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Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 : « Il est plus fécond d’être un traître qu’un conformiste »

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  • Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 : « Il est plus fécond d’être un traître qu’un conformiste »

    Entretien

    L’auteur de « Houris » revient, dans un entretien au « Monde », sur les polémiques déclenchées par le prix comme par son soutien à Boualem Sansal, toujours en prison en Algérie.
    Un peu plus de deux mois après l’attribution du prix Goncourt à Houris(Gallimard), le roman dans lequel il traverse la mémoire de la guerre civile des années 1990 en Algérie, l’écrivain Kamel Daoud revient sur cette consécration et sur ses enjeux littéraires et politiques. Il répond aussi aux polémiques déclenchées non seulement par ce prix, mais aussi par son soutien à Boualem Sansal, son collègue et son ami, emprisonné à Alger depuis le 16 novembre 2024 pour « atteinte à l’intégrité du territoire national ».

    Alors, ce Goncourt ? Près de deux mois plus tard, comment pourriez-vous résumer son effet sur vous ?

    Les montagnes russes. D’un côté, des moments de joie intense, une très belle joie. De l’autre côté, une exposition médiatique parfois violente. Le moment le plus douloureux a été quand on s’en est pris à ma famille : dès la mi-août 2024, date de parution de Houris, le régime d’Alger a mis en branle sa machine médiatique contre ce livre, contre moi, contre mon éditeur Gallimard et contre l’académie Goncourt. Editoriaux, diffamations, insultes, intox et menaces, perquisitions des stands au Salon d’Alger, interrogatoires et fouilles des librairies algériennes.

    Le sujet de la guerre civile était encore tabou, malgré quelques livres parus. La réception du prix Goncourt a fait exploser cette haine, car il s’agissait d’une reconnaissance française à l’égard d’une guerre civile qui n’a pas le « prestige » rentier de la guerre de décolonisation (je n’oppose jamais les deux), et d’une récompense pour un Algérien considéré comme « traître » par tous ceux qui considèrent la France comme un « ennemi éternel ».

    En quelques semaines, cela a atteint des sommets inimaginables. J’ai été accusé de tout, lynché, calomnié, avant que le régime ne trouve une autre cible de choix, Boualem Sansal, retenu en otage diplomatique à la manière du régime iranien.

    Encaisser les coups, j’ai l’habitude. Mais quand ce sont les vôtres qui sont attaqués, ça fait mal. Cette fois, les calomnies sont allées jusqu’à cibler ma famille, notamment quand des médias algériens proches du pouvoir m’ont accusé d’avoir utilisé, pour mon roman, le témoignage d’une femme ayant survécu à un massacre islamiste pendant la guerre civile. Je ne veux pas revenir là-dessus, ayant déjà répondu par un long texte paru dans Le Point.

    « Je suis Algérien, je vis en Algérie, je n’accepte pas que l’on pense à ma place, en mon nom », écriviez-vous dans « Le Quotidien d’Oran », en 2016. Une telle consécration en France, un pays où vous vivez désormais, ne fragilise-t-elle pas votre positionnement politique ?


    Du point de vue de l’argument, vous avez raison. Oui, être consacré en France, c’est être « déconsacré » en Algérie, si j’ose le néologisme. Nous sommes là au cœur d’une vieille ambiguïté. On dit que les Algériens n’aiment pas la France, mais les canots de migrants rament vers la France. Les apparatchiks du régime affirment que l’ennemi est la France, mais ils font tout pour y placer leurs enfants. Nous avons un rapport intime avec la France. Et je réclame le droit à l’universalité aussi. Est-ce qu’on poserait cette question à un écrivain argentin ou tchèque ? On demande toujours à l’écrivain maghrébin de rester figé dans une histoire.

    Mais, moi, je ne suis pas un figurant de la bataille d’Alger, je suis un vivant. Je suis resté en Algérie autant que possible, j’ai l’impression d’avoir été le dernier à partir ! Quand vous êtes dans un pays où le moindre mot peut vous coûter quinze années de prison, que faut-il faire ?

    Récemment, je lisais un propos d’Albert Camus : « L’exil est nécessaire pour la vérité. » On peut retourner la formule pour l’Algérie : le mensonge est nécessaire pour y rester. Alors, quoi ? Si je dis non à la France, non au Goncourt, je réduis ma liberté à un conformisme et mon passé à une guerre morte, même si elle fut fondatrice. Si je dis oui, je suis soumis au procès en traîtrise. A mes yeux, il est plus fécond d’être un traître qu’un conformiste.

    Vous souvenez-vous de la toute première fois où l’on vous a traité de « traître » ?


    Au début, je n’ai pas été traité de « traître », mais de « sale juif », parce que je m’appelle Daoud, qui veut dire « David » en arabe. Cela remonte à la fin des années 1990. Ma chronique dans Le Quotidien d’Oran rencontrait une plus large audience. Certains lecteurs envoyaient des lettres de soutien, d’autres d’insultes. La notion de traître s’est beaucoup répandue avec Internet, à partir du moment où j’ai commencé à être lu en France et au-delà. Quand vous écrivez une chronique dans l’espace de l’entre-soi algérien, elle a un sens. Lorsqu’elle est reprise sur un blog d’extrême droite en Allemagne, elle a une tout autre résonance.

    La notion de traître va de pair avec celle d’orthodoxie, quand les gens vous reprochent de casser la règle de l’entre-soi et de la censure communautaire. Toutes les orthodoxies ont besoin de traîtrise pour se fonder en droit.

    Après la parution de Meursault, contre-enquête [Actes Sud, 2014], je me suis posé la question pendant des mois : faut-il arrêter d’écrire pour éviter d’être « récupéré » par des idées qui ne sont pas les miennes ? Ou bien dois-je, au contraire, persévérer, au nom de la dignité des miens, de ma propre histoire ? J’ai fini par conclure que je ne suis pas responsable de l’interprétation des autres. Donc j’ai continué à écrire.

    Avez-vous des nouvelles de Boualem Sansal ?


    Non. Il ne se passe rien. On est dans deux logiques qui sont enfermées dans leurs champs respectifs. Plus la France fait pression, plus cela valide la théorie du « complot français » contre l’Algérie. Mais, d’un autre côté, si on se tait en France, comment le reste du monde peut-il en parler ? Ce qu’il faudrait, pour retrouver une marge de négociation, c’est sortir du bilatéralisme. Et cela commence à se faire. Beaucoup d’écrivains latino-américains, européens ou d’autres nationalités ont manifesté leur solidarité. Les Allemands les rejoignent, les Espagnols aussi. Il faut oublier le bilatéral et rappeler l’évidence : Sansal est un écrivain qui est en prison pour une opinion.

    Le problème, c’est que tout le monde trouve son compte dans cette « prise d’otage ». Les islamistes, d’abord, qui sont en train de privatiser les espaces culturels en Algérie, les maisons d’édition, les librairies, les écoles. Ces islamistes sont ravis de voir un écrivain en prison. Le régime aussi, car même le FLN est mort, et il faut à tout prix revitaliser le discours antifrançais, qui sert de ralliement à tous les populismes en Algérie.

    Et, enfin, ceux que j’appelle les « décoloniaux permanents », heureux de ramener le récit algérien à ce qu’ils croient être la véritable orthodoxie victimaire indépassable. Vous savez, quand j’ai publié Houris, un intellectuel algérois m’a dit : « Ne fallait-il pas écrire sur la vraie guerre ? » Cela signifie que les morts de la guerre d’indépendance sont des « vrais morts » et ceux de la guerre civile des figurants. « La vraie guerre… », ces mots me bouleversent encore à cet instant. Vous vous rendez compte de la monstruosité d’une telle phrase ?

    A propos de Sansal et de vous-même, un mot revient souvent dans la bouche de vos détracteurs. « Ils ont leurs obsessions », disent-ils. Qu’en pensez-vous ?


    Oui, j’ai mes obsessions. Et heureusement. Seul m’intéresse l’écrivain qui a des obsessions, des obsessions qu’il creuse toute sa vie. Voilà une première chose. Ensuite, j’ai vécu une guerre. Cette guerre m’a volé les dix meilleures années de ma vie, de 20 à 30 ans. Je quitte l’Algérie, j’arrive en France, je vois ce qui se passe dans le reste du monde, et qu’est-ce que je constate ? J’y retrouve l’islamisme obsédé par nos libertés, par la culture, par le corps des femmes. Ce n’est pas nous qui sommes obsédés par l’islamisme, comme on aime à le répéter.

    Les gens qui parlent de mes « obsessions », c’est pour les disqualifier. Ils voudraient sans doute que je parle des leurs. Mais ils peuvent toujours attendre. Moi, je parle de ce qui me frappe, de ce qui me tue, de ce qui me pousse à l’exil. J’ai les obsessions d’un revenant.


    L’écrivain Kamel Daoud, à Paris, en janvier 2025. JULIEN DANIEL / MYOP POUR « LE MONDE »

    En 1969, Monique Gadant (1930-1995), une professeure communiste qui avait soutenu le FLN avant d’être effrayée par la violence du nouveau régime, déplorait qu’en France « personne ne voulait savoir les pratiques policières, la torture, l’absence totale de démocratie. Sauf la droite et l’extrême droite ». Cela éclaire-t-il en partie votre propre destin, à Sansal et à vous ?


    Il faut retourner la question à cette presse de gauche qui n’arrive pas à nous percevoir au-delà du rôle que l’on nous impose, celui d’adjuvants idéologiques. Autrement dit, soit nous parlons à cette presse selon ses propres attentes, en neutralisant nos propres convictions, soit nous n’avons pas droit à la parole.

    Au fait, qu’est-ce qu’on me reproche ? Je le disais récemment dans une chronique du Point, on me reproche de ne pas être le bon Arabe, celui qui est dans le victimaire et le décolonial permanents. Est-ce que je dois me taire sur dix ans de massacres en Algérie, sur l’islamisme, sur cette menace qui est devenue mondiale, de peur d’être « récupéré » par la droite ou d’être traité d’« islamophobe » par la gauche ? C’est un chemin de crête. Mais je refuse qu’on m’impose le silence, je ne veux pas être un figurant dans le cinéma muet des batailles idéologiques françaises.

    Il y a en France, depuis longtemps, un riche milieu intellectuel algérien, très actif politiquement. On ne trouve aucun de ses représentants dans l’appel à la libération de Boualem Sansal, que vous avez signé. Pourquoi ?


    Je ne peux pas juger les autres, leur choix. Je me rappelle cet écrivain qui voulait signer la pétition et qui m’a rappelé en disant : « Je ne peux pas, ma femme part à Alger dans deux heures. » Je comprends. Le régime est dur. Vous signez, vous le payez immédiatement. Il y a la peur, donc. Il y a aussi le malaise. Hier encore, je me suis disputé avec un ami qui me disait : « Sansal n’aurait pas dû dire ça, il n’aurait pas dû remettre en question les frontières algériennes, c’est sacré. » Je lui ai répondu : « On peut être pour ou contre, d’accord, mais là on a un écrivain qui est en prison pour une opinion. »

    Je peux vous montrer plein de vidéos d’imams qui remettent en question les frontières algériennes, ou de prêcheurs islamistes qui refusent de se lever pendant l’hymne national. Personne ne leur conteste ce droit. Personne ne les met en prison. Pourquoi ? Il y a un proverbe algérien qui dit : « Nous sommes des murs trop bas. » Tout le monde peut nous enjamber, nous les écrivains. Nous n’avons pas d’avions, pas de prison, pas de police secrète. Je ne terrorise personne, j’écris. Il est facile de me faire dire ce que je n’ai pas dit, de me maltraiter, de m’exiler, de me décapiter.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    La troisième partie d’« Houris » s’intitule « Le couteau », comme le livre-témoignage (Gallimard, 2024) où Salman Rushdie raconte l’attaque dont il a été victime en 2022. Il y écrit : « Me voilà, salopard, chuchote le couteau à sa victime, je t’attendais. » Avez-vous aussi l’impression qu’un couteau, quelque part, vous attend ?


    Je n’aime pas cette question, parce qu’elle suppose que j’accorde trop d’importance à la réponse. Mon ennemi n’est pas le centre de ma vie. Et puis, nous sommes tous menacés. Il y a plus de Français tués parce qu’ils étaient attablés à une terrasse que d’écrivains assassinés. Non, je n’ai pas envie de penser à cela. Enfin, j’y pense, mais je n’ai pas envie.

    Le couteau, c’est l’instrument de la mort terrible, de l’horreur, celle qui vous dépossède de votre corps. L’être humain tient à l’intégrité de son corps. En Algérie, pendant la guerre civile, on a tous vu tellement d’égorgements… Pour mon roman, j’ai écouté des témoignages de femmes. Lorsqu’elles étaient kidnappées, elles préféraient courir pour qu’on les abatte. Pourquoi ? Parce qu’elles préféraient être abattues qu’égorgées.

    « L’intégrisme islamique, en règle générale, a crû sur le cadavre en décomposition du mouvement progressiste », a noté l’intellectuel marxiste franco-libanais Gilbert Achcar. En Algérie, le « cadavre » progressiste bouge-t-il encore ?


    Non. Dans le monde arabe, les progressistes ont été piégés par l’obsession décoloniale et antioccidentale. A la fin des années 1980, personne n’a vu venir les islamistes. On disait exactement ce que j’entends maintenant ici, en France : « Ils ne sont pas efficaces, ils n’ont aucune vision politique, ils ne pèsent pas. » Moi, j’étais villageois, et, au village, les islamistes étaient la majorité politique. Il y a chez certains progressistes une compromission aujourd’hui dangereuse : l’idée que l’Occident est le seul véritable ennemi, et comme les islamistes haïssent l’Occident, l’ennemi de mon ennemi, etc.

    Mais, surtout, les progressistes n’ont pas su inventer une théorie du bonheur dans le monde arabe. Ceux qui proposent le bonheur, ce sont les islamistes. Ils décrivent le paradis, les femmes… le « all-inclusive » post-mortem. Les progressistes sont des vétérans érudits, qui offrent seulement de la rancune vis-à-vis de l’Occident. Ils ne séduisent pas. Les islamistes les utilisent comme une monture pour s’en débarrasser dès qu’ils arrivent au pouvoir.

    Camus disait qu’il est dangereux de sacrifier les causes actuelles au nom de l’homme futur. Les progressistes arabes ont inventé un sosie monstrueux : l’idéal qu’ils se sont donné, c’est un homme du passé, ce guerrier qui s’est élevé contre la colonisation. Ils promettent un beau passé. Les islamistes, eux, promettent un beau futur.


    se. Vous savez donc de l’intérieur ce qu’est le réel du croyant. N’est-ce pas une force pour prendre au sérieux la religion en général, et l’islamisme en particulier ?


    Tout à fait. Contrairement à ceux qui glosent sur mes « obsessions », je sais de quoi je parle. J’ai eu accès à cette expérience, à ces textes, et directement, en arabe. C’est d’ailleurs une chose que les islamistes me reprochent souvent. Il y a une mise en garde immémoriale, en islam, qui dit : « Faites attention à l’hypocrite éloquent. » Un jour, j’ai rencontré des étudiants en sciences islamiques, ils me connaissaient comme chroniqueur du Quotidien d’Oran, ils m’ont dit : « Vous êtes dangereux parce que vous êtes un hypocrite éloquent. »

    Hypocrite, ici, cela veut dire agent double. Ce qu’ils me reprochaient, c’était justement de connaître trop bien leurs argumentaires, leur littérature, leur vision du monde. Inversement, beaucoup de progressistes algériens, généralement ancrés dans les grandes villes du littoral, n’y connaissent rien ou si peu. Ici, le barrage linguistique est énorme, y compris en France d’ailleurs, surtout en France peut-être. Comment voulez-vous connaître les grands courants de la planète islamiste sans un accès direct aux textes ? Or, rares sont ceux, parmi les intellectuels progressistes, qui maîtrisent l’arabe.

    Vous mettez souvent en cause ceux que vous appelez les « intellectuels de gauche hyperurbains » en Algérie. De qui parlez-vous, exactement ?


    Je respecte profondément mes aînés algériens, qu’ils soient en France ou en Algérie. Mais le combat qu’ils ont mené mérite mieux que la simple répétition de leurs analyses. Leur passion pour la liberté, je la fais mienne en la renouvelant, quitte à être accusé de dissidence ou d’ingratitude. Ma fidélité prend place dans les audaces de l’infidélité. Quand je mets en cause certains intellectuels algérois, je parle d’une caste qui a failli dans la transmission. Je respecte les combats des anciens communistes algériens, mais je juge sévèrement leurs féodalités.

    Pour un petit villageois comme moi, rencontrer ces militants a été un grand choc, quand je suis arrivé à l’université. Je les admirais tellement ! Mais j’ai été déçu par la non-conformité de leurs idées et de leur vie.

    Je parle donc de gens que je connais personnellement, des journalistes par exemple, qui nourrissent un discours antifrançais et qui passent leurs vacances en France, y scolarisent leurs enfants, y vivent dans les niches éditoriales du discours académique de la rente mémorielle. J’en ai vu d’autres, qui se disaient athées et qui couraient lire le Coran dès qu’ils tombaient malades. Jeune, j’ai été frappé par cette manière de ne pas miser son corps quand il s’agit de défendre ses convictions, de cloisonner les idées et la vie.

    Je vous donne un autre exemple. Dans un journal arabophone, il y a quelques années, j’ai lu une demi-page sur la façon dont les migrants étaient traités en France, à Calais. Et puis, en bas de la page, il y avait une petite vignette sur la reconduite de centaines de Subsahariens vers la frontière algérienne ! Voilà, ce cloisonnement de la conscience m’écœure. Je ne suis pas un intellectuel, je voudrais simplement vivre selon une morale, une conformité intime de l’acte et de la parole, même si je n’y réussis pas toujours.

    Vous citez rarement les intellectuels algériens de gauche, socialistes ou féministes, qui se sont réfugiés en France et y ont maintenu leur engagement. Est-ce parce qu’ils sont d’une autre génération ? Vous sentez-vous étranger à leurs combats ?


    Je vais vous répondre franchement. Ils m’ont toujours exclu, car je ne corresponds pas au portrait-type de l’intellectuel militant algérien. Premièrement, je n’appartiens pas à cette génération qui a été communiste, qui a fait de la prison ; à leurs yeux, je n’ai pas mes lettres de noblesse en matière de militantisme.

    Deuxièmement, il y a le fait géographique. Certains pensent que l’Algérie, c’est Alger, donc, quand on vient d’un village de l’Oranie, on est toujours dans la périphérie, la « seconde classe ». Arriver en France et y conquérir une reconnaissance sans être passé par la case algéroise, c’est quelque chose qu’on ne vous pardonne pas.

    Troisièmement, je ne m’inscris pas dans la tradition du décolonial permanent. Je la comprends, mais je me méfie des positions de rente, je réclame le droit à la nuance, à la critique. Quand j’écrivais dans Liberté, ce journal que le régime a finalement fait fermer, j’ai compris une chose : nous sommes indépendants depuis soixante-dix ans, mais nous avons presque tous peur de la liberté. Elle fait peur au pouvoir, mais à l’opposition aussi !

    Quand j’ai écrit que le Hirak [mouvement de contestation pacifique du pouvoir algérien, 2019-2023] allait droit dans le mur, j’ai reçu des tombereaux d’injures. « Mais, Kamel, pourquoi tu écris ça ?, me reprochait-on. Il faut plutôt écrire ceci que cela… » Alors je répondais : « Ecoutez, nous sommes un forum démocratique, si, dès le début, vous commencez à ne pas respecter la liberté d’un écrivain, si vous êtes aussi obsédés par l’unanimité, alors vous êtes comme le régime, sauf que vous, vous n’avez pas d’armée. »

    J’ai compris que la liberté nous angoisse : toute différence est attentatoire à notre unanimité sécurisante. Un jour, j’ai rencontré à Oran un intellectuel algérien que j’aimais beaucoup. Il m’a reproché la tribune publiée dans Le Monde à propos des viols de Cologne, où j’évoquais le rapport à la femme et à la misère sexuelle dans le monde arabe. Je lui ai dit : « Ta fille ne peut pas sortir à Oran après 18 heures. Tu sais bien que ce que j’ai écrit est vrai. Alors pourquoi tu me blâmes ? » Il a réfléchi, puis il m’a répondu : « Je sais bien, Kamel. Mais c’est tout ce que nous avons, notre unanimité, le silence qu’on oppose à ceux qui nous critiquent. Si nous levons la digue, nous serons emportés. » J’ai rectifié : « Non, vous serez vivants. »

    Repères

    1970 Kamel Daoud naît à Mostaganem, au nord-ouest de l’Algérie.

    1994 Il entre au journal Le Quotidien d’Oran.

    2014 Meursault, contre-enquête (Actes Sud), inspiré de L’Etranger, d’Albert Camus, obtient le prix Goncourt du premier roman 2015. La même année, il commence ses chroniques au Point.

    2016 Sa tribune parue dans Le Monde du 5 février, « Cologne, lieu de fantasmes », suscite la controverse.

    2017 Zabor ou les psaumes (Actes Sud).

    2023 Il s’installe en France.

    2024 Houris, prix Goncourt.
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

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    • #3
      toujours les mêmes thèmes, les mêmes champs battus, les mêmes obsessions.

      oui, bien sûr, tu as droit à tes obsessions mais nous sommes libres d'en avoir souper.
      ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

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      • #4
        Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 : « Il est plus fécond d’être un traître qu’un conformiste »
        entre traitre ou conformiste mon choix et vite fait.

        trahison definition :
        Déloyauté, coup de poignard dans le dos, infidélité. Action de trahir, de tromper quelqu'un et sa confiance par des paroles ou un acte.

        conformisme definition:
        Soumission aux usages, aux règles morales communément admises.

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