REPORTAGE.
Les Algériens ne peuvent plus guère se permettre de mettre du poisson sur la table depuis que les prix grimpent. Cela s’explique par la raréfaction des richesses halieutiques observée ces dernières années.
Mohammed, 22 ans, propriétaire d’une entreprise de pêche dans la ville côtière de Boumerdès, explique qu’entre 2007 et 2013 trois heures suffisaient à pêcher entre 200 et 400 caissons en bois de sardines.
“Aujourd’hui, on ne dépasse pas les 25 caissons, ajoute-t-il. Chaque caisson contient environ 25 kilos de poisson et rapporte entre 1 et 2 millions de centimes [entre 10 000 et 20 000 dinars algériens, soit entre 70 et 140 euros]. C’est pour ça que le poisson est désormais réservé aux riches.”
Un autre pêcheur nous affirme que, lui aussi, a vu ses rendements fondre. Désormais il n’atteint que 2 kilos par sortie en mer, dans le meilleur des cas.
Ce recul des richesses halieutiques s’explique par de nombreux facteurs. En premier lieu par l’activité des réseaux mafieux, qui utilisent des explosifs. Selon Mohammed, ils les font exploser “au fond de l’eau, ce qui tue des poissons en quantité. Ces poissons émergent ensuite, et on peut les ramasser facilement.”

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Des navires qui raflent tout ce qu’ils trouvent
Le problème, ajoute-t-il, est que “ces explosifs contiennent des matières chimiques toxiques” et que cette pratique fait fuir les poissons des côtes, mettant en danger la pérennité de la vie aquatique dans un horizon de trente à quarante ans.
Le deuxième facteur est la pêche par les chalutiers qui opèrent près des côtes, dans des eaux qui leur sont normalement interdites, puisque c’est là que les poissons migrent pour se reproduire, notamment les sardines.
En 2009, le ministère de la Pêche a interdit la pêche dans les eaux territoriales sur 6 milles nautiques à partir des côtes pour préserver le cycle de reproduction des poissons.
Le pire est qu’ils utilisent des sonars pour détecter les bancs de poissons. Cela leur permet “de capturer de grosses quantités de poissons, sans se préoccuper de la taille et de l’âge de ces derniers, ni de savoir s’il s’agit de femelles porteuses d’œufs”, indique Mohammed.
Ces navires sortent la nuit et profitent des moments où les gardes-côtes ne sont pas en patrouille pour rafler tout ce qu’ils trouvent, sans égard pour la pérennité des ressources : “Ils prennent tout, y compris des poissons de moins de 6 centimètres, alors que la loi interdit de commercialiser” les poissons n’ayant pas atteint l’âge de la reproduction.
Autre facteur, les nombreuses violations de règles concernant la période de repos biologique annuel et les zones de pêche protégées. À cela s’ajoute l’utilisation de filets de pêche interdits [par des conventions] internationales.
Selon les statistiques officielles annoncées en 2020 par l’ancien ministre de la Pêche Sid Ahmed Ferroukhi, les richesses halieutiques du pays s’élèvent à 350 000 tonnes. Mais, a-t-il ajouté, il ne faut en exploiter qu’un tiers, et laisser les deux autres tiers se reproduire pour assurer la pérennité de cette ressource.
Encourager les méthodes de pêche durables
Selon Abdelkader Benkouider Sahraoui, président adjoint de la Société arabe commune des producteurs de poissons, la pêche s’est considérablement intensifiée ces vingt dernières années : “Certaines statistiques, dont j’ai pu prendre connaissance, indiquent une hausse de la pêche maritime, passée de 177 000 tonnes par an en 2000 à 318 000 tonnes en 2022.”
Or cela ne correspond pas à la hausse de la demande, notamment due au développement démographique. Aujourd’hui, “l’offre ne répond qu’à 40 % de la demande environ”, estime-t-il.
“Cette hausse de la production s’est accompagnée de la pêche au chalut et de l’utilisation de certaines méthodes illégales”, ainsi que de la surpêche et de la pêche sans respect des quotas, ni des périodes de repos.
À ces facteurs s’ajoute l’aggravation de la pollution causée par la hausse du nombre d’habitants sur la côte, sans compter les effets du dérèglement climatique.
“Les campagnes d’évaluation lancées par le Centre national de recherche et de développement de la pêche et de l’aquaculture [CNRDPA] en 2012 montrent un recul notable des stocks naturels”, alerte-t-il. “Pour beaucoup d’espèces, par exemple la sardine, l’anchois, le thon, le maquereau et d’autres poissons migrateurs, le niveau se situe en deçà de ce qui est nécessaire pour assurer leur survie.”
Selon lui, il faudrait définir des périodes d’interruption totale de toute activité de pêche, “en contrepartie d’une mensualité versée aux pêcheurs pour leur pain quotidien”. Quant à l’utilisation de la dynamite, il faudrait faire respecter son interdiction en mettant en place des sanctions drastiques.
En outre, il serait nécessaire d’encourager les méthodes de pêche durables et de lutter contre la pollution, notamment celle due à l’évacuation en mer des eaux usées.
Pour satisfaire malgré tout la demande croissante en protéines animales maritimes, il propose “d’encourager les investissements dans l’aquaculture”.
Mais rien ne se fera sans “la prise de conscience de l’importance d’une pêche durable par les consommateurs, qui doivent être invités à consommer de façon responsable”.
Nahal Douwaib
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