait dans le domaine du bâtiment et des travaux publics. « La capacité d’ingénierie algérienne a pratiquement disparu. L’Algérie construisait des bâtiments solides et durables qui ont résisté à de puissants séismes, des ponts et des routes de bonne qualité et fonctionnels. Il y avait la DNC, Batimetal, la SNT Metal, GCB. Ces entreprises publiques ont pratiquement toute disparues », déplore un économiste.

    Toutefois, Mouloud Kheloufi ne partage pas l’analyse de Abderrahmane Hadj Nacer et se positionne à contre-courant du diagnostic de cet économiste.

    «De prime abord, dans les années 1990, il n’y avait pas d’entreprises étrangères. En 1994, le gouvernement conduit par Mokdad Sifi a confié aux entreprises algériennes un marché pour réaliser 50 000 logements dans 15 wilayas. Nous l’avons réalisé. Et encore, nous n’avions pas les moyens d’aujourd’hui. Avec les moyens actuels qui sont beaucoup plus importants, on peut réaliser beaucoup plus», dit-il.

    «Dans les années 1990, les entreprises publiques ont eu des marchés de gré à gré notamment dans la réalisation des infrastructures publiques. Les entreprises publiques n’ont pas subi une régression, mais leurs capacités ne leur ont pas permis de réaliser tout le programme public. Il y a Cosider et beaucoup d’autres entreprises affiliées au ministère de l’habitat. Ces entreprises publiques ont eu beaucoup de privilèges par rapport aux entreprises privées», souligne-t-il.

    Les années 2000 ont été marquées par un boom de la construction de logements subventionnés en Algérie. Les groupes chinois ont décroché les plus grosses parts des contrats publics de construction de logements en Algérie. Les groupes publics ont eu également leur part de grand gâteau que représentait le BTP en Algérie. A lui seul, le groupe public chinois CSCEC a raflé de nombreux gros contrats en Algérie : grande mosquée d’Alger, les logements AADL, le Centre international des conférences de Club des pins…

    Les Chinois ont aussi obtenu la construction d’une grande partie de l’autoroute est-ouest, des stades de football comme celui de Neslon Mandela à Baraki (Alger), des pénétrantes autoroutières, des barrages…

    Selon l’APS, les entreprises turques ont contribué jusqu’à la fin 2020 à la réalisation de pas moins de 550 projets dans le BTP pour une valeur globale de 20 milliards de dollars. Le nombre d’entreprises avec des partenaires turcs en Algérie a dépassé les 1.300.

    La forte présence des entreprises chinoises et turques en Algérie a certes permis l’Algérie de construire des centaines de milliers de logements, mais cela a été fait au détriment des entreprises algériennes de bâtiment alors que les technologies et les techniques de construction des logements n’est pas difficile et elle était maitrisée par des ingénieurs algériens dans les années 1980.

    Succession de crises

    Toutes ces péripéties ont été vécues durant les années fastes. Mais le secteur du BTPH n’a pas tardé à être secoué de plein fouet par une crise semblable à celle de la fin des années 1980.

    Le point commun ? Le choc lié à la chute des cours du pétrole. M. Kheloufi fait une brève rétrospective pour remonter aux origines de cette récente crise: «Depuis 2017, sur fond de la chute des prix des hydrocarbures, la demande publique a baissé. Selon les dernières statistiques arrêtées en 2017, le secteur du BTPH compte 37800 entreprises qui emploient 700 000 salariés. Depuis 2009, les entreprises algériennes ont été détruites. Elles n’ont pas été aidées à se développer», se désole ce chef d’entreprise.

    «Par la suite, l’année 2019 a été marquée par un flou politique et économique. En 2020, il y a eu la crise sanitaire liée à la Covid-19 qui a décimé encore des entreprises du BTPH. La relance attendue en 2022 n’était pas au rendez-vous», poursuit-il. «Entre 2019 et 2021, il y a eu la cessation ou de changement d’activités de plus de 1.500 entreprises, notamment pour l’absence de plans de charge».

    «Actuellement, il y a des appels d’offres découlant de la relance de la commande publique. Mais beaucoup d’entreprises qui n’ont pas travaillé durant deux longues années marquées par la baisse de la commande publique et la crise sanitaire, se sont retrouvées dans l’incapacité d’assainir leurs situations administratives respectives. Elles manquent de trésorerie pour honorer leurs charges sociales. Elles ne peuvent par conséquent pas avoir la mise à jour leur permettant de régulariser leurs dossiers administratifs pour avoir l’attestation de qualification et participer aux appels d’offres», explique-t-il.

    Et M. Kheloufi de conclure: «Les entreprises algériennes réclament un accompagnement pour un règlement et un assainissement de leurs situations respectives. Cela passe par l’ouverture d’un dialogue pour régler les problèmes. Nous sommes prêts à relever tous les défis. Mais il faut ouvrir le débat et instaurer une transparence dans la passation des marchés publics. Il faut permettre à toutes les entreprises de travailler pour la sauvegarde et la relance des entreprises algériennes.

    Inès Nayli
    TSA
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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