... “Vous faites une grave erreur !” »
Du Sahara occidental à l’affaire Sansal, la crise entre la France et l’Algérie est aussi multidimensionnelle que passionnelle. C’est dans ce contexte d’extrêmes tensions qu’Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, a reçu l’Opinion pour un entretien exclusif, le 30 janvier. Il n’a éludé aucune question et s’est montré offensif pour répondre à ce qu’il appelle « une campagne systématique de dénigrement » par la droite et l’extrême droite françaises qui réclament la suspension de l’octroi des visas, la dénonciation des accords sur la circulation des personnes, le gel de l’aide et des transferts financiers...
Le dirigeant algérien déplore : « Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le Président Macron. » Il assure aussi que « Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, a voulu faire un coup politique en forçant l’expulsion de l’influenceur algérien “Doualemm” » et reproche à Paris de donner « la nationalité ou le droit d’asile » à des criminels algériens en col blanc et subversifs. Il dénonce par ailleurs l’instrumentalisation faite des accords de 1968 qualifiés de « coquille vide pour rallier les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade ».
« Climat malsain ». A propos de l'écrivain Boualem Sansal, le président algérien assure qu’il peut communiquer avec sa famille, fait l’objet de soins médicaux et sera jugé dans le « temps imparti » sans se prononcer sur une éventuelle grâce. « C’est un problème pour ceux qui l’ont créé. Jusqu'à présent, il n’a pas livré tous ses secrets », confie-t-il. Il regrette également le « climat malsain » autour de la Grande Mosquée de Paris, apportant son soutien à son recteur.
Affirmant ne pas vouloir rompre avec la France, Abdelmadjid Tebboune appelle à ne rien mettre sous le tapis en matière de coopération mémorielle et de décontamination des sites où ont été réalisés des essais nucléaires français, un impératif sur les plans « humain, moral, politique et militaire ». Il laisse entendre que la coopération sécuritaire pourrait reprendre, mais prévient : « Il appartient à la France de traiter les cas des jihadistes qui se sont radicalisés sur son territoire... »
Pour lui, la balle est désormais dans le jardin de l’Elysée afin de « ne pas tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable ».
Le vent s’est levé en cet après-midi d’hiver et de fortes bourrasques balayent le parvis du Palais d’El Mouradia, le siège de la présidence sur les hauteurs d’Alger. Un peu à l’image des tensions actuelles entre l’Algérie et la France où les mots, parfois très violents, polluent l’atmosphère et brouillent la vue.
Plus que partout ailleurs en Afrique, les relations avec l’ex-puissance coloniale ont connu de nombreuses turbulences depuis 1962. Mais la crise des six derniers mois est probablement la plus « grave depuis l’indépendance » comme le suggère l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire algérienne. Dans les faits, elle a entraîné la quasi-rupture de toute forme de coopération avec Paris après la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par Emmanuel Macron suivie de déclarations hostiles, des deux côtés de la Méditerranée.
C’est dans ce contexte brûlant que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, élu en 2019 et réélu en 2024, a accepté de recevoir longuement l’Opinion pour un entretien exclusif, réalisé le 30 janvier dans le salon attenant à son bureau.
La France et l’Algérie sont entrées dans une crise sans précédent depuis six mois. Vous avez utilisé une métaphore — « Je maintiens le cheveu de Muʿawiya » — pour expliquer l’état de quasi-rupture des relations… Qu’est-ce que cela signifie ?
Muʿawiya Ier est le fondateur du puissant empire des Omeyyades et son premier calife au VIIe siècle. C’était un dirigeant très intelligent, prêt à faire beaucoup pour ne pas arriver à la rupture. C’est mon état d’esprit pour ne pas tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable. Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le Président Macron. Nous avions beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel. C’est pour cela que nous avons créé, à mon initiative, une commission mixte pour écrire cette histoire qui nous fait encore mal. Et pour dépolitiser ce dossier. J’ai même reçu deux fois l’historien Benjamin Stora. Il a toute mon estime et réalise un travail sérieux avec ses collègues français et algériens sur la base des différentes archives bien que j’aie déploré que l’on n’aille pas assez au fonds des choses. Nous avions aussi établi une feuille de route ambitieuse après la visite en août 2022 de mon homologue français, suivie de celle Elisabeth Borne, alors Première ministre, une femme compétente connaissant ses dossiers. Mais, plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu. Il y a des déclarations hostiles tous les jours de politiques français comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’« Etat voyou » ou du petit jeune du Rassemblement national [Jordan Bardella] qui parle de « régime hostile et provocateur ». Et ces personnes aspirent un jour à diriger la France… Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays.
Est-ce la reconnaissance par la France de la « marocanité » du Sahara occidental l’été dernier qui a été le déclencheur de cette crise ?
Nous avons parlé avec le Président Macron plus de 2 heures 30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier. Il venait de perdre les élections européennes et avait annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale. Il pensait — de bonne foi — qu’il pouvait compter sur les voix des Français originaires du Maroc et de l’Algérie pour, à l’issue du scrutin législatif, former une alliance centriste lui permettant de poursuivre sa politique. Il m’a alors annoncé qu’il allait faire un geste pour reconnaître la « marocanité » du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai alors prévenu : « Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre. Et vous oubliez que vous êtes un membre permanent du Conseil de sécurité, donc protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé. »
Que répondez-vous à ceux qui reprochent aux dirigeants et aux médias algériens d’utiliser la France comme une rente mémorielle ?
Quelle rente mémorielle ? Honorer ses ancêtres, laisser en paix les âmes de nos martyrs… Jusqu’à aujourd’hui, la France commémore encore ses soldats et résistants tombés dans la guerre contre l’Allemagne, ses cinéastes font des films. Il y a encore des contentieux non déclarés avec Berlin bien qu’il n’y ait eu que quatre ans d’occupation et encore, pas sur tout le territoire. Et vous voudriez nous interdire d’effectuer notre propre travail de mémoire ? Ce qui s’est passé chez nous est unique en Afrique. C’est le seul cas de colonisation de peuplement où l’on a amené des Européens par bateau sur un sol étranger pour en faire une terre française, découpée par ordre numérique dans la suite chronologique des départements français. Nos résistants ont été massacrés par centaine de milliers. Cette colonisation fut bien plus sanglante que la conquête des pays d’Afrique subsaharienne et la période des protectorats en Tunisie et au Maroc.
Marine Le Pen a déclaré qu’« il faut faire avec l’Algérie ce que Trump a fait avec la Colombie » et utiliser tous les moyens de pressions sur votre pays : plus d’octroi de visas, gel des transferts financiers, saisie des biens de personnalités algériennes en France…
Ce sont des « analphabétises ». Les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force. Il y a encore dans l’ADN de ce parti des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats. Et comparaison n’est pas raison : les relations entre les Etats-Unis et la Colombie n’ont rien à voir avec les nôtres. Les Américains n’ont pas colonisé l’Amérique latine. Et Donald Trump cherche à régler une question migratoire. Moi, je m’interroge sur la manière dont Madame Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir : veut-elle une nouvelle rafle du Vel d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? L’Algérie est la troisième économie et la deuxième puissance militaire africaine. Nous sommes conciliants, nous allons doucement, nous sommes prêts à dialoguer mais le recours à la force est un non-sens absolu.
L’administration Trump veut expulser 306 Algériens établis illégalement aux Etats-Unis. Allez-vous les accepter ?
Nous allons le faire parce que cette demande est légale. Le président américain n’a pas d’arrière-pensée liée à l’immigration algérienne aux Etats-Unis alors que le programme du RN, depuis feu Jean-Marie Le Pen, s’attaque systématiquement à l’islam et à l’immigration, avec comme bouc émissaire l’Algérie.
L’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo demande la suppression de l’aide au développement française à l’Algérie…
Cela relève d’une profonde méconnaissance de l’Algérie. C’est de l’ordre de 20 à 30 millions par an. Le budget de l’Etat algérien est de 130 milliards de dollars et nous n’avons pas de dette extérieure. Nous finançons chaque année 6 000 bourses africaines pour venir étudier chez nous, une route de plus d’un milliard de dollars entre notre pays et la Mauritanie et venons d’effacer 1,4 milliard de dette à douze pays africains. Nous n’avons pas besoin de cet argent qui sert avant tout les intérêts d’influence extérieure de la France.
Beaucoup de Français se sont émus que l’Algérie n’accepte pas le renvoi de l’influenceur algérien « Doualemn » qui a appelé sur TikTok a infligé une sévère correction à un opposant algérien France. Le comprenez-vous ?
Je ne veux pas imposer à la France des Algériens en situation irrégulière. Nous avons d’ailleurs accordé 1 800 laissez-passer consulaires l’année dernière. Mais il faut respecter les procédures légales. Bruno Retailleau, [le ministre de l’Intérieur], a parlé de l’Algérie comme d’un « pays qui cherche à humilier la France » : il a voulu faire un coup politique en forçant son expulsion. Il vient d’être retoqué par la justice française qui n’a pas justifié l’urgence absolue de sa mesure d’expulsion. Gérald Darmanin, son prédécesseur à ce poste, avait aussi débuté son ministère en cherchant à nous forcer la main, puis il est venu à Alger et, in fine, nous avons trouvé le bon modus operandi. Nous aimerions aussi que la France accède à nos demandes d’extradition comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne. Or, curieusement, nous constatons que Paris donne la nationalité ou le droit d’asile à des personnalités qui ont commis des crimes économiques ou qui se livrent à de la subversion sur le territoire français. Certains, d’après nos informations, ont même été recrutés par vos services comme informateurs.
La France vous adresse environ 10 000 demandes de laissez-passer consulaires par an. Confirmez-vous ce chiffre ?
Chaque nouveau ministre français de l’Intérieur donne de nouveaux chiffres. Beaucoup de clandestins se font passer pour des Algériens. Ils déchirent leurs papiers en arrivant en France. Il y a peu d’entrées illégales, la plupart de mes compatriotes arrivent en France avec des visas pour étudier ou exercer comme médecins, avocats ou ingénieurs, sans que cela pose de problème aux autorités.
Plusieurs politiques français exigent la dénonciation des accords de 1968. Est-ce un problème pour vous ?
Pour moi, c’est une question de principe. Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies. Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 ? Ces accords étaient historiquement favorables à la France qui avait besoin de main-d’œuvre. Depuis 1986, les Algériens ont besoin de visas, ce qui annule de fait la libre circulation des personnes telle qu’elle est prévue dans les accords d’Evian. Ils sont donc soumis au règlement de l’espace Schengen. Certains politiciens prennent le prétexte de la remise en cause des accords pour s’attaquer à ces accords d’Evian qui ont régi nos relations à la fin de la guerre. Ces accords de 1968 sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade.
Des comités de soutien se montent en France pour demander la libération de l’écrivain binational Boualem Sansal. Emmanuel Macron a même évoqué une Algérie « qui entre dans une histoire qui le déshonore ». Comment les propos d’un écrivain de 75 ans peuvent-ils être considérés comme une menace pour la sécurité nationale d‘un pays souverain doté de la deuxième armée du continent ?
Du Sahara occidental à l’affaire Sansal, la crise entre la France et l’Algérie est aussi multidimensionnelle que passionnelle. C’est dans ce contexte d’extrêmes tensions qu’Abdelmadjid Tebboune, le président algérien, a reçu l’Opinion pour un entretien exclusif, le 30 janvier. Il n’a éludé aucune question et s’est montré offensif pour répondre à ce qu’il appelle « une campagne systématique de dénigrement » par la droite et l’extrême droite françaises qui réclament la suspension de l’octroi des visas, la dénonciation des accords sur la circulation des personnes, le gel de l’aide et des transferts financiers...
Le dirigeant algérien déplore : « Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le Président Macron. » Il assure aussi que « Bruno Retailleau, le ministre de l’Intérieur, a voulu faire un coup politique en forçant l’expulsion de l’influenceur algérien “Doualemm” » et reproche à Paris de donner « la nationalité ou le droit d’asile » à des criminels algériens en col blanc et subversifs. Il dénonce par ailleurs l’instrumentalisation faite des accords de 1968 qualifiés de « coquille vide pour rallier les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade ».
« Climat malsain ». A propos de l'écrivain Boualem Sansal, le président algérien assure qu’il peut communiquer avec sa famille, fait l’objet de soins médicaux et sera jugé dans le « temps imparti » sans se prononcer sur une éventuelle grâce. « C’est un problème pour ceux qui l’ont créé. Jusqu'à présent, il n’a pas livré tous ses secrets », confie-t-il. Il regrette également le « climat malsain » autour de la Grande Mosquée de Paris, apportant son soutien à son recteur.
Affirmant ne pas vouloir rompre avec la France, Abdelmadjid Tebboune appelle à ne rien mettre sous le tapis en matière de coopération mémorielle et de décontamination des sites où ont été réalisés des essais nucléaires français, un impératif sur les plans « humain, moral, politique et militaire ». Il laisse entendre que la coopération sécuritaire pourrait reprendre, mais prévient : « Il appartient à la France de traiter les cas des jihadistes qui se sont radicalisés sur son territoire... »
Pour lui, la balle est désormais dans le jardin de l’Elysée afin de « ne pas tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable ».
Le vent s’est levé en cet après-midi d’hiver et de fortes bourrasques balayent le parvis du Palais d’El Mouradia, le siège de la présidence sur les hauteurs d’Alger. Un peu à l’image des tensions actuelles entre l’Algérie et la France où les mots, parfois très violents, polluent l’atmosphère et brouillent la vue.
Plus que partout ailleurs en Afrique, les relations avec l’ex-puissance coloniale ont connu de nombreuses turbulences depuis 1962. Mais la crise des six derniers mois est probablement la plus « grave depuis l’indépendance » comme le suggère l’historien Benjamin Stora, spécialiste de l’histoire algérienne. Dans les faits, elle a entraîné la quasi-rupture de toute forme de coopération avec Paris après la reconnaissance de la « marocanité » du Sahara occidental par Emmanuel Macron suivie de déclarations hostiles, des deux côtés de la Méditerranée.
C’est dans ce contexte brûlant que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, élu en 2019 et réélu en 2024, a accepté de recevoir longuement l’Opinion pour un entretien exclusif, réalisé le 30 janvier dans le salon attenant à son bureau.
La France et l’Algérie sont entrées dans une crise sans précédent depuis six mois. Vous avez utilisé une métaphore — « Je maintiens le cheveu de Muʿawiya » — pour expliquer l’état de quasi-rupture des relations… Qu’est-ce que cela signifie ?
Muʿawiya Ier est le fondateur du puissant empire des Omeyyades et son premier calife au VIIe siècle. C’était un dirigeant très intelligent, prêt à faire beaucoup pour ne pas arriver à la rupture. C’est mon état d’esprit pour ne pas tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable. Le climat est délétère, nous perdons du temps avec le Président Macron. Nous avions beaucoup d’espoirs de dépasser le contentieux mémoriel. C’est pour cela que nous avons créé, à mon initiative, une commission mixte pour écrire cette histoire qui nous fait encore mal. Et pour dépolitiser ce dossier. J’ai même reçu deux fois l’historien Benjamin Stora. Il a toute mon estime et réalise un travail sérieux avec ses collègues français et algériens sur la base des différentes archives bien que j’aie déploré que l’on n’aille pas assez au fonds des choses. Nous avions aussi établi une feuille de route ambitieuse après la visite en août 2022 de mon homologue français, suivie de celle Elisabeth Borne, alors Première ministre, une femme compétente connaissant ses dossiers. Mais, plus rien n’avance si ce n’est les relations commerciales. Le dialogue politique est quasiment interrompu. Il y a des déclarations hostiles tous les jours de politiques français comme celles du député de Nice, Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’« Etat voyou » ou du petit jeune du Rassemblement national [Jordan Bardella] qui parle de « régime hostile et provocateur ». Et ces personnes aspirent un jour à diriger la France… Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ses forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays.
Est-ce la reconnaissance par la France de la « marocanité » du Sahara occidental l’été dernier qui a été le déclencheur de cette crise ?
Nous avons parlé avec le Président Macron plus de 2 heures 30 en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier. Il venait de perdre les élections européennes et avait annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale. Il pensait — de bonne foi — qu’il pouvait compter sur les voix des Français originaires du Maroc et de l’Algérie pour, à l’issue du scrutin législatif, former une alliance centriste lui permettant de poursuivre sa politique. Il m’a alors annoncé qu’il allait faire un geste pour reconnaître la « marocanité » du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai alors prévenu : « Vous faites une grave erreur ! Vous n’allez rien gagner et vous allez nous perdre. Et vous oubliez que vous êtes un membre permanent du Conseil de sécurité, donc protecteur de la légalité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé. »
Que répondez-vous à ceux qui reprochent aux dirigeants et aux médias algériens d’utiliser la France comme une rente mémorielle ?
Quelle rente mémorielle ? Honorer ses ancêtres, laisser en paix les âmes de nos martyrs… Jusqu’à aujourd’hui, la France commémore encore ses soldats et résistants tombés dans la guerre contre l’Allemagne, ses cinéastes font des films. Il y a encore des contentieux non déclarés avec Berlin bien qu’il n’y ait eu que quatre ans d’occupation et encore, pas sur tout le territoire. Et vous voudriez nous interdire d’effectuer notre propre travail de mémoire ? Ce qui s’est passé chez nous est unique en Afrique. C’est le seul cas de colonisation de peuplement où l’on a amené des Européens par bateau sur un sol étranger pour en faire une terre française, découpée par ordre numérique dans la suite chronologique des départements français. Nos résistants ont été massacrés par centaine de milliers. Cette colonisation fut bien plus sanglante que la conquête des pays d’Afrique subsaharienne et la période des protectorats en Tunisie et au Maroc.
Marine Le Pen a déclaré qu’« il faut faire avec l’Algérie ce que Trump a fait avec la Colombie » et utiliser tous les moyens de pressions sur votre pays : plus d’octroi de visas, gel des transferts financiers, saisie des biens de personnalités algériennes en France…
Ce sont des « analphabétises ». Les responsables du RN ne connaissent que l’utilisation de la force. Il y a encore dans l’ADN de ce parti des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats. Et comparaison n’est pas raison : les relations entre les Etats-Unis et la Colombie n’ont rien à voir avec les nôtres. Les Américains n’ont pas colonisé l’Amérique latine. Et Donald Trump cherche à régler une question migratoire. Moi, je m’interroge sur la manière dont Madame Le Pen va s’y prendre si elle parvient au pouvoir : veut-elle une nouvelle rafle du Vel d’Hiv et parquer tous les Algériens avant de les déporter ? L’Algérie est la troisième économie et la deuxième puissance militaire africaine. Nous sommes conciliants, nous allons doucement, nous sommes prêts à dialoguer mais le recours à la force est un non-sens absolu.
L’administration Trump veut expulser 306 Algériens établis illégalement aux Etats-Unis. Allez-vous les accepter ?
Nous allons le faire parce que cette demande est légale. Le président américain n’a pas d’arrière-pensée liée à l’immigration algérienne aux Etats-Unis alors que le programme du RN, depuis feu Jean-Marie Le Pen, s’attaque systématiquement à l’islam et à l’immigration, avec comme bouc émissaire l’Algérie.
L’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo demande la suppression de l’aide au développement française à l’Algérie…
Cela relève d’une profonde méconnaissance de l’Algérie. C’est de l’ordre de 20 à 30 millions par an. Le budget de l’Etat algérien est de 130 milliards de dollars et nous n’avons pas de dette extérieure. Nous finançons chaque année 6 000 bourses africaines pour venir étudier chez nous, une route de plus d’un milliard de dollars entre notre pays et la Mauritanie et venons d’effacer 1,4 milliard de dette à douze pays africains. Nous n’avons pas besoin de cet argent qui sert avant tout les intérêts d’influence extérieure de la France.
Beaucoup de Français se sont émus que l’Algérie n’accepte pas le renvoi de l’influenceur algérien « Doualemn » qui a appelé sur TikTok a infligé une sévère correction à un opposant algérien France. Le comprenez-vous ?
Je ne veux pas imposer à la France des Algériens en situation irrégulière. Nous avons d’ailleurs accordé 1 800 laissez-passer consulaires l’année dernière. Mais il faut respecter les procédures légales. Bruno Retailleau, [le ministre de l’Intérieur], a parlé de l’Algérie comme d’un « pays qui cherche à humilier la France » : il a voulu faire un coup politique en forçant son expulsion. Il vient d’être retoqué par la justice française qui n’a pas justifié l’urgence absolue de sa mesure d’expulsion. Gérald Darmanin, son prédécesseur à ce poste, avait aussi débuté son ministère en cherchant à nous forcer la main, puis il est venu à Alger et, in fine, nous avons trouvé le bon modus operandi. Nous aimerions aussi que la France accède à nos demandes d’extradition comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne. Or, curieusement, nous constatons que Paris donne la nationalité ou le droit d’asile à des personnalités qui ont commis des crimes économiques ou qui se livrent à de la subversion sur le territoire français. Certains, d’après nos informations, ont même été recrutés par vos services comme informateurs.
La France vous adresse environ 10 000 demandes de laissez-passer consulaires par an. Confirmez-vous ce chiffre ?
Chaque nouveau ministre français de l’Intérieur donne de nouveaux chiffres. Beaucoup de clandestins se font passer pour des Algériens. Ils déchirent leurs papiers en arrivant en France. Il y a peu d’entrées illégales, la plupart de mes compatriotes arrivent en France avec des visas pour étudier ou exercer comme médecins, avocats ou ingénieurs, sans que cela pose de problème aux autorités.
Plusieurs politiques français exigent la dénonciation des accords de 1968. Est-ce un problème pour vous ?
Pour moi, c’est une question de principe. Je ne peux pas marcher avec toutes les lubies. Pourquoi annuler ce texte qui a été révisé en 1985, 1994 et 2001 ? Ces accords étaient historiquement favorables à la France qui avait besoin de main-d’œuvre. Depuis 1986, les Algériens ont besoin de visas, ce qui annule de fait la libre circulation des personnes telle qu’elle est prévue dans les accords d’Evian. Ils sont donc soumis au règlement de l’espace Schengen. Certains politiciens prennent le prétexte de la remise en cause des accords pour s’attaquer à ces accords d’Evian qui ont régi nos relations à la fin de la guerre. Ces accords de 1968 sont une coquille vide qui permet le ralliement de tous les extrémistes comme du temps de Pierre Poujade.
Des comités de soutien se montent en France pour demander la libération de l’écrivain binational Boualem Sansal. Emmanuel Macron a même évoqué une Algérie « qui entre dans une histoire qui le déshonore ». Comment les propos d’un écrivain de 75 ans peuvent-ils être considérés comme une menace pour la sécurité nationale d‘un pays souverain doté de la deuxième armée du continent ?
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