Le procès de Yacoub Belhassine, le fameux «général» qui a escroqué de nombreux hauts fonctionnaires de l’Etat, des diplomates, des walis, des ministres, en leur soutirant de l’argent, n’a révélé qu’une partie de l’iceberg, au vu des conclusions de l’enquête judiciaire. Lors de son audition, Belhassine a refusé l’assistance d’un avocat.
Il a reconnu plusieurs faits, rejeté d’autres et gardé le silence sur certains pour «des raison d’Etat», a-t-il déclaré. Il a expliqué que les fonds qu’il a soutirés à ses victimes étaient destinés aux pauvres, aux hôpitaux et aux personnes qui étaient dans le besoin. Pour lui, ce sont les victimes qui auraient dû être poursuivies pour l’avoir cru. Retour sur un procès inédit…
Par Salima Tlemçani
Baskets dernier cri avec des lacets d’une blancheur incroyable, jogging noir et blouson de la même couleur, visage enfantin au sourire remarquable et des cheveux raids et aussi noirs que les plumes d’un corbeau. Yacoub Belhassine, né en janvier 1999, celui que l’on surnomme le «Général», a quitté le pays en direction de la Grèce en 2018, alors qu’il n’avait pas encore bouclé ses 20 ans. Deux ans après, il est devenu l’Algérien le plus connu sur la scène médiatique, en raison de sa méthode inédite d’escroquerie ayant ciblé de nombreux hauts fonctionnaires de l’Etat, des cadres de l’administration locale, des directeurs de l’action sociale dans les wilayas de Béjaïa, Tlemcen, Bouira, Tamanrasset, Annaba, Sidi Bel Abbès, Tipasa, des walis, des magistrats, des diplomates, etc.
Au moins 64 victimes (selon le dossier judiciaire), juste en se présentant, par téléphone, tantôt comme officier supérieur de la Sécurité intérieure, tantôt comme colonel de la sécurité de l’armée et souvent comme secrétaire du cabinet de la présidence de la République. Avec ces titres usurpés et des documents falsifiés, il a soutiré des sommes colossales en dinars mais aussi en devise, transférées à l’étranger, ou récupérées de l’étranger, puis virées sur des comptes des membres de sa famille ou de ses amis.
Mercredi dernier, lors de sa comparution devant le pôle pénal de lutte contre les délits liés aux TIC (technologies de l’information et de la communication), près le tribunal de Dar El Beïda, à Alger, il était seul au box des accusés. L’audience est consacrée uniquement à son procès pour «faux et usage de faux dans les écritures administratives», «intervention, sans en avoir la qualité, dans des fonctions publiques, civiles ou militaires», «escroquerie et tentative d’escroquerie en recourant aux TIC» et «violation de la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l’étranger». Six de ses co-prévenus étaient en liberté, le septième en fuite, alors que de nombreuses victimes étaient absentes.
Dès 9h30, le juge commence à appeler les parties et à vérifier l’identité des prévenus. Belhassine persiste à ne pas constituer d’avocat, et refuse une défense d’office. Le juge lui demande s’il avait rejoint la Grèce illégalement. «Je suis parti en 2018, avec un visa touristique et j’y suis resté de manière légale», affirme le prévenu. Le président prend quelques documents de la pile de dossiers devant lui, et l’interroge : «selon l’enquête, vous aviez contacté ces gens…» Yacoub répond : «je ne connais personne parmi ces gens.»
Le juge : «eux disent qu’ils vous connaissent.» Yacoub persiste à nier. «S’ils ont une seule preuve, qu’ils me confrontent ici devant vous. Je pourrais vous dire que oui, j’ai escroqué des institutions pas ces gens…» Le magistrat l’interroge à nouveau : «vous aviez aussi contacté la direction de l’aviation civile et le ministère des Transports…»
Belhassine avec un large sourire lui répond : «oui, c’est une autre affaire.»
Le juge : «et la tour de contrôle aussi pour faire atterrir un avion qui était en vol.»
Le prévenu : «c’est une longue histoire. Oui, j’ai appelé le ministère des Transports, pour avoir le numéro de la tour de contrôle. Je l’ai eu et lorsque j’ai appelé le responsable, je lui ai dit qu’il y avait une bombe à bord de l’avion d’Air France en provenance du Tchad, qui survolait notre espace aérien pour rejoindre la France, et qu’il fallait à tout prix le faire atterrir. J’ai même appelé le secrétaire particulier du président français pour parler de cette affaire. Mais bon…»
«J’ai appelé le secrétaire particulier du président Français»
Le juge : «vous aviez parlé avec un des pilotes. Le connaissiez-vous ?»
«J’ai appelé le secrétariat du directeur général d’Air Algérie et j’ai eu le numéro de la tour de contrôle. Je vous ai dit que c’est une longue histoire, d’ailleurs ce pilote dont vous parlez était avec moi dans la même cellule à la prison, pour une autre affaire», affirme Belhassine, avant que le juge ne le ramène à l’ex-ambassadrice d’Algérie en Bulgarie.
«Vous l’aviez contactée par téléphone, en vous présentant comme général des services et vous lui avez demandé de l’argent pour financer une opération secrète à l’étranger avec les fonds de l’ambassade. Vos échanges de communications se faisaient sur WhatsApp. Elle vous a remis 5000 euros. C’est ce que vous avez déclaré lors de vos auditions.»
Belhassine, toujours avec un large sourire, nie les accusations. «Donnez-moi la preuve.»
Le juge : «votre numéro de téléphone et l’historique de vos échanges téléphoniques.»
Le prévenu : «ce n’est pas mon numéro.» Le juge insiste et confronte le prévenu aux numéros utilisés lors des communications avec l’ex-ambassadrice, mais Belhassine campe sur sa position : «ce n’est pas vrai.»
Le juge : «vous aviez déclaré que ce numéro appartenait à votre frère.»
Belhassine : «je n’ai pas de frère.»
Le juge : «niez-vous les propos que vous avez tenus devant le juge d’instruction ?»
Belhassine : «ce n’est pas moi.» Le juge : «répondez à ma question !» Un peu irrité, Belhassine persiste à dire qu’il n’avait pas de frère. «Et ceux qui sont-là ne sont-ils pas vos frères ? Ne sont-ils pas vos frères adoptifs ?» «Je n’ai pas de frère adoptif et les téléphones ne m’appartiennent pas», crie Belhassine avant de se ressaisir et de dire : «oui, c’est ma famille adoptive. Ce sont mes deux frères et ma sœur adoptifs.»
Le juge : «ce sont donc vos frères ?» Belhassine acquiesce avant que le magistrat ne revienne à la charge en lui demandant si l’un d’eux lui a donné son téléphone et lui persiste à nier, mais affirme que l’un des numéros qu’il utilisait appartient à un de ses amis. «Je l’ai piraté.»
Le juge le relance. Il le fixe un moment puis lui demande de lui expliquer comment il faisait pour accéder aux numéros de téléphone de ses victimes et comment il arrivait à en pirater d’autres. «C’est avec Darkweb. Un site qui vous mène partout», dit-il, avant que le juge ne l’interrompe : «mais vous devez avoir un code. Vous l’a-t-il envoyé ?» Belhassine est affirmatif et
le magistrat revient à l’ex-ambassadrice de Bulgarie. «Comment l’avez-vous escroquée ?»
Belhassine avec son sourire narquois lui répond : «il y a beaucoup de choses qui concernent l’Etat dont je ne peut parler.»
Le juge : «il s’agit d’une affaire d’escroquerie pas d’Etat.» Belhassine : «l’ai-je menacée ?»
Le juge : «vous vous êtes présenté comme un officier supérieur en mission secrète à l’étranger, pour le compte de l’Etat, et vous lui avez demandé de l’argent pour financer cette mission.»
Le prévenu : «oui, mais je ne me rappelle pas.»
Le juge : «vous a-t-elle donné l’argent ?» Belhassine finit par acquiescer. Il affirme avoir reçu la somme de 5000 euros, transférée via Western Union.
Le juge : «parlez-nous des autres diplomates que vous avez escroqués avec le même procédé.»
Belhassine cite la consule de Nice, en France, à laquelle il a soutiré 10 000 euros,
une conseillère à l’ambassade de Belgrade, qui lui a versé la somme de 20 000 euros
et une ancienne ambassadrice au Kenya, qui lui a transféré 8000 euros.
Le procédé est toujours le même. De faux documents de la Présidence et du ministère des Affaires étrangères et des noms d’officiers supérieurs de l’armée ou des services et de responsables du cabinet de la présidence de la République.
Le juge revient à l’affaire de l’ancienne ambassadrice d’Algérie en Bulgarie : «vous leur avez donné rendez-vous à Athènes, en leur disant qu’un de vos éléments les attendra. Mais c’est vous qui êtes allé la rencontrer et l’avez emmenée dans un hôtel. Comment avez-vous fait pour avoir ses papiers d’état civil et ceux de son mari ?» Le prévenu affirme les avoir obtenus par le biais d’un wali, délégué de Sidi M’hamed, et… «je ne me rappelle plus».
Le juge : «vous avez utilisé la même méthode.»
Le prévenu : «oui, en leur disant que c’est pour une enquête d’habilitation de l’ambassadrice.»
Le juge : «la même méthode aussi avec la diplomate de Nice et les autres. Combien avez-vous encaissé ?»
Belhassine : «je ne me rappelle pas bien. Il y a eu 15 000, puis 20 000 euros. Pour Nice, c’est 10 000 euros.»
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Le juge : «et pour les autres ? Les wilayas, l’université de Sétif, les hôtels, etc.»
Belhassine : «si j’avoue, ceux qui ont failli vont s’en sortir comme s’ils n’avaient rien fait. Ce sont eux qui doivent être comptables pas Yacoub.»
Le juge : «c’est vous qui les avez escroqués. Vous circuliez avec une fausse identité.»
Le prévenu : «je faisais l’objet d’une notice rouge à cause des mandats d’arrêt lancés contre moi. Je l’utilisais pour échapper à une arrestation.» Le juge : «vous avez aussi escroqué des hôtels en Algérie, comme par exemple le Sofitel. Qu’avez-vous à dire ?» Belhassine : «le Sofitel ?»
Le juge : «oui. Vous aviez appelé l'hôtel en vous présentant comme officier supérieur auprès du cabinet de la présidence de la République, pour réserver une suite pour cinq nuitées et six jours au profit d’Anissa Jeridène, directrice de l’action sociale à la wilaya de Annaba, et son époux.» Le magistrat rappelle à Belhassine qu’il avait contacté Mme Jeridène par téléphone, en se présentant au nom du général Benbrahem, pour lui dire que l’Etat l’avait choisie pour être nommée comme attachée culturelle à l’ambassade d’Algérie au Royaume-Uni.
«Vous l’avez appelée une seconde fois, par Whatsapp en lui demandant de préparer son dossier administratif et de venir à Alger pour le déposer, où une chambre à l’hôtel Sofitel lui a été réservée avec son mari.
Vous lui avez aussi demandé de ramener avec elle la somme de 500 000 DA, qui représente les frais d’installation. Vous aviez tout étudié et préparé. Lorsque les responsables de l’hôtel ont envoyé la note aux services de la Présidence, elle a été rejetée, parce qu’elle n’émane pas de la structure habilitée. La dame a même fait l’objet d’une poursuite, avant qu’ils ne découvrent l’escroquerie.»
Belhassine, après avoir bien écouté le juge, réplique : «avez-vous une preuve que c’était moi ? Y a-t-il ma signature ?» Il se tourne vers ses deux frères et sa sœur. «De leur vie, ces trois personnes n’ont mis les pieds dans un commissariat. Comment-peuvent-elles être aujourd’hui devant vous ici ?» Le juge le ramène au sujet : «je vous parle de vos victimes.» et Belhassine rétorque : «ont-elles des preuves ?» le magistrat le ramène à l’argent : «qu’avez-vous fait des fonds soutirés à vos victimes ?»
Le prévenu : «je les ai donnés aux pauvres, aux hôpitaux et aux personnes qui sont dans le besoin. Certaines sommes sont converties en dinars en Algérie et d’autres transférées sur des comptes de Dellel Lyes, mon frère. Personne ne savait ce que je faisais. Pour tout le monde, je suis conseiller à l’Onu.»
Le juge : «j’ai ici tout l’historique de vos échanges avec votre frère Lyes. Vous leur aviez dit de cacher l’argent.» Belhassine nie.
Le juge : «parlez-nous des autres victimes…» «La secrétaire particulière du chef de cabinet du ministre de l’Intérieur, qui était à l’époque, je crois, M. Beldjoud.
Je l’appelais souvent et j’ai su qu’elle avait un problème de logement, Je voulais l’aider, j’ai appelé Beldjoud et même la présidence.»
Le juge lui demande pourquoi de tels agissements et Belhassine répond : «pour faire le bien. De nombreuses personnes ont des difficultés et ne trouvent pas d’aide. J’ai l’occasion de le faire, je le fais. Mais je n’ai jamais exercé de pression sur les gens.»
Le juge : «qu’en est-il de votre relation avec l’ancien secrétaire général de la FAF ?» Le prévenu : «vous voulez dire Mounir Debichi, que j’ai revu à la prison. Il me donnait les numéros de téléphone des responsables et je lui ai demandé ceux des joueurs. J’étais en Grèce, je voulais les connaître pour les escroquer. Toutes mes communications sont enregistrées. Je leur ai dit que la présidence de la République vous a invités à Kos, une ville très appréciée par les riches.» Le juge : «vous leur avez tendu un guet-apens !»
Belhassine : «ils ne voulaient pas venir.»
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