ANALYSE. Les appels algériens à des « rassemblements patriotiques » pèseront-ils sur une relation bilatérale déjà fragile ?
Par notre correspondant à Alger, Adlène Meddi
Le préfet de police a interdit les manifestations prévues dimanche dernier à Paris pour la journée du Chahid, dédiée aux combattants algériens morts lors de la guerre d'Algérie, et en lien avec le Hirak, mouvement de contestation du pouvoir algérien, pour risques de troubles à l'ordre public. © Rafael Yaghobzadeh/AP/SIPA
Par la voix de l'agence gouvernementale d'information APS, Alger a réagi à l'interdiction par la Préfecture de Paris d'une manifestation en hommage aux « martyrs » de la guerre d'indépendance le 18 février, « Journée du martyr » en Algérie. La Préfecture de police de Paris évoquait des « risques de troubles graves à l'ordre public ».
« Confusion entre l'agressé et l'agresseur »
« Ce rendez-vous n'aura pas lieu, il fallait s'en douter, un rassemblement inédit des Algériens à Paris, le jour de la commémoration de la Journée nationale du Chahid [martyr] pour exprimer haut et fort leur attachement à l'Histoire de leur pays, ne peut qu'être interdit par les autorités françaises, dont la position sur la question mémorielle n'a pas évolué d'un iota, faisant encore dans la confusion entre l'agressé et l'agresseur, le colonisateur et le colonisé », lit-on dans cette dépêche exprimant, sans le dire clairement, la position officielle de l'Algérie.
Cette assertion, « la position sur la question mémorielle n'a pas évolué d'un iota », est affichée alors que les deux pays ont officiellement entamé une nouvelle démarche sur la question mémorielle en lançant les travaux de la commission mixte d'historiens sous la houlette des deux présidents algérien et français.
Cet appel à manifester à la Place de la Nation à Paris a été lancé par deux « canaux ». D'abord par un appel d'une journaliste algérienne installée en France, membre de la rédaction de RMC, Hana Ghezzar Bouakkaz, très active sur les réseaux sociaux. Son appel est soutenu par une brochette d'artistes algériens ou franco-algériens, comme Fianso, Cheb Mami, Houria Les yeux verts, Djam, Amel Wahbi, Kader Japoni, Cheb Nasro, Bazziz (ex-chanteur opposant, hôte de l'ambassade d'Algérie à Paris la semaine dernière), etc.
Bardella : « Une insulte à notre pays »
« Cette journaliste de RMC souhaite célébrer demain à Paris les "Chahids" du FLN qui ont tué, massacré, Français et Harkis, soldats comme civils. Que fait-elle en France alors que son pays est indépendant depuis 1962 ? » avait réagi sur X Marion Maréchal, tête de liste Reconquête ! aux élections européennes, tout en appelant Gérald Darmanin à « interdire cette provocation ». Le président du RN, Jordan Bardella, a également réagi sur le même réseau social : « La manifestation prévue demain à Paris pour la "journée du chahid", rendant hommage aux terroristes du FLN algérien, est une insulte à notre pays. Que pense Gérald Darmanin, d'habitude si prompt à interdire, de ce rassemblement qui exalte la haine de la France sur son propre sol ? »
L'appel du MOUFAD
L'autre « canal » de cet appel a été pris en charge par une association d'Algériens en France, le Mouvement dynamique de la communauté algérienne établie en France (MOUDAF), dont le porte-parole, Nacer Khabat, est également coordinateur du « Collectif des amis du peuple du Sahara occidental », et ex-adjoint au maire à la politique de la ville et aux affaires sociales à Lyon. Il est aussi membre de l'Observatoire national de la société civile algérienne, une instance officielle placée sous l'autorité directe de la présidence de la république depuis la réforme constitutionnelle de 2020. Une quinzaine de manifestants ont tenté de se rassembler place de la Nation, avant d'être rapidement évacués dans le calme par la police. Selon des médias algériens, des rassemblements ont eu lieu à Marseille, Londres, Madrid et Montréal.
Le précédent du 19 mars
À signaler qu'une autre manifestation pour le hirak (mouvement pacifique qui a provoqué la chute du système Bouteflika en 2019), prévue également à Paris le 18 février, a été interdite par le préfet de police, aussi pour raison de « risques de troubles graves à l'ordre public ». On ignore, pour le moment, qui a lancé cet appel.
Pour rappel, un rassemblement d'Algériens prévu le 19 mars 2023 à Paris, date anniversaire du cessez-le-feu en 1962, a également été interdit. Cette manifestation, d'après les appels sur les réseaux sociaux, devait dénoncer « l'offensive politico-médiatique menée quasi quotidiennement contre l'Algérie et son peuple pour la déstabiliser ».
L'enjeu des appels
La réaction d'Alger via son agence d'information officielle et la fièvre médiatique dans les médias pro-système interviennent au moment où l'on reparle de la visite du président Abdelmadjid Tebboune en France et de la question mémorielle comme une des conditions de la concrétisation de cette visite. D'autant que l'Algérie prépare les commémorations du 70e anniversaire du déclenchement de la guerre d'indépendance le 1er novembre 1954. Sans parler de l'irritation d'Alger face à l'activisme d'un petit groupe de « subversifs », classés « terroristes », installés en France. Dans ce contexte, il est utile de souligner que le discours du président algérien à l'occasion de la « Journée du martyr » n'a eu aucune motion hostile anti-française. Depuis l'indépendance de l'Algérie, ni les autorités ni la « société civile » n'ont trouvé nécessaire d'organiser des « rassemblements patriotiques » en France. L'enjeu du contrôle de la diaspora et la pression sur Paris pour orienter le bilatéral selon les vœux d'Alger semblent les moteurs principaux de cette nouvelle démarche.
Lepoint.fr
Par notre correspondant à Alger, Adlène Meddi
Le préfet de police a interdit les manifestations prévues dimanche dernier à Paris pour la journée du Chahid, dédiée aux combattants algériens morts lors de la guerre d'Algérie, et en lien avec le Hirak, mouvement de contestation du pouvoir algérien, pour risques de troubles à l'ordre public. © Rafael Yaghobzadeh/AP/SIPA
Par la voix de l'agence gouvernementale d'information APS, Alger a réagi à l'interdiction par la Préfecture de Paris d'une manifestation en hommage aux « martyrs » de la guerre d'indépendance le 18 février, « Journée du martyr » en Algérie. La Préfecture de police de Paris évoquait des « risques de troubles graves à l'ordre public ».
« Confusion entre l'agressé et l'agresseur »
« Ce rendez-vous n'aura pas lieu, il fallait s'en douter, un rassemblement inédit des Algériens à Paris, le jour de la commémoration de la Journée nationale du Chahid [martyr] pour exprimer haut et fort leur attachement à l'Histoire de leur pays, ne peut qu'être interdit par les autorités françaises, dont la position sur la question mémorielle n'a pas évolué d'un iota, faisant encore dans la confusion entre l'agressé et l'agresseur, le colonisateur et le colonisé », lit-on dans cette dépêche exprimant, sans le dire clairement, la position officielle de l'Algérie.
Cette assertion, « la position sur la question mémorielle n'a pas évolué d'un iota », est affichée alors que les deux pays ont officiellement entamé une nouvelle démarche sur la question mémorielle en lançant les travaux de la commission mixte d'historiens sous la houlette des deux présidents algérien et français.
Cet appel à manifester à la Place de la Nation à Paris a été lancé par deux « canaux ». D'abord par un appel d'une journaliste algérienne installée en France, membre de la rédaction de RMC, Hana Ghezzar Bouakkaz, très active sur les réseaux sociaux. Son appel est soutenu par une brochette d'artistes algériens ou franco-algériens, comme Fianso, Cheb Mami, Houria Les yeux verts, Djam, Amel Wahbi, Kader Japoni, Cheb Nasro, Bazziz (ex-chanteur opposant, hôte de l'ambassade d'Algérie à Paris la semaine dernière), etc.
Bardella : « Une insulte à notre pays »
« Cette journaliste de RMC souhaite célébrer demain à Paris les "Chahids" du FLN qui ont tué, massacré, Français et Harkis, soldats comme civils. Que fait-elle en France alors que son pays est indépendant depuis 1962 ? » avait réagi sur X Marion Maréchal, tête de liste Reconquête ! aux élections européennes, tout en appelant Gérald Darmanin à « interdire cette provocation ». Le président du RN, Jordan Bardella, a également réagi sur le même réseau social : « La manifestation prévue demain à Paris pour la "journée du chahid", rendant hommage aux terroristes du FLN algérien, est une insulte à notre pays. Que pense Gérald Darmanin, d'habitude si prompt à interdire, de ce rassemblement qui exalte la haine de la France sur son propre sol ? »
L'appel du MOUFAD
L'autre « canal » de cet appel a été pris en charge par une association d'Algériens en France, le Mouvement dynamique de la communauté algérienne établie en France (MOUDAF), dont le porte-parole, Nacer Khabat, est également coordinateur du « Collectif des amis du peuple du Sahara occidental », et ex-adjoint au maire à la politique de la ville et aux affaires sociales à Lyon. Il est aussi membre de l'Observatoire national de la société civile algérienne, une instance officielle placée sous l'autorité directe de la présidence de la république depuis la réforme constitutionnelle de 2020. Une quinzaine de manifestants ont tenté de se rassembler place de la Nation, avant d'être rapidement évacués dans le calme par la police. Selon des médias algériens, des rassemblements ont eu lieu à Marseille, Londres, Madrid et Montréal.
Le précédent du 19 mars
À signaler qu'une autre manifestation pour le hirak (mouvement pacifique qui a provoqué la chute du système Bouteflika en 2019), prévue également à Paris le 18 février, a été interdite par le préfet de police, aussi pour raison de « risques de troubles graves à l'ordre public ». On ignore, pour le moment, qui a lancé cet appel.
Pour rappel, un rassemblement d'Algériens prévu le 19 mars 2023 à Paris, date anniversaire du cessez-le-feu en 1962, a également été interdit. Cette manifestation, d'après les appels sur les réseaux sociaux, devait dénoncer « l'offensive politico-médiatique menée quasi quotidiennement contre l'Algérie et son peuple pour la déstabiliser ».
L'enjeu des appels
La réaction d'Alger via son agence d'information officielle et la fièvre médiatique dans les médias pro-système interviennent au moment où l'on reparle de la visite du président Abdelmadjid Tebboune en France et de la question mémorielle comme une des conditions de la concrétisation de cette visite. D'autant que l'Algérie prépare les commémorations du 70e anniversaire du déclenchement de la guerre d'indépendance le 1er novembre 1954. Sans parler de l'irritation d'Alger face à l'activisme d'un petit groupe de « subversifs », classés « terroristes », installés en France. Dans ce contexte, il est utile de souligner que le discours du président algérien à l'occasion de la « Journée du martyr » n'a eu aucune motion hostile anti-française. Depuis l'indépendance de l'Algérie, ni les autorités ni la « société civile » n'ont trouvé nécessaire d'organiser des « rassemblements patriotiques » en France. L'enjeu du contrôle de la diaspora et la pression sur Paris pour orienter le bilatéral selon les vœux d'Alger semblent les moteurs principaux de cette nouvelle démarche.
Lepoint.fr
Commentaire