Une France au passé colonial et « génocidaire » en Algérie, assène le président Tebboune. Une Algérie qui se « déshonore » après l’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal, rétorque le président Macron… Et une tension entre les deux pays qui s’institutionnalise.
Omar Brouksy
Qu’il est loin le temps où l’Algérie autorisait le survol de son territoire par l’armée française – pour la première fois de son histoire – pour traquer des islamistes au cœur du Mali. C’était l’opération Serval, en janvier 2013, soit il y a douze ans presque jour pour jour.
Qu’il est loin aussi le temps où, deux ans plus tard, l’ancien président François Hollande se rendait au chevet de son homologue algérien, un Abdelaziz Bouteflika quasi comateux, pour appuyer ce fameux quatrième mandat qui l’avait porté au sommet de l’État algérien, avec plus de 80 % des voix.
Cette proximité frôlant la connivence paraît inimaginable dans le contexte actuel des relations franco-algériennes, qui connaissent une des plus importantes crises diplomatiques de leur histoire.

Agrandir l’image : Illustration 1Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. © Photo illustration Simon Toupet / Mediapart
Décision de Paris de durcir les conditions d’obtention des visas à l’égard des pays du Maghreb qui « refusent » de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des refoulés de France (en décembre 2021) ; reconnaissance par le président Macron de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental ; arrestation à Alger de l’écrivain Boualam Sansal ; échec du processus de réconciliation mémorielle… : les causes de cette tension politico-diplomatique sont multiples et difficiles à démêler.
Sahara
La plupart des observateurs semblent cependant s’accorder sur un élément déclencheur. « Je pense que la décision de Macron de reconnaître la marocanité du Sahara a été le catalyseur de tensions qui s’étaient déjà accumulées, précise l’écrivain Akram Belkaïd, rédacteur en chef du Monde diplomatique et auteur de plusieurs ouvrages sur le régime algérien. À partir de là, tout peut dégénérer. Ces relations n’arrivent pas à trouver de cadre abouti en matière institutionnelle. Il y a toujours eu des tensions. »
Les choses avaient pourtant bien commencé. Alors qu’il se débattait encore dans la présidentielle de 2017 (sa première campagne), Emmanuel Macron avait osé ce qu’aucun candidat à un tel scrutin n’avait fait auparavant en déclarant, lors d’une visite à Alger et à un média algérien, que la colonisation était « un crime contre l’humanité ». « C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses… », disait-il.
Au-delà de sa dimension électoraliste (le vote d’une partie de la gauche et des Français·es d’origine maghrébine n’étant pas négligeable), cette phrase augurait d’un tropisme algérien décomplexé du futur président.
Une fois élu, il ne dérogera pas à une tradition non codifiée, instaurée depuis belle lurette par la diplomatie française dans un souci d’équilibre régional vis-à-vis de ses deux anciennes colonies : réserver sa première visite d’État à l’Algérie. Ce sera fait le 6 décembre 2017, sous les regards mi-agacés mi-indulgents du voisin marocain. Cette fois, ce n’est plus le candidat Macron qui s’exprimera, mais le président.
Pas un seul mot sur les « excuses », encore moins sur la « repentance » ; il ne parlera plus de « crime » ou de « passé », mais… d’« histoire » et d’« avenir ». « Je connais l’histoire, mais je ne suis pas otage du passé, dira-t-il dans une interview conjointe aux quotidiens francophone El Watan et arabophone El Khabar… Je souhaite désormais, dans le respect de notre histoire, que nous nous tournions ensemble vers l’avenir. »
Centralité
La question mémorielle, c’est l’Arlésienne de la relation bilatérale. Alger l’exhibe au gré des circonstances et des opportunités, souvent comme un paramètre de légitimation et de mobilisation, parfois même comme un mécanisme de gouvernance politique, « tel un hochet qu’on agite de manière régulière pour faire croire que c’est le problème insoluble, ajoute Belkaïd, comme si les relations entre les deux pays, aujourd’hui, dépendaient de ça ».
Conscient de cette centralité et déterminé à mener le processus à son terme, mais à sa manière, Macron décide en juillet 2020 de confier à l’universitaire Benjamin Stora une « mission sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Dans une lettre adressée à cet historien natif de Constantine, il indique que « le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée ». Un autre historien, Abdelmadjid Chikhi, est nommé sur l’autre rive de la Méditerranée par le président algérien Tebboune. Objectif : mener un travail de « vérité » sur les questions mémorielles entre les deux pays.
Haut les cœurs ! Le processus mémoriel visant à projeter un nouveau regard sur le passé colonial de la France en Algérie était donc lancé. Après avoir en 2018 demandé « pardon » au nom de la France à la veuve de Maurice Audin, un militant communiste mort sous la torture du fait d’un « système légalement institué » pendant la guerre d’Algérie, Macron reconnaît en mars 2021 la responsabilité de son pays dans l’assassinat, à Alger en 1957, de l’avocat algérien proche du Front de libération national (FLN) Ali Boumendjel.
Trois ans plus tard, il fait de même pour le cas Larbi Ben M’hidi, une véritable légende de la bataille d’Alger. Mais dans ce processus qui s’est mis en branle dans des conditions plutôt favorables, la convergence des intentions n’avait pas été suffisamment affinée par les deux protagonistes, car les objectifs du couple Macron-Stora étaient en effet moins politiques qu’historiques, avec un leitmotiv assumé : « ni déni ni repentance ».
Quant au palais d’El Mouradia, siège officiel de la présidence algérienne, la démarche française y est suivie avec un mélange de curiosité et de méfiance, voire une certaine indifférence.
La crise, qui était déjà dans l’air, s’installera progressivement au cœur des relations entre les deux États. Paris considère le processus mémoriel comme une perche que l’Algérie n’a pas su ou voulu saisir, alors qu’Alger estime que la France n’en avait pas fait assez en termes de réconciliation mémorielle. Le dégel attendra…
Déflagration
À la fois impatient et dépité, Macron se tourne alors vers le « frère ennemi » de l’ouest algérien. Profitant de la fête du trône, le 30 juillet 2024, il adresse au roi Mohammed VI une lettre dans laquelle il soutient ouvertement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, dans le cadre d’un projet d’autonomie déjà proposé par le royaume.
Certes, les rapports entre le monarque et le président n’étaient pas au beau fixe, le second soupçonnant le premier d’avoir tenté d’espionner son téléphone portable via le logiciel israélien Pegasus. Mais la donne franco-algérienne ayant changé, il est de plus en plus difficile de résister aux contreparties financières que le royaume fait miroiter : des contrats d’une valeur de 10 milliards d’euros en faveur des entreprises françaises sont ainsi signés à Rabat le 28 octobre, au cours d’un voyage officiel où Macron a été reçu avec tout le faste qui fait la réputation du Maroc.
À Alger, c’est la déflagration ! La réaction ne se fera pas attendre, et elle sera virulente. Moins de deux mois après la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par Macron, Tebboune est réélu le 7 septembre 2024 avec 94,65 % des suffrages. Dans une intervention télévisée le jour même, il annonce que sa visite officielle à Paris, prévue pour novembre, sera reportée.
« Je n’irai pas à Canossa », dit-il par allusion à la célèbre formule du chancelier allemand Bismark à la fin du XIXe siècle, qui signifie aller supplier un pardon. Au XIe siècle, en effet, l’empereur germanique Henri IV s’était rendu dans la ville italienne de Canossa pour y implorer le pape Grégoire VII de lever l’excommunication dont il avait été frappé.
Puis le président Tebboune évoque avec des mots cinglants la colonisation française en Algérie (1830-1962) et l’inextricable question mémorielle : « L’Algérie a été choisie pour le grand remplacement, le vrai grand remplacement », dit-il, celui qui consiste à « chasser la population locale pour ramener une population européenne avec des massacres, avec une armée génocidaire… ».Et de conclure : « Nous étions une population d’environ 4 millions, et cent trente-deux ans plus tard, nous étions à peine 9 millions. Il y a eu un génocide. »
Indifférence
À l’Élysée, le message algérien est reçu cinq sur cinq. Non seulement la crise a de beaux jours devant elle, mais elle va aller crescendo avec l’arrestation en novembre 2024, à Alger, de l’écrivain algérien Boualem Sansal, naturalisé français quelques mois auparavant par Macron.
Les idées de ce romancier de 75 ans, ses écrits et ses discours proches de l’extrême droite et hostiles à l’islam et aux musulmans en ont fait un écrivain très controversé au Maghreb, voire un pestiféré. C’est ce qui explique la relative indifférence avec laquelle sa détention a été accueillie aussi bien au Maroc qu’en Algérie, y compris par les intellectuels et les militants laïques.
Les propos qui avaient conduit à son arrestation, puis à son incarcération pour « atteinte à l’unité nationale », ont été tenus en novembre 2024 à un média d’extrême droite, Frontières,dont il est d’ailleurs membre du comité éditorial : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. »
Les propos exprimés par Sansal dans cet entretien sont contestés par tous les historiens de l’époque. Ils renvoient à une date peu connue en France mais assez importante dans l’histoire du Maghreb : le 18 mars 1845, le jour de la signature du traité de Lalla Maghnia entre la France et un Maroc très affaibli par sa défaite contre cette dernière à la bataille d’Isly, un an plutôt.
Certes, son article premier considère que « les frontières qui existaient autrefois entre la régence d’Alger et le Maroc seront les mêmes entre l’Algérie française et le Maroc ». Mais à aucun moment la région évoquée par Sansal (l’ouest algérien – qui comprend Tlemcen, Oran et Mascara) n’était concernée par le traité de Lalla Maghnia, portant essentiellement sur les zones du sud algérien et marocain. À l’inverse, Mascara représente le cœur de la résistance antifrançaise, là où l’émir Abdelkader s’était vu désigné « Commandeur des croyants » en novembre 1832, pour faire face aux armées coloniales françaises.
Omar Brouksy
Boîte noire
Omar Brouksy est journaliste et professeur de science politique au Maroc. Il a été le rédacteur en chef du Journal hebdomadaire (aujourd’hui fermé) et journaliste à l’AFP. Il est également l’auteur de Mohammed VI derrière les masques. Le fils de notre ami (Nouveau-Monde Éditions, 2014) et de La République de Sa Majesté. France-Maroc, liaisons dangereuses (Nouveau-Monde Éditions, 2017).
Omar Brouksy
Qu’il est loin le temps où l’Algérie autorisait le survol de son territoire par l’armée française – pour la première fois de son histoire – pour traquer des islamistes au cœur du Mali. C’était l’opération Serval, en janvier 2013, soit il y a douze ans presque jour pour jour.
Qu’il est loin aussi le temps où, deux ans plus tard, l’ancien président François Hollande se rendait au chevet de son homologue algérien, un Abdelaziz Bouteflika quasi comateux, pour appuyer ce fameux quatrième mandat qui l’avait porté au sommet de l’État algérien, avec plus de 80 % des voix.
Cette proximité frôlant la connivence paraît inimaginable dans le contexte actuel des relations franco-algériennes, qui connaissent une des plus importantes crises diplomatiques de leur histoire.

Agrandir l’image : Illustration 1Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. © Photo illustration Simon Toupet / Mediapart
Décision de Paris de durcir les conditions d’obtention des visas à l’égard des pays du Maghreb qui « refusent » de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des refoulés de France (en décembre 2021) ; reconnaissance par le président Macron de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental ; arrestation à Alger de l’écrivain Boualam Sansal ; échec du processus de réconciliation mémorielle… : les causes de cette tension politico-diplomatique sont multiples et difficiles à démêler.
Sahara
La plupart des observateurs semblent cependant s’accorder sur un élément déclencheur. « Je pense que la décision de Macron de reconnaître la marocanité du Sahara a été le catalyseur de tensions qui s’étaient déjà accumulées, précise l’écrivain Akram Belkaïd, rédacteur en chef du Monde diplomatique et auteur de plusieurs ouvrages sur le régime algérien. À partir de là, tout peut dégénérer. Ces relations n’arrivent pas à trouver de cadre abouti en matière institutionnelle. Il y a toujours eu des tensions. »
Les choses avaient pourtant bien commencé. Alors qu’il se débattait encore dans la présidentielle de 2017 (sa première campagne), Emmanuel Macron avait osé ce qu’aucun candidat à un tel scrutin n’avait fait auparavant en déclarant, lors d’une visite à Alger et à un média algérien, que la colonisation était « un crime contre l’humanité ». « C’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses… », disait-il.
Au-delà de sa dimension électoraliste (le vote d’une partie de la gauche et des Français·es d’origine maghrébine n’étant pas négligeable), cette phrase augurait d’un tropisme algérien décomplexé du futur président.
Une fois élu, il ne dérogera pas à une tradition non codifiée, instaurée depuis belle lurette par la diplomatie française dans un souci d’équilibre régional vis-à-vis de ses deux anciennes colonies : réserver sa première visite d’État à l’Algérie. Ce sera fait le 6 décembre 2017, sous les regards mi-agacés mi-indulgents du voisin marocain. Cette fois, ce n’est plus le candidat Macron qui s’exprimera, mais le président.
Pas un seul mot sur les « excuses », encore moins sur la « repentance » ; il ne parlera plus de « crime » ou de « passé », mais… d’« histoire » et d’« avenir ». « Je connais l’histoire, mais je ne suis pas otage du passé, dira-t-il dans une interview conjointe aux quotidiens francophone El Watan et arabophone El Khabar… Je souhaite désormais, dans le respect de notre histoire, que nous nous tournions ensemble vers l’avenir. »
Centralité
La question mémorielle, c’est l’Arlésienne de la relation bilatérale. Alger l’exhibe au gré des circonstances et des opportunités, souvent comme un paramètre de légitimation et de mobilisation, parfois même comme un mécanisme de gouvernance politique, « tel un hochet qu’on agite de manière régulière pour faire croire que c’est le problème insoluble, ajoute Belkaïd, comme si les relations entre les deux pays, aujourd’hui, dépendaient de ça ».
Conscient de cette centralité et déterminé à mener le processus à son terme, mais à sa manière, Macron décide en juillet 2020 de confier à l’universitaire Benjamin Stora une « mission sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». Dans une lettre adressée à cet historien natif de Constantine, il indique que « le sujet de la colonisation et de la guerre d’Algérie a trop longtemps entravé la construction entre nos deux pays d’un destin commun en Méditerranée ». Un autre historien, Abdelmadjid Chikhi, est nommé sur l’autre rive de la Méditerranée par le président algérien Tebboune. Objectif : mener un travail de « vérité » sur les questions mémorielles entre les deux pays.
Haut les cœurs ! Le processus mémoriel visant à projeter un nouveau regard sur le passé colonial de la France en Algérie était donc lancé. Après avoir en 2018 demandé « pardon » au nom de la France à la veuve de Maurice Audin, un militant communiste mort sous la torture du fait d’un « système légalement institué » pendant la guerre d’Algérie, Macron reconnaît en mars 2021 la responsabilité de son pays dans l’assassinat, à Alger en 1957, de l’avocat algérien proche du Front de libération national (FLN) Ali Boumendjel.
Trois ans plus tard, il fait de même pour le cas Larbi Ben M’hidi, une véritable légende de la bataille d’Alger. Mais dans ce processus qui s’est mis en branle dans des conditions plutôt favorables, la convergence des intentions n’avait pas été suffisamment affinée par les deux protagonistes, car les objectifs du couple Macron-Stora étaient en effet moins politiques qu’historiques, avec un leitmotiv assumé : « ni déni ni repentance ».
Quant au palais d’El Mouradia, siège officiel de la présidence algérienne, la démarche française y est suivie avec un mélange de curiosité et de méfiance, voire une certaine indifférence.
La crise, qui était déjà dans l’air, s’installera progressivement au cœur des relations entre les deux États. Paris considère le processus mémoriel comme une perche que l’Algérie n’a pas su ou voulu saisir, alors qu’Alger estime que la France n’en avait pas fait assez en termes de réconciliation mémorielle. Le dégel attendra…
Déflagration
À la fois impatient et dépité, Macron se tourne alors vers le « frère ennemi » de l’ouest algérien. Profitant de la fête du trône, le 30 juillet 2024, il adresse au roi Mohammed VI une lettre dans laquelle il soutient ouvertement la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, dans le cadre d’un projet d’autonomie déjà proposé par le royaume.
Certes, les rapports entre le monarque et le président n’étaient pas au beau fixe, le second soupçonnant le premier d’avoir tenté d’espionner son téléphone portable via le logiciel israélien Pegasus. Mais la donne franco-algérienne ayant changé, il est de plus en plus difficile de résister aux contreparties financières que le royaume fait miroiter : des contrats d’une valeur de 10 milliards d’euros en faveur des entreprises françaises sont ainsi signés à Rabat le 28 octobre, au cours d’un voyage officiel où Macron a été reçu avec tout le faste qui fait la réputation du Maroc.
À Alger, c’est la déflagration ! La réaction ne se fera pas attendre, et elle sera virulente. Moins de deux mois après la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par Macron, Tebboune est réélu le 7 septembre 2024 avec 94,65 % des suffrages. Dans une intervention télévisée le jour même, il annonce que sa visite officielle à Paris, prévue pour novembre, sera reportée.
« Je n’irai pas à Canossa », dit-il par allusion à la célèbre formule du chancelier allemand Bismark à la fin du XIXe siècle, qui signifie aller supplier un pardon. Au XIe siècle, en effet, l’empereur germanique Henri IV s’était rendu dans la ville italienne de Canossa pour y implorer le pape Grégoire VII de lever l’excommunication dont il avait été frappé.
Puis le président Tebboune évoque avec des mots cinglants la colonisation française en Algérie (1830-1962) et l’inextricable question mémorielle : « L’Algérie a été choisie pour le grand remplacement, le vrai grand remplacement », dit-il, celui qui consiste à « chasser la population locale pour ramener une population européenne avec des massacres, avec une armée génocidaire… ».Et de conclure : « Nous étions une population d’environ 4 millions, et cent trente-deux ans plus tard, nous étions à peine 9 millions. Il y a eu un génocide. »
Indifférence
À l’Élysée, le message algérien est reçu cinq sur cinq. Non seulement la crise a de beaux jours devant elle, mais elle va aller crescendo avec l’arrestation en novembre 2024, à Alger, de l’écrivain algérien Boualem Sansal, naturalisé français quelques mois auparavant par Macron.
Les idées de ce romancier de 75 ans, ses écrits et ses discours proches de l’extrême droite et hostiles à l’islam et aux musulmans en ont fait un écrivain très controversé au Maghreb, voire un pestiféré. C’est ce qui explique la relative indifférence avec laquelle sa détention a été accueillie aussi bien au Maroc qu’en Algérie, y compris par les intellectuels et les militants laïques.
Les propos qui avaient conduit à son arrestation, puis à son incarcération pour « atteinte à l’unité nationale », ont été tenus en novembre 2024 à un média d’extrême droite, Frontières,dont il est d’ailleurs membre du comité éditorial : « Quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcen, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume. »
Les propos exprimés par Sansal dans cet entretien sont contestés par tous les historiens de l’époque. Ils renvoient à une date peu connue en France mais assez importante dans l’histoire du Maghreb : le 18 mars 1845, le jour de la signature du traité de Lalla Maghnia entre la France et un Maroc très affaibli par sa défaite contre cette dernière à la bataille d’Isly, un an plutôt.
Certes, son article premier considère que « les frontières qui existaient autrefois entre la régence d’Alger et le Maroc seront les mêmes entre l’Algérie française et le Maroc ». Mais à aucun moment la région évoquée par Sansal (l’ouest algérien – qui comprend Tlemcen, Oran et Mascara) n’était concernée par le traité de Lalla Maghnia, portant essentiellement sur les zones du sud algérien et marocain. À l’inverse, Mascara représente le cœur de la résistance antifrançaise, là où l’émir Abdelkader s’était vu désigné « Commandeur des croyants » en novembre 1832, pour faire face aux armées coloniales françaises.
Omar Brouksy
Boîte noire
Omar Brouksy est journaliste et professeur de science politique au Maroc. Il a été le rédacteur en chef du Journal hebdomadaire (aujourd’hui fermé) et journaliste à l’AFP. Il est également l’auteur de Mohammed VI derrière les masques. Le fils de notre ami (Nouveau-Monde Éditions, 2014) et de La République de Sa Majesté. France-Maroc, liaisons dangereuses (Nouveau-Monde Éditions, 2017).
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