ENTRETIEN. Fin juillet, la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental a acté la fin du « en même temps » diplomatique de Paris au Maghreb. Quels sont, précisément, les enjeux et la portée de cette décision, notamment vis-à-vis de l'Algérie, éternel rival du Maroc ? Analyse avec Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de la France à Alger.
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© CHINE NOUVELLE / SIPA
Front Populaire : La politique nord-africaine d’Emmanuel Macron a jusqu’à présent semblé être une tentative permanente de ménager l’Algérie et le Maroc, c’est-à-dire la chèvre et le choux. La décision de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental constitue-t-elle une véritable rupture ?
Xavier Driencourt : Oui et non. En un sens, non, sur le plan formel en tout cas. Car le Président de la République prend soin de rappeler que la France soutient, depuis 2007, le plan d’autonomie marocain. Notre soutien dit il, « est clair et constant ».
Mais sur le fond, il est clair que la position française constitue un revirement total. C’est un peu comme le « renversement des alliances » de 1756 qui a fait de l’Autriche, après la Prusse, l’alliée de la France et ouvert la voie au mariage autrichien entre Louis XVI et Marie-Antoinette. La lettre du Président est sans ambiguïté : à plusieurs reprises, il affirme que le plan marocain « constitue désormais la seule base » pour aboutir à une solution juste et durable. Les termes employés par le chef de l’État sont sans ambiguïté. Et d’ailleurs, l’Algérie ne s’y est pas trompée.
FP : Il est rare de voir des décisions diplomatiques “pro bono”. Qu’avait à gagner – et à perdre – la France à faire un aussi gros cadeau au Maroc ?
XD : La pression marocaine était forte depuis plusieurs années. Par ailleurs, il fallait bien sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions avec Rabat. Et le Maroc, en position de force, a mis ses conditions et parmi ces dernières, la reconnaissance, une fois pour toutes, de la « marocanité « du Sahara occidental. Il fallait donc en passer par là.
Mais de l’autre côté, il y avait le « pari algérien « fait par Emmanuel Macron depuis 2017. Entre l'impasse marocaine et le pari algérien, la France a fait son choix. Paris a estimé que tous les efforts faits par la France, et par l’engagement personnel du Président, n’ont pas été payés de retour et que, tout compte fait, les avantages d’une réconciliation avec Rabat, fût-ce au prix d’un « renversement des alliances », l’emportaient sur le statu quo.
FP : En sept ans au pouvoir, Emmanuel Macron a fait de nombreuses concessions à l’Algérie. La France en a-t-elle retiré quelque chose ?
XD : Non, justement, rien. Des injures et des insultes, en grand nombre, pas de geste mémoriel du côté algérien – on aurait pu imaginer des gestes en faveur des harkis ou des pieds-noirs, par exemple. Également, des revendications concernant des « excuses » pour la colonisation, l’interdiction de l’enseignement du français, aujourd’hui des demandes sur les essais nucléaires français, et toujours plus de visas sans contrepartie algérienne sur la délivrance des laisser passer consulaires.
Ajoutons les inadmissibles interventions dans la politique française faites par l’Algérie par l’intermédiaire du recteur de la Grande Mosquée de Paris dont on connaît le rôle et les liens avec le « système » algérien. Et tout cela sans que le gouvernement ne dise quoi que ce soit.
FP : Dès le 30 juillet, Alger rappelle son ambassadeur à Paris, et l’on apprend dans le Canard enchaîné que l’Algérie renverrait désormais systématiquement vers la France ses ressortissants expulsés. Comment expliquez-vous cette manœuvre ?
XD : Oui, les réactions algériennes étaient prévisibles et il y en aura d’autres, en bilatéral ou à l'ONU. Ce sera d’autant plus net que le Président Tebboune est en campagne électorale et qu’il a intérêt à utiliser cette arme anti française.
Depuis plusieurs mois déjà, les OQTF n’étaient pas exécutées dans la région PACA, à cause sans doute d’un Consul peu motivé. Si aujourd’hui l’Algérie interdit le retour de ses propres ressortissants après leur avoir délivré des laissez-passer consulaires, l’affaire prend une autre dimension, car cela revient à interdire à des ressortissants algériens de rentrer en Algérie, leur pays. Que dirait-on si nous interdisions aux Algériens partis en vacances en Algérie de revenir en France à l’issue de leurs vacances ?
Le problème c’est que du côté français, par choix, par faiblesse, nous sommes extrêmement pusillanimes et nous ne réagissons jamais aux provocations algériennes. Il y a un accord de 1994, non publié au Journal officiel, qui fait obligation aux Consuls algériens de délivrer les laissez-passer consulaires et leur donne des facilités considérables pour cela. L’Algérie ne l’applique pas et nous ne disons rien. Mieux, M. Darmanin a accordé l’autorisation aux Algériens d’ouvrir deux consulats supplémentaires, à Melun et Rouen, sans exiger aucune contrepartie. À quoi cela sert il ? A quoi servent ces concessions ? D’autant plus que les consulats servent précisément par cet accord de 1994, à délivrer ces fameux laissez-passer. Nous sommes faibles avec les forts et ce sont eux, pour l’instant, les forts. Les Algériens savent tout cela et ils savent parfaitement qu’ils peuvent continuer car Paris ne réagira pas. Ils nous connaissent et en tirent les conclusions qui les arrangent.
Je pense que nous avons, de notre côté, des leviers qu’il faudrait faire jouer pour inverser le rapport de force et montrer que nous savons être forts quand il le faut. D'abord, les visas, bien sûr. Ensuite, l’accord franco-algérien de 1968 qu’il faut dénoncer. L’accord de 2007 sur l’exonération de visas pour les dignitaires algériens – et ils sont nombreux –, ce qui leur permet de venir en France sans visas, pour régler leurs problèmes financiers ou se faire soigner. Les accords de sécurité sociale. Les liaisons aériennes avec l’Algérie, qui d’ailleurs profitent principalement aux Algériens. On pourrait, si on voulait, regarder du côté des biens immobiliers de la nomenclature algérienne. Comment expliquer l’important patrimoine immobilier des Algériens, dans le 17ème arrondissement de Paris ou à Neuilly-sur-Seine, alors que le dinar algérien est inconvertible ? Enfin, mettre fin aux réseaux financiers qui jouent sur l’inconvertibilité du dinar algérien et sur le taux parallèle. Mais cela touche beaucoup de monde.
Bref, nous aurions de nombreux leviers si nous venions à entrer dans une politique de rapport de force. Mais le voulons nous ?
FP : On le sait bien : en matière de relations internationales, Emmanuel Macron a tendance à ne jurer que par la « souveraineté européenne ». Dans le cas présent, et dans un contexte global d’affaiblissement de la présence française en Afrique, la position française sur le Sahara occidental fait-elle les affaires de l’UE ?
XD : C’est en effet une position nationale mais il ne faut pas sous estimer l’impact en Europe de la décision française, car la France est le pays qui compte en Algérie et est au Conseil de sécurité de l'ONU. Il y aura un effet d’entraînement sur d’autres pays. On voit d’ailleurs que la Finlande a fait un mouvement de son côté.
Propos recueillis par Quentin Rousseau
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© CHINE NOUVELLE / SIPA
Front Populaire : La politique nord-africaine d’Emmanuel Macron a jusqu’à présent semblé être une tentative permanente de ménager l’Algérie et le Maroc, c’est-à-dire la chèvre et le choux. La décision de reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental constitue-t-elle une véritable rupture ?
Xavier Driencourt : Oui et non. En un sens, non, sur le plan formel en tout cas. Car le Président de la République prend soin de rappeler que la France soutient, depuis 2007, le plan d’autonomie marocain. Notre soutien dit il, « est clair et constant ».
Mais sur le fond, il est clair que la position française constitue un revirement total. C’est un peu comme le « renversement des alliances » de 1756 qui a fait de l’Autriche, après la Prusse, l’alliée de la France et ouvert la voie au mariage autrichien entre Louis XVI et Marie-Antoinette. La lettre du Président est sans ambiguïté : à plusieurs reprises, il affirme que le plan marocain « constitue désormais la seule base » pour aboutir à une solution juste et durable. Les termes employés par le chef de l’État sont sans ambiguïté. Et d’ailleurs, l’Algérie ne s’y est pas trompée.
FP : Il est rare de voir des décisions diplomatiques “pro bono”. Qu’avait à gagner – et à perdre – la France à faire un aussi gros cadeau au Maroc ?
XD : La pression marocaine était forte depuis plusieurs années. Par ailleurs, il fallait bien sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions avec Rabat. Et le Maroc, en position de force, a mis ses conditions et parmi ces dernières, la reconnaissance, une fois pour toutes, de la « marocanité « du Sahara occidental. Il fallait donc en passer par là.
Mais de l’autre côté, il y avait le « pari algérien « fait par Emmanuel Macron depuis 2017. Entre l'impasse marocaine et le pari algérien, la France a fait son choix. Paris a estimé que tous les efforts faits par la France, et par l’engagement personnel du Président, n’ont pas été payés de retour et que, tout compte fait, les avantages d’une réconciliation avec Rabat, fût-ce au prix d’un « renversement des alliances », l’emportaient sur le statu quo.
FP : En sept ans au pouvoir, Emmanuel Macron a fait de nombreuses concessions à l’Algérie. La France en a-t-elle retiré quelque chose ?
XD : Non, justement, rien. Des injures et des insultes, en grand nombre, pas de geste mémoriel du côté algérien – on aurait pu imaginer des gestes en faveur des harkis ou des pieds-noirs, par exemple. Également, des revendications concernant des « excuses » pour la colonisation, l’interdiction de l’enseignement du français, aujourd’hui des demandes sur les essais nucléaires français, et toujours plus de visas sans contrepartie algérienne sur la délivrance des laisser passer consulaires.
Ajoutons les inadmissibles interventions dans la politique française faites par l’Algérie par l’intermédiaire du recteur de la Grande Mosquée de Paris dont on connaît le rôle et les liens avec le « système » algérien. Et tout cela sans que le gouvernement ne dise quoi que ce soit.
FP : Dès le 30 juillet, Alger rappelle son ambassadeur à Paris, et l’on apprend dans le Canard enchaîné que l’Algérie renverrait désormais systématiquement vers la France ses ressortissants expulsés. Comment expliquez-vous cette manœuvre ?
XD : Oui, les réactions algériennes étaient prévisibles et il y en aura d’autres, en bilatéral ou à l'ONU. Ce sera d’autant plus net que le Président Tebboune est en campagne électorale et qu’il a intérêt à utiliser cette arme anti française.
Depuis plusieurs mois déjà, les OQTF n’étaient pas exécutées dans la région PACA, à cause sans doute d’un Consul peu motivé. Si aujourd’hui l’Algérie interdit le retour de ses propres ressortissants après leur avoir délivré des laissez-passer consulaires, l’affaire prend une autre dimension, car cela revient à interdire à des ressortissants algériens de rentrer en Algérie, leur pays. Que dirait-on si nous interdisions aux Algériens partis en vacances en Algérie de revenir en France à l’issue de leurs vacances ?
Le problème c’est que du côté français, par choix, par faiblesse, nous sommes extrêmement pusillanimes et nous ne réagissons jamais aux provocations algériennes. Il y a un accord de 1994, non publié au Journal officiel, qui fait obligation aux Consuls algériens de délivrer les laissez-passer consulaires et leur donne des facilités considérables pour cela. L’Algérie ne l’applique pas et nous ne disons rien. Mieux, M. Darmanin a accordé l’autorisation aux Algériens d’ouvrir deux consulats supplémentaires, à Melun et Rouen, sans exiger aucune contrepartie. À quoi cela sert il ? A quoi servent ces concessions ? D’autant plus que les consulats servent précisément par cet accord de 1994, à délivrer ces fameux laissez-passer. Nous sommes faibles avec les forts et ce sont eux, pour l’instant, les forts. Les Algériens savent tout cela et ils savent parfaitement qu’ils peuvent continuer car Paris ne réagira pas. Ils nous connaissent et en tirent les conclusions qui les arrangent.
Je pense que nous avons, de notre côté, des leviers qu’il faudrait faire jouer pour inverser le rapport de force et montrer que nous savons être forts quand il le faut. D'abord, les visas, bien sûr. Ensuite, l’accord franco-algérien de 1968 qu’il faut dénoncer. L’accord de 2007 sur l’exonération de visas pour les dignitaires algériens – et ils sont nombreux –, ce qui leur permet de venir en France sans visas, pour régler leurs problèmes financiers ou se faire soigner. Les accords de sécurité sociale. Les liaisons aériennes avec l’Algérie, qui d’ailleurs profitent principalement aux Algériens. On pourrait, si on voulait, regarder du côté des biens immobiliers de la nomenclature algérienne. Comment expliquer l’important patrimoine immobilier des Algériens, dans le 17ème arrondissement de Paris ou à Neuilly-sur-Seine, alors que le dinar algérien est inconvertible ? Enfin, mettre fin aux réseaux financiers qui jouent sur l’inconvertibilité du dinar algérien et sur le taux parallèle. Mais cela touche beaucoup de monde.
Bref, nous aurions de nombreux leviers si nous venions à entrer dans une politique de rapport de force. Mais le voulons nous ?
FP : On le sait bien : en matière de relations internationales, Emmanuel Macron a tendance à ne jurer que par la « souveraineté européenne ». Dans le cas présent, et dans un contexte global d’affaiblissement de la présence française en Afrique, la position française sur le Sahara occidental fait-elle les affaires de l’UE ?
XD : C’est en effet une position nationale mais il ne faut pas sous estimer l’impact en Europe de la décision française, car la France est le pays qui compte en Algérie et est au Conseil de sécurité de l'ONU. Il y aura un effet d’entraînement sur d’autres pays. On voit d’ailleurs que la Finlande a fait un mouvement de son côté.
Propos recueillis par Quentin Rousseau
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